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PrÉSentation

  • : La Page de Reginelle
  • : Ce blog est une invitation à partager mon goût pour l'écriture, à feuilleter les pages de mes romans, à partager mon imaginaire. Des mots pour dire des sentiments, des pages pour rêver un peu.
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Texte Libre

Création d'un FORUM
 
Naissance du forum "Chaque être est un univers", ici à cette adresse :
 
 
Créé en collaboration avec Feuilllle (dont je vous invite à visiter le Blog – voir lien dans la liste à gauche). Tout nouveau, il n'y a pas grand-chose encore, tout juste référencé... il ne demande qu'à vivre et à grandir. Chacun y sera le bienvenu.

Et puis, j'ai mis de l'ordre dans les articles, au niveau de la présentation... ça faisait un peu fouillis ! Quoique… je me demande si c'est mieux maintenant ! On verra bien à l'usage.
Alors maintenant, voyons ce que ce Blog vous offre :

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4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 23:46
À moins de patienter le restant de la matinée, Julie devait se rendre à l’évidence : il n’y avait plus une seule place libre dans le parking souterrain !
Tout en maudissant copieusement le propriétaire du véhicule qui occupait l’emplacement qui lui était attribué, elle reprit la rampe donnant accès aux allées de Meilhan’.
Ce ne fut qu’après de longs tours et détours au hasard de ruelles quasi paralysées par des encombrements, qu’elle se résigna à abandonner sa Toyota sur la Canebière, à cheval trottoir chaussée. Stationnement des plus délicats mais parfaitement visible depuis les fenêtres de l’agence d’où elle pourrait veiller au grain.
Presque en retard pour son prochain rendez-vous, elle se refusait néanmoins à courir. Manifester une hâte quelconque ne  pouvant donner que pleine réalité à un début de contrariété qu’elle s’efforçait de refouler.
Il n’était pas question de faire mentir l’or irisant l’azur de ses paupières, pareil à poussière de soleil jetée sur le turquoise des profondeurs d’une eau de calanque.
Pas aujourd’hui !
Mais si ce fut d’un pas tranquille qu’elle abordât le bâtiment abritant les bureaux de Musslër & C°, elle ressentit un petit pincement au cœur au moment d’en franchir l’entrée.
C’était fait, entériné... irrévocable : elle avait signé, leur déménagement était programmé pour la fin de l’année, et plusieurs locataires potentiels se bousculaient déjà pour leur succéder dans ces lieux.
Quant à eux, ils se trouvaient désormais face à un défi énorme. Un challenge passionnant ! Tels qu’elle les aimait et que tous, sans exception, étaient prêts à relever. Elle savait qu’elle pouvait compter sur toute l’équipe.
Ils avaient travaillé dur, très dur ! S’étaient investis sans mesurer ni temps ni fatigue pour présenter un projet sans faille, et elle s’était engagée devant chacun à trouver les moyens de le réaliser.
C’était de cette bataille dont elle revenait. En vainqueur… bien qu’elle n’eût obtenu gain de cause qu’après d’âpres et d’interminables discussions.
Oui… Une belle réussite dont elle pouvait s’enorgueillir. Et pourtant…
Elle se glissa entre les panneaux vitrés de la porte à tambour et suivit docilement le mouvement rotatif qui la déposa en douceur dans le hall, juste entre deux énormes vasques de granit rose en partie ensevelies sous les feuillages luisants d’exubérantes plantes exotiques. Elle prit le temps de caresser du regard les chaudes boiseries courant sur les murs, les antiques appliques de verre jaune et bleu pâle, et l’énorme lustre de laiton dont les mille pendeloques de cristal irisaient le double escalier de paillettes de lumière.
Avec un soupir, elle avança lentement sur le sol de marbre blanc veiné de gris et d’ocre, jusqu’à l’asthmatique ascenseur et appuya sur le bouton d’appel.
Et pendant que l’étroite cabine descendait tranquillement à sa rencontre, elle sentit qu’elle regrettait déjà de devoir quitter un jour les locaux de ce magnifique hôtel particulier datant du milieu du XVIII siècle – hélas, étriqués ! et trop bruyants d’un centre-ville - pour d’autres bien plus pratiques et parfaitement insonorisés, couvrant les deux derniers étages d’un immeuble ultra moderne sur l’avenue du Prado. Et cela à cause de la certitude de ne jamais retrouver dans le second le cachet de ce luxe vieillot et désuet qu’elle appréciait tant dans le premier.
Sans oublier un petit rituel avant de se mettre à l’ouvrage : les deux minutes qu’elle consacrait à l’observation d’une Canebière paresseuse s’étirant du parvis des Réformés au Quai des Belges et s’ébrouant sous une toilette matinale.
Une pause, le temps de siroter un énième café, accoudée à la fenêtre de son bureau d’où, sans même avoir à se pencher, elle pouvait contempler le Vieux Port. « Son » Vieux Port.
Pour consolation, ils disposeront de trois fois plus de places de stationnement. Quoique, à deux pas de chez elle et sans nécessité de traverser les voies... en quoi cela lui offrait-il une compensation quelconque ?
Dans un gémissement métallique, parfait écho à sa nostalgie, la porte accordéon de l’ascenseur se replia devant elle, l’invitant à la passer. Julie lui obéit sagement et d’un doigt distrait composa le code lui autorisant l’accès du cinquième étage.
Adossée à la paroi capitonnée de velours cramoisi, elle écouta avec tendresse le miaulement feutré des câbles qui se déroulaient paresseusement au-dessus de sa tête.
Tout au long de ces dix dernières années, combien de fois s’était-elle irritée de leur lenteur ? Combien de fois avait-elle préféré emprunter l’escalier ? Dès les premiers jours ! Elle n’était alors que débutante maladroite mais déjà pressée ! Bien avant que ce satané Ed ne fit l’acquisition du bâtiment… et il y avait cinq ans de cela !
Oui… Cinq ans ! Cinq ans s’étaient écoulés depuis le jour où elle avait pratiquement contraint Ed Musslër à conserver, en dépit de toute raison, une société agonisante. Et tout autant également qu’elle dirigeait d’une main ferme cette agence publicitaire, parce que, en retour, ce diable d’homme l’avait mise en demeure d’en faire une entreprise rentable.
Le premier bilan avait été désastreux et le second à peine moins ! Deux longues années durant lesquelles elle avait eu droit à un « Combien me coûte ma danseuse, ce mois-ci ? » à chacun de ses comptes-rendus mensuels.
Mais leurs efforts avaient fini par donner des résultats et depuis la troisième année, les profits s’engrangeaient allègrement.
En revanche, bien que lui étant tout acquis, lors des négociations de ce matin, Ed Musslër s’était avéré adversaire retors et particulièrement coriace. Sacré Ed ! La connaissant trop bien pour prétendre l’ignorer aussi entêtée que lui, il n’avait eu d’autre choix que de céder à sa requête. À moins de prendre le risque de se voir harcelé à n’en plus finir, mis en état de siège ou, pis encore, kidnappé… ce dont il la savait parfaitement capable !
Et pour tout cela, à cause des lieux et des souvenirs qui s’y rattachaient, la victoire avait un arrière-goût de mélancolie.
Dans un dernier sursaut, la cabine s’immobilisa face au sas donnant accès à l’étage. Julie poussa la paroi vitrée d’un bras décidé et se figea aussitôt, enregistrant d’un coup d’œil l’accueil déserté et les dossiers abandonnés sur un siège.
Elle avança de quelques pas dans le couloir desservant les quatre premiers bureaux, étonnée de n’y apercevoir que fauteuils et tables inoccupés.
Sourcils froncés, elle s’interrogeait sur ce qui pourrait expliquer une aussi générale désertion lorsque son attention fut attirée par des échos de querelle émanant apparemment de la salle de réunion.
Fait suffisamment inhabituel pour confirmer l’agaçante évolution adoptée par un lundi qui, à l’aube, s’annonçait pourtant pareil à d’autres !
Il lui suffit de traverser la pièce réservée aux archives, de parcourir un second vestibule pour enfin apercevoir une demi-douzaine d’individus agglutinés et hilares devant une porte entrebâillée.
Allait-elle les interpeller que l’un d’eux la découvrit et donna l’alerte. Et tous s’égaillèrent tels moineaux à la vue d’un chat, la laissant bouche bée.
Débandade incompréhensible pour une Julie qui était pourtant toujours la première à savourer un mot d’humour, qui savait apprécier un zeste d’imprévu, qui fermait volontiers les yeux sur un soupçon de distraction.
Mais qui ne saurait tolérer qu’une altercation perturbât la bonne organisation du travail !
La main sur la poignée, sur le point de pousser le panneau de bois, elle suspendit son geste, étonnée de reconnaître sous les accents furieux qui lui parvenaient, la voix de… de… David ?
Qui donc avait le pouvoir de transformer un si gentil garçon, l’élément le plus patient, serviable et attentionné de son équipe, en un tel braillard ?
Chic ! Voilà qui modifiait les données du problème.
David, furieux ! Un spectacle digne de figurer dans les annales de la société… À ne manquer sous aucun prétexte.
Curieuse ? Julie ? Absolument pas ! N’était-elle pas responsable du service ? D’ailleurs, elle n’avait même pas à tendre l’oreille.
- Fais-la sortir d’ici, avant que je ne perde tout contrôle !
- Doucement, David ! Tu vas l’effrayer dès son premier jour.
- Elle ? Ray, tu rêves ! C’est la peste, Attila et Lucifer réunis en un même individu. Moi ? La terroriser ?
Qui donc ?
Julie risqua un petit coup d’œil pour mieux évaluer la situation et... Justine ? Que faisait-elle là, confortablement installée dans un fauteuil, jambes croisées et menton reposant au creux d’une main ? Affichant un ébahissement désolé face à l’attitude déraisonnable d’un excité, bien plus que ravissante et d’une troublante fragilité sous des allures étudiées et trompeuses de chatte ronronnante !
Et ce serait vers une telle harmonie de subtils artifices qu’était dirigée tant de fureur ? Et David ? Où était-il ? Julie avança davantage la tête dans l’entrebâillement et… Là ! Elle le voyait enfin !
Un vrai coq de combat ! Le front aussi rouge que la crête de ce volatile, manifestement hors de lui. Colère sans doute aiguisée par l’incontestable ironie qui transparaissait dans le regard d’une gamine effrontée.
- Regarde… Regarde ses yeux ! Tu vois bien qu’elle me nargue !
- Mais non, tu te trompes. Va boire un café, ça t’éclaircira les idées… Tiens ! Je te l’offre et suis prêt à t’accompagner jusqu’au distributeur ! Vous, charmante demoiselle, surtout ne vous sauvez pas, je reviens dans deux minutes.
- Me promener dans les couloirs avec un enragé en liberté ? Aucun risque !
- Tu as entendu ? Aboya David, et c’est moi qui devrais quitter les lieux ? Pas question !
Julie hésitait, consciente qu’il serait sage d’intervenir, de mettre fin à cet échange de civilité d’un style singulier, mais… le fallait-il vraiment ? Encore un peu, pas longtemps... juste deux, trois secondes, pas plus... à peine assez pour que l’anecdote évoluât plus croustillante ! Et elle eut du mal à retenir un éclat de rire au murmure suave de la jeune fille qui ajoutait :
- Se mettre dans un état pareil pour une minuscule égratignure sur un vieux pare-chocs ! C’est tout juste digne d'un enfant !
Justine... adorable Justine… qui n’était que promesses pour l’avenir ! L’intonation était un poème de maîtrise, pas une syllabe plus haute que l’autre et d’une douceur à émouvoir un cerbère ! Sa nièce préférée !
Mais de quoi parlait-elle ? Un accrochage ? Ô Seigneur ! Il devait s’agir de la Talbot Lago ! Pas n’importe laquelle, un modèle de 1954, la T26 GSL ! Un bijou qui faisait l’orgueil de David. Depuis combien d’années s’échinait-il à la retaper ? Bien avant qu’elle ne fit sa connaissance, il était encore étudiant... six ans au moins ! Si longtemps ? Un crime déjà, si un malheureux grain de poussière osait se poser sur la carrosserie, alors que dire d’une estafilade ? Une syncope assurée pour son propriétaire ! Qui, lui, s’emportait de plus belle.
- C’est une pièce de collection, stupide femelle !
- Vraiment ? Dans ce cas, remisez-la donc dans un musée et déplacez-vous à pied ou... à bicyclette !
- David, intervint Raymond, comment peux-tu manifester autant de mauvaise humeur et demeurer insensible face à d’aussi jolis yeux ? Mademoiselle, excusez-le, ce n’est qu’un rustre, incapable de la moindre indulgence, mais, n’ayez crainte, vous êtes sous ma protection.
Raymond semblait s’amuser beaucoup dans ce rôle d’arbitre entre eux. Celui-là ! Don Juan de pacotille devant une jeunesse alors qu’il n’était que mouton bêlant devant son irascible épouse. Quant à David et Justine, après de tels débuts, ils risquaient de lui donner du fil à retordre ! Il était plus qu’urgent de calmer le jeu ! Il lui suffit de se composer une mine sévère, de prendre un ton de circonstance et... Julie Castel entra en piste !
- Que se passe-t-il ici ?
Un silence total, des regards empreints de rancune pour deux des protagonistes, et un léger embarras pour le troisième, celui qui n’avait rien à faire en ce lieu, et surtout à cette heure !
L’occasion était bien trop belle pour que Julie se privât de lui rappeler quelques rapports qui traînaient à se conclure !
- Tiens, Raymond ! Tu tombes bien, je voulais justement t’entretenir à propos des dossiers Mariani et Souvignat. Où en es-tu ?
- Ben… j’ai presque fini, et…
« Presque ? » Eh bien, s’attarder de la sorte ne l’aidera pas à y arriver tout à fait !
- Je peux donc espérer raisonnablement les avoir avant ce soir !
- Oui, oui, oui… Considère même que tu les as ! Salut, les enfants, le devoir m’appelle ailleurs !
Dissimulant une moue moqueuse, Julie le regarda s’éloigner à toute allure.
- C’est ça… Cause toujours ! Gare à lui si je dois le relancer une fois de plus, grinça-t-elle avant de se tourner vers les deux autres.
- Et maintenant à nous trois ! Alors ? Qu’avez-vous à dire pour votre défense ?
- La seule coupable, c’est cette petite sotte ! Dénonça David. Et tu n’avais pas à t’en prendre ainsi à Raymond !
- Toi, mon grand, du calme, tu as l’air d’oublier où tu te trouves en ce moment, mais... nous nous expliquerons plus tard.
- Je te souhaite bon courage, Julie, soupira la jeune fille.
- Mmm Mmm … oui… et ma Justine, je l’invite à taire ses gentillesses empoisonnées qu’elle distille à la perfection !
- Justine ! Ricana David… Avec un prénom pareil, plus rien ne m’étonne.
- Je suis contente qu’il vous plaise ! S’exclama cette dernière, avec un tendre sourire, très vite remplacé par un air navré pour ajouter : en revanche, le vôtre est lourd à porter ! L’histoire a déjà son David et, ne rêvez pas, le détrôner relève de l’impossible.
- Julie, débrouille-toi pour tenir cette chipie hors de ma vue !
- Oh oui, Julie… et ainsi tu feras deux heureux !
Une cour de récréation dans une école maternelle. « Ce n’est pas moi ! », « C’est lui ! » Jusqu'à quel âge pouvait-on coller des enfants au piquet ?
- Si vous vous décidiez à adopter un comportement d’adultes responsables, peut-être pourrais-je en arriver aux présentations d’usage ?
- Tu as raison… acquiesça Justine… comme toujours ! Et je suis ravie de travailler avec toi parce que…
- Pas « avec », fillette, mais « pour »… la reprit Julie… Saisis-tu la nuance ?
- Une nuance ? Où ? Oh ! Oui... certainement. Enfin, je crois...
- Ha ! ha ! ha ! Elle « croit », qu’elle dit ! s’esclaffa David…
- Le rire est abondant sur le visage des simples d’esprit… en voilà un exemple, énonça Justine !
- Hé ! Ho ! C’en est assez ! Je ne suis pas tenu d’écouter de telles inepties, s’enflamma de nouveau le jeune homme.
À qui Justine conseilla d’une voix doucereuse : - Bouchez-vous les oreilles !
Julie se délectait d’autant mieux de leurs chamailleries qu’elle avait le plein pouvoir d’y mettre un terme.
Bon, ces deux-là avaient donné le ton à un début de scénario, il ne lui restait qu’à observer de quelle façon ils allaient évoluer dans le décor mis à leur disposition. Comment leur présenter la chose ? Tout de go ou avec ménagement ?
- Et vous, ouvrez les vôtres, Miss Catastrophe ! Je ne veux pas vous voir à moins de dix mètres de mon véhicule, et autant de moi-même. C’est bien clair ? Et… et… moi, je sors ! Je m’en vais faire un tour et…
- Eh !!! Attends ! L’arrêta aussitôt Julie. Avant de te débiner, il faut que tu saches que Justine va partager notre environnement durant les deux prochains mois.
- Quoi !!! Deux mois ! Tu as dit deux mois ?
- Oui ! Et aussi que… ben…, … j’avais l’intention de... de te la confier.
- À lui ?
- À moi ?
S’écrièrent-ils d’une même voix ! Un ensemble parfait ! Ce qui enchanta Julie ! Elle le savait : ils étaient faits pour s’entendre ! De quoi s’inquiétaient-ils ? Il ne s’agissait dans l’immédiat que de deux ou trois petites heures. Juste le temps d’un tour d’horizon, de survoler les lieux ! Un léger différend entre eux ? Tant pis !
- À toi et à lui… oui, à tous les deux ! Je suis navrée, mais c’est comme ça ! En avant, petits soldats ! Du cœur à l’ouvrage et avec le sourire.
- C’est bien pour te faire plaisir, concéda David. Bon… pour ce midi, nous déjeunons ensemble ?
- Si tu veux. Et toi, Justine, tu n’as rien prévu ?
- Je pensais t’inviter mais, je crois que...
- Voilà qui est parfait ! Nous serons trois !
- Julie, non ! S’écria David. Pas avec...
- Oui, oui, oui ! Et nous aurons, peut-être, un quatrième larron à notre table... qui est en retard d’ailleurs. Allez ! Filez ! Et, par pitié, plus de vagues !
Elle n’eut qu’à les observer tandis qu’ils s’éloignaient pour deviner que l’orage, entre eux, n’était qu’assoupi. Et elle se plut à imaginer leur prochaine réaction, lorsqu’ils verront leurs noms unis sur le programme des prochaines semaines.
Que c’était compliqué, parfois, la vie ! Ils étaient tellement mignons, aussi gentils l’un que l’autre ! Était-il logique de se quereller pour une broutille ? Quoique ! Qui mieux informé qu’elle pour savoir qu’un incident insignifiant pouvait se révéler le détonateur d’un événement important ?
Pas vraiment une bonne idée de faire référence à son cas personnel, à ne souhaiter à personne.
Mais c’était le passé, et se lamenter ne rimait à rien…. et puis… elle avait eu de bons moments…
« Ah, oui ? Lesquels ? ».
Elle ferma les yeux sur sa mauvaise foi : pas de place pour des regrets, aujourd’hui, la vie était belle, l’avenir lui souriait, et surtout, - le plus important à son avis - elle était libre.
Et ce retardataire, que faisait-il ?
Personne dans le coin détente, ni sur les sièges du hall. Un mauvais point à noter dans son dossier. Tant pis pour lui, elle avait suffisamment de travail en attente dans sa corbeille pour ne pas perdre davantage de temps.

