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PrÉSentation

  • : La Page de Reginelle
  • : Ce blog est une invitation à partager mon goût pour l'écriture, à feuilleter les pages de mes romans, à partager mon imaginaire. Des mots pour dire des sentiments, des pages pour rêver un peu.
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Création d'un FORUM
 
Naissance du forum "Chaque être est un univers", ici à cette adresse :
 
 
Créé en collaboration avec Feuilllle (dont je vous invite à visiter le Blog – voir lien dans la liste à gauche). Tout nouveau, il n'y a pas grand-chose encore, tout juste référencé... il ne demande qu'à vivre et à grandir. Chacun y sera le bienvenu.

Et puis, j'ai mis de l'ordre dans les articles, au niveau de la présentation... ça faisait un peu fouillis ! Quoique… je me demande si c'est mieux maintenant ! On verra bien à l'usage.
Alors maintenant, voyons ce que ce Blog vous offre :

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3 novembre 2007 6 03 /11 /novembre /2007 13:05
Je vous ai raconté comment maman nourrit les bébés canaris.

Ben, elle fait exactement la même chose avec tout ce qui, adulte, porte plumes !

Et ça, tous les voisins (si ce n’est TOUT le quartier) le savent. Ce qui fait que, dès que quelqu’un trouve un oisillon tombé du nid, il le mène directement chez nous et le remet aux bons soins de maman. Qui se transforme aussitôt en « mère porteuse ».

C’est à la chaleur de son corps qu’elle entretient l’étincelle de vie de ces fragiles déplumés, et avec une attention sans faille qu’elle les gave !

Jusqu’à ce qu’ils montrent assez de vitalité pour qu’elle estime le temps venu de les éloigner de son sein protecteur, pour les déposer dans un nid bien douillet, préparé à leur intention dans une cage qui leur est spécialement réservée.

Ho, ça ne marche pas à chaque fois et c’est, pour toute la maisonnée, un vrai crève-cœur lorsqu’elle ne réussit pas à en sauver un.

Et dans ces cas-là, la voilà qui creuse une petite fosse bien profonde dans l’un des pots de fleurs de la cour, qu’elle y dépose la petite carcasse inerte, puis la recouvre soigneusement et tasse bien la terre ! Quand elle n’en profite pas pour y glisser, suivant la plante déjà en place, une graine ou deux !

Parce qu’il n’est pas question de balancer aux ordures ce petit être innocent pour lequel elle a lutté ! Bien moins encore concevoir qu’il pût finir au menu d’un rat ! Ha non, alors !

Depuis que je suis en âge de me souvenir, nous avons eu le devoir, chaque année, de partager maman avec des « frères » volatiles. De passage, fort heureusement !

Car, sitôt adultes ou pour le moins assez grands pour se dépatouiller par eux-mêmes, la porte de la cage était ouverte et le restait.

Peu à peu nos miraculés se hasardaient à voleter dans la cour ! Dans cet espace semi-protégé, ils rencontraient leurs semblables, apprenaient à trouver leur pitance, et s’émancipaient progressivement de la sécurité de leur petite cage, osant aller plus haut qu’un toit, plus loin qu’un immeuble, qu’une rue... jusqu’à, finalement, prendre leur envol vers l’infini du ciel, bien loin de notre univers de terriens.

Oui, c’est ainsi que cela se passait toujours... excepté une fois !

Un moineau plus sot ou plus futé que ses prédécesseurs.

Qui n’est jamais parti !

Il faisait de longues promenades, très haut, très loin dans l’azur, mais il revenait toujours vers le confort de son refuge domestique.

Et pourtant, maman a tout tenté pour le rendre à sa liberté naturelle, jusqu’à enlever la fameuse cage, le privant en même temps d’un asile trop accueillant.

Ce qui n’a pas perturbé pour autant notre obstiné qui se posait et dormait, boule soyeuse, sur l’une ou l’autre des volières pendues aux murs de la façade.

Effronté au point de se glisser à l’intérieur de la maison à la moindre occasion pour s’y exercer à mille voltiges pépiantes

Finalement il est resté !

Nous l’avons adopté et baptisé P’titou (ben oui... ) et il a ainsi vécu dans une famille à deux pattes (comme lui !)

S’il passait la plus grande partie de la journée à l’extérieur, migrant d’un coup d’aile d’une plante à une autre, il était désormais naturel de le voir, à l’heure du petit déjeuner, sautiller sur le formica jaune de la table de la cuisine, entre bols et cuillères, en quête des miettes de nos tartines.

Ou bien venir picorer, toutes ailes battantes, un minuscule éclat de jaune d’œuf durci sur un bout de doigt tendu ou sur un coin de lèvre (la spécialité de maman).

Il fallait le voir grimper hardiment aux mailles des rideaux jusqu’à faire l’équilibriste sur les minces tringles d’acier.

Rien d’extraordinaire là-dedans, me direz-vous ! J’en conviens ! Mais... vous en avez vu beaucoup des moineaux en liberté dans une maison, vous ?

Chaque nuit le trouvait, tête enfouie sous une aile, sagement endormi sur l’une des cages couvertes de nos canaris.

Il n’y avait pas que des avantages dans cette cohabitation, il me faut bien le reconnaître !

Etions-nous, ma sœur et moi, assises à la table de la salle à manger, nos cahiers bien ouverts sur la toile cirée, et nous appliquées à nos devoirs du soir, que ce turbulent zigoto s’empressait de venir se poser sur un bras, trottiner sur une épaule, ou s’agripper à une chevelure.

Nous avions beau lui souffler dans les plumes (au sens propre des termes) rien n’y faisait. Une pirouette et il revenait à la charge, osant même à l’occasion parapher à sa manière et d’une encre « douteuse » une laborieuse page d’écriture !

Et comme, personnellement, cette page, il n’était pas question que je la recommence, ces pâtés malvenus m’ont valu quelques réflexions acides de Madame Béranger, mon institutrice du CE2.

J’aurais pu lui expliquer le pourquoi du comment mais... non... Un moineau comme compagnon de jeux... ce n’était vraiment pas le genre de personne apte à comprendre et moins encore admettre une chose pareille !

Et les chats vous exclamez-vous soudain ! Parce que si vous avez tout bien lu jusqu’ici, vous n’avez pas oublié que notre toit abrite également un, deux ou trois spécimens de la gent féline.

Hé bien, rassurez-vous, nos chats font bon ménage avec P’titou... Nous trouvions d’ailleurs très amusant de les voir dormir les uns à quelques pas de l’autre !

Le contraire eut mieux valu sans doute !

Car ainsi, notre petit ami aurait appris à s’en méfier, ou alors en aurait trouvé les lieux de beaucoup moins hospitaliers ce qui l’aurait poussé à s’en éloigner...

Parce que un soir...

Oui... un soir... P’titou voletait dans la cuisine ! Il y a eu le ronronnement de la moto de papa, annonçant son retour... Papa a ouvert la porte mais, par cet accès soudain offert, quelque chose l’a devancé, une masse de poils qui s’est propulsée à l’intérieur de la pièce... vive comme l’éclair et... les feulements de nos gentils matous domestiques devant cette intrusion sauvage... et nos hurlements !

Un affolement total aiguilloné par une angoisse sans nom ! Nos piétinements, nos gestes malhabiles et impuissants à arrêter une violence aveugle et meurtrière... et P’titou a filé vers un placard ouvert, s’y est engouffré poursuivi par une gueule béante...

