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PrÉSentation

  • : La Page de Reginelle
  • : Ce blog est une invitation à partager mon goût pour l'écriture, à feuilleter les pages de mes romans, à partager mon imaginaire. Des mots pour dire des sentiments, des pages pour rêver un peu.
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Texte Libre

Création d'un FORUM
 
Naissance du forum "Chaque être est un univers", ici à cette adresse :
 
 
Créé en collaboration avec Feuilllle (dont je vous invite à visiter le Blog – voir lien dans la liste à gauche). Tout nouveau, il n'y a pas grand-chose encore, tout juste référencé... il ne demande qu'à vivre et à grandir. Chacun y sera le bienvenu.

Et puis, j'ai mis de l'ordre dans les articles, au niveau de la présentation... ça faisait un peu fouillis ! Quoique… je me demande si c'est mieux maintenant ! On verra bien à l'usage.
Alors maintenant, voyons ce que ce Blog vous offre :

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15 mai 2006 1 15 /05 /mai /2006 01:32

1

 

La frêle silhouette traversait les champs fraîchement retournés, trottinant sur les larges sillons de noire terre grasse. Aussi résolue et véloce qu’une intrépide souris égarée, elle s’éloignait des landes incultes alors que, devant elle, se dressait une haute muraille d’arbres dont les denses frondaisons crénelées se nimbaient fugacement de pourpre et d’or.

Tout près, un long cri lacéra le silence.

La jeune femme s’immobilisa un instant, oreilles tendues. Un loup ! Ce n’était qu’un loup qui hurlait à la lune rose.

Elle se remit en marche, sans accélérer davantage l’allure tant elle était persuadée que nul mal ne pouvait lui advenir de ce farouche et indompté compagnon à quatre pattes.

Enveloppée d’une ample cape brune au capuchon soigneusement rabattu sur ses cheveux de nuit, elle avançait d’un pas assuré, ombre dans l’ombre mouvante des nuages qui glissaient silencieusement, très haut au-dessus d’elle, telle une escorte vigilante.

Tête baissée, elle allait, les mains délicates jointes contre la poitrine, uniquement soucieuse de ne pas relâcher l’étreinte de ses doigts autour d’une bourse au cuir usagé, la maintenant sans cesse au contact de son corps.

Si bien concentrée sur cette tâche qu’elle faillit buter sur une énorme roche moussue couchée au pied d’un buisson.

La Pierre de la Sorcière[1] ! Ce qui signifiait qu’elle était aux portes de Spott. Dangereusement proche d’ailleurs, si elle se fiait aux lueurs qui dansaient entre terre et ciel, plus nettes, plus fortes.

Une longue trentaine de miles la séparaient encore de Dunbar. Si elle ne pouvait se permettre de perdre du temps, il n’était pas question pour autant de s’aventurer à traverser Spott, de risquer d’être surprise par ses habitants, d’être livrée à leur folie. Elle devait contourner le village.

Elle regarda autour d’elle, lentement, scrutant le moindre repli du terrain, étudiant posément le meilleur itinéraire possible.

Sur sa gauche, les berges dégagées de la rivière lui promettaient une progression facile, mais la feraient également vulnérable, pour trop de clarté lunaire intensifiée par le miroir des eaux calmes, pour ne lui offrir aucun abri où se réfugier si nécessaire.

À sa droite, le dôme dénudé de Brunt Hill émergeait d’une collerette boisée ourlée de fougères géantes.

Un fouillis végétal inextricable, le refuge des peuples du dessous et du dessus, et, pensa-t-elle, animant d’un sourire ses lèvres pâles, nul individu, à des lieues à la ronde, suffisamment audacieux pour se hasarder, après le crépuscule, sur ce sol supposé creusé d’une multitude de galeries aussi actives et grouillantes que d’immenses termitières dans lesquelles s’affairerait l’espiègle petit peuple des lutins.

Mieux encore, entre la colline et les premières masures, du haut de ses neuf pieds, le massif menhir de Easter Broumhouse pointait de sa tête ocre les frileuses étoiles. Contexte fort appréciable pour qui avait bien plus à redouter de ses frères humains que des Brownies, hôtes familiers de ces vieilles pierres levées et que beaucoup médisaient ombrageux et irascibles.

Il était temps de reprendre la route. Celles qui l’attendaient, à Dunbar, patienteront quoi qu’il leur en coûtât mais elle n’avait pas le droit de mettre leur vie en péril par de trop longs atermoiements.

Le cercle des Ombre[2] se resserrait, elle les sentait ! Si proches ! Tellement ! Bien sûr, elle s’était montrée discrète, et prudente ! Mais elle avait si peu d’expérience ! Elle se savait si mal armée pour mener à bien cette importante tâche.

Elle secoua la tête, repoussant ces craintes importunes et, affermissant sa prise autour de l’aumônière de cuir élimé, elle se hâta vers la sécurisante obscurité du sous-bois.

Quiconque eut suivi la progression de l’inquiète fugitive aurait pu jurer, sans mentir, que les hautes feuilles lui ouvraient la voie avec complaisance. Qu’elles défaisaient à son approche leurs nœuds de dentelle pour les retisser aussitôt derrière elle. Que l’herbe ne se couchait pas sous ses pieds rapides, qu’aucune brindille n’était assez sournoise pour craquer sous son poids léger.