 

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4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 23:45


    Quand le Diable s'en mêle ! voilà une heure que le téléphone ne laissait aucun répit à Julie. Et une tasse de caféserait la bienvenue.
    Où donc s’était envolée Claudine ? Qui n’avait pas l’air de comprendre que sa tâche essentielle consistait à filtrer les appels, à demeurer à proximité de son bureau et disponible dans la mesure du possible ! Se promener dans les couloirs n’était pas le plus indiqué pour y satisfaire.
Par ailleurs, cette gamine était tellement gaie et sympathique qu’il était aisé de fermer les yeux sur certains de ses petits travers. Être accueilli par son sourire était le premier vrai plaisir de chaque matin, apte à ranimer un moral au plus bas et qui a viré au gris. Bien plus efficace qu’un médicament !
De plus, lorsque Julie l’entendait rire au téléphone, avec un fournisseur ou un client avant de le lui passer, elle savait que ce dernier, détendu par un mot gentil et une attente agréable, n’en serait que plus facile à manier.
Il fallait cependant se décider à lui faire regagner son poste. Un message par les haut-parleurs et le tour était joué. Une installation fort judicieuse, quelques mots lancés tous azimuts, une bonne dose de patience, et au bout... deux coups à la porte. Déjà !
- Entre ! Où étais-tu encore perdue ? Gronda-t-elle gentiment tout en validant les dernières informations affichées sur l’écran de son ordinateur.
- Dans le hall depuis environ une heure.
- Hein ? Sursauta Julie sous une voix inconnue ! Pas celle de Claudine... sauf si elle avait mué masculine durant la nuit.
- Qui... ?
Le temps de pivoter sur son fauteuil et elle fit face à un homme de haute taille, d’une élégance virile et raffinée – de celle qu’elle pensait disparue à jamais – et qui lui présentait plusieurs gobelets fumants, posés sur un couvercle de boîte à archives en guise de plateau.
D’où sortait-il, celui-là ? Se raidissant un peu sous le regard amusé, Julie tenta d’adopter une allure plus conforme à celle que devrait afficher Madame Castel, responsable en titre chez Musslër & C°.
Sans aucune envie de répondre au sourire que l’inconnu lui adressait, elle l’écouta lui proposer de choisir entre un noisette, un petit noir bien serré et un autre plus léger, sans omettre un café au lait et... du thé !
Rien que ça ? Non, il avait pensé au sucre et même à la petite cuillère !
- Plaît-il ? Je... D’où venez-vous ?
- De la pièce voisine. J’ai entendu votre message, j’y ai obéi, et le distributeur a fait le reste. Ne connaissant pas vos préférences, j’ai pris toute la gamme. Ai-je oublié quelque chose ?
- Posez cela ! Qui êtes-vous ? Non, ne dites rien, je sais ! Mon retardataire…
- Je suis navré de vous contredire, mais j’étais exact à notre rendez-vous. Dix heures précises. En revanche, vous, vous n’étiez pas dans votre bureau et votre secrétaire doit s’être égarée à vous chercher depuis !
Il débutait bien ! Par un sermon à peine déguisé ou bien elle ne comprenait plus rien à rien ! À qui croyait-il s’adresser ?
- L’accueil était pourtant désert à mon arrivée.
- J’ai eu la faiblesse de céder, comme vous, à l’appel d’une tasse de ce breuvage. Lequel préférez-vous ?
- Noir, serré et sans sucre. Asseyez-vous, vous me donnez le torticolis de rester ainsi debout. Vous ne prenez rien ?
- Pas pour le moment. Alors, que faisons-nous ?
En plus, il semblait pressé de se mettre au travail ! Il ne tarderait pas à voir qui donnait le tempo, mais, pour l’instant, elle allait se contenter de boire son café, ensuite...
- Vous êtes bien Julie Castel ?
Non ! L'impératrice de Chine réincarnée ! Faillit-elle lui répondre.
- Le nom sur la porte l’indique assez clairement, il n’y a pas erreur sur la personne. Eh bien… merci pour le café ! Alors… vous - j’ai votre dossier, là - vous êtes... J. Gauthier... « J. » pour… ?
- Pour Julien. C’est amusant, non ?
- Vous trouvez ? Je n’ai plus que très peu de temps à vous consacrer dans l’immédiat, alors autant nous entretenir sérieusement de ce qui vous amène parmi nous. Voyons cela, dans quel domaine souhaitez-vous vous perfectionner ?
- Tout ce qui concerne cette entreprise.
- Pourquoi celle-ci ? Ou cette activité en particulier ?
- Elle en vaut bien une autre, non ?
- Euh… oui… Mais, tout dépend du but à atteindre… et il me serait agréable de connaître le vôtre.
- À dire vrai, je n’en ai aucun de précis pour l’instant sinon celui de voir si ce genre d'emploi pourrait me convenir.
- Vous convenir ? Écoutez… il ne s’agit quand même pas de choisir un job ainsi que vous le feriez de… d’une chemise ou…
- Fichtre ! Je ne m’attendais pas à rencontrer quelqu’un d’aussi…
Un lundi ordinaire ? David hors de lui, Justine... toujours la même, et maintenant, ce type-là !
- D’aussi quoi ? Soyons clairs, si nous vous acceptons parmi nous…
- Si ? Je pensais que c’était un fait acquis !
De mieux en mieux ! Ce type l’agaçait tellement qu’elle en oubliait avoir affaire au protégé d’Ed Musslër !
- Oui… bien sûr… Je voulais seulement souligner qu’intégrer notre équipe vous donnait plein accès à certains secteurs où la plus grande discrétion est de rigueur. Je sais qu’en seulement trois ou quatre semaines, vous n’aurez pas le temps...
- Vous êtes mal informée, cette durée n’est valable que pour ma présence dans votre service. Vous oubliez les autres. Si je m’en tiens aux informations transmises par Ed, je devrais évoluer dans l’agence durant au moins six mois, et plus si nécessaire.
La moitié d’une année avec ce type sur les bras ? À quoi pourra-t-elle l’occuper ? De plus, en cette période, il ne représentera qu’un handicap.
Joli cadeau que Ed lui faisait là ! Pour lequel elle ne tardera pas à le remercier ! Dans l’immédiat, autant s’en faire une raison : quelques jours passeront vite, ensuite elle confiera le « colis » à quelqu’un d’autre.
Julie inspira profondément, s’efforçant de recouvrer un semblant de calme avant de reprendre l’entretien, et sursauta à la porte qui s’ouvrit brusquement livrant passage à un tourbillon en collants noirs et mini kilt à carreaux jaunes et verts sous un pull mauve, le tout surmonté de boucles rouges.
- Claudine ! s’exclama Julie, les yeux écarquillés. Mais… tes… tes cheveux !
- Vite !…. Les clés de ta voiture ! Il faut… oh ! Vous êtes là ?
- Euh… Oui ! lui répondit Julien… Rassurée ?
- Vous ne risquiez pas de vous perdre ! Alors ? comment ça se passe ?
- Claudine, intervint doucement Julie, toute maîtrise d’elle‑même retrouvée, ainsi que tu peux le voir, Monsieur Gauthier est encore entier ! Quant à mes clefs… Pourquoi ?
- Ah oui… les clefs ! C’est ton auto, … il faut la déplacer. J’ai eu toutes les peines du monde à empêcher la fourrière de l’embarquer !
Décidément, cette journée cumulait les ennuis ! Si elle tenait celui à qui elle devait de…
- Tiens ! Demande à David ou à Raymond de s’en charger.
- Tu n’auras plus jamais confiance en moi ! L’accusa Claudine avec une adorable moue boudeuse.
Julie frémit intérieurement en évoquant les dernières mésaventures subies par son cher véhicule. Telle que : une roue arrière engloutie par une bouche d’égout, inattendu résultat de ce qui aurait dû n’être qu’une banale manœuvre ; ou encore coincé entre deux potelets. Qu’il avait fallu desceller pour l’en dégager, uniquement parce que Claudine n’avait pas envisagé, même une fraction de seconde, qu’un cabriolet Toyota pouvait être sensiblement plus large que sa petite Clio ! Non… que cette étourdie lui accorde davantage de temps pour oublier ses exploits… Surtout ce lundi-là ! Dans l’intérêt de tous, et de son automobile en particulier, qu’elle se cantonne au domaine dans lequel elle excellait : les dossiers en attente sur son bureau. Ce que Julie s'empressa de lui rappeler !
En priorité, passer à la composition et transmettre le feu vert pour le projet 104, les documents signés se trouvaient, bien en évidence, dans le bac étiqueté «urgent ».
Ensuite, faire un saut au second, chez Paint, et bousculer Michel : s’il continuait à ce rythme, ils allaient prendre du retard.
- Qu’il m’appelle s’il a un problème. Ah ! Et essaie de voir où sont Justine et David, tu me diras comment ça se passe entre eux.
- Compte sur moi !
Julie suivit des yeux la jeune fille pendant qu’elle quittait la pièce, espérant très fort qu’elle n’oubliera rien, puis, encore dubitative, fit face à son interlocuteur.
- Où en étions-nous ?
- Vous vous tutoyez tous ?
- Pardon ? En quoi cela vous concerne-t-il ? Une analyse personnelle des rapports entre les divers échelons ?
- Seulement me faire une idée de l’ambiance dans laquelle je vais travailler.
- Nous voilà donc à pied d’œuvre ?
- Le temps perdu...
Ô ce sourire ! Que faisait-elle pour l’amuser autant ?
- Je connais la suite... Eh bien, pour satisfaire votre curiosité, non... pas tous, uniquement à cet étage, dans « mon » service ! Nous sommes sept, nous travaillons ensemble, autant le faire dans une atmosphère détendue.
- Mais vous, si j’ai bien compris, vous dirigez la totalité de l’agence !
- Je ne vois pas...
- Une attitude trop... disons… trop « amicale » pourrait affaiblir votre autorité, non ?
Ainsi, à son avis, elle devrait prendre des distances, s’isoler dans une tour d’ivoire et toiser ses collaborateurs !
La barbe ! Pour qui se prenait-il ?
Quelques mots pour une entrée en matière assez drôle, ensuite l’impression, pour elle, de se retrouver sur la sellette, et maintenant, chez lui, rien de moins qu’un ton de professeur !
Elle aurait dû s’y attendre ! Un col qu’elle jurerait amidonné, une cravate, des boutons de manchettes, des pantalons au pli impeccable, aucune fausse note chez lui.
Elle n’avait pas vu les chaussures !
Mais comment imaginer des baskets aux pieds d’un tel personnage ? Pas lui ! Elle parierait un mois de salaire.
- Croyez-vous que l’anarchie règne sous ma direction ?
- Je n’ai rien insinué de tel. Toutefois, en ce qui concerne votre secrétaire, son comportement...
- Claudine ? Vous vous y ferez, et à la longue vous pourriez même en arriver à l’adorer.
Pour en finir, elle lui précisa que c’était à « son » étage qu’il relèvera le plus petit taux d’absentéisme. Elle savait qu’elle pouvait compter sur tous.
Ils travaillaient dans la bonne humeur ? Et alors ? Cela était d'autant mieux que dans leur domaine les tristes mines avaient peu de chance de voir adopter leurs idées...
Elle admettait volontiers ne pas apprécier le style « se taire et obéir » mais, si chacun avait droit de parole et liberté de défendre son projet, il savait aussi qui, au final, décidait, et à tous les niveaux !
- Rassuré ?
- Je n’étais pas inquiet... pas pour vous !
- Je crois que nous ferions mieux de sortir d’ici. Une visite s’impose, vous jugerez par vous-même.
- Excellente idée !
- Vous me voyez ravie de recevoir votre approbation, je n’en espérais pas tant !
Elle enrageait de devoir repousser la tentation de l’envoyer au Diable et avait l’intime conviction qu’avec un pareil collet monté sur le dos, les problèmes ne faisaient que commencer.
Une heure encore avant la pause déjeuner. Pourvu qu’il refusât de se joindre à eux ! Était-il vraiment indispensable de le lui proposer d’ailleurs ?
Elle ? Pas d’autorité ? Il ne tardera pas à apprendre à la connaître, jusqu'à demander grâce.
Julie ne supportait plus ce genre d’individu : très sûrs d’eux, trop ! au point d’estimer en savoir plus que n’importe qui, avec des idées arrêtées sur tout et une ligne de conduite qu’ils considéraient la meilleure !
Si elle pensait Gabriel unique au monde, le hasard venait de lui en offrir un second exemplaire !
Lui seraient-ils tous destinés ?
Qu’avait-elle fait au ciel pour mériter cela ?

 

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4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 23:44

 

Julie n’avait aucune envie de déserter un bouillonnement mousseux, ni de s’extraire de vagues à la chaleur bienfaisante, et décida de s’accorder encore cinq minutes. Le temps de laisser la décontraction l’envahir, jusqu’au plus petit muscle, au moindre tendon. Comment se nommait le génie qui avait inventé le bain à remous ?
Oui, mais... David ne devrait plus tarder à se manifester, et il n’était pas question de le recevoir aussi cavalièrement. Non ? Pas même une fois ? Juste pour se délecter de son expression !
Dix ans de moins, et, qui sait ? Pourquoi dix ? David approchait la trentaine. De loin... Quatre ans devant lui avant d’atteindre cette dizaine fatidique. Une éternité ! Alors que, elle ! Elle en avait franchi le cap depuis... une horreur !
Depuis son trentième anniversaire, elle avait subi six courtes révolutions terrestres autour du soleil. À l’échelle de l’univers pas même un battement de cils. Fichue planète… avait-elle besoin de s’essouffler à courir aussi vite dans l’infini, à dériver vers un but aussi mystérieux qu’inaccessible à tous ? N’existait-il personne capable d’actionner une pédale de frein cosmique ?
Qui donc lui avait mis en tête qu’un homme se devait d’être plus âgé que sa compagne ?
Là, elle s’égarait un peu et devrait se reprendre avant de le faire tout à fait. Pauvre garçon ! Julie rit doucement en imaginant la réaction de son « si » jeune ami affrontant la situation qui venait de lui traverser l’esprit.
Pourtant... il était vrai que la solitude lui pesait... par moments, pas toujours... uniquement à certaines heures.
Il advenait, parfois, qu’elle brûlât de se laisser aller au désir de céder à un sourire, à une œillade, à une invitation galante ; d’oser s’offrir le luxe d’un mirage sentimental, d’un détour dans une voie libertine, coquine et... tellement agréable !
Tromper de temps en temps l’ennui de ses nuits. De ses réveils aussi.
Que voulait-elle ? De la passion, de la turbulence ? Non, tout cela, elle en avait reçu une part plus que généreuse… Jamais plus de guerre ! Elle était saturée de batailles !
Ce qui lui manquait c’était... C’était une épaule d’homme, un corps, des mains d’homme... et... Maudit Gabriel qui veillait toujours sur elle avec plus de férocité encore qu’un hargneux bouledogue sur son os !
Ouste ! Mieux valait émerger de là avant de se laisser aller à des pensées tristounettes.
Une sortie de gala ! Qui pourrait expliquer cette subite fringale d’ambiance feutrée, de musique et de danse ? Elle sourit en évoquant la stupéfaction de David à l’autre bout de la ligne ! Lui qui avait décidé de l’emmener dans l’un de ces bistrots que, seul, il savait dénicher, puis l’entraîner dans une salle de cinéma !
Zut ! Il s’agissait d’un film avec Sean Connery. En dépit de son âge, ce type avait toujours une allure extraordinaire. À en ronronner presque de plaisir chaque fois qu’elle le voyait sur un écran…
Un idéal masculin ? Ardente inconditionnelle d’un acteur en particulier ? Des idées préconçues ? Non… pas Julie ! Pour ne pas être dotée d’une âme de midinette, pour être seulement séduite par un rôle et l’oublier sitôt la fiction achevée, pour n’avoir jamais confondu « homme » avec « personnage ». Pour avoir la certitude profonde que l’individu réel ressemblait à n’importe quel quidam dès sorti des plateaux de tournage : Aussi capable d’égoïsme que d’abnégation, de bonne ou de mauvaise humeur... porteur de qualités et de défauts, à l’image de tout un chacun.
Quelle tenue ? Elle verra plus tard ! Une décision importante, à la mesure des besoins qui s’agitaient en elle. Celui d’afficher le meilleur d’elle-même et de séduire... Celui de se prouver que, d’une certaine façon, elle était encore capable d’émouvoir et d’attirer un homme... De s’assurer que, au moins sur ce plan-là, elle existait toujours.
Ou seulement - pourquoi ne pas l’avouer ? - parce qu’elle adorait enflammer des regards !
Allumeuse ? Julie ? Pas du tout... Aucune provocation gratuite en elle, sinon la nécessité de se rassurer. Sans jamais encourager celui… ou plutôt ceux qui lui souriaient.
D’ailleurs elle ne sortait qu’accompagnée, afin de bien indiquer à chacun qu’elle n’était plus libre. Et David assumait, presque à la perfection, ce rôle d'ange gardien… de garde-« folle » surtout ! N’étant pas certaine de résister sans cesse à l’attrait d’une aventure, et refusant la perspective de quitter au bras d’un inconnu les lieux où elle se serait présentée pendue à celui d’un autre, ou en solitaire.
Pas même une fois... une seule ? Non… de crainte de se laisser aller à d’autres… et pourtant...
Attention ! Ne pas avoir le fard agressif : elle s’appliqua à bien poser le trait d’eye-liner, à en faire un composant naturel de son visage. Elle excellait en ce domaine. Suivant l’humeur, elle changeait aussi aisément d’allure que de parfum et, par les teintes adoptées, offrait à tous un aspect doux, mutin, sage ou sévère, mais également, parfois, très dur !
Au bureau, ils en avaient pris l’habitude. Son ombre à paupières ? Le baromètre de son état d’esprit du jour !
Ainsi, ce soir, elle se voudrait à l’unisson d’une atmosphère de lumière tamisée, ne paraître que tendresse et séduction. Elle savait jouer à la perfection avec la lueur des chandelles, dessiner une bouche pour la rendre affolante, déguiser un regard pour ne rien livrer d’essentiel.
Une petite garce ! Gentille, certes… mais malgré tout une garce !
Autrefois, Gabriel était fier de parader à ses côtés, l’entourant d’un bras, exhibant « sa femme», donc « sa propriété » ! Gabriel, encore lui ? Qu’il défilât ailleurs... Bon vent !
Deux coups brefs à la porte ! David était là et elle, pas encore vêtue ! Elle enfila un peignoir ultra court, hésita à peine en constatant qu’il lui couvrait tout juste les fesses, et courut lui ouvrir…
Il arrivait à point nommé pour l’aider à choisir.
- Julie ! Tu n’es pas prête !
- Tu vois bien que non, s’écria-t-elle en l’attrapant par la main et le tirant après elle jusqu’à l’intérieur de sa chambre. Où elle le lâcha pour se saisir des deux robes, encore sur cintre, déposées sur le lit.
- Dis-moi... à ton avis… La verte ou la noire ?
- La petite verte ? Pas question, je connais déjà, bien assez pour savoir qu’il est trop risqué de t’escorter avec ce simulacre de vêtement sur le dos. L’autre est parfaite, et j’adore une femme en robe longue.
- Ah, oui ? Bon choix, précisément celui que j’escomptais. Deux minutes et je te rejoins.
- Un coup de main pour la fermeture ?
- Pas le moindre ! Sers-toi un verre en attendant. Dis ! Comment t’en es-tu tiré avec ma nièce ?
- Ta nièce ? Ôte-moi d’un doute, quel âge as-tu en réalité ?
Elle le regarda de travers. Pourquoi David évoquait-il la fuite du temps ? Était-elle si évidente sur elle ?
Elle passa dans le dressing attenant à sa chambre, se plaça devant le grand miroir qui en recouvrait toute une paroi, se dépouilla du peignoir et s’appliqua à détailler, un instant, la silhouette qu’il lui renvoyait. Et, souriant à son reflet, elle décida qu’elle n’avait rien à envier à une adolescente… à toutes ces jeunettes qui ne savaient pas même s’attifer.
- Suis-je obligée de m’en souvenir ? Cria-t-elle à l’intention du jeune homme qui patientait dans la pièce voisine… Alors, puisque tu me le demandes, j’ai… fffff… j’ai treize longues années de plus qu’elle. Je suis arrivée très tard chez mes parents, un revenez-y qui a porté ses fruits. La dernière-née mais… Et zut !
Elle se contorsionna pour attraper la minuscule boucle de la fermeture éclair et la remonta tout en revenant auprès de David.
- Alors ? Comment me trouves-tu ?
- La dernière mais... certainement la plus réussie ! Je vais avoir du mal à tenir les loups à distance ce soir. Tu n’as aucune pitié !
- Tu es très élégant aussi. Nous y allons ?
- Pressée de traverser l’arène ! Celui qui te matera un jour existe, sais-tu, et vos routes finiront bien par se croiser. J’ai la ferme intention d’assister au spectacle.
- D’abord, mon âge, ensuite mon caractère ! Tu es exécrable. Peux-tu me dire ce que me vaut une pareille attitude ?
- Tu ne devines pas ? Justine ! Tu vas payer ce qu’elle m’a fait endurer aujourd’hui.
- C’est tout moi à vingt-trois ans ! Je croyais que vous alliez vous entendre comme larrons en foire. Navrée !
- Te ressembler ? À toi ? Alors, je promets de faire un effort car tous les espoirs lui sont permis. En route, le carrosse de votre Altesse est avancé.

