Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

PrÉSentation

  • : La Page de Reginelle
  • : Ce blog est une invitation à partager mon goût pour l'écriture, à feuilleter les pages de mes romans, à partager mon imaginaire. Des mots pour dire des sentiments, des pages pour rêver un peu.
  • Contact

Texte Libre

Création d'un FORUM
 
Naissance du forum "Chaque être est un univers", ici à cette adresse :
 
 
Créé en collaboration avec Feuilllle (dont je vous invite à visiter le Blog – voir lien dans la liste à gauche). Tout nouveau, il n'y a pas grand-chose encore, tout juste référencé... il ne demande qu'à vivre et à grandir. Chacun y sera le bienvenu.

Et puis, j'ai mis de l'ordre dans les articles, au niveau de la présentation... ça faisait un peu fouillis ! Quoique… je me demande si c'est mieux maintenant ! On verra bien à l'usage.
Alors maintenant, voyons ce que ce Blog vous offre :

Recherche

Archives

16 décembre 2006 6 16 /12 /décembre /2006 16:37



Il se passe quelque chose de bizarre et de pas drôle du tout !
Les voisines qui résident dans la cour mitoyenne à la nôtre ont coutume de venir voir maman de temps en temps mais depuis quelques jours leurs visites se font plus fréquentes et durent plus longtemps.
De plus, d’ordinaire, entre elles, il est généralement question de couture.
Ben oui, maman coud ! C’est elle qui réalise les jolies robes que Joachine et moi portons et, à l’occasion, elle exécute quelques petits travaux pour rendre service.
Une des pièces de la maison est d’ailleurs entièrement réservée à cette occupation ! Une sorte d’atelier où, au cœur d’un désordre indescriptible de bouts d’étoffe, de fils, de boutons, trônent deux machines à coudre, l’une électrique flambant neuve, et l’autre à pédale ! Là aussi, que ces dames procèdent à leurs essayages et, derrière la porte close, souvent des rires fusent !
Or, des rires, justement il n’y en a plus !
En revanche, ça chuchote et ça renifle ! Ça se tait dès que nous approchons, ma sœur et moi ! Et ça secoue la tête comme âme résignée, et ça se perd en longs silences. Plus encore, voilà que, à la troupe turbulente que nous formons, nous, les gosses du quartier, ça demande de moins courir, d’être moins bruyante.
Michel, le plus âgé de la bande, lâche un jour : « c’est la vieille Luise, elle va claquer ! »
Ô Michel, toujours au fait de ce que nous, menu fretin, nous ignorons ! Mon héros !
Mais de quelle Luise s’agit-il ! De la « sorcière » ? Celle qui nous fait déguerpir dès que nous faisons mine d’installer nos dînettes de plastique et de céramique sous la fenêtre de sa chambre ? Celle qui ronchonne sans cesse dans sa barbe ? Car elle a le menton poilu ! De longs poils gris et frisés qui tremblotent et ondulent aux crispations sporadiques de sa mâchoire édentée !
Luise invariablement de noir vêtue, dont le profil se dessine aux plis de rideaux à demi tirés, dont les petits yeux épinglent le moindre de nos gestes ! Ombre à l’affût pareille à celle de l’un de ces êtres maléfiques dont je raffole en bandes dessinées, mais qui, pour être de chair, en est bien davantage terrifiante.
La vieille Luise, sœur jumelle de la cruelle fée qui traque Blanche Neige jusqu’au plus secret de la forêt des 7 nains, au visage aux mille rides, au dos voûté, aux mains aussi noueuses que des serres de gargouille, déjà présente au plus ancien de mes souvenirs, inspiratrice de terreurs délicieuses, objet de victoires aussi éclatantes que secrètes... Et ce serait cette Luise-là qui va « claquer » ?
- Et elle va claquer quoi ? M’entends-je demander d’une voix étreinte d’horreur, regard déjà à la dérive sur les joues alentour, et très inquiète pour les miennes !
Une ignorance pareille, avouez que ce n’est guère flatteur pour un ego de sept ans ! Et moins encore le fou rire moqueur que déclenche en Michel ma naïve question. Ce qui écorne quelque peu sa glorieuse auréole !