Je revois la main de papa, encore enfermée dans l’épais gant de moto de cuir noir, se saisir de la porte du placard, la rabattre avec une force terrible sur le corps ramassé du prédateur... j’entends toujours mon cri :

- « Tue-le ! Tue-le ! Tue-le ! »

Combien je me souviens encore de cette rage hystérique qui s’était emparée de moi, celle qui nait du désespoir !

Et puis papa a relâché le battant de bois, il s’est penché sur le corps inerte du chat et il a délicatement dégagé la douce et chaude carcasse de notre P’titou d’entre les machoires ensanglantées... un P’titou qui ne volerait plus jamais...

Nous avons tous pleuré ! Un vrai et profond chagrin...

Et, en moi, une colère infinie contre cette injustice atroce !

Mais alors que je vidais mon cœur, que je me réjouissais de la mort de l’auteur de cet acte barbare, que, entre deux sanglots, je remerciais papa de l’avoir si justement puni, il a hoché tristement la tête en me disant qu’il n’avait jamais eu l’intention de faire ça !

Le retenir, le coincer... à la limite l’assommer... oui... mais pas le tuer !

Devant mon début d’indignation il a souligné que ce qui s’était passé là était absolument normal. Que les chats coursent logiquement les oiseaux, et qu’il ne fallait pas voir en cela un signe de cruauté !

Que, la nature étant ainsi faite, tous les animaux sont à un moment donné, chacun la proie d’un autre.

Que, à la limite, pour avoir domestiqué un oiseau au point d’éteindre en lui tout instinct de prudence, nous étions, nous, davantage coupables que ce pauvre matou qui n’avait fait qu’obéir au sien propre... de chasseur !

Il a avoué ses regrets pour, poussé par une angoisse égale à la nôtre, ne pas avoir su mieux se contrôler.

Que le chat ne méritait pas plus la mort pour avoir voulu gober notre P’titou que le boucher qui abat, pour nourrir ses clients, un bœuf tendrement élevé par une fermière.

Et à mon « Papa ! Mais c’est P’titou que ce monstre a tué, ce n’est pas n’importe quel oiseau ! »

- Justement, Brunéline... pour lui, ce n’était qu’un oiseau comme un autre !

C’est ce jour-là que j’ai pris conscience que tous, autant que nous sommes, nous ne comptons pas, nous ne sommes rien.

Et que si nous devenons un jour importants, précieux, essentiels pour quelques-uns, c’est par l’amour que nous leur portons et par celui que nous recevons d’eux.

Peu de temps après ce drame, papa maman m’ont offert le Petit Prince...

Je l’ai toujours... un des trois ou quatre livres, avec le Chat Botté, qui m’ont suivie partout.

Je le lis encore souvent. Et... je ne sais pourquoi... sa lecture m’apporte à chaque fois une émotion différente.

Suivant que j’ai le cœur lourd ou léger.
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3 novembre 2007 6 03 /11 /novembre /2007 13:00
Notre maison comporte huit pièces, toutes en rez-de-chaussée, et ouvre sur une grande cour cloisonnée de béton au centre de laquelle est posé un grand lavoir à deux bacs. Maman a une machine à laver, de la meilleure marque sur le marché, super perfectionnée et tout ! Mais... elle fait très souvent les lessives à la main, dans ces bassins, avec brosse et savon, sur une vieille planche de bois gondolée, érodée par l'usage. Hiver comme été ! Par économie, je crois, mais aussi parce que, de son avis, c'est ainsi qu'il faut laver le linge. Joachine et moi, parfois, nous l'aidons... un peu... mais seulement quand il fait chaud, très chaud ! Ben oui ! Tiens ! Je voudrais vous y voir, vous ! En plein cœur de l'hiver ! Et mettre vos mains dans une eau glaciale ! C'est un vrai lavoir, et il n'est pas branché à un cumulus d'eau bouillante !

Une tâche nous est assignée à ma sœur et moi ! Celle d'arroser les plantes. Non, pas avec un petit arrosoir -cela nous prendrait trop de temps- mais avec un long tuyau branché au robinet du lavoir. Un très long tube gris, que j'ai toujours connu fendillé.

Parce que des plantes... il y en a ! Des géraniums et pélargoniums à foison, des rouges, des roses, des blancs, des bicolores, et des simples, et des doubles ! Mais aussi des asters au cœur souffre et aux collerettes mauves, bleues, jaunes... Des dahlias aux parfaites boules oranges... D'énormes pivoines cramoisies, aux pétales géants... de hauts iris bleu outremer mouchetés d'or, des roses pâles griffés d'ocre... des narcisses jaune d'or, des blancs éclaboussés de soleil... Des clématites échevelées... Des arums à grandes cornettes blanches... d'autres à grandes feuilles marginées de blanc et aux épis serrés de baies rouge orangé... des ancolies aux coupes bleu nuit serties de violet sombre... Des bégonias à floraison simple, allongée ou retombante... des touches de blanc, de rose, de rouge, de jaune, d'orangé... avec des tons pastels ou vifs... et des doubles, des frisés... aux fleurs de camélia ou de rose au bout de leur tige grêle et cassante... au-dessus de feuilles d'un vert brillant, légèrement lobées et dentelées... Des massifs de roses à l'assaut des murs et deux buissons de belles de nuit... un de chaque côté de la porte d'entrée... Des belles-de-nuit jaunes, rouge magenta, blanches... des pétales unis, bi ou tricolores avec de longues étamines jaunes... et de petites boules noires. Leur parfum embaume la cuisine, le séjour... Sans oublier l'énorme camélia... ROUGE... Ce camélia ! Il n'a pas de chance ! Je lui suis tombée dessus une fois, à la suite d'une de mes échappées sur le toit... et depuis, il est d'une santé vacillante... mais en plus, comme il bloque une fenêtre de la maison, papa gronde et râle à chaque fois qu'il doit le déplacer pour pouvoir fermer les volets à l'occasion d'une longue absence. Le déplacer ? Ben oui... parce que tout cela est planté dans des pots !

Des grands, des petits, les seconds parfois sur les premiers, l'un en équilibre entre deux autres... des en argile, des en plastique, des métalliques... dans un véritable fouillis... un enchevêtrement de tiges, de feuilles, d'arômes... une mini jungle recouvrant le sol et en dissimulant l'austère platitude du ciment. Un jardin mobile qui occupe la plus grande partie de la cour, et qui recouvre aux deux tiers la façade de la maison.

Façade à laquelle sont suspendues les cages des oiseaux.

Deux couples de bengalis, deux autres de perruches, et... des canaris !

Des dizaines de canaris ! Parce que ces volatiles s'unissent... se reproduisent... ils font des nids ! Ils s'accouplent ! Pondent des oeufs... qui éclosent... d'où sortent de petits monstres à la peau transparente au rare duvet, aux yeux globuleux et au bec démesuré. Un bec plus gros que leur tête, déjà ouvert à peine nés, quémandant une pitance jamais suffisante ! Et ces extra terrestres grandissent... deviennent canaris... mâles et femelles ! On ne peut pas choisir ! Et ça piaille ! Ça piaille sans arrêt ! Bon, ça chante aussi... mais seulement quand ils sont grands ! Une couvée, passe encore ! Mais cinq, six... dix ! En même temps ! La cour n'est qu'une immense volière compartimentée à volonté suivant les envies de maman!

Et elle les connaît tous ! Un par un ! Et lequel a une patte un peu tordue... et celui qui module quelques notes bien particulières dès qu'elle approche de sa cage... et ces deux qui ne se supportent pas et qu'il est important de séparer suffisamment pour qu'ils ne se voient pas ! Cette femelle qui ne fait que des oeufs "clairs"... faudrait peut-être penser à changer le mâle... lui en proposer un autre... Cette autre qui refuse de s'occuper de ses petiots... Voir s'ils sont à terme et préparer une pâtée spéciale pour les nourrir !