 

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4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 23:43

 

 - Madame Castel ! Cela faisait si longtemps ! Vous me manquiez et je suis ravi de vous voir.
- Moi aussi, mon cher Lucciano. Dites-moi… beaucoup de monde, ce soir ?
- Non, l’ambiance est exactement telle que vous l’aimez.
« Chez Lucciano » ! Julie y avait ses habitudes, elle en appréciait le raffinement de la décoration, la discrétion du personnel, et, accessoirement, la cuisine.
Sans plus attendre, elle se dirigea vers « sa » table, précieux héritage de son divorce. Stipulé noir sur blanc : interdiction à Gabriel de l’occuper ! Elle aurait tout concédé en échange de cette seule exigence ! Ridicule ? Sans doute ! Néanmoins, cet inestimable privilège lui donnait le réconfortant pouvoir de faire payer à une brute quelques humiliations pas totalement digérées.
- Chaque fois que nous venons ici, j’ai l’impression d’être le Prince Consort de sa Majesté la Reine !
- Les miettes d’un passé brillant, sans plus !
- Et toujours cette table ! C’est incroyable !
- Tu n’y comprends rien ! C’est « ma » table… La meilleure pour un repas tranquille sans rien perdre de la salle. Tu entends cette musique ?
- Si tu veux, nous passons notre commande et ensuite je t’offre un tour de piste.
- Tu sais bien que ce n’est pas la peine ! Qu’il est inutile de t’inquiéter du menu ! Lucciano connaît mes goûts, tu peux être certain qu’il se souvient très bien des tiens, et il va se mettre en quatre pour nous étonner ! Ah ! C’est un vrai magicien ! C’est pour cela que j’aime tant venir ici, j’y entre de même que j’aborderais un rivage où l’imprévu m’attendrait à chaque pas, y compris dans mon assiette.
- Tu acceptes donc quelquefois de laisser les décisions à un autre ?
- Que crois-tu ? Je suis comme tout le monde. Alors, que me proposes-tu ? Valse ou tango ?
- Valse ou… Tu te moques de moi, là, dis !
- Évidemment !
- Ouf ! Allez, en avant ! Et ne souris pas ! J’ai du mal à résister moi-même, alors imagine ces hommes autour de toi !
Belle, par une démarche légère, par un regard glissant autour d’elle, captant chaque détail sans rien en laisser paraître. Mais interdite à tous par la manière de se retenir d’une main possessive au bras de David, la tête presque posée sur l’épaule masculine, et par la totale, bien que feinte, indifférence affichée à l’intention des yeux qui la suivaient.
- Il n’y a personne que je connaisse ! Quel dommage !
- Vraiment ? Tu dis pourtant aimer la nouveauté.
- Ne cherche pas à comprendre, c’est entre moi et moi.
- À d’autres ! Je te connais trop bien. Jusqu'à m’en paraître transparente ! Au point de deviner le besoin de te prouver, ainsi qu’à ceux qui t’ont connue, que tu n’es pas devenue une antiquité.
- Mufle ! N’exagérons rien... Neuf ans, ce n’est pas si loin dans le passé !
- Pas tellement en effet, surtout en rapport au chemin parcouru depuis. Madame… je suis fier de toi ! Me feras-tu l’honneur de m’accorder cette danse ?
- Un slow ! T’as de la veine, hein ! Le taquina-t-elle ! Et oui, je veux bien… avec plaisir !
Un plaisir qu’elle trouva aussi intense qu’à ses vingt ans.
Ils glissaient, enlacés, un couple parmi d’autres, mais avec cette aura singulière que seulement quelques-uns dégagent. Jusqu'à ce que les yeux de Julie s’arrêtent sur un Lucciano se hâtant vers eux, affolé et gesticulant.
- Aïe ! David, je crois que l’inattendu s’annonce ! Viens, allons voir ce qui contrarie le maître des lieux.
- Madame Castel ! Monsieur vient d’appeler pour retenir quatre tables… il arrive, avec des amis…
- Lui avez-vous dit que j’étais là ?
- Oui… mais…
-… cela ne l’a pas incité à se rendre ailleurs.
- Non… Et, au contraire… je suis désolé… j’ai eu l’impression que… qu’il… qu’il en était plutôt content… Alors j’ai pensé vous avertir et…
- Vous avez bien fait… Qu’avons-nous à dîner ce soir ?
- À dîner ? Euh… je vous ai gâtés ! Encore deux petites minutes de patience et vous saurez.
- Merci Lucciano, je vous adore.
Le ton à peine tendu… Mais pourquoi être surprise de la tournure des événements alors que, depuis le matin, tout allait de travers dans son univers ?
- Julie ? Si tu veux, nous pouvons...
- Partir ? Tu es fou ! J’y suis, j’y reste ! Asseyons-nous, et commande-moi quelque chose de fort.
- Tu as besoin de ça pour l’affronter ?
- Pas lui, du moins, pas ainsi que tu sembles le supposer. Excuse-moi, il me faut un moment pour me calmer. Ce n’est pas vrai ! Je craque ! Regarde qui est là aussi ! À croire que cet endroit va devenir le lieu de rendez-vous de tous mes cauchemars.
La coupe était pleine ! J. Gauthier, ici ! Mais qui, apparemment, ne l’avait pas vue encore. Elle qui ne rêvait que de détente, d’oubli… une réussite ! Pas mal, cette fille qui l’accompagnait, un style un peu extravagant, mais cependant très attirante… Ce qui indiquait que, dans ce domaine du moins, Julien avait bon goût ! Ah, non ! Cette dernière n’était pas pour lui si elle se fiait au baiser passionné donné par ladite demoiselle à l’homme qui venait de les rejoindre ! Bien fait ! D’ailleurs… quelle femme sensée pourrait s’intéresser à un pareil bonnet de nuit ?
Ce type l’avait littéralement épuisée. C’était à cause de lui - encore ! - qu’elle se retrouvait dans cette situation. Uniquement pour oublier le harcèlement qu’il lui avait imposé.
Des chiffres, des comparaisons, des questions à n’en plus finir ! Elle avait même perçu, à un certain moment, qu’il souhaitait la voir reconnaître quelques erreurs dans la manière de concevoir la gestion de son service ! Au point de devoir réunir toute son énergie pour garder un semblant de calme et maîtriser tout geste d’agacement.
Il était pratiquement parvenu à lui restituer toute une sensation d’insécurité, celle de ses débuts, de ce temps où elle était gauche, hésitante, malhabile à s’imposer dans son travail. Une période très courte mais qui avait imprimé dans son inconscient un réel sentiment de malaise. En fait, ayant été vulnérable dans le passé, rien ne lui garantissait qu’elle ne pourrait l’être encore un jour… demain !
Durant quelques secondes, Julie avait eu également l’étrange et désagréable impression que, peu à peu, les rôles s’étaient inversés, qu’il était le « chef » et elle la « stagiaire » ! Cela avec assez de netteté pour la pousser, subitement, à prendre le ton que tous détestaient autour d’elle : un fluide acide et glacial.
Le bougre ! Pas sot pour deux sous ! Pour lui, elle devait être aussi limpide que du cristal. Rien qu’à observer sa façon de hausser le sourcil à la première remarque ironique qu’elle lui avait jetée… et qu’il avait eu la sagesse de ne pas relever. Tout autant que les suivantes !
À midi, ayant accepté une invitation pourtant formulée du bout des lèvres, il les avait suivis jusqu’à leur petit restaurant habituel. Là, ayant plus que du talent pour orienter les propos comme bon lui semblait, Julie avait pris un malin plaisir à le tenir à l’écart de leur conversation. Autant se l’avouer, elle avait surfé sur la frontière de la grossièreté avec lui.
C’était aussi cela qui lui avait donné l’envie très forte de se plonger dans une atmosphère raffinée. Pour effacer d’elle ce qu’elle y avait dessiné de désagréable tout au long de cette abominable journée.
Gabriel d’un côté, Julien Gauthier de l’autre ! Adieu à son ambition d’une bonne soirée. Et David, malgré ses nombreuses qualités, n’était pas de taille à éclipser deux personnalités si bien trempées ! Trop jeune, trop spontané, parfois naïf, pas assez roué pour jouer le rôle qu’elle aimerait tant lui voir tenir.
Cette soif de revanche ! Elle ne lui laissera donc jamais un instant de répit ? La ressentir si fort ne pouvait que signifier qu’elle demeurait reliée à son ex mari, d’une manière ou d’une autre, pas enfin indifférente !
- Julie, tu en oublies ton assiette. C’est délicieux ! Un crime d’en laisser une miette.
- Oui, c’est comme tu veux ! Pardon ? Tu disais ? David, gronde-moi, je suis impardonnable ! Je gâche ta soirée.
- Surtout la tienne. Tu n’as jamais fait allusion à ton union. C’était si moche que ça ?
- Pour être sincère, c’était une vie que beaucoup de femmes souhaiteraient certainement avoir. Ce serait trop difficile à expliquer.
- Je ne veux pas te forcer à en parler.
- Non, cela m’est égal, mais… Comment te décrire la débâcle d’un mariage d’amour ?
Gabriel lui donnait tout. Des cadeaux classiques, tels fleurs, parfums, bijoux… à d’autres bien plus onéreux… tableaux, sculptures, éditions rares… Un distrait regard sur quoi que ce soit et Julie l’avait, même sans le souhaiter vraiment. Au point de ne plus oser poser les yeux sur rien. Une existence sans désir… Qui pourrait imaginer ou comprendre ce que cela représentait ?
Jusqu’à ses vêtements ! Il les choisissait pour elle, tous, sans exception… même ceux qui ne se montrent pas. Son mari prenait plaisir à la modeler à sa convenance, avec un goût parfait, avec réussite, elle devait le lui concéder, mais, quelque part... c’était elle qui ne se reconnaissait plus.
Elle en était arrivée à détester également le ton qu’il prenait pour la présenter aux hommes qu’il fréquentait, sa façon d’appuyer sur le possessif. Il disait « ma femme » avec la même intonation qu’il eût dit « ma chose ». Au point, qu’elle se sentait étouffer sous l’impression de ne plus avoir d’identité véritable...
- Durant toutes ces années de vie commune, il ne m’a jamais demandé mon avis sur quoi que ce soit… et… et le reste ! Je préfère ne plus y penser !
- Beaucoup d’hommes lui ressemblent. T'es-tu regardée dans un miroir, ce soir ? Il devait être fier de toi, heureux de montrer à tous « sa » chance de t’avoir épousée.
- Du style : « Sois belle et tais-toi ! » ?…
Très peu pour elle !
- … merci bien !
- Non… ce n’est pas cela… tu es bien trop intelligente pour qu’il n’y ait eu que…
- … Mon physique ? À la limite, cela me consolerait…
 Mais Gab, de son propre aveu incapable de partager le quotidien d’une femme « stupide », n’appréciait qu’une certaine élite intellectuelle et disait qu’elle en était le meilleur exemple. En revanche, pour ce qui était de lui accorder la moindre parcelle de pouvoir de décision, il en allait tout autrement. Que dire aussi du ton qu’il employait pour la convaincre lorsque, à l’occasion, elle tentait de se faire entendre ! Celui dont on userait pour persuader un enfant têtu !
- ...et il n’y avait pas que ça…
- Tu l’as supporté combien de temps ?
- Quatre années interminables.
Sans compter les deux autres, à se battre pire que des chiffonniers, avant que soit prononcé le divorce. Et même plus tard… de longs mois encore durant lesquels rien n’avait changé dans l’attitude autoritaire de Gabriel. Il avait même doublé le montant de la pension mensuelle fixée lors du jugement… Pour bien lui montrer, qu’en finalité, c’était lui, et lui seul, qui décidait.
- Mais… et ce n’est pas suffisant pour en vivre ? S’étonna David.
Largement ! Mais Julie n’en voulait pas, pas un centime. Gabriel allait se retrouver à la tête d’une petite fortune : elle bloquait les sommes sur un compte pour, un jour, dès qu’elle en trouvera le courage, lui faire un virement global.
Elle sourit, un peu amère devant l’air éberlué de son compagnon. Lui avait-elle parlé des cadeaux dont son « époux » la submergeait ? Non ? Il n’avait qu’à aborder la question avec Claudine, c’était elle qui se chargeait de les renvoyer.
- Il persiste encore ?
- Pour lui, rien de plus normal.
Du point de vue de cet entêté qu’elle avait eu la douce folie d’épouser, ils étaient toujours mariés… et leur séparation, rien de plus qu’un vulgaire caprice qu’il avait la largesse de tolérer.
- Il attend que ça me passe, que je lui revienne... pour un jour, sans doute, me quitter, lui !
- Tu exagères ! C’est...
Exagérer ? Que savait-il, lui, gamin présomptueux, des passions qui agitent certains êtres ? Gabriel était l’un de ces hommes qui se disent amoureux mais qui ne savent pas aimer… qui aiment très fort, mais suivant leur propre conception de ce sentiment…. Pas ainsi qu’elle concevait l’amour, pas comme elle l’avait souhaité. C'était tellement compliqué !
Quelle idée David se faisait-il d’elle ? Comment lui expliquer, tout lui dire sans le heurter, sans ombrer l’image qu’il avait d’elle ?
Gabriel, avait été… était toujours ! un amant merveilleux, qu’elle n’avait jamais su repousser totalement et qui la connaissait mieux que quiconque.
S’approcher de lui ?
Pas question de prendre un tel risque uniquement pour tester sa vulnérabilité sur ce plan-là ! Autant sonner à sa porte avec armes et bagages à ses pieds, deux coupes de champagne dans les mains, et en tenue d’Ève !
- Un peu de courage ! Après neuf ans de séparation...
- Pas vraiment...
- Comment cela ? Ne me dis pas que... après votre divorce ?
- Je dois avouer, que jusqu'à… il y a quelques semaines...
- Julie !
- Ben quoi ! C’était Noël… et les vacances... j’ai un peu perdu la tête. Et… et… c’était Gabriel ! Pas un inconnu qui passait par là !
- Tu affirmes souhaiter le voir cesser de te poursuivre, et tu entretiens un mariage en… en pointillés ! Vous me faites penser à deux voyageurs qui s’accordent des escales communes. Je crois surtout que tu ne sais pas ce que tu veux !
- Merci ! Crois-tu que ce soit facile pour moi ! C’était le seul aspect positif de notre union. Et pas qu’un peu ! Mais, je te jure que depuis je l’évite plus que la peste.
- Trouve-toi un autre compagnon !
Simple comme bonjour ! Aussi peu compliqué que passer une petite annonce du style « Femme, cherche homme, commode à vivre, et capable de lui en faire refuser un autre ».
Pour qui David la prenait-il ? Elle n’avait pas épousé Gabriel sur un coup de tête. Elle en avait été follement éprise et ne l’avait fui que parce qu’il l’étouffait.
- Pour accourir au premier claquement de doigts ?
- David !
Lui aussi était donc incapable de la comprendre !
Après s’être retrouvée seule, tous ces défauts lui avaient semblé, quelquefois, sinon insignifiants, du moins quasi supportables.
Assez pour qu’elle le regrettât, lui.
Alors, lorsque la solitude devenait trop pesante, les nuits trop froides, quand le silence rugissait d’angoisse... elle n’avait plus la force de dire non.
Un autre que lui ?
À quoi bon ! Avec Gabriel, elle savait comment s’y prendre. De toute façon, il ne le permettrait pas !
- J’ai essayé, tu sais, mais...
- Si je m’attendais... Alors, s’il nous surprenait, ici… ensemble et…
- Dégonflé ! Je ne pense pas qu’il condescende à t’agresser physiquement. À son avis, tu es bien trop jeune pour représenter une réelle menace. À la rigueur, il pourrait te considérer tel un jouet que je serais tentée de m’offrir, ou une distraction qu’il aurait la libéralité de m’autoriser. En revanche, s’il estimait sérieusement que tu comptes un tant soit peu pour moi, il ferait tout pour te diminuer à mes yeux, et te faire sentir le poids de sa supposée supériorité.
- Merci bien ! Si ton mari se montre aussi blessant que toi, je comprends que tu aies pris le large.
- Mon ex ! David ! Tu n’as aucune raison de te fâcher, je n’ai fait que t’expliquer le cheminement de son raisonnement.
- Je vais chercher ton vestiaire. Nous partons immédiatement, cela nous évitera une rencontre déplaisante.