Bien assez pour que je m’esquive sur-le-champ, le rouge au front ! Vexée à la vie à la mort, Brunéline !
Et puis, au cœur de la matinée, des dames ont appelé Maman ! Elles étaient deux ou trois sur le seuil ! Il me souvient davantage de l’urgence que du nombre. Et Maman a couru et moi, j’ai suivi... Machinalement !
Jusqu’à une pièce noire de monde, si pleine que je me suis collée au mur, me déplaçant discrètement vers une porte entrouverte que j’ai passée pour mieux me cacher ! Tout droit dans l’antre de la Fée Carabosse !
Une Carabosse bien immobile et toute ratatinée, aux yeux clos sur son monde de ténèbres, à la bouche béante sur un gouffre sans souffle ! Si petite, si fragile ! Que j’en ai oublié d’avoir peur tellement elle semblait inoffensive, ainsi endormie dans la sereine pénombre.
Je ne sais combien de temps je suis restée debout, près du lit, devinant confusément que quelque chose n’allait pas. Jusqu’à ce que j’y sois découverte par maman qui, sans plus de cérémonie, m’a envoyée dire à Papa qu’elle était retenue là.
Que la journée a été longue ! Combien les heures mettent de temps à s’égrener lorsque des tas de questions se pressent sur un bout de langue et sans quelqu’un à qui les poser !
Et ainsi jusqu’à la nuit tombante où il a fallu encore attendre de rentrer les cages des canaris, de mettre la table et de s’y poser. Et là, avant même de plonger la cuillère dans le bol de soupe...
- Qu’est-ce qu’elle a, Luise ?
Une interrogation qui, bien qu’ouvrant la voie à une infinité de réponse, n’en reçoit qu’une seule, pleine d’une vérité directe.
- Elle est morte ce matin, me dit Maman sans sourciller.
Morte ? La Mort ? Cette chose que je rencontre au hasard de certains contes ? Comme celle de la grand-mère du Petit Chaperon Rouge, bien vite réparée par le chasseur qui la rend à la vie en ouvrant le ventre du Méchant Loup ?
Toutes ces morts tissées aux fils de l’imaginaire ne sont en rien tangibles, sinon trépas livresques !
Et voilà que dans ma tête s’enchevêtrent mille déductions, que s’ébauche une triste conscience.
- Elle est morte... pour de bon ?
- Oui, Brunéline ! Quand quelqu’un meurt, ce n’est pas pour « de faux » !
- Pourquoi ?
Ah, ce mot ! Je ne voulais pas le prononcer, redoutant par avance une évidence que désormais je ne pourrai plus refouler, une réalité que je lis déjà dans le triste coup d’œil qu’échangent Papa Maman.
- Parce qu’elle est arrivée au bout de sa vie, parce qu’elle était très vieille, usée et fatiguée. C’est comme ça, tout le monde vieillit et on n’y peut rien !
Ô Maman ! Toutes les vérités sont-elles bonnes à dire ?
Ne vois-tu pas cet abîme d’effroi dans lequel tu me jettes ? Ne devines-tu pas que mon pauvre cerveau, lui, en a terminé de déduire, qu’il a déjà tout compris !
Parce que sept ans, ce n’est pas beaucoup ! C’est très court. Et puis « l’âge », ça ne veut rien dire, ça ne compte pas quand on a 7 ans ! Grandir est peu de chose car il est logique de le faire pour des enfants... Les enfants savent qu’ils grandissent, d’ailleurs ils disent toujours « quand je serai grand »... Mais ils ne disent pas « Quand je serai vieux »... bien moins encore « Quand je serai mort ! ».
Il n’y a que peu de "vieux" autour de moi, quelques grands-parents de camarades, mais pas chez moi ! Chez moi, je ne connais que Maman Papa et Joachine !
J’ai vu grandir Joachine, née alors que je n’étais moi-même qu’un bébé à peine sorti des langes. Et rien de plus normal que nos évolutions parallèles en taille et en poids ! Rien en cela qui ne m’ait jamais interpellée !
Comment aurais-je pu voir « vieillir » une Luise déjà pruneau desséché à l’aube de mes premiers pas ! Les mêmes cheveux gris retenus dans un chignon en bataille, les mêmes robes longues et informes sous un tablier d’un noir immuable, la même voix éraillée qui nous coassait ses invectives dans son patois calabrais qui nous demeurait incompréhensible...