Parce que maman les nourrit ! Avec une allumette taillée elle prélève un peu de cette pâtée dont elle a le secret et gave ces petits corps l'un après l'autre, une fois, dix fois, cent fois ! Repas qu'elle termine, pour tous, en glissant au fond du gosier quelques gouttes d'eau à l'aide d'une pipette.

Chaque matin, avant toute chose, maman sort et suspend les cages, et chaque soir, dès les premières ombres, elle les rentre dans la cuisine. À cause des chats errants. Nous avons des chats, mais les nôtres sont civilisés ! Ils ne touchent pas aux oiseaux de maman ! Il leur arrive même de dormir sur l'une ou l'autre cage... Des masos qui s'imposent le supplice de Tantale... ou bien de bons gros chats bien gentils qui veillent tendrement sur leurs petits compagnons... ou encore trop bien nourris, trop gras et trop paresseux pour désirer entretenir un fatigant instinct de chasseur... quoique non... puisqu'ils chassent quand même les moineaux ! Mais il est vrai que ces derniers sont sauvages, étrangers au cercle familial !

Les canaris de maman ! Et le nettoyage de leurs déjections ! Ce qui se fait dans une pièce bien fermée pour éviter toute évasion ! Je n'y mets jamais un doigt ! D'ailleurs je suis incapable d'attraper un seul oiseau ! D'abord, ils volettent de tous les côtés dans un grand charivari d'ailes affolées, et ensuite, j'ai trop peur de les blesser ! Et puis, avec maman, ils se laissent faire, alors ! Et en plus, ses mains sont plus grandes que les miennes !

En revanche, je veux bien m'occuper de l'épouillage des bâtons. Oui, les bâtons ! Des baguettes de bambou, bien rigide... que l'on dispose entre les barreaux et sur lesquelles se perchent les canaris ! Et comme ces baguettes sont très souvent partiellement évidées, il arrive que des poux y nichent. Oh ! Ce n'est pas très difficile, il suffit de tapoter fortement les pointes des baguettes contre une surface dure et voilà... ça fait peur aux poux et ils s'en vont. Mais il ne faut pas le faire n'importe où !

Nous avons une grosse, grosse, grosse cuisinière à charbon et à bois, qui chauffe toute la maison. Il y a toujours deux ou trois hauts fait-tout, pleins d'eau, sur la grande plaque de fonte brûlante. De temps en temps maman y dépose aussi un ou deux larges zestes d'orange dessus, et l'air se charge de leur parfum.

Hé bien, c'est sur le dessus de cette plaque, sur l'endroit le plus chaud, qu'il faut tapoter les bambous ! Et les poux qui cherchent à fuir tombent et brûlent ! Comme ça, ils ne risquent pas de revenir !

C’est quand même un sacré travail ! Beaucoup de travail qui occupe maman une grande partie de la journée ! Entre ses plantes et ses canaris… elle est souvent débordée !

Et puis, une multi-volière, c’est bruyant ! Essayez d’écouter une chanson qui passe à la radio ! Ben faut monter le son au maximum… Et les émissions à la télévision ! Bruitage assuré, mais pas vraiment en harmonie avec les images. Une scène de duel, au soleil du far west, aux trilles d’une chorale en livrée jaune, ça perd quand même de son charme ! Roméo qui déclare sa flamme à Juliette aux jacasseries de quatre perruches bavardes, ça perd quand même de son intensité poétique.

Alors il faut se dépêcher de couvrir les cages avec des housses opaques taillées sur mesure pour retrouver un peu de silence !

Ce fond sonore je l’ai dans les oreilles depuis que je suis née, je vais l’avoir ainsi durant des années encore…

Toute symphonie, toute ballade, tout spectacle aura ce bruitage incongru… Et je sais déjà que quand je serai grande, je n’aurai pas de canari !
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10 septembre 2007 1 10 /09 /septembre /2007 04:42



Mon collège !
Il faut absolument que je vous parle de mon collège !
Un C.E.G… un Collège d’Enseignement Général !
Un C.E.G. dans lequel nous entrions au C.P. et dont nous sortions avec un BEPC en poche à la fin de la troisième ! Enfin, celles qui parvenaient à le décrocher !
Savez-vous qu’il existe encore de nos jours, (mon collège ! Pas le BEPC )…
Le bâtiment se dressait - et se dresse donc encore - sur le boulevard Extérieur. Extérieur à quoi ? Je ne l’ai jamais su… tout comme je n’ai jamais entendu parler d’un boulevard Intérieur. Ben oui… s’il y a un dehors c’est qu’il y a un dedans ! Logique !
Ce nom « Extérieur »… combien il était symbolique à mes yeux !
Nous entrions dans le collège par une porte de bois au vernis soigneusement entretenu, aussi haute que large, qui ouvrait sur un grand hall. A droite, le logement du concierge, redoutable cerbère qui m’a longtemps terrorisée ! A gauche un mur aveugle sur lequel étaient vissés divers tableaux d’affichage… Horaires et règlement intérieur, emplois du temps de toutes les classes et menus de la cantine, notes particulières et autres directives étaient ainsi aimablement portés à notre connaissance dès les premiers pas. .
En face, tout au bout, une autre grande porte, vitrée celle-ci et à double battant. Qui donnait sur l’intérieur de l’établissement… direct sur la cour agrémentée d’une dizaine de platanes et offrant l’abri relatif de deux étroits préaux.
Une grande cour bien carrée cernée, au rez-de-chaussée par le bureau de la directrice et les classes du primaire, du C.P. au C.M.2, à l’étage par celles du collège, de la sixième à la troisième, sans oublier le laboratoire !
J’aimais infiniment cette école. Je crois que, dans ce domaine, j’ai eu beaucoup de chance.
Un collège c’est, de beaucoup, moins « impersonnel » qu’un lycée. Et de surface, de proportions moins importantes ! Ce qui signifie aussi un nombre d’élèves moindre. Oh ! Nous étions bien entre vingt-cinq ou trente par classe, dans le primaire… moins nombreux cependant dans celles du collège.
De plus c’était un collège de filles !
Oui, pour filles et que pour des filles ! Un collège non mixte, quoi ! C’était comme ça, de mon temps… heu… avant !
Bon… Mixte, il l’est maintenant ! Pauvre Mademoiselle Sarraire ! Heureusement qu’elle était déjà retraitée lorsque c’est arrivé !
Qui est Mademoiselle Sarraire ? Ho ! C’est vrai ! Je ne vous en ai pas parlé ! Je n’ai fait qu’évoquer son bureau, plus haut ! Grossière omission !
Un dragon, que Mademoiselle Sarraire ! Juste ce qu’il fallait pour être nommée directrice d’un pareil établissement scolaire !
Mademoiselle, cela sous-entend « célibataire »… Une vieille fille, quoi ! Détail tout à fait secondaire, et gare à qui ironiserait dessus ! Parce qu’il est défendu de s’y laisser aller à propos de Mademoiselle Sarraire, et surtout en ma présence, présence tant réelle que virtuelle ! Compris ?
Imaginez une femme de haute taille, à la mine sévère sous des cheveux gris. Des cheveux courts mais pas trop et toujours impeccablement coiffés.
Aux pieds, pas d’escarpins, pas de talons aiguille ! Jamais ! Et encore moins de sandales ! Jamais un orteil à l’air ! Uniquement des trotteurs lacés ou des mocassins… Et des bas ! Des bas, clairs et épais… du premier au dernier jour de l’année scolaire !
Des tailleurs gris souris, bleu marine, marron châtaigne, terre de sienne naturelle ou beige sable. Pas la même coupe pour tous ces ensembles mais d’une telle égale austérité que nous avions l’impression qu’il s’agissait du même modèle taillé dans des étoffes de couleurs différentes.
Des vestes bien épaulées et étroitement cintrées, longues jusqu’aux hanches, sur des jupes droites ou à plis plats… et jamais au-dessus de mi-mollet !
Et des chemisiers ! Blancs ou écrus, uniquement ! Seuls éléments vestimentaires dénonçant une certaine fantaisie au travers de jabots mousseux, de cols-cravate joliment noués, de poignets discrètement ourlés de fine dentelle.
Autour du cou, une épaisse et longue chaîne d’or avec pour unique pendentif une petite montre dorée. Sans doute pour la faire plus accessible !
Un maintien fier et droit pour une mince silhouette. Pas maigre, pas sèche… un peu osseuse peut-être… mais pas comme celle d’un mannequin affamé… non ! Une silhouette normale, quoi !
Ho la la ! Mademoiselle Sarraire c’était la parfaite illustration de l’expression : « une main de fer dans un gant de velours »… quoique… en fait de velours, envisagez plutôt du tweed… ou tout autre étoffe davantage solide que douce !
Elle exerçait une surveillance de tous les instants ! Dès l’ouverture des portes qui se faisait bien avant l’heure des cours. Et pas question de lambiner sur le boulevard, d’attendre les dernières secondes pour entrer dans l’école ! Les portes ouvertes, il nous fallait les franchir sans attendre, quitter un espace urbain de périlleuse liberté pour un enclos sécurisé. Dans lequel rien de grave ou de glauque ne pouvait nous atteindre !
Mademoiselle Sarraire se tenait sur le seuil, dès le premier son de la cloche, et gare à qui était surpris à se dissimuler derrière un platane ou entre deux véhicules en stationnement. Gare à celle qui se faisait prendre avec une cigarette ! Ou à flirter !
Pas moyen d’échapper à son œil de lynx !
Et elle nous connaissait toutes ! Nom, prénom, classe… et plus que cela encore ! A se demander si instituteurs et professeurs ne lui fournissaient pas chaque jour un rapport minutieusement détaillé sur chacune de nous ! A se demander si elle ne nous connaissait pas mieux que nos parents… mieux encore que nous ne nous connaissions nous-mêmes ! Rien ne lui échappait ! Rien ne lui était secret !
En toute logique, me direz-vous, toutes ces années du C.P. à la troisième lui donnaient largement le temps d’apprendre ce qui nous concernait individuellement dans le moindre détail ! Oui… sans doute ! Et peut-être aussi, prenait-elle le temps d’étudier soigneusement nos dossiers lui arrivant de la maternelle !
De plus, pour la plupart, nous étions « les enfants du quartier ». Quartier dans lequel elle résidait elle-même. A deux pas de l’oisellerie dans laquelle nous nous procurions graines et os de seiche pour les canaris de maman.
Ha ! Les canaris de Maman ! ... mais ça... c'est une autre histoire !
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16 décembre 2006 6 16 /12 /décembre /2006 16:38