 

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4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 23:42

 

Une réussite totale à laquelle elle pouvait applaudir ! Et David qui était vexé maintenant ! Julie hésitait, debout et immobile, au beau milieu du passage menant à la piste de danse, ne sachant plus que faire. Elle ne se supportait pas en situation de fuite !
Fuir ? Ce corps, derrière elle, si proche… à la frôler ! Ces mains possessives qui prirent sa taille… Ces pouces qui épousèrent, caressants, le creux de ses reins ?
Elle les connaissait si bien ! Autant que l’abandon auquel, infailliblement, ils savaient la réduire…
Elle en ferma les yeux, s’offrant presque davantage à leur contact. Cette voix… chaude et envoûtante... qui lui murmurait à l’oreille tout un bonheur de la retrouver, de la toucher, de la respirer…
Échapper à Gab ? Elle rêvait !
- Bonsoir, mon cœur… Tu m’as manqué… Comment fais-tu pour être plus belle à chacune de nos rencontres ?
- Gab ! Pas ici, pas de scandale !
- Mmmm… Oui, tu as raison, l’endroit est mal choisi. Que j’aime ce parfum ! C’est celui qui dit « regardez-moi, mais ne vous approchez pas ». Celui que je préfère. Je t’emmène où tu veux... tu n’as qu’un mot à dire et...
Canaille ! Tricheur ! Julie se sentit émue qu’il ait si bonne mémoire pour tout ce qui la concernait ! Pourquoi donc David tardait-il tant ? Où était-il passé ? Mais que pourrait-il contre Gabriel ?
Pour parfaire une situation absurde, voilà ce Gauthier qui ne perdait rien du spectacle qu’elle offrait en ce moment ! Était-il indispensable d’afficher une expression aussi effarée ? Elle-même, quelle impression donnait-elle, à moitié défaite entre les bras d’un homme, autre que celui qui lui tenait compagnie il y avait deux minutes !
Elle devait se tirer de ce guêpier, coûte que coûte !
Et remercier le ciel de se trouver dans un restaurant... Gabriel n’osera pas davantage... Ne serait-ce que par égard pour elle, pour ne pas l’humilier en public.
Elle frissonna aux doigts qui se détachaient d’elle, qui la libéraient... La libérer ? Sera-t-elle naïve toute sa vie ! Qui ne le firent que pour lui imposer un demi-tour avant de la reprendre aussitôt, pour mieux la contrôler par deux cercles puissants autour des poignets fragiles, pour l’amener face à lui, permettant à Gabriel de l’envelopper de ce regard qu’il savait toujours l’émouvoir.
- Je ne suis pas seule.
- Je sais, je viens de croiser David. Beau garçon, mais trop tendre pour toi ! À moins que, à force de t’escorter partout, il n’ait acquis certains droits... Julie, mon cœur, ôte-moi d’un vilain doute...
- Cela suffit, Gabriel ! Laisse-le tranquille, tu sais pertinemment qu’il n’est et ne sera jamais rien de plus qu’un ami.
- O.K. ! Que m'offres-tu en échange ?
- Quelque chose dont tu te souviendras jusqu’à ton dernier souffle si tu ne me lâches pas immédiatement !
Une ombre entre eux, qui se matérialisa par un bras qui entoura les épaules de Julie, une bouche qui effleura sa joue et des mots qu’elle peina à traduire.
- Chérie, je suis désolé de vous avoir abandonnée ainsi... Si vous me présentiez votre ami ?
Et Julie respira, uniquement consciente de la main qui l’attirait vers Julien et qui avait surtout le mérite de la dégager de celles d’un Gabriel trop surpris pour s’y opposer. Stupide et silencieuse, elle se tenait entre les deux hommes, presque hors de la réalité, sous une voix douce, d’une douceur qu’elle connaissait trop bien, celle qui annonçait le pire.
- Un ami ? Siffla Gabriel, mâchoire contractée. Vous vous trompez. Rien de moins que son mari, ce que, apparemment, vous ignoriez. Je n’ai pas retenu votre nom ?
Deux mots qui la ramenèrent à la réalité, avec toute son énergie et sa combativité !
- Ex mari ! Gabriel, tu es sourd ? Ex... Ce qui veut dire passé, fini, révolu, envolé, disparu, pfuuittt ! ! ! Mets-toi bien ça dans le crâne une fois pour toutes ! Et tu n’as rien à faire du nom de...
- Voyons, chérie ! L’interrompit Julien avant de s’adresser à Gabriel. Ainsi donc, vous êtes l’« ex » époux de « ma » Julie ! Je suis Julien Gauthier… et ravi de vous rencontrer enfin !
Une Julie qui se sentait sombrer en plein vaudeville alors que Julien, souriant et amène, resserrait l’étreinte autour de sa taille, la ramenant au plus près contre lui, d’un geste de propriétaire, totalement inconscient du défi que Gabriel pourrait soupçonner dans une telle attitude. Jusqu’où allait-il le provoquer ? Elle devait intervenir… l’empêcher de…
- Vous perdez la tête ! Cria‑t‑elle presque… Tous les deux ! Julien... cela suffit, vous ne savez pas sur quel terrain vous vous aventurez !
- J’adore ces lueurs de colère dans vos yeux, ce qui promet pour demain.
- Je vous en prie, cessez cela, allons-nous-en !
Elle savait bien qu’ils se ressemblaient tous les deux ! Aussi arrogant l’un que l’autre, mais davantage de maîtrise en Julien qui se montrait beaucoup plus décontracté que Gab... Pour l’instant !
- Un moment, nous ne sommes pas pressés… Que diriez-vous, cher Gabriel, de vous joindre à nous, pour une coupe de champagne ?
- Pourquoi pas ? Répondit froidement ce dernier.
- C’est parfait ! Nous allions justement fêter un quelque chose de… de « spécial » et il eut été dommage que vous n’y participiez pas !
- Vraiment ? Je ne vois pas…
- Je dois admettre que si vous ne l’aviez laissée filer…
Julie se figea… Que racontait Julien ? Que savait-il de leur vie, de leur séparation ?
- … elle et moi, aujourd’hui…
Gabriel fronçait déjà les sourcils sur le regard des mauvais jours... serrait les poings... et...
- Vous et… ? Reprit‑il, laissant en suspens la fin de sa phrase.
- Oui… Je sais, que pour cette occasion, elle désirait fortement vous avoir avec nous. N’est-ce pas, ma douce ?
Où Julien voulait-il en venir ? Et elle, que faisait-elle, là, à les fixer ainsi qu’elle aurait détaillé deux extra-terrestres ?
- Julie, pourrais-tu m’éclairer sur ce qui se passe ? Articula durement Gabriel.
Que pourrait-elle lui expliquer alors qu’elle-même n’y comprenait goutte… Et pourquoi la harcelaient-ils, ainsi… tous les deux ? Où se croyaient-ils ?
- Chérie, tu ne lui as rien dit ? S’étonnait Julien, légèrement grondeur. Tu me l’avais pourtant promis… Eh bien, Gabriel, je suis heureux de vous informer que, ce soir, nous célébrons...
« Que célébraient‑ils ? » s’inquiéta soudain Julie regard rivé aux lèvres de Julien.
‑ … Nos fiançailles !  
Leurs… quoi ? Assommée… pire encore ! Elle n’entendait plus rien, se tenait, yeux ronds et bouche ouverte, en apnée totale, poumons oppressés et cœur affolé, incapable d’assimiler une telle élucubration. Tout autant que Gabriel qui, hébété et semblant y croire vraiment, la regardait comme... comme si elle était responsable des divagations de cet illuminé !
- Des fiançailles ? Tu en es donc là et tu ne m’en as rien dit… murmura-t-il d’un ton las.
- Gabriel… attends… ce n’est pas…
- Allons, Julie… La coupa Julien, il fallait bien qu’il l’apprenne un jour ou l’autre ! Voilà qui est fait !
    Comment revenir en arrière… et effacer ces derniers mots ? Pourquoi Julien avait-il prononcé ces mots idiots ? Désormais, il risquait le pire, et elle... elle ! Seigneur, elle !
- Dans ce cas… profitez-en le temps que cela durera. Décréta Gabriel, ayant visiblement retrouvé toute maîtrise. Julie, mon cœur, je te laisse à… ces festivités. Quand tu t’en seras lassée ou que tu auras recouvré tes esprits… tu sais où me joindre. Quant à vous, Gauthier... un conseil : ne vous aventurez pas très loin dans cette voie... elle ne vous mènera nulle part et pourrait s’avérer... périlleuse.
- Avec Julie à mon côté ? Cela en vaut la peine, non ? Rétorqua Julien !
Qu’il se taise ! Elle savait combien Gabriel supportait mal que quelqu’un s’opposât à lui, et il suffirait d’un rien pour que... Oh, non ! Pas ici ! Elle n’oserait plus jamais remettre les pieds chez Lucciano !
- Rien n’est jamais définitivement acquis. Souligna Gabriel froidement.
- Je le sais, c’est ce qui fait la vie intéressante, parfois.
- Attention…
- Ne vous inquiétez pas, je saurai veiller sur elle ! Le coupa Julien, mettant ainsi un terme à leur discret affrontement. Excusez-nous, mais nous sommes attendus. Bonne soirée ! Venez, chérie, ma sœur nous fait signe. Tenez ! Voilà David ! Il était temps qu’il revienne.
    Ses jambes ? Du coton ! Elle devenait sourde, sans force, ni réaction aucune. Fiancée ! Elle aura tout intérêt à décrocher son téléphone, à changer de numéro et... à déménager ! Elle allait trouver Gabriel assis devant sa porte à toute heure du jour et de la nuit... L’hôtel ! Elle ira à l’hôtel ! L’unique solution à adopter, au moins durant les prochains jours.
Julien était-il fou ! Qui lui avait demandé d’intervenir ? Où l’entraînait-il ainsi ? Croyait-il qu’elle pouvait courir dans un fourreau à peine assez large pour lui permettre de respirer ? Il allait se faire démolir. Il ne restera rien de lui après que Gab s’en sera occupé... et ce sera bien fait pour lui ! Elle qui ne rêvait que d’une vie tranquille ! Elle avait gagné le gros lot cette fois. Qui étaient ces gens ? Pourquoi David s’énervait-il ? Il n’avait aucune raison de le faire, lui ! Bonne idée qu’il avait eue de s’esquiver... Tout ce qui était arrivé depuis... c’était de sa faute !
    De quoi parlaient-ils ? La raccompagner ! Qui ? Julien ? Jamais ! Et ce lâche de David qui acquiesçait. Sa veste ? Évidemment qu’elle allait la prendre. Encore un qui s’adressait à elle comme si elle n’avait pas plus de six ans ! Qu’avaient-ils à la dévisager ainsi ? Que lui tendait cet individu ? Un sac ? D’où sortait-il son sac !
- Julie ? Ça ne va pas ? Trop d’émotions à la fois ?
- Comment ?
- Vous n’avez pas l’air bien du tout.
- Moi ? Moi ! Oh ! Souciez-vous plutôt de ce qui vous attend ! Vous ne réalisez pas… Gabriel va vous éreinter et... ce sera tant pis pour vous ! Vous m’avez placée dans une position impossible. Qui vous a prié de vous mêler de ma vie ? Des fiançailles ! C’était la pire des sottises à avancer. Seigneur ! Il doit être dans un état de fureur incroyable et je vais avoir toutes les peines du monde à le convaincre que...
- Du calme !
- Me calmer ? Me calmer après que...
- Votre mari nous observe.
- Que voulez-vous que j’y fasse ! Lui mettre un bandeau sur les yeux ? D’ailleurs, il n’y a pas davantage de mari ici que de… que de fiancé… et cela depuis longtemps !
    Elle se ridiculisait davantage à chaque mot prononcé. Quant à la sœur de Julien elle semblait se divertir comme jamais ! Julie changerait volontiers de place avec elle, immédiatement, juste pour voir si la situation l'amuserait autant qu'elle le laissait paraître.
- Il vaut mieux que je vous ramène chez vous.
- Vous ! J’ai envie de vous... de vous... si je pouvais...
- J’ai hâte de voir ça ! Allons-y, vous me montrerez en route. Hélène, je t’appellerai demain. Amusez-vous, les enfants ! En piste... « Chérie ! »
    Qui l’autorisait à l’enlacer ainsi ? Toutefois, si elle faisait mine de se dégager, elle aurait à affronter Gabriel ! Patienter jusqu'à la porte, ensuite, un taxi fera l’affaire ! À moins que l’énergumène qui la serrait à l’étouffer n’en décidât autrement.
- Où m’emmenez-vous ?
- Au paradis… Hé ! Ne vous emballez pas ! Chez vous nous suffira. Et si vous vous décidiez à mieux jouer votre personnage de jeune fiancée follement amoureuse ?
- De qui ? De vous ? En effet… il faudrait être folle pour…
- Attention, nous approchons d’une zone à risques. Il est à deux doigts d’intervenir ! Cet homme tient à vous et je me demande si j’ai eu raison de l’éloigner.
- C’est bien le moment de vous en préoccuper ! Ne me serrez pas si fort.
- Cela vous ennuie ?
- Lui surtout. Vous ne...
    Elle céda subitement à l’élan instinctif de se rapprocher davantage de Julien, seulement de deviner dans le regard de Gabriel une invitation à le rejoindre, à oublier leur différend. Non, elle ne devait pas s’y laisser prendre, ne pas supposer qu’il avait enfin changé. Elle savait bien que non… que son but véritable n’avait rien à voir avec ce qu’elle avait toujours espéré en vain trouver en lui… qu’il ne voulait que récupérer ce qui lui avait, jadis, appartenu.
Si ce n’était… une étrange perception à laquelle Julie ne s’attendait pas et qui la fit trembler un peu.
- Ne me lâchez pas maintenant.
    Une prière murmurée à l’oreille de Julien. Parce qu’elle avait eu le temps de lire un violent désir mêlé à une profonde tristesse dans les yeux qui la suivaient, et qu’elle n’était pas certaine d’y résister.
- Que ferait-il si je vous embrassais ?
- Lui ? Mieux vaudrait ne pas vous y risquer, et moi... moi, je vous en ôterais l’envie, une fois pour toutes.
- Diable ! Ce serait pourtant le meilleur moyen de le persuader que votre cœur est pris ailleurs !
- Je me charge de la suite à donner à « mon » histoire. Nous sommes loin, vous pouvez me lâcher.
- Pas question, ne vous retournez pas, il nous suit à trois pas.
- Je ne vous crois pas !
- Regardez, devant vous, son reflet dans la porte vitrée. À quoi dois-je m’attendre ? Est-il du genre à en venir aux mains ?
- Oh, oui ! J’en suis navrée pour vous car c’est bien la seule méthode qu’il connaisse pour éloigner radicalement de moi tous ceux qu’il juge importuns. Laissez-moi, je vais lui parler. Vous n’avez aucune raison de vous exposer à un coup de poing.
- Qui vous dit que je ne saurais pas le rendre ! Du sang-froid ! Nous sommes arrivés. Installez-vous, lui ordonna-t-il tout en lui ouvrant la portière d’un véhicule. Et essayez de me sourire... une petite grimace de circonstance !
    Assise, à l’abri, elle pouvait voir Gabriel, qu’elle ne savait aimer encore ou plus du tout, debout, sur le seuil du restaurant. Quelques secondes, le temps que Julien mette le contact, s’éloigne sans accélérer plus qu’il ne fallait, sans hâte, pour montrer qu’ils n’avaient aucune crainte et qu’ils ne fuyaient personne.
- C’est fini, vous pouvez respirer.
- Pour le moment !
- Savez-vous que j’ai eu du mal à vous reconnaître ? Lui dit-il d’un ton léger.
- Comment ? Euh… La tenue sans doute. Rien à voir avec celles qui se portent pendant les heures de labeur !
- Dommage ! Vous êtes... bien plus que ravissante ! Je comprends votre ex mari, il est fou de vous.
- Du moment que vous le dites, c’est sans doute la vérité !
- D’ailleurs, pendant un moment, au début du moins, j’ai cru assister aux retrouvailles de deux amants et j’ai apprécié toute l’émotion qui s’en dégageait. Surtout de vous, pratiquement consentante.
- Très élégant de votre part de le souligner ! Pour tout dire, malgré l’échec de notre union et en dépit de toutes ces années de séparation, j’avoue qu’il exerce toujours un certain pouvoir sur moi. Je n’en suis pas totalement libérée.
- À quel point ?
- Euh… Disons que… même avec la meilleure volonté du monde, il m’est impossible de nier que, physiquement, Gab sait très bien comment s’y prendre avec moi et je ne parviens pas toujours à lui dire non. La chair est faible !
- Pardon ?
- Oui, je n’y peux rien... J’ai du mal à... Vous le faites exprès ? À moins que vous ne soyez trop coincé par une moralité rétrograde pour comprendre ce que je veux dire !
- Rassurez-vous, vous ne pourriez être plus claire dans vos explications. En revanche, je ne m’attendais pas à une réponse aussi... directe.
- Il faut bien appeler un chat, un chat.
- Je ne vous contredirai pas là-dessus ! Votre adresse ? Je me suis porté volontaire pour vous reconduire, mais je n’ai pas l’intention de rouler au hasard toute la nuit.
- Un hôtel, le plus proche du bureau. Et demain, à la première heure, j’enverrai Claudine chez moi, prendre des vêtements.
- Un... ? Je rêve ! Pincez-moi ! Madame Julie Castel en déroute ! Je savais que ce moment serait mémorable !
- Ravie de constater combien mes ennuis vous amusent !
- Écoutez, je vous accompagne jusqu'à votre porte. Vous vous enfermez à double tour, et vous n’ouvrez plus à personne. Le grand méchant loup ne vous croquera pas cette fois-ci.
- Vous ne savez rien ! Il va encore me harceler au téléphone.
- Débranchez-le !
- Fffffff !!! J’en ai déjà l’habitude. Il n'empêche que, demain matin, il m’attendra au pied de l’immeuble et…
- Je passerai vous prendre. Je ne vois pas ce que je peux faire de plus, à moins que vous ne m’invitiez à dormir chez vous !
- Vous ! Chez moi ? Ne vous égarez pas en vaine supposition ! J’apprécie le service rendu, mais nous n’irons pas plus loin que « merci » et « au revoir » !
- J’ai dit « chez vous » et non « avec vous » ! Je ne suis pas fou au point de désirer qu’il en soit autrement ! Vous côtoyer est beaucoup trop dangereux !
- Je m’en doutais : courageux mais pas téméraire ! Vous avez peur de Gabriel, vous aussi… comme les autres !
- De lui ? Détrompez-vous. En revanche, à en juger par votre comportement avec les hommes, et à votre attitude suite à l’effet que vous leur faites, la prudence exige de se tenir à une distance raisonnable de votre petite personne !
- Vous ! Vous n’êtes qu’un goujat, et de la pire espèce ! Arrêtez ce véhicule !
- Cessez donc de prendre la mouche à chaque mot ! C’était un compliment ! Vous n’avez rien à craindre. Vous ne courez aucun risque en me permettant de vous ramener à bon port et je n’ai d’autre intention que vous rassurer. Alors ? Votre adresse ? Dois-je fouiller votre pochette ?
- Avenue du Prado, le 334. À cinq minutes. Dépêchez-vous, j’ai hâte de... me retrouver seule.
- Idem pour moi ! Demain matin, soyez prête à huit heures.
- Sept heures trente ! Sinon, je me débrouillerai sans vous.
- Pas de problème ! C’est un vrai plaisir ! Je n’ai jamais rencontré de ma vie une femme d’aussi désagréable. De quoi décourager un saint ou la moindre approche d’un individu normal !
- Parfait, je suis ravie de vous déplaire, voilà qui me garantit des lendemains tranquilles…
- Aucun risque que j’entre en concurrence avec votre ex mari ! Tout bien réfléchi, je me demande ce qu’il trouve en vous de particulièrement attirant : une jolie façade, mais rien derrière !
- Tant mieux… Vous, après lui… ce serait comme tomber de Charybde en Scylla… pire encore ! D’ailleurs seul un sot ou un faible d’esprit pourrait imaginer, qu’avec un... un... un animal de votre espèce, il puisse en être autrement ! Hé ! Cria-t-elle, projetée en avant par un inexplicable coup de frein, évitant de justesse se heurter au tableau de bord. Nous n’y sommes pas encore, pourquoi vous arrêter ?
- Pourquoi ? Pour ceci !
    Elle n’eut pas le temps de réagir... et moins encore celui de reculer, de tenter de lui échapper.
- Ne me touchez pas ! Ne vous avisez pas...
- Trop tard, Julie ! Il ne fallait pas réveiller la bête qui dort... en chacun de nous.
Une brute ! Contre laquelle elle ne put rien, sinon demeurer inerte sous les mains qui capturèrent son bras et sa nuque, qui la contraignirent à subir la bouche qui violenta la sienne, sans force contre des lèvres qui insistèrent et exigèrent. Qui se montrèrent expertes, habiles et patientes. Qui devinrent douceur et caresse.
Jusqu'à éveiller en elle, malgré elle, un picotement sur la peau, un frisson qu’elle connaissait trop bien, qui la trahit, qui l’affaiblit. Une tentative pour le repousser, pensée, pas même esquissée, avant de céder à une vague incontrôlable, qui la fit docile, enfin soumise. Assez pour le déconcerter, qu’il en devienne attentif et soucieux de son attitude, pour l’amener à lui offrir l’initiative.
Et par cela, ce fût elle qu’il surprit à son tour. Elle, seulement habituée à répondre au désir de l’autre, presque dressée à lui plaire, à le satisfaire. Pas à recevoir ni à exiger.
Et ce fut elle qui demanda, qui provoqua, elle qui se dévoila audacieuse, et aussi avide que lui... au point de s’en effrayer soudain et de reculer.
Sans qu’il cherchât à la retenir.
Deux à reprendre souffle.
Et il suivit la confusion d’un regard un peu égaré, se muer en colère... contre lui seulement ?
- Julie... Je suis désolé...
- Je ne veux rien entendre !
- Je ne voulais pas...
- Taisez-vous !
    Julien obtempéra, surpris devant une réelle fureu. A cause d’un baiser ? Rien de plus qu’un baiser... Seulement ? En revanche, voilà qui allait, à coup sûr, envenimer leurs rapports au bureau. Déjà qu’elle avait un fichu caractère !
Non... demain, elle aura oublié.
Lui aussi.
Lui ? Vraiment ?
Quand Julien lança le moteur ce fut bien plus pour dissiper un silence soudain trop lourd, entre eux, que dans le but de la ramener chez elle.
Ils n’échangèrent plus un seul mot jusqu'à l’entrée de l’immeuble… pas même un « merci » lorsqu’elle quitta le véhicule, dont elle s’éloigna, sans un seul regard derrière elle.  
Comme promis, Julien attendit, quelques secondes… deux minutes… jusqu'à ce qu’une lumière troue l’obscurité, trois étages plus haut.
Bonne nuit, Julie !