Et si cet observateur eut été vraiment attentif, il aurait pu surprendre une larme, une seule, limpide diamant de l’eau la plus pure, perler sur la courbe des cils noirs, glisser sur l’albâtre diaphane d’une joue, et hésiter sur le doux arrondi d’un menton avant de se réfugier dans un rude repli d’épaisse étoffe brune.

Et aussi l’autant étrange qu’impalpable halo iridescent qui jaillissait fortuitement d’entre les pans indiscrets d’une cape soumise aux caprices d’un vent mutin.

Mais la nuit était déserte, et Spott fut rapidement distancé. Entre deux buissons dansa un éclat d’argent, puis d’autres, moirure morcelée aux rides du courant. La rivière glissait silencieuse et sereine, à quelques foulées seulement.

Ne la rejoignant pas ainsi qu’elle l’avait prévu, la jeune femme redoubla d’attention. Elle scrutait désespérément la berge à la recherche du ponton écroulé.

À moins que, pour avoir marché trop longtemps à couvert, elle ne l’ait dépassé.

Non… Elle reconnaissait le coude familier que faisait, ici, la Spott Burn.

Elle se rapprocha de la rive, trois, deux mètres, et elle distingua enfin sur l’onde scintillante une avancée sombre et déchiquetée. Un pas encore et elle sentit ployer sous elle les planches vermoulues.

Et elle la vit.

Une barque courte et étroite, si basse que ses bords n’étaient qu’à quelques pouces au-dessus de l’eau glaciale. Et trop loin ! La corde d’amarrage était trop longue ! 

Ses doigts étaient douloureux contre sa poitrine, esclaves épuisés d’une vigilance sans faille. Et là, maintenant, comment ramener l’esquif vers elle sans faire appel à eux ?

D’un brusque mouvement de tête elle rejeta la capuche en arrière, et, protégeant son trésor secret d’une main, entreprit de se défaire de sa pèlerine de l’autre.

Habilement, elle la fit glisser de ses épaules, desserra son corselet et ouvrit sa chemise.

Elle plaqua tendrement entre ses seins menus le petit paquet et réajusta son corsage au plus serré, tirant fortement sur les lacets, jusqu’à presque incruster dans sa chair les reliefs durs d’un objet mystérieux même pour elle.

Agrippant la corde alourdie d’un excès d’eau, elle tira de toutes ses forces. La petite embarcation enfin à sa portée, elle ramassa son large manteau, l’y jeta avec adresse, et embarqua avec prudence.

Posées sur le fond plat, elle trouva deux rames. Elle prit le temps de s’envelopper de la chaude protection de sa cape, et s’arc-bouta sur les avirons.

Elle gagna habilement le milieu du cours d’eau jusqu’à se sentir happée par le courant.

Désormais, elle n’avait qu’à se laisser porter, veillant seulement à ne pas approcher de trop les bords. Presque hors de portée.

Seulement quelques heures et Dunbar dressera devant elle les ruines de son château.[3]

Où la Licorne attendait.

Elle pensa à Marion Lillie, et à toutes celles qui, pauvres esprits égarés, avaient joué avec des forces qui les dépassaient. Se prétendant ce qu’elles n’étaient pas ou bien captives de l’Axe Noir[4].

Coupables surtout d’avoir attiré sur des innocentes les foudres d’une meute enragée.

Trois en ce triste cinq octobre 1705… Trois de trop… Sans doute pas les dernières.

Deux autres jeunes et belles existences avaient également été sacrifiées pour protéger ce qui meurtrissait sa peau.

Combien encore ? La sienne aussi peut-être.

Frissonnante, elle jeta un dernier regard derrière elle.

Au loin, les flammes étaient toujours hautes. 

Les bûchers brûlaient bien ce soir à Spott.

Elle hoqueta sous les soudaines serres froides qui refermèrent brutalement un étau de glace sur sa poitrine, qui assaillirent sa gorge.

Yeux écarquillés d’effroi, elle vit des nuées d’étincelles bleutées émaner de sa bouche ouverte, de sa peau, de tout son être, des cristaux de givre, impalpables, qui flottèrent comme irrésolus, avant de former une longue et fine flèche d’argent luisant qui s’élança droit vers l’infini de l’espace.

Et les étoiles disparurent dans un ciel d'un noir subitement opaque, linceul jeté sur la Terre, funeste écrin pour un rubis de feu.

[1] A environ 0,5 mile de Spott, abrité par des buissons, un énorme bloc de pierre est couché sur le sol. D’après la légende, il marquerait l’endroit, où, en l’année 1698, Marion Lillie « The Ringwoodie Witch », accusée et reconnue coupable de sorcellerie, fût jugée et condamnée au bûcher. 

[2] Anges des ténèbres

[3] Irrégulières et rouges, les ruines qui dominent le port de Dunbar sont les seuls vestiges de l’un des châteaux forts les plus imposants, sur le plan stratégique, de l’époque médiévale. La forteresse subit de multiples assauts, et l’épisode le plus marquant de son histoire est incontestablement l’ardente défense que soutint en 1339 « Black Angel », comtesse de March et de Dunbar, contre les troupes anglaises conduites par Salisbury. Le Parlement écossais ordonna sa démolition en 1567.

[4] Confrérie regroupant tout ce que l’univers compte de sorciers et de démons

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