Mademoiselle Fornéris… mon institutrice en classe de C.M. 2… Le cours moyen 2ème année… Que j’aimais beaucoup… J’aimais les deux : Le C.M.2 et Mademoiselle Fornéris… Jusqu’à un certain jour.
Oui, je l’aimais bien, notre maîtresse…
Combien elle nous en imposait, assise face à nous, derrière son bureau surélevé par une haute estrade !
J’ai encore en mémoire un portrait que je pense assez fidèle. Une femme courtaude et ronde… Un visage plein au teint mat, des lèvres minces rouge coquelicot, un nez tout à fait ordinaire pour ce que je pouvais en juger à mon âge.
Une vilaine caricature d’une cinquantaine bien enrobée.
De petits yeux cachou et opaques comme une nuit sans lune, mais qui s’éclairaient d’une curieuse lueur dès qu’ils épinglaient l’une de nous… Je n’aime pas les petits yeux… enfin, ils ne m’inspirent pas confiance.
Des cheveux noir de jais tirés et serrés en boule au-dessus de la nuque. Si noirs que nul ne pouvait y discerner l’encre qui s’y déposait à chaque fois qu’elle y essuyait une longue règle carrée. Suprême insigne d’une autorité sans faille dont, à l’occasion, elle nous menaçait et, plus souvent, fustigeait les doigts tremblants que, sur son ordre, nous tendions obligeamment pour nous acquitter d’une quelconque bêtise.
Ce geste de tremper une plume dans un encrier, d’en tracer un trait au fil de ce guide rigide, de soulever ensuite cette baguette métallique en la tenant par une extrémité, de la mener au-dessus des mèches luisantes, de l’y poser, et de la faire glisser tel un archet sur les cordes d’un violon… consciencieusement...
Oui… Ce geste me fascinait… Combien de fois me suis-je demandé quelle teinte prenait l’eau quand elle se lavait la tête…
Et comme, en ces années-là, nous écrivions à l’encre noire, nous, ses élèves, gamines effrontées, faisions courir le bruit que c’était une façon toute personnelle de cacher d’éventuels filets blancs à moindre frais. Ce dont, en vérité, nous étions intimement persuadées.
C'est vrai… J’aimais bien Mademoiselle Fornéris… même après qu’elle m’eût « humiliée » devant toute la classe.
Oui, moi l’élève attentive. Pour rien ! Alors qu’elle essayait de nous expliquer l’expression « regarder les mouches voler au plafond »… Elle était là, avec ses mains qui voletaient, qui s’agitaient… et moi je suivais si bien leurs mouvements que mes yeux se sont machinalement levés vers le ciel… très vite rappelés à l’ordre par un « Regardez Brunéline qui cherche les mouches ! »…
C’était stupide de sa part ! Parce que j’étais vraiment une élève attentive ! Bien assez du moins à cette époque. Que j’ai continué à l’être encore un temps est tout à mon honneur… elle n’en méritait pas autant !
Oui, je l’aimais bien… malgré tout… jusqu’à un certain jour.
Un jour de pluie… oui, nous en avons ici aussi dans le Midi.
Un jour d’hiver… il me semble que c’était en hiver… pour le moins en fin d’automne. Il ne faisait pas chaud de reste, cela j’en suis certaine.
Un jour froid et pluvieux, en milieu d’après midi, après la récréation durant laquelle nous avions pataugé dans les flaques de la cour, dédaignant l’abri des préaux et platanes.
Nous étions donc en classe, assises à nos pupitres. Et voilà Mademoiselle Fornéris qui se dresse sur son estrade, en descend presque courant et se précipite dans une travée. Et nous, toutes, figées de terreur. Droit vers moi, raide et silencieuse, m’attendant au pire…
Mais non ! Ouf ! Elle passe, va plus loin… J’ose la suivre du coin de l’œil, l’observe qui s’arrête deux rangs plus loin, se penche, ramasse je ne sais quoi puis se dirige vers la porte qu’elle ouvre grand ! Et la voilà qui lance vers l’extérieur, à toute force, en plein milieu du sol détrempé… une paire de chaussures !
Et se tourne vers nous, intimant à… à qui était-ce ? Elisabeth ? Gisèle ? … Non, Roselyne ! Il me semble bien que c’était Roselyne. Une grande, avec des cheveux courts… brune… que je n’appréciais pas particulièrement… pas une amie, quoi !… je disais donc intimant à Roselyne de se hâter d’aller les récupérer… et de ne jamais plus les retirer !
C’est ainsi que j’ai commencé à détester Mademoiselle Forneris ! Seulement de voir cette pauvre fille en chaussettes, pleurer… et s’exécuter !
Ce fut ce jour-là que, dans le secret de mon subconscient, germa une première et timide graine d'indignation.
Ce fut ce jour-là aussi qui vit le début du déclin de mon attention en classe.
Il en faut quelquefois de si peu !
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16 décembre 2006 6 16 /12 /décembre /2006 16:37