 

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4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 23:41

 

    Le visage fermé de la Julie qui sortit du sas d'accès ce matin-là n'augurait rien de bon.
- Claudine ? Ton bloc, deux cafés, et dans mon bureau ! Isole ma ligne, je ne veux aucun appel ni voir personne avant une demi-heure.
    Sans s’arrêter, sans ralentir le pas. Sans même un regard.
- Bonjour... comment vas-tu... je vais très bien, merci... il fait beau... et gna gna gna… persifla Claudine avec une grimace avant de s’exclamer : Bleu ! Je crois qu’elle a mis du bleu. Ça va barder ! Ah ! Tiens ! Bonjour, Monsieur Gauthier !
- Bonjour, Claudine ! Belle journée, hein ! Julie est arrivée ?
- Gagné ! Elle est là, mais, désolée ! j’ai ordre de ne pas la déranger.
- Même pour moi ?
    Ils se turent au grésillement de l’interphone, et se dévisagèrent gravement sous la voix dénonçant une Julie bien plus qu’agacée. « Claudine, c’est pour aujourd’hui ou pour demain ? Il y a d’autres services si celui-ci ne vous intéresse plus ! »
- Aïe ! S’écria la jeune fille. Elle a vraiment dit « vous » ? J’ai tout intérêt à me presser ! Navrée, je vous laisse. Zut ! Les cafés !
- Je m’en occupe.
- Pas question ! Je vais lui en porter un à ma façon ! Priez pour que j’arrive à la dérider, sinon, nous allons tous souffrir. Du bleu ! Rien que ça ! Si elle appelle, dites-lui que j’arrive. Non, il vaut mieux laisser sonner.
    Et elle s’éclipsa avant que Julien ait pu lui demander à qui il devait s’adresser !
Il patienta autant qu’il en fut capable avant de se décider finalement à faire le tour des bureaux, espérant trouver, au hasard de son errance, les informations qu’il avait prévu obtenir de Julie.
Et constata très vite qu’aucun ne lui accordait la moindre attention : Il les découvrait bousculés, pris dans un vent de panique.
À l’exception d’une adorable jeune personne, déjà rencontrée la veille, qui lui rappelait quelqu’un, une ressemblance impossible à définir avec exactitude, et qui, surtout, ne semblait partager en rien l’inquiétude affichée par chacun, même par David !
De ce dernier, par contre, il reçut un clin d’œil complice et, peut-être, un début d’explication.
- Salut Julien ! Que lui avez-vous fait pour nous la mettre dans un état pareil ?
- Moi ? Vous croyez que c’est à cause d’hier soir ?
- En tout cas, le bruit court que son humeur navigue dans le bleu !
- Le bleu ? Vous aussi ? Il était prévu que je passe la prendre, chez elle, ce matin, mais j’y arrivai qu’elle démarrait sa voiture ! Pas eu le temps de dire « ouf » ! Elle m’a semé en trois tours de roue ! Comment dois-je interpréter cette histoire de couleur ?
- Attendez de la rencontrer ! Vous souvenez-vous de l’image qu’elle offrait, hier, au restaurant, de ses yeux, surtout ?
- Il serait difficile de les oublier.
- Appliquez-vous à bien les observer chaque matin. Après beaucoup de pratique, vous pourrez, comme nous, deviner son humeur du jour ! Ça y est, mon poste sonne, c’est mon tour, priez pour moi ! Justine, accompagnez-moi, nous devons faire front ensemble.
- Lâche, vous faites appel à moi parce que je suis sa nièce ! Pas question, je reste avec ce monsieur.
- Cela ne lui plaira pas !
- Si vous imaginez que je vais l’amadouer pour vous éviter…
- Tant pis pour vous… croyez ce que vous voulez, moi… je vous aurais prévenue !
Pendant que David s’éloignait, Julien prit le temps d’assimiler la dernière information avant de rompre le silence qui avait repris ses droits autour d’eux.
- Vous seriez donc la nièce de… Madame Castel ?
- De Julie ? C’est cela !
- Alors… c’est à elle que vous ressemblez tant ! Mais… votre tante ! Elle paraît si jeune, presque autant...
- Que moi ? Merci bien ! Heureusement que vous me comparez à quelqu’un que j’aime infiniment. Julie a largement dépassé la trentaine… elle se trouve à mi-parcours de la prochaine dizaine, mais ne lui en parlez pas, elle déteste qu’on y fasse allusion.
- Tiens donc ! C’est là que se situerait son tendon d’Achille ! Madame serait vulnérable et aurait peur, comme tant d’autres, du temps qui passe ? Vieillir l’ennuie vraiment à ce point ?
- Oui… mais pas comme vous semblez le supposer… elle est… elle est tellement pleine de projets, d’envies, de rêves aussi et il faut qu’elle bouge, toujours ! Son souci véritable c’est de ne plus avoir, un jour, la possibilité physique de foncer dans l’existence à cent à l’heure.
- Des envies et des rêves ? Chez une personne aussi décidée, pragmatique, rigide…
- Rigide ? Nous ne parlons pas de la même Julie… ou alors vous ne connaissez pas du tout la mienne. La vraie ! Qui est, pour moi, le symbole même de la liberté. Je crois d’ailleurs que c’est pour cela que son mariage a dérapé. Et pourtant, Gabriel - son mari - l’adore.
- Alors… leur séparation n’est pas venue de lui ?
- Jamais il ne l’aurait quittée ! Il en est fou, vous savez… Je crois qu’il serait capable de tuer, qu’il donnerait sa vie pour elle… mais…
- Évidemment, il y a un « mais » !
- Hélas ! Il est aussi possessif qu’amoureux… et pour la considérer sa propriété, il la voudrait en cage… une cage dorée et des plus confortables, bien sûr, mais dont il garderait jalousement la clé. Ce qui ne va pas du tout avec le caractère indépendant de ma tante.
- Et c’est pour cela qu’elle est partie !
- Oui… mais un jour ou l’autre, ils se retrouveront. C’est inévitable ! Gabriel le sait bien, et il attend presque patiemment. C’est tout moi : je parle, je parle…
- Je crois, qu’en effet, nous sommes tous deux coupables d’indiscrétion. Vous, pour avoir livré ce qui ne vous appartient pas, et moi pour vous avoir si volontiers écoutée. Et si nous passions à autre chose ? Que diriez-vous d’aller prendre un verre hors de ces murs ?
- Que c’est une bonne idée !
    Mais ils n’eurent pas le temps de quitter le lieu. Empêchés par une voix, déformée par le grésillement du haut-parleur, mais impatiente et nettement agacée, ordonnant à Justine d’accourir dans les dix secondes, lui rappelant, au su de tous ceux qui s’activaient à l’étage, qu’elle n’était pas en villégiature dans un quelconque camp de vacances et que le fait d’être sa nièce ne lui autorisait aucun privilège... Bien au contraire !
- Cela promet ! Excusez-moi, je vous laisse, mais je ne vous tiens pas quitte de votre offre. À plus tard !
    De nouveau solitaire, tout en ruminant les informations fournies par la jeune fille, Julien reprit sa promenade dans un couloir où seul résonnait le bruit de ses pas, dont les portes entrouvertes laissaient apercevoir des êtres silencieux, religieusement absorbés par leurs tâches. Pour être honnête, à peine plus que la veille et il devait admettre qu’elle obtenait de bons résultats avec eux.
Dire qu’il avait mis en doute son autorité ! Finalement un coup d’éclat chez Julie Castel, d’ordinaire souriante et avenante, avait plus d’impact qu’il ne le pensait.
Il pressentait que « Sa Majesté » ne se préoccuperait pas de lui avant longtemps. Mieux encore, il était persuadé d’être volontairement tenu à l’écart de tous, dans l’attente du bon vouloir d’une tigresse qui affûtait ses griffes sur chacun. Avant de les essayer sur lui ?
Où se cachait la Julie douce et joyeuse à la personnalité fascinante dont lui avait parlé Ed Musslër ? Il ne lui en avait apparemment décrit que l’aspect tranquille lui laissant la surprise pour les autres !
    Autant se permettre le luxe d’une visite au petit bistrot voisin, de s’offrir un vrai café, et de... l’enrager un peu plus ?
    Et si, la colère de Julie n’était en fait que le résultat du petit incident entre eux ? Belle idée qu’il avait eue là !
    Mais se mettre dans un état pareil suite à un banal baiser échangé avec un presque inconnu ? Non, c’était absurde ! Pas à son âge ! Quoique… un baiser banal… pas tout à fait mais malgré tout… pas un crime à se reprocher. Ni pour l’un, ni pour l’autre.
    Une Julie porteuse de rêves… d’envies ? C’était une perspective assez inattendue, et qui ne cadrait en rien avec l’apparence qu’elle offrait. À moins que ce soit lui qui ait voulu ne la voir qu’ainsi ?
Combien il avait été ravi, la veille, de surprendre cette pimbêche dans une position inconfortable, et plus encore, ensuite, de l’amener à lui être redevable d’un service !
Il ne l’avait pas immédiatement reconnue pourtant ! Il ne l’aurait sans doute pas même vue si Hélène, sa sœur, ne lui avait indiqué l’étrange et troublant comportement d’un couple tout en soulignant que l’homme lui ressemblait beaucoup.
Il ne leur avait jeté qu’un coup d’œil distrait, enregistrant effectivement une légère similitude dans la taille, la carrure, plus imposante chez cet inconnu, pour axer très vite toute son attention sur la jeune femme.
La contemplant, adossée au torse viril, pratiquement conquise, comme sur le point de chavirer… Troublé d’abord par une infinie féminité… fasciné ensuite… Incapable de s’en détourner.
Ne se lassant pas de détailler l’adorable cambrure des pieds, la finesse des attaches subtilement soulignée par l’or d’une chaînette cerclant une cheville… le galbe parfait des longues jambes, les courbes douces des hanches étroites… la taille voluptueusement ployée, et une poitrine haute et arrogante…
Superbes composants d’un corps sensuellement gainé d’une étoffe d’un noir pur et profond, exaltant la blancheur nacrée et soyeuse des épaules rondes, des bras fuselés, du cou gracile, d’un visage à l’ovale idéal nimbé de mèches folles, parfait écrin d’une bouche, d’un nez, aux tracés dignes du meilleur des peintres… Et des yeux… des yeux à en rêver… des yeux qui le poursuivaient depuis quelques heures… des yeux… Ceux de Julie !
Il avait cherché à capter son regard, pour s’assurer qu’il n’était pas victime d’une confusion, pour conforter une presque certitude… et il s’était heurté à celui d’un animal pris au piège et cherchant désespérément une issue, un moyen de s’échapper. Ce fut ce regard-là, et seulement cela qui l’avait incité à intervenir.
Il avait très vite compris qui était cet homme, ce qui se passait entre eux… Il ne saurait expliquer pourquoi il s’était amusé à improviser ainsi, jusqu’à créer une situation qu’il avait voulue, pour elle surtout, des plus embarrassantes !
Quant à son mari, - son ex mari ! -, abstraction faite d’une animosité bien naturelle vu les circonstances, il l’avait trouvé passablement arrogant, passionné et fonceur, mais également solide, résolu, responsable et équilibré : un type somme toute plutôt sympathique !
Mais… qu’avait dit Justine ? Un Gabriel trop possessif... qui la voulait en cage... enchaînée... Autant d’exigence ? Sa propriété ? Un caractère aussi absolu à leur relation ?
Si cela s’avérait être la réalité, Julie Castel méritait plus d’indulgence que ce qu’il lui en avait accordée jusqu'à lors.
Quoique… supposer une Julie prisonnière, c’était espérer l’impossible ! Lui, serait prêt à lui infliger pire que cela, pour assurer la paix à l’humanité tout entière, et masculine en particulier !
En revanche, si son ex mari la poursuivait vraiment avec opiniâtreté, annoncer d’éventuelles fiançailles n’avait pas été une idée bien inspirée. De quoi le pousser à bout, et à se manifester avec plus de virulence… ce que lui-même ferait dans de pareilles conditions.
Comprenant intimement l’homme, il commençait à mieux cerner le problème.
À qui la faute ?
Il avait des excuses à présenter et quelques pions à remettre en place.
Le sien en tout premier.
Le mieux à faire, dans l’immédiat, serait tenter de forcer sa porte, d’avoir une explication avec elle, et limiter leur relation au cadre professionnel qu’elle n’aurait jamais dû quitter.
Essayer, pour le moins, de repartir du bon pied.
D’autant plus que, dans quelques mois, en supposant qu’il acceptât la proposition de son oncle... Là, il n’avait aucun mal à imaginer sa réaction… il la savourait même par avance…
En toute innocence !

 

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4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 23:40

 