Et de la voir, saison après saison, égale à elle-même, comment aurais-je pu concevoir que mes parents pouvaient « vieillir », devenir un jour ses copies conformes ? De Luise ? Alors qu’il est encore tôt dans leur existence pour que le temps imprime son passage sur leurs traits ! Pas une seule griffure blanche dans l’auburn qui croule sur les épaules de Maman ! Pas un seul poil gris dans la fine moustache de Papa ! Ils ont encore cette démarche alerte, ce dos droit, ces gestes précis, que je leur ai toujours vus ! Pas eux !
Je ne sais plus comment, d’assise à ma place, à table, je me suis retrouvée posée contre les cages des canaris, pleurant un désespoir à grosses et lourdes larmes, sur toutes ces éternités que je découvrais éphémères !
- Alors, vous allez mourir, vous aussi ?
- Mais... oui, reconnaît Papa.
- Quand ? Et c’est celle-là la question qui me terrorise alors qu’une petite voix crie dans ma tête « Pas demain, ni maintenant ! Pas déjà ! »
- Je ne sais pas, ma chérie... Un jour, dans très longtemps sans doute ! Me rassure Papa alors que Maman s’active devant la cuisinière, imperturbable !
- Vois-tu, Brunéline, la mort, elle fait partie de la vie ! Continue Papa. Un enfant naît, devient un homme ou une femme, souvent il a des enfants, et puis, quand il est bien vieux, il meurt. C’est comme les plantes de Maman. Tu as vu que, quand Maman plante une graine dans la terre, peu après une petite pousse en sort, qui se développe, fait des feuilles, des fleurs, puis des graines, et qui, un jour, se fanent alors que ses graines donnent d’autres pousses et ainsi de suite ! C’est tout simple, tu vois !
Oh oui ! C’est très simple ! Mais pas moins douloureux !
- Oui... Mais vous ! Un jour, vous ne serez plus là !
- Ben... Et toi ? Me dit Papa en riant ! Tu seras là ! Alors aussi longtemps que tu vivras, Maman et moi nous existerons puisque tu es faite d’une partie de chacun de nous deux, et si un jour tu as des bébés, nous existerons encore et bien davantage puisque, de ces parties-là de nous-mêmes, celles que nous t’avons transmises, tu en donneras aussi à ces bébés ! Ce n’est jamais fini, Brunéline. Tu comprends ? La mort est inévitable, mais elle n’est pas triste quand elle vient en son heure, après une existence bien remplie ! C’est ça, la vie, aussi !
Je n’ai pas pleuré quand Papa est parti, bien bien bien longtemps après ! Et je m’attendris encore quand je le revois mimer un petit train, la dernière fois qu’il s’est rendu aux toilettes, dans sa chambre d’hôpital, pour me montrer qu’il était tout à fait capable de le faire tout seul. Ce « tchou ! tchou ! tchou ! » combien il était joyeux ! Et doux le sourire qu’il nous a offert en s’endormant de ce sommeil dont on ne s’éveille pas !
Pas une larme aussi, quelques années plus tard, lorsque la petite flamme qui brûlait doucettement chez Maman s’est éteinte, dans un soupir de sereine béatitude.
Et s’il m’arrive quelquefois de pleurer, c’est, très égoïstement, sur moi-même !
Parce que la vie est ainsi faite qu’elle n’est pas toujours facile, qu’il est des moments où j’aimerais les avoir là, leur dire, leur demander, leur confier !
Oh, il ne faut pas croire que durer soit si simple ! Il reste tant et tant à redouter !
L’usure du temps, la décrépitude du corps, et, pire encore, celle de l’esprit !
Mais vivre dans la crainte de mourir... non ! En fait, avoir peur de mourir, ce serait comme avoir peur de vivre puisque... c’est ça, la vie aussi !
Ce jour-là, petite Brunéline est devenue grande ! Un bond qui l’a déposée à l’orée de l’univers des adultes ! Et comment, après cela, retrouver l’insouciance ?
Comment, renfermant une telle connaissance, aurait-elle pu, désormais, ne pas se sentir bien plus qu’auparavant "différente" ?
Partager cet article
Repost0

commentaires