Il se passe quelque chose de bizarre et de pas drôle du tout !
Les voisines qui résident dans la cour mitoyenne à la nôtre ont coutume de venir voir maman de temps en temps mais depuis quelques jours leurs visites se font plus fréquentes et durent plus longtemps.
De plus, d’ordinaire, entre elles, il est généralement question de couture.
Ben oui, maman coud ! C’est elle qui réalise les jolies robes que Joachine et moi portons et, à l’occasion, elle exécute quelques petits travaux pour rendre service.
Une des pièces de la maison est d’ailleurs entièrement réservée à cette occupation ! Une sorte d’atelier où, au cœur d’un désordre indescriptible de bouts d’étoffe, de fils, de boutons, trônent deux machines à coudre, l’une électrique flambant neuve, et l’autre à pédale ! Là aussi, que ces dames procèdent à leurs essayages et, derrière la porte close, souvent des rires fusent !
Or, des rires, justement il n’y en a plus !
En revanche, ça chuchote et ça renifle ! Ça se tait dès que nous approchons, ma sœur et moi ! Et ça secoue la tête comme âme résignée, et ça se perd en longs silences. Plus encore, voilà que, à la troupe turbulente que nous formons, nous, les gosses du quartier, ça demande de moins courir, d’être moins bruyante.
Michel, le plus âgé de la bande, lâche un jour : « c’est la vieille Luise, elle va claquer ! »
Ô Michel, toujours au fait de ce que nous, menu fretin, nous ignorons ! Mon héros !
Mais de quelle Luise s’agit-il ! De la « sorcière » ? Celle qui nous fait déguerpir dès que nous faisons mine d’installer nos dînettes de plastique et de céramique sous la fenêtre de sa chambre ? Celle qui ronchonne sans cesse dans sa barbe ? Car elle a le menton poilu ! De longs poils gris et frisés qui tremblotent et ondulent aux crispations sporadiques de sa mâchoire édentée !
Luise invariablement de noir vêtue, dont le profil se dessine aux plis de rideaux à demi tirés, dont les petits yeux épinglent le moindre de nos gestes ! Ombre à l’affût pareille à celle de l’un de ces êtres maléfiques dont je raffole en bandes dessinées, mais qui, pour être de chair, en est bien davantage terrifiante.
La vieille Luise, sœur jumelle de la cruelle fée qui traque Blanche Neige jusqu’au plus secret de la forêt des 7 nains, au visage aux mille rides, au dos voûté, aux mains aussi noueuses que des serres de gargouille, déjà présente au plus ancien de mes souvenirs, inspiratrice de terreurs délicieuses, objet de victoires aussi éclatantes que secrètes... Et ce serait cette Luise-là qui va « claquer » ?
- Et elle va claquer quoi ? M’entends-je demander d’une voix étreinte d’horreur, regard déjà à la dérive sur les joues alentour, et très inquiète pour les miennes !
Une ignorance pareille, avouez que ce n’est guère flatteur pour un ego de sept ans ! Et moins encore le fou rire moqueur que déclenche en Michel ma naïve question. Ce qui écorne quelque peu sa glorieuse auréole !
Bien assez pour que je m’esquive sur-le-champ, le rouge au front ! Vexée à la vie à la mort, Brunéline !
Et puis, au cœur de la matinée, des dames ont appelé Maman ! Elles étaient deux ou trois sur le seuil ! Il me souvient davantage de l’urgence que du nombre. Et Maman a couru et moi, j’ai suivi... Machinalement !
Jusqu’à une pièce noire de monde, si pleine que je me suis collée au mur, me déplaçant discrètement vers une porte entrouverte que j’ai passée pour mieux me cacher ! Tout droit dans l’antre de la Fée Carabosse !
Une Carabosse bien immobile et toute ratatinée, aux yeux clos sur son monde de ténèbres, à la bouche béante sur un gouffre sans souffle ! Si petite, si fragile ! Que j’en ai oublié d’avoir peur tellement elle semblait inoffensive, ainsi endormie dans la sereine pénombre.
Je ne sais combien de temps je suis restée debout, près du lit, devinant confusément que quelque chose n’allait pas. Jusqu’à ce que j’y sois découverte par maman qui, sans plus de cérémonie, m’a envoyée dire à Papa qu’elle était retenue là.
Que la journée a été longue ! Combien les heures mettent de temps à s’égrener lorsque des tas de questions se pressent sur un bout de langue et sans quelqu’un à qui les poser !
Et ainsi jusqu’à la nuit tombante où il a fallu encore attendre de rentrer les cages des canaris, de mettre la table et de s’y poser. Et là, avant même de plonger la cuillère dans le bol de soupe...
- Qu’est-ce qu’elle a, Luise ?
Une interrogation qui, bien qu’ouvrant la voie à une infinité de réponse, n’en reçoit qu’une seule, pleine d’une vérité directe.
- Elle est morte ce matin, me dit Maman sans sourciller.
Morte ? La Mort ? Cette chose que je rencontre au hasard de certains contes ? Comme celle de la grand-mère du Petit Chaperon Rouge, bien vite réparée par le chasseur qui la rend à la vie en ouvrant le ventre du Méchant Loup ?
Toutes ces morts tissées aux fils de l’imaginaire ne sont en rien tangibles, sinon trépas livresques !
Et voilà que dans ma tête s’enchevêtrent mille déductions, que s’ébauche une triste conscience.
- Elle est morte... pour de bon ?
- Oui, Brunéline ! Quand quelqu’un meurt, ce n’est pas pour « de faux » !
- Pourquoi ?
Ah, ce mot ! Je ne voulais pas le prononcer, redoutant par avance une évidence que désormais je ne pourrai plus refouler, une réalité que je lis déjà dans le triste coup d’œil qu’échangent Papa Maman.