Où était passé ce Julien Gauthier de malheur ? Avaient-ils, tous sans exception, décidé de lui empoisonner l’existence ? Midi moins le quart ! Il en prenait à son aise !
L’équipe entière avait eu droit à une sévère mise au point ! La veille, au cours de sa tournée, le regard perspicace d’un trublion avait mis en évidence un certain laisser-aller que Julie était trop honnête pour ne pas reconnaître, et trop exigeante pour ne pas y porter remède.
Elle leur avait accordé quarante-huit heures pour rattraper le retard, et si l’un d’eux devait y passer la nuit, qu’il ne vienne pas lui parler d’heures supplémentaires !
Mais Justine… Elle y était allée un peu fort avec elle. Tant pis, cela ne pourra que lui être bénéfique, car ailleurs, n’importe où, elle risquait de ne pas retrouver la même chaleureuse ambiance ni le même esprit d’équipe. Elle avait pu ainsi avoir également un aperçu du pire.
Oui, mais... sa nièce ! Elle avait cru un instant... non, pas au point de la faire pleurer ! Tant pis, ce qui était fait, était fait !
Une ruche ! Pleine de gentilles et laborieuses abeilles, appliquées et productives... Voilà à quoi devait ressembler « son » étage !
Au moins pour réduire au silence l’odieux personnage à qui elle devait de ne pas avoir fermé l’œil de la nuit.
En revanche, lui avait su s’esquiver et fuir l’orage qui grondait au-dessus de sa tête. Il voulait s’informer, apprendre, fouiner ? Il allait être servi. Encore quelques minutes et le réduit attenant à son bureau serait fin prêt pour l’accueillir ; pas très grand, avec une fenêtre avare de lumière, à peine suffisant pour y caser l’indispensable, mais où il demeurera à portée de voix. De sa voix !
Il ne tardera plus à apprendre ce que signifiait « peiner » sous ses ordres. Que croyait-il ? Elle avait sélectionné le moindre document à lui soumettre. Elle... personnellement !
Elle lui réservait quelques litiges en suspens, pas grand-chose, des clients récalcitrants... à lui de s’en débrouiller ! Ensuite, deux contrats délicats en cours de négociations, pas réellement importants et qu’elle pouvait se permettre de perdre, mais une bonne mise à l’épreuve pour un donneur de conseils !
Elle pourrait aussi exhumer les statistiques portant sur les cinq dernières années ! Ce serait parfait pour corser le tout. Lors de leur entretien, il avait clairement déclaré qu’il n’affectionnait pas particulièrement cet abord des chiffres… Mais, si chacun ne faisait que ce qu’il aimait, ce serait l’anarchie ! Allons... aucun favoritisme... après tout, elle n’exigera rien d’extraordinaire... une simple étude, des comparaisons, et une analyse de l’évolution de l’Agence... pas de quoi lui ôter le sommeil ! Cela devrait suffire pour la partie gestion… dans l’immédiat du moins !  
Pour le reste, elle avait chargé Raymond de concocter deux ou trois dossiers types, histoire de juger si cet empêcheur de tourner en rond avait de l’esprit, de l’humour et une dose de créativité. Connaissant les tendances « pourquoi faire simple quand il est possible de faire compliqué » de Raymond, le pauvre Julien ne sera pas à la fête !
Interdiction absolue à Claudine de lui prêter assistance, en aucune façon. S’il avait besoin d’aide, il devra d’abord en passer par elle et elle n’était pas certaine d’être souvent disponible pour lui. Il commencera au bas de l’échelle, comme elle ! Après tout, elle ne regrettait rien de sa propre formation, alors... elle lui rendait service ainsi !
Elle avait appris à s’ouvrir une voie, à imposer ses idées, même alors que certains s’ingéniaient à dresser des obstacles devant elle ! Si, elle, avait su s’y prendre, il n’y avait aucune raison pour que, lui, n’y parvienne pas. Et ce, avec d’autant plus de facilité, pour lui, d’évoluer dans un univers que beaucoup disaient réservé aux hommes !
Il avait déjà en attente suffisamment de boulot sur le dos pour l’occuper pleinement durant les jours à venir et lui ôter toute envie de rire… surtout à ses dépends !
Seulement cela ?
Qu’y aurait-il d’autre ?
Gare à lui s’il osait évoquer une certaine expérience ! Elle n’acceptera aucune allusion à ce sujet.
Chacun à sa place !
Le temps qu’elle avait décidé de lui consacrer était pratiquement écoulé ! Encore deux minutes et... tiens ? Sauf erreur, c’était bien lui qu’elle entendait !
Elle constata, ravie, que Claudine avait bien appris sa leçon : Plus de rires avec Monsieur J. Gauthier !
Le « J » de Julien… Julien et Julie… Qu’y avait-il là d’extraordinaire ? Rien de plus qu’une coïncidence… pas même amusante, pour elle du moins !
Ding - dong ! Midi ! Fini ! Trop tard pour le recevoir… à chacun son tour de patienter… lui, le fera au moins jusques après le déjeuner !
Pourquoi ne pas conduire la bataille hors de son bureau, entre deux portes ? À peine le temps de mettre certaines choses au point… définitivement ! D’ailleurs, cet homme ne méritait pas qu’on lui prêtât davantage d’importance que cela !
Elle avait oublié les fleurs. L’accueil en était envahi !
À son arrivée, déjà ! Un énorme bouquet trônait sur son bureau, et ensuite... Un cauchemar ! Les envois s’étaient succédés tout au long de la matinée, après chaque appel de Gabriel, en dépit, - ou à cause -, de son refus de lui parler. Elle se sentait pratiquement en état de siège !
Espérait-elle vraiment se calmer !
- Claudine, débarrasse-moi de tout ça. Quant à vous, Gauthier, je vous verrai plus tard. Je suis pressée.
- Julie, je crois...
- Madame Castel ! Grâce à vous, je ne risque plus de l’oublier. Vous pouvez vous féliciter du résultat de votre bévue !
Le téléphone qui sonnait, Claudine qui lui faisait signe de se taire ! Gabriel ? Encore ! Elle n’en sortira donc jamais !
- Allô ! Non, elle vient de partir. Oui, absolument... Il n’en manque pas un... Mais… vous seriez gentil de me dire combien encore je dois me préparer à en entreposer d’ici à ce soir ?.... Plaît-il ?... Moi ! Me moquer de vous ? Monsieur Castel… jamais je n’oserais !
Julie fulminait : cette fille était à battre ! Ne comprenait-elle pas qu’ironiser ainsi n’était que provocation pour Gabriel et… Stop ! Ne pas s’énerver… prendre sur soi… Il était plus que temps de mettre un point final à leur relation, et surtout d’enrayer une invasion odorante.
- Cela suffit, passe-moi cet appareil, Claudine.
 - Mais…
- Pas de mais !... Trancha Julie, en s’emparant fermement du combiné. Allô ! Gab ? Tu vas cesser de... Non ! C’est toi qui écoutes... Pour ton information, je suis allergique aux fleurs... Depuis quand ?… Depuis ce matin… Alors cesse d’en... Comment ?... Où ?... dans l’une des corbeilles ?... Non, pas curieuse à ce point... Tout à fait ce que j’aime ? Si tu le dis... Gab ! Arrête... Je sais tout cela... Je ne peux pas...
            Comment pouvait-elle se laisser émouvoir aussi aisément ? Elle fondait, devant les yeux incrédules d’une Claudine éberluée, et un Julien mal à l’aise, pour un regard troublé et une voix hésitante qui se faisait tendre murmure.
Et Julie sembla oublier leur présence, donnant une dimension nouvelle à l’écouteur posé contre elle, y déversant ses mots au point de rendre son correspondant présent parmi eux.
- Gabriel, écoute-moi... je n’attends qu’une seule chose de toi... Tout ce que je veux ?... Tu en es sûr ?... Tu es d’accord ?... Pour tout ?...
Julien la regardait, consterné ! Elle était en plein délire ! Ne devinait-elle pas, qu’ainsi, elle l’encourageait dans son entêtement à la poursuivre ? Ne supportant plus de la voir se conduire de la sorte, bien décidé à la ramener sur terre, il tendit soudain la main et…
- Accorde-moi encore un peu de temps… il faut que je... Hé ! Qui vous permet !
    Dressée sur la pointe des pieds, Julie, furieuse, tentait vainement de récupérer le téléphone que Julien venait de lui subtiliser et qu’il maintenait, à bout de bras, hors de sa portée !
- Vous êtes complètement fou !
- Et vous, ridicule !
- Rendez-moi cet appareil !
- Sans problème… mais dans un instant. Gabriel ? Aïe ! Pardon… deux secondes… Claudine, tenez-moi ceci !
    Julien fit face à une Julie déchaînée, qui se jetait sur lui poings tendus pour se trouver rapidement et proprement ceinturée, bras et taille fermement maintenus dans un cercle d’acier, et soulevée tel un vulgaire ballot de chiffons !
- Tenez-vous tranquille, et laissez-moi faire !
- Je vous tuerai !
- D’accord, mais après !… Et vous, Claudine… cessez de rire ! Allô ! Gabriel ? Vous êtes toujours là ? C’est parfait... Julien à l’appareil... Oui, c’est cela... hier soir... le fiancé... Vous vous en souvenez ? Bien, alors… Comment ?… Ce qui se passe ici ? Rien… C’est Julie qui pique une colère… oui… précisément ! À cause de vous… Parce qu’elle n’en peut plus de vous demander de sortir de sa vie… de la laisser en paix... Pas question ? Tant pis… désormais tous vos appels aboutiront sur mon poste. C’est clair ? Alors, à bientôt !
    Et il raccrocha alors que Julie, calmée mais toujours prisonnière, le regardait bouche bée, se répétant inlassablement qu’elle avait affaire à un fou…
- Posez-moi à terre… tout cela est d’un grotesque !
- Exactement ce que je pense de votre attitude ! Voulez-vous, oui ou non, couper les ponts ? À quoi rime cette façon de lui chuchoter vos doutes à l’oreille !
- Vous racontez n’importe quoi !
- Je ne vous savais pas de mauvaise foi ! Si vous l’aimez encore, cessez de le faire languir, en revanche, si vous ne voulez plus de lui, montrez-vous ferme et décidée ! Vous y gagneriez, tous les deux !
- Je suis capable de le lui faire admette sans votre aide !
- Vraiment ? Alors, prouvez-le-moi, rappelez-le. Non ? Allez, on file d’ici. Claudine, si ce monsieur rappelle, dites-lui que Julie est partie avec son... fiancé ! Motus et bouche cousue, ce n’est qu’un petit mensonge de circonstance à ne surtout pas ébruiter. Nous nous comprenons ?
- Totalement ! Bon appétit.
- N’oubliez pas ce que Madame Castel a ordonné, jetez ces fleurs ou plutôt… offrez-les à qui vous chante !
- Claudine, non ! Avant, dans l’un des paniers, cherche un petit paquet... Ne me dis pas ce que c’est, ni de quelle boutique il provient. Tu le renvoies, comme d’habitude. Julien... Lâchez-moi, je suis en état de marcher toute seule !
    Avait-il besoin de serrer son bras si fort, de la traîner ainsi ! Rire ou pleurer ? Ou se cacher dans un coin et se laisser aller ! Encore une intervention de ce genre et elle sera obligée de quitter la ville !
- Julien, c’est affreux ! Vous lui avez raccroché au nez !
- Simple distraction de ma part ! Julie… en fait, je venais vous présenter mes excuses, et non pas déclencher une nouvelle guérilla !
- En raison de votre comportement, nous risquons de nous trouver confrontés à pire que cela !
- Facile d’y porter remède ! Tout dépend de vous.
- Rien que ça ! Allez-le-lui dire, à lui !
- Il ne peut vous obliger à rien, Julie.
Elle devait s’avouer qu’il avait raison, en partie du moins, mais elle ne lui donnera pas la satisfaction de le reconnaître. De toute façon, il n’était pas question qu’elle revienne auprès de Gab ou, du moins, plus dans les conditions d’autrefois.
Il disait pourtant avoir changé, et il lui avait paru souffrir de la tournure que prenait leur situation. Sans doute à cause de Julien, et de la stupide éventualité d’une romance entre eux ! Ce qui était idiot, sans aucun fondement… et pourtant il y croyait ! Non seulement, c’était bien la première fois que Gab semblait prendre au sérieux l’existence d’un rival, mais, surtout, il le considérait dangereux ! S’il savait !
- Que comptez-vous faire ? Lui demandait justement le rival en question.
- Moi ? Cela suffit ! Vous m’embrouillez les idées, je ne sais plus où j’en suis.
    L’ascenseur ! Quelqu’un ! N’importe qui, un tiers entre eux devant qui Julien se tairait enfin !
- Décontractez-vous et faites le point ; en fonction de votre décision, je saurai réparer les dégâts.
- Vous ? Par pitié, ne vous mêlez plus de quoi que ce soit ! Vous êtes l’unique responsable de cet imbroglio et je devrais vous faire confiance ?
    Un cri du cœur, qu’elle ne put retenir à l’ouverture automatique de la porte, qui amena sur elle des regards curieux, surpris ou amusés ! Gagné !
- Julie, où...
Pour la discrétion, c’était réussi ! Un mot de plus, et elle l’assommait.
- Plus tard !
    De nouveau, elle était furieuse ! Son humeur se faisait Yo-Yo capricieux ! Six étages, presque autant d’arrêts, ils ne sortiront donc jamais de cette boîte métallique !
- Où souhaiteriez-vous déjeuner ?
- Là où je serai certaine de ne pas vous voir ! Satisfait ?
    Devant elle, deux hommes échangèrent des sourires entendus… se croyaient-ils invisibles ? La pensaient-ils aveugle ? Elle les connaissait, ils travaillaient au septième et… oh, non ! Chez Montero ! Après le mal qu’elle avait eu pour gagner leur respect, elle était stupide de s’exposer ainsi à leur ironie ! Pas évident, après ceci, qu’ils renouvellent leur contrat.
- Je pourrais aller jusqu'à vous inviter.
- Personne ne vous le demande !
    Le rez-de-chaussée, enfin ! Elle bousculerait n’importe qui pour s’échapper plus vite.
- Têtue comme une mule ! Alors… On fait la paix ?
- C’est trop fort ! D’abord, pourquoi avoir parlé de fiançailles ? Siffla-t-elle aigrement en se dirigeant rapidement vers la sortie.
- Je n’en sais rien. Pour vous rendre service, l’ennuyer un peu. Vous aussi... Vous surtout. Sans imaginer...
- Ben, voyons ! Désormais, il ne me laissera en paix que dûment mariée.
- Vous exagérez ! Pour me culpabiliser.
Que croyait-il ? Elle connaissait assez Gabriel pour savoir qu’elle lui semblera accessible aussi longtemps qu’elle ne sera pas liée à un autre. Pour empêcher cela, il était prêt à utiliser tous les moyens que lui offrait sa position sociale, sans oublier qu’il était de ceux qui n’hésitaient pas à faire appel à leur force physique.
- La violence n’a jamais rien résolu, mais s’il le fallait…
- Quoi ? Endosser la cuirasse du preux Chevalier blanc défendant les couleurs de sa Dame ? Lui lança-t-elle, ironique, entre un « Pardon » et un « Excusez-moi » destinés aux inconnus entre lesquels elle se faufilait habilement. Ne comprenez-vous pas que c’est exactement ce qu’il fait ? Avec l’intime conviction d’en avoir le droit et, surtout, le devoir… N’oubliez pas : pour lui, je suis toujours « sa » femme !
- Il ne peut ignorer un divorce ni faire comme si de rien n’était.
Julie haussa les épaules ! Comme si cela comptait pour Gabriel ! Il était vrai que, parfois, comme par jeu, il condescendait à admettre qu’elle était libre. Tout en précisant que, dans ce cas et en toute logique, elle devait, également, accepter qu’il tente de la reconquérir. C’était à en devenir folle !
- Doucement, Julie… ralentissez l’allure ! Croyez-vous participer à un marathon ou avez-vous peur de lui ?
    Surprise par ces derniers mots, Julie s’immobilisa brusquement. Qu’avait-elle, en effet, à courir ainsi ? Qui fuyait-elle ? Pensait-elle sincèrement que Gabriel pouvait surgir ainsi, à l’impromptu et avec agressivité ? Non…
- Gab ne me ferait jamais de mal. Pas à moi, lui assura-t-elle en reprenant calmement la marche.
- Depuis quand êtes-vous séparés ?
- Officiellement ? Neuf ans.
- Et après toutes ces années…
- Il me connaît ! Il sait qu’il m’est facile de trébucher entre ses bras !
    Julien serra les dents au ton léger, presque amusé qu’elle utilisa pour évoquer les liens qui la reliaient encore à son passé. Pourquoi cette idée lui déplaisait-elle autant ? Parce que, ainsi, elle se dénonçait inabordable pour un autre ?
- Je vois. Mais vous, vous avez certainement rencontré un homme qui vous ait intéressée un tant soit peu ! Au moins une fois !
L’imaginait-il dans le rôle de la Belle au Bois Dormant ! Bien sûr qu’elle avait essayé de refaire sa vie ! Sans succès ! Chaque fois, Gabriel s’était ingénié à faire le vide autour d’elle ! Dès qu’il se rendait compte qu’un homme prenait une place importante dans son existence, qu’elle donnait une tournure trop personnelle à leur relation, il devenait omniprésent au point de décourager le meilleur. Un « Bouh ! » de sa part, et voilà ! Adieu... au prochain ! Elle n’avait jamais gagné à ce jeu-là !
- Maintenant grâce à vous, il se trouve en position d’urgence, et je dois m’attendre au pire...
- Nous agirons en conséquence... Ma voiture est là...
- Celle-là ! Ce n’est pas celle que vous conduisiez hier soir !
- Non, mais... je ne vois pas en quoi...
- Et je la reconnais ! C’était vous ! Encore et toujours ! Ma place... C’était vous !
- Votre place ?
- Oui… hier… sur le parking !
- Hier ? Oh… je comprends tout maintenant ! Pourtant je n’ai fait que suivre les instructions reçues : Deuxième sous-sol, rangées F et G, côté accès piétons. Je me suis garé sur le premier emplacement venu, je n’ai vu aucune indication particulière sinon Musslër 1.
- Et J.C en rouge ! En tout petit, c’est vrai mais...
- Je n’y ai pas prêté attention, pas plus qu’à tous les tags et graffitis décorant les murs. Désolé !
- Vous ne m’apportez que des tracas.
- Vous le pensez sincèrement ?
- Je suis en dessous de la vérité, mais vous êtes pardonné.
- Voilà qui me rassure. Bon, et maintenant, où allons-nous ?
- Plaît-il ?
- Déjeuner… Vous avez oublié ? Direction l’Estaque ou les Goudes ?
- Au point où j’en suis ! N’importe où, et le centre-ville ira très bien ! Bien plus, si par le plus grand des hasards, vous aviez un billet pour la Chine dans votre poche, cédez-le-moi et je vous absous pour tout le reste.
- Nous sommes à quelques mètres d’une agence de voyages. J’en prends deux, deux allers simples. Dites oui et je vous enlève ! Alors ?
    Quelques secondes avant d’assimiler chaque mot, pour refuser de s’interroger sur l’émotion qu’ils faisaient naître.
Elle avait vingt ans, elle était inexpérimentée, se rendait au rendez-vous d’un premier flirt, et…
Et presque l’idée folle de se laisser aller...
D’acquiescer à tout.
- Je ne sais lequel serait le plus ennuyé si je vous prenais au mot !
- À votre place, je ne parierais pas là-dessus. Montez.
    Le cœur de Julie s’emballa ! Un peu, alors que Julien, lui ouvrant la portière, l’invita à pénétrer dans le véhicule ; guère plus, lorsqu’elle passa devant lui, nettement quand, à peine installé derrière le volant, il se tourna vers elle, avec un sourire qui la désarma totalement.
Il était doué pour l’irriter, depuis leur rencontre, tout allait de travers dans sa vie, et pourtant !
C’était la première fois qu’elle se sentait autant à l’aise avec quelqu’un, aussi bien en colère que pratiquement détendue. Comme en ce moment !
- Julien… vous avez dû vous apercevoir que je suis un vrai panier de crabes.
- Oui… là… effectivement ! Mais moi, voyez-vous, j’ai un penchant naturel pour tout ce qui présente une difficulté. Et à propos de notre destination, vous avez suggéré le centre ! Je crois que nous y sommes, non ? Est-il vraiment utile de mettre le contact ?
- Mon avis sincère ? Non… Je ne crois pas.
- C’est bien ce qu’il me semblait ! Suivez-moi, un peu de marche ne nous fera pas de mal. Je vous fais une proposition honnête, je vous offre une croisière sur notre légendaire Ferry-Boat et je vous laisse le choix du restaurant. Marché conclu ?
- Le choix… et l’addition ?
- Julie ! Si j’aime déguster quelques oursins, je ne vais pas jusqu'à les glisser dans mes poches ! Tant pis, vous l’aurez voulu, je décide de bout en bout. D’ailleurs, je sais ce qu’il nous faut et je commence à regretter que vous n’ayez pas accordé plus de crédit à ma proposition de tantôt ! Et vous, c’est extraordinaire, vous riez !
    Julie devait se reprendre, ne pas ouvrir de porte à une situation absurde.
Jusqu'à refuser une innocente récréation, une petite parenthèse ? Pourquoi ?
La suite n’en serait-elle pas plus intéressante ?
- Un mirage, une illusion, ne vous y fiez pas. Bientôt, plus tôt que vous ne le pensez, vous allez pouvoir apprécier combien je sais m’amuser. Et, croyez-moi, j’ai hâte d’y être !

 

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4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 23:39

 