- Parce qu’elle est arrivée au bout de sa vie, parce qu’elle était très vieille, usée et fatiguée. C’est comme ça, tout le monde vieillit et on n’y peut rien !
Ô Maman ! Toutes les vérités sont-elles bonnes à dire ?
Ne vois-tu pas cet abîme d’effroi dans lequel tu me jettes ? Ne devines-tu pas que mon pauvre cerveau, lui, en a terminé de déduire, qu’il a déjà tout compris !
Parce que sept ans, ce n’est pas beaucoup ! C’est très court. Et puis « l’âge », ça ne veut rien dire, ça ne compte pas quand on a 7 ans ! Grandir est peu de chose car il est logique de le faire pour des enfants... Les enfants savent qu’ils grandissent, d’ailleurs ils disent toujours « quand je serai grand »... Mais ils ne disent pas « Quand je serai vieux »... bien moins encore « Quand je serai mort ! ».
Il n’y a que peu de "vieux" autour de moi, quelques grands-parents de camarades, mais pas chez moi ! Chez moi, je ne connais que Maman Papa et Joachine !
J’ai vu grandir Joachine, née alors que je n’étais moi-même qu’un bébé à peine sorti des langes. Et rien de plus normal que nos évolutions parallèles en taille et en poids ! Rien en cela qui ne m’ait jamais interpellée !
Comment aurais-je pu voir « vieillir » une Luise déjà pruneau desséché à l’aube de mes premiers pas ! Les mêmes cheveux gris retenus dans un chignon en bataille, les mêmes robes longues et informes sous un tablier d’un noir immuable, la même voix éraillée qui nous coassait ses invectives dans son patois calabrais qui nous demeurait incompréhensible...
Et de la voir, saison après saison, égale à elle-même, comment aurais-je pu concevoir que mes parents pouvaient « vieillir », devenir un jour ses copies conformes ? De Luise ? Alors qu’il est encore tôt dans leur existence pour que le temps imprime son passage sur leurs traits ! Pas une seule griffure blanche dans l’auburn qui croule sur les épaules de Maman ! Pas un seul poil gris dans la fine moustache de Papa ! Ils ont encore cette démarche alerte, ce dos droit, ces gestes précis, que je leur ai toujours vus ! Pas eux !
Je ne sais plus comment, d’assise à ma place, à table, je me suis retrouvée posée contre les cages des canaris, pleurant un désespoir à grosses et lourdes larmes, sur toutes ces éternités que je découvrais éphémères !
- Alors, vous allez mourir, vous aussi ?
- Mais... oui, reconnaît Papa.
- Quand ? Et c’est celle-là la question qui me terrorise alors qu’une petite voix crie dans ma tête « Pas demain, ni maintenant ! Pas déjà ! »
- Je ne sais pas, ma chérie... Un jour, dans très longtemps sans doute ! Me rassure Papa alors que Maman s’active devant la cuisinière, imperturbable !
- Vois-tu, Brunéline, la mort, elle fait partie de la vie ! Continue Papa. Un enfant naît, devient un homme ou une femme, souvent il a des enfants, et puis, quand il est bien vieux, il meurt. C’est comme les plantes de Maman. Tu as vu que, quand Maman plante une graine dans la terre, peu après une petite pousse en sort, qui se développe, fait des feuilles, des fleurs, puis des graines, et qui, un jour, se fanent alors que ses graines donnent d’autres pousses et ainsi de suite ! C’est tout simple, tu vois !
Oh oui ! C’est très simple ! Mais pas moins douloureux !
- Oui... Mais vous ! Un jour, vous ne serez plus là !
- Ben... Et toi ? Me dit Papa en riant ! Tu seras là ! Alors aussi longtemps que tu vivras, Maman et moi nous existerons puisque tu es faite d’une partie de chacun de nous deux, et si un jour tu as des bébés, nous existerons encore et bien davantage puisque, de ces parties-là de nous-mêmes, celles que nous t’avons transmises, tu en donneras aussi à ces bébés ! Ce n’est jamais fini, Brunéline. Tu comprends ? La mort est inévitable, mais elle n’est pas triste quand elle vient en son heure, après une existence bien remplie ! C’est ça, la vie, aussi !
Je n’ai pas pleuré quand Papa est parti, bien bien bien longtemps après ! Et je m’attendris encore quand je le revois mimer un petit train, la dernière fois qu’il s’est rendu aux toilettes, dans sa chambre d’hôpital, pour me montrer qu’il était tout à fait capable de le faire tout seul. Ce « tchou ! tchou ! tchou ! » combien il était joyeux ! Et doux le sourire qu’il nous a offert en s’endormant de ce sommeil dont on ne s’éveille pas !
Pas une larme aussi, quelques années plus tard, lorsque la petite flamme qui brûlait doucettement chez Maman s’est éteinte, dans un soupir de sereine béatitude.
Et s’il m’arrive quelquefois de pleurer, c’est, très égoïstement, sur moi-même !
Parce que la vie est ainsi faite qu’elle n’est pas toujours facile, qu’il est des moments où j’aimerais les avoir là, leur dire, leur demander, leur confier !
Oh, il ne faut pas croire que durer soit si simple ! Il reste tant et tant à redouter !
L’usure du temps, la décrépitude du corps, et, pire encore, celle de l’esprit !
Mais vivre dans la crainte de mourir... non ! En fait, avoir peur de mourir, ce serait comme avoir peur de vivre puisque... c’est ça, la vie aussi !
Ce jour-là, petite Brunéline est devenue grande ! Un bond qui l’a déposée à l’orée de l’univers des adultes ! Et comment, après cela, retrouver l’insouciance ?
Comment, renfermant une telle connaissance, aurait-elle pu, désormais, ne pas se sentir bien plus qu’auparavant "différente" ?
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12 juin 2006 1 12 /06 /juin /2006 03:17

 

 


Noël... Bientôt Noël... et c’est toujours l’année de mes six ans !

Noël approche à grands pas. Et combien il me tarde d'y être !
Enfin... oui, bien sûr, Noël approche, mais... mais, hélas, il s'en faut encore de quelques semaines ! Et que c'est long "quelques semaines" !
Je ne dors plus la nuit tant je brûle d'impatience ! Incapable de fermer les yeux, je tourne et me retourne dans le lit ! Et l'inquiétude me ronge !
Ma lettre est-elle bien arrivée au moins ? Aucune certitude là-dessus du fait que je ne l'ai pas postée personnellement !
Papaaaaaaa… ! Mamaaaaaan… ! Ma lettre… ! Vous l’avez bien envoyée ?
Et s’ils l’avaient perdue ? Et s’ils n’osaient pas me l’avouer ? Peut-être devrais-je en rédiger une autre ? Par précaution.
Gentil Père Noël qui jamais ne m'a déçue ! Qui a toujours cédé à mes caprices, qui m'a apporté à chaque fois ce que je te t'ai demandé ! Satisfaisant scrupuleusement à mes désirs d'enfant pourrie-gâtée ! Papa Noël, toi qui es très haut dans le ciel, tu ne vas pas m'oublier, dis ! Pas cette fois-ci !
Je t’ai écrit très tôt ! Bien assez tôt pour que tu puisses t’occuper de moi calmement, bien avant que tu sois submergé par les demandes de tous les enfants du monde.
Tu sais que je suis sage ! Toujours ! Et s'il m'arrive de faire des bêtises, c'est par distraction. Oui, cela tu le sais bien, toi qui vois tout !
Oui, je le reconnais, j'ai causé une très grosse frayeur à Papa Maman ! Ils m'avaient formellement interdit de m'approcher de la portée de chatons... J'avais promis... Mais qu'aurais-tu fait, toi, en ne les trouvant plus derrière le gros massif des belles de nuit ? Ils étaient si petits, si fragiles ! Et leur mère les abandonnait trop longtemps ! Je suis certaine que, les sachant seuls et vulnérables, tu te serais, comme moi, inquiété de leur sort ! Surtout en entendant leurs miaulements déchirants !
Bon, d'accord ! Je n'avais pas à grimper sur le toit ! Mais c'était facile ! Vraiment facile ! Oui, c'est vrai je suis tombée et tout le monde a crié, tout le monde s'est affolé, tout le monde a pleuré ! Mais je n'ai rien eu ! Rien ! Pas même un bleu ! La preuve que ce n'était rien du tout !
D'ailleurs, j'ai bien plus été effrayée par l'inquiétude générale que par la chute ! Je reconnais aussi que le camélia rouge de Maman (son préféré) a été la seule et véritable victime de cette mésaventure. Et que, depuis, il semble avoir du mal à s'en remettre. Mais je l'arrose tous les jours ! C'est bien le moins que je puisse faire pour lui, ne serait-ce que pour le remercier d'avoir amorti mon atterrissage, pas vrai ?
Si tu as bien reçu ma lettre, tu as vu que j'ai bien pensé à t'écrire que je regrettais toutes les vilaines taquineries que je fais subir à Joachine ! Je sais, je t'avais promis déjà l'année dernière de ne plus m'emporter après ma petite sœur ! Mais... tu sais bien comment elle est ! Toujours à me suivre partout ! A m'embêter ! Je ne peux plus rien faire à cause d’elle !
Je m'occupe d'elle pourtant ! Et en plus elle dort dans ma chambre ! Tu reconnaîtras que c'est beaucoup accepter alors que la maison est grande... Huit pièces ! Il y en a huit ! Papa Maman pourraient lui en donner une, non ? Une chambre rien que pour elle ! Je n'ai pas raison, là ?
Et tu as dû voir aussi que, cette année, ma liste est très courte ! Presque rien, une seule chose ! Ce n'est pas beaucoup une seule chose ! Un vélo ! Un vélo à quatre roues…
Oui ! C'est un vélo à quatre roues que j'attends !
Quoi ? Comment ça, « seulement un vélo ! » ? Ben oui !
Hé ! … Pour l’époque, ce n’est pas rien ! Surtout à six ans ! Je crois bien que je suis la seule parmi tous les gamins de cet âge (qui habitent le quartier) à attendre une bicyclette !
Pourquoi quatre roues alors que deux suffisent ?
Parce que je suis petite, pardi ! Je n’ai que six ans, je vous dis !
Oui, un vélo à quatre roues ! Avec de vrais pneus, des pneus avec chambre à air et tout ! Des pneus bien larges pour garantir un parfait équilibre ! Et des pare-boue en alu rouge, des pédales métalliques, un porte-bagages à l'avant, (oui, je le veux à l'avant !), un avertisseur en forme de petit accordéon sur le guidon, une selle en cuir réglable en hauteur (je vais grandir, non ?)... et deux petites roues chromées fixées sur l'arrière, histoire de m'aider dans un premier temps !
Une merveilleuse bicyclette ! Vous comprenez maintenant ?
Et je n'en peux plus de l'attendre !
Et pour être certaine de bien la mériter, j'ai juré qu'il n'y aurait pas sur Terre de petite fille plus obéissante que moi !
Voilà, c'est moi, Brunéline, « petite fille modèle » !
Je ne pleure plus quand Maman coiffe mes longs cheveux, je demeure stoïque sous la douleur des nœuds qui résistent aux assauts des dents d'écaille ! Je ne tempête plus quand elle les discipline en deux grosses nattes terminées par de ridicules nœuds jaunes, bleus ou rouges ! Je suis d’un silence héroïque lorsqu'elle les enroule au-dessus de mes oreilles en d’affreux, horribles, atroces escargots... que je déteste !
Je fais ma toilette sans rechigner, range ma chambre à la perfection (mon côté !) et fais même l'effort de travailler (un peu) en classe !
J'exécute, docile, tous les ordres ! Même celui d'aller chercher quelques boites de conserve remisées dans la pièce du fond ! Celle qui sert de débarras !
Maman distraite ! Que n'es-tu allée les chercher toi-même ces maudites boites de conserve !
Parce que...
Ô ces hurlements qui ont levé un vent de panique !
Hystérique ! Papa maman m'ont découverte hystérique ! Trépignante et bouche ouverte, incapable de proférer d'autres sons que des cris ! Tendant un doigt tremblant vers une grosse masse recouverte d'un épais papier d'emballage marron, vers une déchirure dudit papier... vers un petit éclat luisant bordé de gomme noire...
Un morceau de petite roue arrière de bicyclette !
Mon vélo ! C’est mon vélo que je vois !
Ho, ils ont évidemment tenté de m’expliquer et de me convaincre que le Papa Noël était passé un peu en avance parce qu’il ne restait, dans sa réserve, qu’un seul modèle de "la bicyclette" demandée dans une certaine lettre. Qu’il n’était pas certain d’en recevoir d’autres avant le 24 décembre et qu'il aimait beaucoup, mais vraiment beaucoup, la petite Brunéline !
Et puis, devant mon air aussi buté que dubitatif, ils ont finalement admis que le Père Noël… ben c’était comme… comme le conte du Chat Botté ! Mais un conte dans lequel parents et enfants jouaient les rôles principaux… Heu… un conte de fée en vrai, quoi !
Quoi ? La bicyclette ?
Ha ! Oui… Hé bien, Papa Maman ont refusé de me la donner ce jour-là ! De me laisser même l'essayer !
Une torture dans un premier temps que de savoir l'objet de mes rêves aussi proche qu'inaccessible !
Bon... Il est vrai qu'il n'a plus du tout été question de me soumettre à une quelconque discipline. Vrai, également, que je n'ai plus eu besoin de jouer à "Brunéline, petite fille modèle"... C'était déjà ça de gagné !
Mais vrai aussi que, jour après jour, étrangement, l'impatience s'est atténuée… que le désir s'est dilué...
Que des questions, jusque-là froidement refoulées, ont trouvé leurs réponses dans une évidence implacable et irréfutable !
Que j’ai choisi d’ignorer… questions et réponses ! Après tout, il m’était infiniment plus agréable de « croire encore » que de « savoir déjà » !
Et puis… Joachine ! Faut pas oublier Joachine ! J’avais enfin une évidente « supériorité » sur ce bébé crédule et ignorant ! Et j’allais lui en faire gober, des histoires à dormir debout ! Ho oui !
Mais, en fait, je regrettais déjà l'impatience, l'attente, l'inquiétude…
Avec du recul, je suis sincèrement persuadée que le cadeau le plus important que m'apporta ce Noël-là, fut de me permettre de mesurer l'importance du « plaisir de l'attente ! ».
De m’avoir appris à apprécier, sans urgence, le plaisir d'une attente !
Mais que c’est compliqué d’avoir six ans !
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12 juin 2006 1 12 /06 /juin /2006 03:15

 

 

 

Le C.P. 1 (pourquoi « 1 » ? Vous comprendrez plus tard)... et c'est toujours l'année de mes six ans !
Colère ! Colère ! Quand tu nous tiens !
Mademoiselle Cadou aussi est souvent en colère après moi !
« Brunéline, vas-tu, oui ou non, prendre ton porte-plume ! » 