Quelle idée de renouer avec ces errances nocturnes, et solitaire de surcroît ! Julie ne reconnaissait plus rien.
    Sinon le Vieux Port, fidèle à lui-même ou peu s’en fallait. Espérait-elle vraiment ressusciter l’ambiance de ses vingt-deux ans ?
    Le Beau Rivage était ouvert, et les tables de la terrasse occupées, malgré la fraîcheur de l’air... ainsi qu’autrefois... Combien de fois s’y était-elle précipitée, en pleine nuit ? Le seul endroit où elle savait trouver des cigarettes. Il lui semblait, pourtant, que le café, à côté, ne s’appelait pas comme cela, avant. Avant ? Déjà si loin dans le passé !
Elle s’y attardait quelquefois pour regarder les voiliers danser sur la nappe d’eau à peine troublée par le vent, et écouter la musique de leurs mâts fiers et droits. Elle adorait les imaginer harpes et flûtes entre les doigts invisibles du Mistral. Comment avait-elle pu oublier cela !
Plus haut... toutes ces voies nouvelles… ou différentes ? Dans l’obscurité et sans lunettes, elle allait finir par se perdre. Ses verres, où les avait-elle fourrés ? Mais son sac était plus profond qu’un gouffre truffé d’oubliettes. Inutile de tenter d’y retrouver quoi que ce soit.
    Elle aborda la route de la Corniche. En plein jour, elle n’y prêtait aucune attention pour n’être qu’un trajet de routine. Ce soir, elle la redécouvrait. Jusqu'à hauteur de la statue de David, elle lui restait familière, mais ensuite... le bord de mer avait été aménagé, et... Qu’avait-on fait de ses souvenirs ?
    David, le vrai, celui en chair et en os, filait le parfait amour avec Justine ! Elle était certaine de ne pas se tromper : voilà quinze jours qu’ils penchaient, de concert, leurs fronts secrets sur des dossiers qui traînaient de plus en plus, et trois qu’elle ne les voyait plus.
Les traîtres ! Que penser sinon de leur commune dérobade devant son invitation à l’accompagner promener sa nonchalance sous des prétextes futiles, inconsistants !
Bien sûr… ils étaient jeunes, elle les ennuyait certainement, mais… une fois ! Une seule... au moins ce vendredi, pour l’aider à conclure une semaine douloureuse !
Le tour du rond-point, reprendre dans l’autre sens. Le vent… comme autrefois !… Non… ce n’était pas le mois d’avril… pas tout à fait la même époque mais… c’était voilà déjà treize ans, non, quatorze ! C’était à peine hier... maintenant... Là ! Devant Le Monaco !
Un coup de frein trop brutal devant elle, un permis très récent, une légère collision et... une éraflure sur un pare-chocs.
Le douze octobre, le jour ou plutôt la nuit de son anniversaire… celui de ses vingt-deux ans. La petite dernière de la famille, gâtée par tous… le repas à la maison avec ses parents, ses sœurs, leurs maris, leurs enfants et… ses amis !
Une soirée joyeuse que ces derniers avaient voulu prolonger ailleurs.
Justement à la terrasse de ce café, où - c’était amusant de s’en souvenir si bien - les joueurs de l’Olympique de Marseille, installés aux tables derrière eux, lui avaient volé la vedette.
Qui l’accompagnait ce soir-là ? Jean-Louis et Annie, Michel et Liliane, et Paul… le parfait amoureux transi ! Cher Paul, gentil au possible... Trop sans doute.
Qui encore ? Incroyable comment certains détails s’estompaient alors que d’autres… par exemple… cet homme, assez âgé… qui les avait rappelés à l’ordre pour leurs rires peu discrets et leur joie trop exubérante.
    « Le rire est le propre de l’homme » avaient été ses premiers mots… ensuite quelque chose à propos du feu… elle se souvenait avec précision de son refus d’utiliser un briquet, lui préférant des allumettes, pour, avait-il dit, « ne pas dénaturer le goût du tabac ».
Le reste avait disparu dans les méandres de sa mémoire. Pourquoi ces phrases, sans véritable intérêt, et pas d’autres plus instructives ? Il les avait amusés, un temps, puis les avait laissés, emportant plus loin son allure étrange, ses grands gestes, sa chevelure grise et ses élucubrations de poète noctambule. Qu’était-il devenu ? Vivait-il encore seulement ?
Ensuite, leurs courses sur le sable humide et leurs regrets, en dépit de la saison déjà fraîche, de ne pas avoir pensé aux maillots de bains. Surtout de se trouver dans un lieu trop exposé aux regards des passants, pour se permettre un bain de minuit dans toute sa splendeur et offrir leur nudité aux vagues luisantes.
Sa première robe longue ! Une vraie, qu’elle avait dessinée et que sa mère avait réalisée… comme la plupart de ses vêtements.
Puis il avait été l’heure de rentrer, son obstination à le faire seule, sans plus savoir depuis la raison de ce subit besoin de solitude alors que… Comment avait-elle pu oublier une chose aussi importante ? Pourquoi ne pas avoir raccompagné Paul ? Qui s’en était chargé ? Son destin aurait, sans doute, été différent de lui avoir confié le volant jusqu'à sa porte.
Plus maladroite qu’eux au démarrage, un feu rouge qui l’avait retenue, et une accélération pour les rattraper. Trop vive pour éviter de heurter, sans réel dommage, un véhicule devant elle.
Gabriel ne s’était pas totalement extrait de son siège pour constater les dégâts, qu’elle savait déjà, sans erreur possible, qu’il était furieux ! Et puis... il l’avait regardée… il avait pris sa main… et il ne l’avait plus lâchée.
L’entraînant dans un tourbillon auquel elle s’était abandonnée, pour se réveiller, dix mois après, ivre de bonheur, le corps brisé mais le cœur en fête, sous l’identité de Julie Castel. Madame Gabriel Castel !
Un anneau d’or à la main gauche.
Le premier maillon de la chaîne qu’elle ignorait alors tant détester un jour.
Aujourd’hui, il ne restait plus rien de tout cela ! Comble de l’ironie, Le Monaco était fermé, triste sans ses lumières accrocheuses, construction sans âme, dépouillée de toute finalité, masse de briques et de ciment ayant perdu toute raison d’être après que la vie l’eût désertée. Sur les grilles ternies de rouille, une affiche lacérée de grosses lettres à la couleur rouge des blessures mortelles « À vendre ».
Elle se souvenait de ses vagabondages d’adolescente rêveuse et insatisfaite ; elle en retrouva l’allure nonchalante pour emprunter le long serpent de béton gris qui épousait le rivage, avec la même absence dans un regard égaré au-dessus des eaux sombres.
Et s’immobilisa, un instant, pour suivre dans le ciel des arabesques d’oiseaux de papier. Souffrant mille regrets devant leurs élans sans cesse brisés, au point de souhaiter être une lame invisible et glisser sur la crête des vagues jusqu’à s’accrocher au souffle qui les portait, fondre vers eux et enfin trancher les liens les reliant au sol.
À en sentir se ranimer l’oubliée envie de descendre au ras des flots. De les laisser l’envelopper d’écume. De chanceler au sable qu’ils feraient, espiègles, se dérober sous elle. Se laissant bousculer par leur force tranquille ou éclabousser de leur rage, alliés dociles et impuissants du vent qui les malmenait contre les pierres dures et noires des digues.
Par où se hasardait-on pour gagner les masses affleurantes ? Autrefois elle en connaissait l’accès. Qu’en avait-on fait !
Elle s’était lancée dans l’aventure du mariage sans se demander ce qu’elle en espérait.
Amoureuse ? Sans aucun doute possible. Combien de fois était-elle venue… à peu près à cet endroit‑là… s’asseoir sur l’un de ces rochers, et y rester… des heures interminables, s’offrant au grondement de la houle, hypnotisée par le mouvement pendulaire de l’onde, l’esprit ainsi dégagé de la moindre pensée futile, pour mieux s’interroger sur ses sentiments pour Gabriel et cerner au plus juste ceux qu’il disait éprouver pour elle.
Pas les bonnes questions. Julie avait omis l’essentiel : rien de moins que prendre en compte sa nature profonde, oubliant combien elle était - et demeurait - rétive à toute contrainte. Trois mots pour la décrire : Athée, apolitique, rebelle !  
Hors religion, bien que baptisée et élevée dans un esprit chrétien, assistant à la messe de onze heures, chaque dimanche, jusqu'à atteindre l’âge qui lui avait permis d’opposer un refus catégorique à l’exigence de ses parents.
Attentionnée, agissant toujours dans le souci de ne blesser et ne léser personne, respectant les idées de tous, sans chercher à en convaincre un seul d’adopter sa propre façon d’appréhender l’existence, rejetant, d’instinct, toute idéologie qui pourrait asservir l’individu, le fermer à la tolérance et à l’acceptation des différences.
Hors politique, après avoir décortiqué jusqu’à la moindre information, étudié chaque parti, s’être informée au mieux sur leurs dirigeants, leurs idées, leurs projets ; jusqu'à les considérer comme des utopistes distraits, ignorants de l’âme profonde du peuple qu’ils prétendaient gouverner, de la réalité de ses problèmes et de son mal-vivre, confondant allègrement servir et asservir et oublieux de leur tâche première et, à son avis, la principale : Être les garants de la justice, des droits et de la dignité dus à chacun.
Se voulant sourde et imperméable à tous, bien que consciente de la nécessité d’établir des règlements, un code de vie et des lois, et les respectant scrupuleusement… mais dans la limite où ils n’affectaient en rien son libre arbitre en tout ce qui touchait son identité profonde.
Insensible aux critères d’une mode fixée par d’autres, dessinant et créant son propre style de vêtements, adoptant une étoffe pour le plaisir de l’œil ou du toucher, et une coupe pour le confort et l’allure qu’elle lui prêtait.
Pour se vouloir différente ? Non ! Simplement paraître ce que bon lui semblait, passant du très long au très court au gré de son humeur, sans tenir compte des articles des revues spécialisées indiquant les tendances à suivre dans le domaine vestimentaire.
Pour vivre ainsi qu’elle l’entendait, sans concession inutile, pour se savoir seulement de passage, n’être que la énième étape d’une lignée humaine, sa seule fonction véritable. Elle se voulait, Julie, enfant de la terre, graine que le hasard aurait déposée, là, pour y grandir semblable à tant d’autres, jumelle de la fleur qui égayait un jardin, cousine du pin qui offrait son ombre bienfaisante, amie de chaque animal qui se promenait dans le même espace-temps qui lui était imparti. Et elle se voulait libre.
Pourquoi sa vision, très simple, de la réalité, compliquait-elle autant ses rapports avec autrui ?
Elle en convenait, avec Gabriel, ces notions étaient devenues abstraites, secondaires. Ou alors tellement évidentes pour elle, qu’elle avait cru, à tort, qu’elles l’étaient autant pour lui.
De quoi avaient-ils parlé durant les dix mois qui avaient précédé leur union ?
Pas un mot sur leur approche personnelle du mariage, rien sur leur conception intime.
Après réflexion, elle devait accepter une grande responsabilité dans leur échec.
Quand lui avait-elle dit que le côté officiel, l’aspect légal de cet acte lui paraissaient totalement absurdes, incongrus, et que, à ses yeux, cela ne signifiait rien de concret dans une vie de couple. Que, justement, pour elle, un couple c’était tout, sauf deux signatures apposées sur la page numérotée et datée d’un registre. Elle en avait toujours refusé l’éventualité, pourquoi avoir renié ses principes ? La première d’une longue série d’erreurs.
Comment avait-elle pu déserter un emploi qui lui avait coûté nombre batailles ? S’était-elle, une seule fois, révoltée avec vigueur contre l’exigence de son mari de lui voir abandonner la conduite de son propre véhicule ? Elle avait cédé, trop facilement, devant le désir de Gabriel de ne la savoir occupée que par lui, devant son inquiétude à l’imaginer exposée aux dangers de la circulation, acceptant de ne se déplacer qu’avec lui pour chauffeur. 
Au début, elle lui concédait qu’il s’était montré entièrement disponible, puis... de plus en plus occupé, la mettant sur liste d’attente. Une séance chez le coiffeur ? « Pas avant la semaine prochaine, chérie... après la réunion du conseil d’administration ». Une visite chez sa sœur, à deux cents kilomètres de Marseille ? Inimaginable sans sa protection. « Pas le moment de m’éloigner de l’usine, avec une crise interne sur les bras. »
Que dire d’une descente dans les boutiques du centre-ville ! « Tu sais, mon cœur, je te connais si bien, je t’imagine dans cet ensemble, un rêve ! ».
Adieu, à la petite robe bain de soleil, jaune acide, à la prochaine, peut-être, joli body bleu nuit, et tant pis, pour ces sandales qui lui faisaient le pied dansant. À oublier également son Air du temps, son N° 5, son Joy, et bonjour à Shalimar, à Opium... fini de fureter à la recherche d’une teinte nouvelle pour ses paupières, d’un nouveau déguisement pour jouer avec l’humeur de chaque jour ! Avec obligation de se rendre dans tel institut de beauté, et pas un autre, où une esthéticienne, toujours la même pour mieux obéir aux instructions, avait ordre de lui faire un visage lisse et unique.
La porte ouverte à la monotonie, sans le droit de se surprendre elle-même !
Au point que le moindre déplacement lui était devenu une corvée. Un problème ? Pourquoi donc ! « Qu’à cela ne tienne, les soins se feront à domicile. Un simple appel, et tu les verras accourir. Ce sera bien plus reposant pour toi, chérie ! » Évidemment !
Une pente insidieuse sur laquelle elle s’était laissée guider, glisser. Un isolement luxueux, douillet dans lequel elle s’était installée, ne sortant que la nuit, pour assister à un repas d’affaires ou entre amis, ceux de Gabriel, bien entendu, pour une soirée, un spectacle, un film, chez Lucciano ! Rarement dans la journée, et toujours au bras de « Monsieur son mari » ! S’y risquer seule ? Non, par crainte de l’appel qui l’aurait dénoncée absente, rebelle, fautive, désobéissante.
Des mois ? Bien plus... Des années !
Puis, un jour, sans se souvenir de la raison précise qui l’y avait conduite, elle s’était retrouvée dehors, au pied de l’immeuble, sur l’avenue du Prado avec l’impression bizarre d’aborder une ville inconnue, alors que seulement oubliée. Adieu, la paix !
Elle n’était rentrée qu’à la nuit tombée, grise de mouvements, furieuse après elle et décidée à reprendre sa vie en main. Bonjour, la guerre !
Elle l’avait gagnée !
Qu’avaient-ils à faire hurler leur Klaxon ?
Il était nuit noire ! Et elle ? Que faisait-elle, assise sur un siège de béton inconfortable, à se glacer le bas du dos !
Les cerfs-volants avaient disparu, rangés dans leurs boîtes, en attente de leurs prochains simulacres d’évasion.
Elle s’était identifiée à eux, ce qui l’avait poussée à s’installer à cet endroit précis, confondant leurs envols bridés à sa vie auprès de son mari. Liberté illusoire, ailes rognées, coupées, retenus par un fil invisible, arrachés à l’espace auquel ils appartenaient, comme elle, isolée de ce qu’était son existence avant sa rencontre avec Gab.
Elle voudrait ne plus penser à ces années stériles. Moins encore à ce que ce terme évoquait, pour ne pas laisser remonter trop d’amertume en elle.
Deux silhouettes sur sa droite… Qui approchaient... Course lente, souffle régulier. Encore à cette heure ? Combien étaient passées devant elle, sans qu’elle les remarquât ni daignât les suivre d’un regard. Une véritable épidémie qui s’étendait autour d’elle… Partout, à chaque instant, ces êtres qui couraient, dans leurs shorts, leurs baskets, leur serre-tête ! Ils l’épuisaient seulement de les accompagner un moment des yeux ! Pas pour elle !
À son actif, quelques longueurs de piscine, un sauna… bien assez pour avoir la conscience tranquille quant aux attentions qu’elle devait à son corps. À propos de ce dernier, il serait temps de lui permettre de prendre un repos bien mérité.
Elle ne croyait pas s’être éloignée autant de son automobile. Elle traversa les voies, rejoignit le trottoir opposé. Avec prudence, sans hâte, indifférente aux appels de phares que certains lui adressaient.
Pour qui la prenaient-ils ? Pour une obscure travailleuse de la nuit ou une âme en quête d’aventure ?
Lui fallait-il vraiment regagner son appartement ?
Elle ne s’y était jamais sentie totalement chez elle. Encore un cadeau de son ex mari ! Preuve matérielle de sa générosité ou la certitude pour lui de savoir où la trouver si nécessaire ? Se décidera-t-elle, un jour, à l’abandonner ? Froid, impersonnel, trop vaste pour abriter sa solitude, pourrait-elle oublier ailleurs ses nuits à errer de pièce en pièce ?
Elle ralentit un peu à l’écho de pas derrière elle. Était-elle imprudente en se promenant ainsi ? Combien de mètres avant de retrouver la relative sécurité de son véhicule ? Et puis, après tout, qui pouvait lui interdire de flâner en compagnie de son ennui ?
Elle jeta un coup d’œil, rapide, par-dessus son épaule. Un autre sportif amateur de sprint, trop éloigné pour représenter un danger. Devait-elle le supposer la suivre ? Pas nécessairement, et il était facile de s’en assurer. Rien de plus compliqué que de retourner en bord de plage, de se rapprocher des voix qui arrivaient jusqu'à elle, d’avancer vers d’autres fous, en équilibre précaire sur leurs planches fragiles, sans pour autant signaler sa présence, s’isoler dans l’ombre et se perdre entre deux murs.
Elle déboucha au début d’une jetée, projection de terre et de pierres qui, tel le nez d’un espadon, déchirait les eaux ! Elle ne l’avait jamais vue. Et le chenal qu’elle délimitait ? Depuis quand ? Elle se promit de revenir en plein jour, de réapprendre sa ville.
Elle n’eut aucune hésitation à franchir la dérisoire barrière que formait une corde tendue entre deux piquets. Elle marchait sur une piste de sable, étroite, elle n’en finissait pas de suivre un chemin sur la mer.
Pour se découvrir vulnérable de ne plus s’y trouver seule, se devinant aisément accessible à une silhouette floue à vingt pas, qui, de toute évidence, ne se contentait pas d’user des semelles pour entretenir une forme physique.
N’éprouvant aucune peur véritable, elle amorça un demi-tour, de la même démarche tranquille, pour un retour à la lumière. Faisant ainsi face à l’homme qui sembla hésiter, sautilla un instant sur place, avant de tourner les talons, sans pour autant manifester une réelle intention de s’éloigner d’elle tout à fait.
Un risque potentiel ? Ou un individu trop timide pour l’aborder hardiment !
Mais il lui était facile de le surveiller, de guetter, pour mieux le prévenir, le moindre geste menaçant. Jusqu'à la zone éclairée, rassurante et surtout... assez proche pour révéler l’essentiel à son regard de myope.
Pourquoi toujours ne voir que l’aspect dangereux d’une situation ? Pourquoi ne jamais imaginer se trouver sous la discrète protection d’un esprit charitable, uniquement inquiet d’une solitude ? Un « Preux Chevalier Blanc » des temps modernes, soucieux d’une sécurité.
Comment lutter contre la subite hilarité qui monta en elle !
Julien Gauthier !
Elle n’opposa aucune résistance au rire qui la secouait, au point d’en laisser fuser quelques éclats dans la nuit claire.
Un merveilleux chevalier, en polo, short et... baskets !
Un Julien, qui ralentit l’allure, piétina un instant avant de s’arrêter tout à fait, à hauteur des pieux fichés dans le sol. Pour s’appuyer sur l’un d’eux tout en croisant les bras, montrant ainsi son intention d’attendre qu’elle le rejoignît.

 

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4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 23:38

 