Une Brunéline toute droite, tout défi, mains croisées devant elle ! Six ans et déjà entêtée !
Et le doigt tendu de Mademoiselle Cadou m’indiquant… le coin ! Le coin encore… chaque jour ! Il me souvient y être allée quelquefois avant que d’y être envoyée…
Pour me refuser à exécuter pleins et déliés, à tracer des lignes d’insipides bâtons, à composer des colliers de cercles parfaits.
Pour refuser de répéter des b, a, ba ! assommants ! Pour me taire alors que toute la classe récite en chœur sur un ton monocorde : un, deux, trois, nous irons au bois…
Pour ne pas chantonner sur un rythme lénifiant chiffres et nombres et nombres et chiffres…
Papa, maman, convoqués, mois après mois. Et les remontrances à la maison !
«Mais pourquoi ne veux-tu pas écrire, et compter, et réciter ? »
Pourquoi ? Pourquoi ! Mais… mais… Mais parce que toutes ces choses-là,  je sais déjà les faire ! Et que je suis encore tout imprégnée de mon 1er prix d’excellence décroché quelques mois auparavant !
Comment cette infâme maîtresse ose-t-elle me demander de régresser ainsi ? Suggérez donc à un super habile chirurgien de revenir aux points de suture ! Peut-être y consentira-t-il une fois, juste pour voir… mais jamais recommencer sa carrière à ses débuts !
Je suis au C.P. pour apprendre davantage, pour aller plus loin, pour… oh… ces colères qui me prennent, ces vagues de haine qui me submergent, ces poussées de révolte rageuse qui me font trembler !
Toutes ces longues, longues heures « au coin »…
Dois-je préciser ici que Mademoiselle Cadou s’est tellement attachée à ma petite personne qu’elle a décidé me garder une année de plus ?
Oui, j’ai redoublé le C.P.
Qui serait surpris d’apprendre que, tout du long de cette seconde année, c’est avec le plus grand zèle que je me suis appliquée à exécuter des pleins et déliés, des bâtonnets, à réciter des b, a, ba !, des nombres et des chiffres…
Le prix de ma liberté… il fallait bien cela pour que Mademoiselle Cadou acceptât de se séparer de moi et me laissât enfin passer en C.E. 1.
Où je retrouvais ma sœur cadette ! Parce que mes parents, pas tout à fait sots, eurent cette fois l’idée de demander une dérogation pour que, elle, sautât le C.P.
Pas la meilleure place finalement que celle d’aînée…
Mais il m’a bien fallu deux années, ces deux années-là, pour apprendre que, face à une obtuse indifférence, il valait mieux quelquefois céder un tantinet… pour préserver l’essentiel !
Au fait… j’oubliais : je n’ai jamais, jamais… mais jamais ! aimé Mademoiselle Cadou !
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12 juin 2006 1 12 /06 /juin /2006 03:12
Dernier jour de classe...
C'est la fin du mois de juin... j'ai cinq ans... enfin bientôt six ! J'aurai six ans dans trois mois !
La fin du mois de juin... le dernier jour de classe… une cour décorée, des chaises ordonnées en demi-cercle.
Un théâtre à ciel ouvert, le décor est planté, la scène est dressée.
Des petits rats… et l’un d’eux c’est… MOI ! Brunéline…
Brunéline ? Oui, oui, c’est bien moi…
Comment ? Oh ! Pourquoi ce prénom ? Je n’en sais rien… Trouvaille d’un cerveau en délire je suppose… Papa ou Maman? Les deux unis, sans doute, pour avoir si loin poussé dans l’absurde. Mais… enfin !
Où en étais-je ?
Ah oui… Moi, Brunéline, petit rat en vaporeux tutu et collants roses, en justaucorps et chaussons blancs. Mes longs cheveux tressés en une couronne acajou piquetée de boutons d’aubépine… Je vais y aller d’un pas de deux.
C’est mon heure… que dis-je « mon heure » ? C’est mon jour !
Ma sœur est là, bien entendu… Tenue identique, réplique exacte mais blonde et de quinze mois plus jeune même si presque aussi grande que moi.
J’ai détesté, un temps, Papa Maman à cause de cela ! Non pas parce que ma sœur promettait d’être plus grande que moi… mais que je le fus déjà autant ! Bien trop, bien plus que les autres enfants de mon âge, filles et garçons mêlés… J’aurais bien volontiers patienté encore quelques années pour grandir vraiment.
Combien il est facile de se sentir isolé ! Il suffit d’un rien… Ici, quelques centimètres. Mais ces centimètres-là me consignaient toujours au bout de quelque chose… à la fin de la file que nous formions au son de la cloche… au fond de la classe pour céder les premiers bancs aux plus petits… à l’arrière plan même sur les photos annuelles.
En revanche toujours la première désignée pour certaines corvées, telle celle d’essuyer le tableau noir ou celle de tirer les rideaux. Ben oui…
Mais ce jour-là ! Ce dernier jour de classe ! Je crois n’avoir pensé à rien de tout cela. Uniquement habitée par un esprit de fête, prête, enfin prête à enflammer les planches, et décidée à savourer une gloire bien méritée.
Des répétitions, des essayages, des préparatifs, de cette tension fiévreuse qui, je suppose, devait accompagner les ultimes instants… rien ne demeure. J’ai oublié… Tout comme notre entrée sur scène. Je n’en sais plus rien… Sinon ce pas de deux dans lequel je vais me lancer avec un garçonnet sans visage.
Nous y sommes, chacun et chacune à sa place, mes bras bien en cercle au-dessus de ma tête. Menton fièrement dressé, les yeux mi-clos, pied arc-bouté, pointe délicatement posée, je guette, je guette et…
Et me crispe tout entière sous un grand éclat de rire général dont je redoute d’en deviner la cause… Seulement une maladresse ou une grimace d’un membre de notre juvénile troupe… ou alors en suis-je l’inspiratrice ?
Ô parents d’élèves ! Je suis face à vous, et combien je vous déteste ! Pire ! Je vous hais ! Votre soudaine hilarité aussi inattendue que déplacée me blesse ! Votre enthousiasme délirant me déroute ! Pauvres adultes, amnésiques de votre propre enfance, oubliant combien elle est pétrie de fragile sensibilité. Comment pouvez-vous ignorer le mal que vos rires risquent d’infliger à votre progéniture ?
Et pauvre moi ! Oui, moi ! Qui ne voulais que vous offrir un instant de grâce ! Qui rêvais de vous réduire à une béatitude silencieuse, qui espérais vous séduire jusqu’à l’extase ! Et qui me tiens gauche et indécise, ratant les premières mesures, incapable de les rattraper… Le reste, je le sais déjà, ne sera plus que suite de gestes mécaniques, rôdés par les répétitions, des enchaînements réflexes.
Il est fini, parti, envolé, perdu, cet instant magique. Plus de merveilleux, de cadeau… Adieu à mes rêves de lumière ! Le vilain petit canard ne deviendra pas sous vos yeux cygne majestueux.
Oh, oui, parents d’élèves… je vous ai haïs ce jour-là !
Et combien j’ai eu du mal à me plier à la séance photos qui a suivi. Parce que Papa Maman nous ont mitraillées, ma sœur et moi, sous toutes les coutures. Non, non… de cela aussi je ne me souviens plus. Mais les photos sont là, témoins silencieux d’une lamentable déconfiture, images sépia d’une fête sans joie.
Mais aucune bien entendu de la cérémonie de remise des prix qui clôturait cette réunion.
Rien ne reste pour illustrer, ou prouver, ma place sur la plus haute marche ! 1er prix d’excellence ! Rien que ça ! – Ce qui n’a pas suffi à me consoler.
Et pas davantage les félicitations encourageantes et l’accolade affectueuse d’un obscur adjoint au maire de l’époque en me remettant un diplôme joliment décoré et ma récompense.
Un livre… Mon premier livre ! Tout à moi ! Et pas n’importe quel livre : un conte ! Le conte du Chat Botté ! Dois-je absolument dire ici que ma préférence est toujours allée vers le chat plutôt que vers le marquis ? Et que si, entre les deux, il me fallait, maintenant, ici, choisir un Prince, ce dernier porterait moustaches !
Oui… C’était le dernier jour de classe à l’école maternelle. Elève douée et appliquée, je quittais la section des « grands » en sachant parfaitement lire, écrire et compter.
Le dernier jour…
Celui où j’ai compris que je ne deviendrai jamais première étoile de ballet !
Celui où j’ai fait mes premiers pas dans un autre monde, plus accessible et surtout infiniment plus accueillant pour le découvrir familier …
Ce jour-là, je suis entrée de plain-pied dans le royaume de l’imaginaire.
Je ne crois pas avoir perdu au change !
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