- Hâtez-vous, lança Julien, je me refroidis, là !
- C’est tout ?
- Bien suffisant ! Que faites-vous ici ?
- Et vous ? Ce n’est pas possible, j’ai encore du mal à y croire.
- Dois-je vous pincer ?
- Essayez, pour voir ! Le distingué, le très élégant « J » Gauthier ! Vous êtes mignon tout plein dans ce short ! Un retour en enfance ? Vous avez oublié la pelle et le râteau ?
- Cessez de dire des sottises. Croyez-vous raisonnable de... traîner dehors, la nuit ?
- Traîner ? Surveillez vos expressions. Je me promène à mon rythme. Vous ne trouveriez rien à redire si je vous imitais !
- Au moins, il n’y aurait aucune confusion possible. Vous n’avez rien remarqué d’insolite ? Les deux individus, là-bas, dans ce véhicule, tous feux éteints !
- Et alors ?
- Cela fait un moment qu’ils vous surveillent.
- Oh ! J’ai peur ! Que voulez-vous qu’ils me fassent !
- Rien de bien important, sinon, contrôler votre identité.
- Des... c’est vrai ?
- Une situation très agréable pour Julie Castel, respectable personne, honorablement connue, et titulaire d’un poste névralgique dans une société d’échelle internationale.
- Alors... S’ils me voient en votre compagnie, ils vont s’imaginer que...
- Une nuit au bloc ! C’est ce qui vous pend au nez !
- Vous vous moquez de moi ! De plus, j’ai mes papiers, je peux prouver qui je suis. Il est tard, je rentre… Bonne continuation !
- Froussarde !
- Menteur !
- Nous sommes quittes ! Vous me raccompagnez ?
- Chez vous ? Vous n’avez pas de moyen de locomotion ?
- Bien sûr ! Mes pieds ! Mais je les sens un tantinet surmenés.
- Loin d’ici ?
- À trois tours de roues, nous sommes presque voisins. Il n’y a que quelques dizaines de numéros qui nous séparent, pas plus… mais je suis du côté impair.
- Depuis quand ? Je n’en savais rien.
- Il s’agit de l’appartement de ma sœur et de son oiseau voyageur de mari. Il a été muté pour deux ans en Belgique. Je m’y suis installé deux jours après... Lucciano !
- Vous livrez-vous souvent à ces... activités ludiques ?
- Autant que possible ! C’est le seul moyen qui me permette de satisfaire un éternel besoin de mouvement. Bon, on y va ? Il ne fait pas chaud de reste.
- Je veux bien vous prêter ma veste. Sa couleur jurera avec celle de votre culotte, mais ce sera mieux que rien ! Julien, à votre âge ! Vous tenez le coup ?
- Julie, vous n’amusez personne. Sur ce, bonne nuit et bon week-end !
    Il était sérieusement fâché ! Suffisamment pour la planter là avant qu’elle put réagir, et foncer tout droit en direction de la contre-allée. Pas très vite, mais encore trop pour qu’elle envisageât sérieusement de se lancer à sa poursuite ! De plus… de quoi aurait-elle l’air, en tailleur rose, à courir ainsi après lui ? À ce propos...
    Et les deux bonshommes ? Disparus… envolés !
Elle le savait : pure invention de la part de ce… de cet éteignoir ! Dans le seul but de la placer en position de faiblesse... Elle le parierait ! Et il n’avait aucun humour ! Alors là… se piquer ainsi pour une anodine boutade ! Elle n’en revenait pas !
En revanche, la température étant assurément des plus fraîches, le risque de s’enrhumer était considérable… surtout pour lui… tout transpirant et aussi peu couvert. Elle ne pouvait nier que, devant elle, Julien frissonnait ! Quelle idée, aussi, de galoper de ces heures au lieu de se prélasser dans un bon bain chaud !
Où avait-elle lu ou entendu qu’il ne fallait pas interrompre brutalement un effort physique intense ? Surtout par temps froid… Depuis combien de temps se dépensait-il ainsi ? Trop… bien trop ! Bien assez pour attraper le rhume du siècle ! Et combien encore pour remonter toute l’avenue ? Ce n’était là que pure folie ! Elle devait se hâter… le rattraper !
Elle se précipita vers son véhicule… pestant de le constater stationné dans le sens opposé à la direction à prendre, et n’hésita pas à commettre quelques infractions au code de la route plutôt que de perdre de précieuses secondes dans des manœuvres complexes…
Les hommes de tantôt ? Étaient-ils réellement partis ? Et s’il s’agissait vraiment de policiers en civil ? Il ne manquerait plus qu’elle se fit arrêter ! Voilà… elle, était sur la bonne voie, et lui, pas très loin… Là !
Ralentissant jusqu’à se maintenir tant bien que mal à son allure, elle baissa la vitre côté passager tout en l’appelant.
- Julien ! Montez !
- Pas question ! Rentrez chez vous !
- Il fait froid et vous risquez le pire !
- Je suis bien plus en sécurité sur ce trottoir que près de vous, allez… filez !
- Ne vous entêtez pas ! Je... je vous demande pardon !
- Vous dites ?
- Je suis désolée ! Sadique ! Vous aviez très bien entendu. Alors, vous venez ? C’est maintenant où jamais… les deux types reviennent.
- Où cela ? Arrêtez-vous, j’arrive !
    Julie ne stoppa que le temps de permettre à Julien de la rejoindre et démarra sur les chapeaux de roue !
- Hé, nous ne participons pas à un rallye ! Où sont-ils ?
- Qui donc ? Je vais mettre le chauffage en marche…
- C’est inutile…
- Vous avez la chair de poule !
- Continuez dans ce registre et je descends immédiatement !
- Mais c’est vrai ! Vous êtes glacé.
- Qu’en savez-vous ?
- Il fait tout juste dix degrés à l’extérieur, et le vent n’a pas dû vous épargner. Malgré ma veste, je n’étais pas totalement à l’aise. Alors, vous ! À quel numéro habitez-vous ?
- Au 467.
- Bien plus près de chez moi que je ne le pensais.
- Cela vous ennuie ?
- Non, je saurai qui appeler en cas d’ennui mécanique. Quant à vous… courir ainsi alors qu’il est près de minuit, et s’exposer à contracter une bronchite… une pneumonie ! Il y a un plaid à l’arrière, prenez-le.
- Julie !
- Je suis sérieuse et je ne supporte pas l’idée que quelqu’un souffre inutilement.
- Je vous assure que je vais très bien et... Nous y sommes, vous pouvez me laisser là... Atch...ii !
- Je le savais ! Vous avez de quoi vous soigner ?
- Elle est folle ! Pour un éternuement ! Atchiii !
- Deux ! Vous voyez ! Prenez un verre de lait bien chaud ou une infusion. Un grog serait parfait… et deux aspirines. Vous en avez ?
- Oui, docteur ! Ensuite ?
- Au chaud, sous d’épaisses couvertures.
- Je devrais en trouver. À demain, Julie ! ATCHHI !
- Vous ne voulez pas que... c’est de ma faute ! Attendez !
- Quoi encore ?
    Elle le retardait en discutaillant ainsi. Autant le laisser partir. Il était bien assez grand pour se prendre en charge sur ce plan-là ! Au fait, quel âge avait-il ? Elle en connaissait très peu à son sujet… Quarante ? Un peu plus ? Elle le saurait si elle avait pris la peine d’étudier ses références !
Il y avait bien eu un appel du Grand Patron, pour s’enquérir des premiers résultats obtenus par son « cher neveu, » - son neveu... rien que ça ! – et… il avait également exprimé un énorme soulagement de lui voir enfin renoncer à une vie mouvementée, aventureuse, toujours par monts et par vaux, et surtout particulièrement difficile. Dans quelle activité ? Dès demain, se renseigner là-dessus ! Qu’avait encore dit Ed ? Que Julien avait besoin de souffler un peu. Non… pas seulement... Il avait évoqué une contrainte, l’obligation de ralentir... pour en avoir trop fait ! C’était, hélas, tout ce qu’elle avait bien voulu entendre et retenir des confidences d’Ed Musslër, trop irritée par sa recommandation de mettre chacun à la disposition de son protégé dans la mesure du possible et à chaque fois que nécessaire.
À quoi elle avait fait la sourde oreille ! Pas question de se priver du scénario qu’elle avait mis en place à son intention.
Pour le moment, il n’était pas dans un état particulièrement brillant, et son oncle ne pouvait lui être d’aucune utilité. Elle, en revanche...
- Julien, je peux vous aider. J’ai une idée qui...
- Allez dormir, sinon, demain vous aurez les yeux cernés et tous les fards du monde n’y pourront rien !
- Les... quoi ! Vous... vous êtes pire que... Et puis, d’abord, demain, c’est samedi, il n’y aura personne pour me regarder ! Bon, je vous pardonne ! Vous aimez les bains à remous ?
- En cette saison ? Vous voulez m’achever.
- Non ! Je vous en propose un, bien chaud, parfumé à ce que vous voudrez, à l’abri. Chez moi !
- Je commence à m’inquiéter. Êtes-vous certaine de ne pas délirer !
- En tout bien, tout honneur, vous ne risquerez rien, parole de scout ! Il y a quatre chambres et vous choisirez la vôtre… je vous garantis une indépendance totale, vous ne me verrez pas, et demain, je vous le promets, vous serez remis à neuf.
- À neuf ? Je n’ai jamais cru aux miracles, douce Julie. Vous parlez sérieusement ? Atchiii !
- Encore ! On ne peut pas plus ! Assez de discussion, je vous emmène. Je ne vais pas vous laisser ainsi.
    De toute façon, c’était elle qui tenait le volant, elle qui dirigeait les opérations. Une chance… Pour lui !
- Julie, cessez de... Je n’ai jamais rencontré d’individu aussi déconcertant que vous ! Voilà quinze jours que vous m’usez à l’extrême, que vous me traitez ainsi que… que… il n’y a rien qui me vienne à l’esprit qui puisse illustrer une comparaison ! Je crois que vous montrez plus de considération pour le plus insignifiant de vos clients que vous ne le ferez jamais pour moi !
- Bien sûr, il paye, lui ! Si vous estimez que je vous ai surchargé de travail, il suffit de m’en parler, et fermez cette vitre !
- Je ne supporte pas l’odeur du tabac !
- Mais... vous fumez vous-même ! Je vous ai vu au bureau.
- Oui mais là… c’est à cause de l’espace trop restreint, et... d’un début de rhume. N’y faites pas attention et ne roulez pas si vite, je tiens à profiter encore un peu de la vie. Bon sang ! Je me demande ce que je fais ici ! Julie, ramenez-moi à la maison.
- C’est trop tard, nous sommes arrivés. En passant par le garage, vous aurez moins froid.
    Il ne la supportait plus ! Pour toujours vouloir diriger, régenter la vie de chacun ! La sienne principalement !
    Deux longues semaines à l’ignorer ou lui adresser la parole uniquement pour le presser à propos des dossiers qu’elle lui avait confiés.
Il vivait en pleine aberration… et cela dès le premier jour… Après s’être vu confiné dans une pièce étroite et mal éclairée… et que dire de cette table bancale sur laquelle il s’appliquait depuis à besogner tel un débutant... sans soulever la moindre objection !
L’obligeant ainsi à reconsidérer sa position, à lui confier des tâches plus intéressantes et des problèmes plus ardus... mais en multipliant leur nombre au-delà du tolérable. Il y avait consacré tout le dernier week-end… mais pour celui-ci… qu’elle n’y compte pas ! Lundi, elle attendra !
    Elle logeait au troisième étage… cela… il s’en souvenait !
Au fond, il commençait à s’amuser, et, autant le reconnaître, plutôt impatient de voir de quelle manière elle envisageait se conduire avec lui.
Espérant même retrouver très vite la Julie des jours passés pour pouvoir enfin lui démontrer qu’il savait et pouvait, aussi bien qu’elle, se révéler désagréable et impertinent.
    Elle s’inquiétait de la température ? Si elle pouvait imaginer à quelles conditions climatiques il avait dû se frotter avant de rentrer en France !
Que dirait-elle à propos de celles régnant, à cet instant même, sur les plates-formes perdues en plein océan, ces îles de fer et d’acier sur lesquelles ses missions le conduisaient pour de longues semaines d’isolement ? Et des tempêtes qui les ébranlaient jusqu'à leurs bases ? Encore que, lui, pouvait s’y considérer comme un privilégié, son boulot étant, de loin, moins pénible que pour tant d’autres.
    Son travail !
Combien il lui manquait ! Même en tenant compte du pire, même les soirs où il s’écroulait, épuisé, sur sa couchette, abruti de fatigue, de bruit, de confinement. Et de courir, déjà, sur un pont métallique, en rond, comme un rat de laboratoire pris au piège.
« Laboratoire », un mot qu’il voudrait effacer de son vocabulaire et oublier...
    Son nez le chatouilla de nouveau ! Il suffisait de s’éloigner un peu d’elle, geste essentiel pour que cela passe. En fait, il était allergique à son parfum !
    Celui que portait Suzanne, sa femme… enfin son ex… Lui aussi avait une « ex »… Et ce depuis bientôt... Combien de temps maintenant ? Deux ans…
Deux seulement ? 
Il lui semblait quelquefois que… qu’il y avait bien plus longtemps que cela… Pourquoi ces choses-là arrivaient-elles ?
Ce bonheur qui s’installait et puis qui devenait habitude… qui, un beau matin, - pourquoi beau ? - ne répondait plus à l’appel… et ce décor qui se faisait fade, terne, hostile. Jusqu'à désirer le fuir… et… Suzanne n’avait pas vraiment résisté.
Mais il était seul responsable de sa désertion… Sa faute, à lui, uniquement. Trop peu présent, pas tellement attentif, pas totalement amoureux. Sur une autre planète ! Cet échec n’était que le tribut à payer pour suivre la vie qu’il s’était choisie. L’addition lui avait paru autrefois un peu lourde, alors que... ce n’était peut-être qu’un premier acompte...
- Deux secondes et... Vous verrez, vous irez mieux très vite... voilà, nous y sommes !
- Serions-nous enfin dans « L’antichambre du Paradis » ?
- N’exagérons rien ! Voilà, entrez et prenez à gauche. Pour la salle de bains, c’est tout droit, la porte vitrée. À l’origine, elle était transparente… une idée de Gabriel… Mais après son départ, j’ai tout fait changer… Votre pudeur ne risquera rien, le verre est opaque désormais. Je m’occupe de la boisson chaude, vous devez être capable de vous en sortir avec quelques robinets et des boutons de réglage. Les serviettes... Dans le placard, juste à l’entrée. Avant choisissez votre chambre, je m’assurerai qu’il n’y manque rien. Que préférez-vous, un grog, du lait, une tisane ou du thé ? Je ne sais pas ce que vous aimez. Oh ! Nous avons oublié...
- Quoi donc ?
- De quoi vous changer ! Non ! Je devrais trouver quelques effets encore sous emballage. Gab en achetait toujours trop. J’ai vidé pas mal de placards, mais il en reste encore. Je les garde, parce que, quand il lui arrive de... quand il... Aucune importance. Tiens ! C’est amusant, je n’avais pas remarqué !
- Certains détails peuvent vous échapper ? Vous m’étonnez !
- Julien ! Je ne vous savais pas sarcastique à ce point ! Vous êtes de la même taille ! Que Gabriel ! Vous êtes un peu moins large d’épaules, pas autant le style «monsieur Muscle », mais, la stature est presque identique.
    Leur seul point commun ? Il l’espérait très fort !
- Alors, où voulez-vous dormir ? Dans une pièce bleue, rose... rétro ou moderne ?
- Dans un bon lit. Uniquement le lit a de l’importance.
- Et pour votre bain ? Je vous conseille de l’huile d’euca...
- Julie ?
- Oui ? Dites-moi et…
- Seulement deux petites choses : La première, vous informer que je ne suis pas un bébé que vous allez cajoler pour passer le temps, je sais ce qui ne va pas et j’ai l’habitude de me soigner sans aide aucune... pour la deuxième : du silence ! Rien de plus que du calme et du silence ! Parlez-vous toujours autant ?
- Je... Je vous laisse...
Elle fuyait ! Il était parvenu à la mettre en déroute... sa première victoire ! Qu’il regrettait déjà pour ne pas aimer du tout le trouble qui avait terni d’un voile triste l’or du regard sous les paupières mauves. 

 

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4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 23:37

 

Pour l’instant, autant savourer ce moment de répit et au diable le bain à bulles ! Rien de plus réconfortant qu’une douche suivie d’une friction énergique ! Ensuite, juste pour le plaisir de contrarier la péronnelle qui l’attendait à côté, retour chez lui.
    Sur le point de pénétrer dans la salle de bains, Julien hésita, surpris par le décor qui s’offrait à lui. Un endroit insolite, aux murs de miroir qui, à son avis, devaient instiller, à la longue, une sensation d’oppression.
"Notre belle Julie a un goût étrange… à moins qu’elle ne soit narcissique au point de ne jamais se perdre de vue… ou, surtout, irrémédiablement cinglée !" marmonna Julien, passablement agacé. 
Cette porte… comment l’imaginer en verre translucide ? « Une idée de Gabriel ! ». Soit !… Mais, le reste aussi ? Tel que pas de serrure pour protéger une concevable intimité, ni même un rideau derrière lequel isoler une légitime pudeur… Lui encore ?
Heureusement, peu à peu, la buée se chargea de recouvrir toutes ces surfaces polies, estompant ainsi son image reflétée à l’infini. Le spectacle devait être autrement agréable avec le corps ruisselant de la trop séduisante jeune femme qui s’activait à deux pas et... oserait-il se la représenter offerte aux jets brûlants ?
Du calme ! Ne pas oublier : Personne hautement dangereuse, à manipuler avec précaution. Une rincée d’eau froide, indispensable pour lui remettre les idées en place, et sortir de cette boîte à fantasmes !
Une grande serviette fera l’affaire, car il n’était pas question d’emprunter le peignoir pendu à portée de main… De toute évidence, celui de son mari... de son ex mari ! Indiquant, si besoin en était, qu’il partageait toujours la vie de Julie, au point de pouvoir s’y glisser à tout moment - aussi aisément que dans ce vêtement - et en droit de l’interroger quant aux raisons de la présence d’un autre homme... chez lui !
Pas que cela... Un rasoir, des produits incontestablement masculins.
Il s’attendait pratiquement à les découvrir humides, encore porteurs de la chaleur d’une main, de celle de Gabriel... Ce dernier était-il jamais sorti tout à fait de l’appartement ?
Et elle, qui lui disait vouloir rompre les liens la reliant au passé ! Les femmes ! Plus facile de traduire du chinois que de déchiffrer ce qui gravitait dans leur crâne !
Il était plus que temps, pour lui, de retrouver la sereine ambiance de son refuge provisoire.
- Julie ? Où êtes-vous ?
Où se cachait la maîtresse des lieux ? Qu’il regrettait avoir un peu malmenée mais… c’était le seul moyen d’endiguer ces flots de paroles !
    Pas question de s’aventurer sur le Prado en tenue d’Adam, un pagne autour des reins. À moins de risquer la camisole !
Il se promenait, à demi nu, dans un froid décor de marbre blanc qui n’avait rien à voir avec celui, brouillon pour trop d’extravagances, de la maison de sa sœur.
Seules touches de couleurs, une infinité de bouquets de fleurs, mais pas de celles qu’il pensait trouver. Ni fières roses pourpres, ni arums altiers, pas de glaïeuls arrogants, de lis majestueux ou de cannas exotiques.
Uniquement de celles qui se dissimulent, fragiles, délicates, dans l’ombre d’un sous bois ou d’autres, moins timides, qui s’aventurent à égayer les prés.
Même dans la cuisine… un énorme tournesol ! En cette saison ? Non, séché, avec soin. Qu’il eut envie de caresser… presque pour s’assurer de sa réalité.
- Ne le touchez pas ! Vous risqueriez de l’abîmer.
- Vous m’avez fait peur ! Sursauta Julien. C’est votre œuvre ?
- Je n’y suis pour rien, il est comme cela depuis l’été dernier ! Je n’ose pas même m’approcher de lui. Oh !
    Elle rougissait ! Elle savait faire cela ? Un homme pratiquement dévêtu pouvait la troubler à ce point ?
- Suivez-moi, vous n’avez pas vu le peignoir ? Il est... il est propre, vous savez.
- J’ai craint usurper les droits de son propriétaire.
- De… oh… fffff ! Je vois... Dans cette pièce, vous trouverez de quoi vous habiller. Je vous attends, dans le salon. Seigneur, Julien ! Votre dos ! Je... Excusez-moi. Je n’aurais pas dû… Je vous laisse…
- Julie ! Ne vous sauvez pas ! Ce n’est rien… un accident, sans plus. C’est si moche que ça ? Au point de vous effrayer ?
- Non, mais… c’est assez important pour en dénoncer la gravité… je… Prenez votre temps.
    Elle s’éloigna, trop émue pour parler davantage. Un accident ? Tout à fait récent, si elle se fiait à cette atroce blessure à peine cicatrisée et dont il devait souffrir encore… Et cet inconscient qui s’épuisait à courir, en pleine nuit ! Et elle, qui l’avait cruellement enseveli sous les dossiers, l’obligeant à se surmener ?
Elle aimait son torse ! Pas aussi large que celui de Gabriel, mais... quand même ! Qui révélait une énergie particulière, celle d’un individu accoutumé à exposer son corps aux intempéries, à la nature, qui s’y était endurci ! Et il savait se montrer tellement calme : L’attitude singulière des êtres confrontés à des situations difficiles, et aguerris à les dominer.
Elle l’entendit… Il arrivait… Il était déjà prêt et… Pas elle ! Pas encore en état d’affronter son regard…. Elle ne lui plaisait pas, il la tolérait à peine !
Et avec raison… n’avait-elle pas tout fait pour cela ? Alors ? Pourquoi s’en plaindre ou en être déçue ?
Dès les premiers jours, n’avait-elle pas repoussé, avec dédain, toutes ses tentatives pour instaurer entre eux des rapports amicaux ? Oubliait-elle le réduit qu’elle lui avait attribué ? S’était-il plaint… avait-il émis des reproches… des revendications ? Jamais ! Pas une seule fois… Des deux, c’était lui le plus courtois, le plus digne !
Encore là, devant elle, comment pouvait-il désirer lui sourire ?
- Julie, ça va ?
- Bien sûr, asseyez-vous.
- Non, c’est gentil de votre part, mais il vaut mieux que je vous laisse. Je n’aurais pas dû vous suivre jusqu’ici.
- Je comprends. C’est de ma faute.
- Pour être sincère, j’y ai été guidé par le désir de vous donner une bonne leçon, mais... il est plus sage d’en rester là.
- À cause de mon attitude de ces derniers jours ? Je vous dois des excuses.
- Acceptées ! N’en parlons plus. Je passerai demain vous ramener ces vêtements.
- Gardez-les, ou jetez-les ! Ils n’ont aucune importance.
- Vous croyez ! Votre Gabriel ! Il remplit l’atmosphère. J’ai l’impression de respirer sa lotion d’après-rasage ! À propos de parfum, je dois mes éternuements à celui que vous portez en ce moment. Rassurée ?
- Une banale allergie ? Oh… alors je… je n’en userai plus. C’est promis. De toute manière, il ne m’a jamais vraiment plu. Un choix de... Mais... il est tard et je vous retiens ! Venez... je... je vous raccompagne.
    À peine quelques pas, lentement... pas pressée de le voir partir, de retrouver sa solitude, le silence...
Le silence ?
La sonnerie du téléphone... Ainsi que chaque nuit. Un contrôle à distance.
- Allez répondre, je peux trouver la sortie...
- Non, c’est Gabriel. Une espèce de rituel pour lui.
- À une heure du matin ! C’est dingue ! Et si vous étiez en train de dormir ?
- Je supprime la sonnerie au moment d’aller me coucher. J’ai l’habitude. Au début, cela me perturbait, maintenant... je m’en suis fait une raison.
- Changez de numéro.
- Que croyez-vous ? Cela n’a servi à rien. Quelques jours de répit et le cœur un peu plus serré après un calme illusoire.
- Mon comportement de l’autre jour n’a pas dû arranger les choses, n’est-ce pas ?
- Ne vous inquiétez pas, pour cette fois, je tiens bon. C’est ce qui l’agace aussi fortement.
- Seulement cette fois-ci ? Vous n’en sortirez jamais.
- Je n’en sais rien. Bonne nuit, et... je pourrais vous prêter ma voiture ! Vous me la rendriez demain.
- Pas la peine, c’est à deux pas. Vous avez mon numéro ?
- Celui que vous m’avez donné pour votre dossier ? Oui, noté dans mon carnet. Avec les autres...
- N’hésitez pas à m’appeler, si besoin était. Dormez bien et n’ouvrez plus cette porte... à personne.
- Qui se fait du souci pour rien maintenant ? Promis. Allez, dépêchez-vous !
    Julien ?
Mal à l’aise de l’abandonner ainsi, pour la sentir désarmée, la savoir vulnérable. Mais quelques heures seulement, pas longtemps, bien décidé à revenir en milieu de matinée, après lui avoir laissé le temps de se dissimuler derrière l’un de ses masques de poudres et de crèmes colorées, se promettant d’essayer de comprendre, entre temps, pourquoi le bleu, pourquoi le mauve ! Les deux teintes entre lesquelles elle avait balancé tout au long des deux dernières semaines.
    Et Julie ?
Le cœur lourd devant les heures vides d’une nuit solitaire, triste d’être la cible, même si en étant responsable, d’une inévitable rancune en lui, elle demeura adossée à la porte, tournée vers un intérieur qui la glaçait chaque jour davantage… Ce à quoi… elle avait les moyens de porter remède !
Tout cet argent que ce bourreau de Gabriel virait sur un compte endormi ! Elle savourait déjà un goût de revanche : Elle allait l’employer et avec démesure !
Et ce sera lui qui financera son nouveau décor !
Chez lui ? Plus pour longtemps !
    Bonne nuit, Julien, et merci ! 

 

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