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PrÉSentation

  • : La Page de Reginelle
  • : Ce blog est une invitation à partager mon goût pour l'écriture, à feuilleter les pages de mes romans, à partager mon imaginaire. Des mots pour dire des sentiments, des pages pour rêver un peu.
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Texte Libre

Création d'un FORUM
 
Naissance du forum "Chaque être est un univers", ici à cette adresse :
 
 
Créé en collaboration avec Feuilllle (dont je vous invite à visiter le Blog – voir lien dans la liste à gauche). Tout nouveau, il n'y a pas grand-chose encore, tout juste référencé... il ne demande qu'à vivre et à grandir. Chacun y sera le bienvenu.

Et puis, j'ai mis de l'ordre dans les articles, au niveau de la présentation... ça faisait un peu fouillis ! Quoique… je me demande si c'est mieux maintenant ! On verra bien à l'usage.
Alors maintenant, voyons ce que ce Blog vous offre :

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15 mai 2006 1 15 /05 /mai /2006 01:17

2

Au milieu même du cours d’eau, docile aux vaguelettes qui la poussaient, la barque étroite glissait, portant son fardeau endormi, désormais vulnérable aux premières lueurs de l’aube qui délayaient impitoyablement la sécurisante protection des ombres nocturnes.

La tête posée sur l’épaule, nuque ployée et douloureuse de trop d’inconfort, la jeune femme gisait, jambes repliées sous elle et mains ouvertes autour de la rugosité des rames rustiques.

Le capuchon à demi rejeté dévoilait un fragile profil aux traits tirés jusque dans le sommeil, plus pâle encore sous le noir de jais des mèches en bataille échappées des mailles d’une sage résille.

Le col desserré de la cape laissait entrevoir la finesse du cou, la douceur de la gorge que ne pouvait ternir une vilaine meurtrissure d’un bleu violacé.

Mais l’aube s’étalait à son aise, ranimait bêtes et hommes. Les trilles d’un oiseau écorchèrent le silence, un chien aboya, au loin, et des voix humaines glissèrent sur l’onde, amenées par la brise matinale. La vie des heures claires reprenait doucement ses droits.

Une chatoyante lueur rose s’éleva d’entre les pans entrouverts de la pèlerine de la jeune femme assoupie.

Aussitôt, des lambeaux de brume effilochée s’élevèrent des eaux cristallines, s’ordonnèrent en un épais cocon autour de la légère embarcation, tandis que, contrainte par une force invisible, cette dernière obliquait vers la gauche, se rapprochant de la rive jusqu’à effleurer une haie de roseaux, et s’arrêter, habilement retenue par les branches pendantes d’un saule.

 Et là, comme par jeu, du plus profond du lit de la rivière, jaillirent des dizaines de traits aux écailles d’argent qui, espiègles, éclaboussèrent de mille gouttelettes la silhouette immobile.

Qui tressaillit sous l’humide assaut, remua un peu, et s’éveilla enfin. Et alors que des doigts fébriles se portaient aussitôt sur une poitrine pour s’assurer de la présence de la petite bourse, deux grands yeux gris s’ouvrirent au clair-obscur de rideaux feuillus.

Les sens immédiatement en alerte, la jeune femme se redressa vivement, faisant osciller dangereusement la petite barque et malmenant ses membres ankylosés. Ce qui l’incita très vite à se mouvoir avec davantage de modération.

Après avoir bien observé autour d’elle, elle s’assit de nouveau, le temps de reprendre souffle et de faire le point sur sa situation.

Pour se laver des miasmes d’une nuit de mauvais repos, elle plongea ses mains en coupe dans l’onde claire, projeta l’eau recueillie sur son visage, et elle plissa le nez sous l’étrange odeur iodée qui en émanait. Elle passa sa langue sur ses lèvres, goûtant l’amertume, surprise de lui reconnaître des saveurs marines. Et elle sourit, réalisant brusquement que cela signifiait que la mer était très proche, bien assez pour mêler ses flots à ceux de la Spott Burn.

Mieux encore, à en juger par le sens du courant, elle se trouvait du bon côté, sans plus aucun obstacle devant Dunbar.

Rassérénée, elle mit un peu d’ordre dans sa tenue, réajusta son corsage. Elle observa quelques secondes l’ecchymose qui bleuissait la naissance de sa gorge, l’effleura délicatement, étonnée de ne ressentir aucune douleur.

Mais il sera temps de s’en soucier plus tard. Dans l’immédiat, l’important était de se remettre en route, d’atteindre la côte et de la suivre jusqu’à Dunbar.

Elle marchait depuis deux longues heures lorsque, parvenue au sommet d’un talus, les lueurs plombées de la Mer du Nord s’offrirent à son regard.

Elle frissonna d’espoir, toute droite dans cette lumière froide d’avant l’orage, sous laquelle chaque chose - ombre, feuille, chemin, le moindre caillou - semblait ciselée, prenait un plein relief, par laquelle les couleurs, étrangement, s’intensifiaient ainsi qu’étoffes mouillées. Le vert tendre de la luzerne devenait sombre émeraude tandis que les ocres des roches affleurantes viraient taches de rouille.

Et, tout au loin, sur les vagues d’argent terni, l’écume qui les ourlait n’était plus que cendres éparses.

L’air fleurait la tempête. Mais ainsi, lourd et menaçant, le ciel devenait complice. Qu’une ondée s’abatte, qu’elle refoule hommes et bêtes à l’abri de leurs demeures, de leurs tanières, et la voie serait libre pour celle qui se rêvait invisible durant la dernière étape de son voyage.

Comme si répondant à cette ardente attente, quelques gouttes claquèrent entre bruyère et rocaille, tirs de semonce d’une armada céleste de noirs et pesants vaisseaux chargés à ras bord d’éclairs, de foudre et de grêle.

Et alors que les premières bordées tonnaient à en ébranler les nues, la jeune femme s’engagea sur une sente qui sinuait tout droit vers ce qui demeurait de l’austère silhouette du Castel de Dunbar.

Elle parcourut sans encombre la lande déserte, atteignit la côte. Dressée sur la pointe des pieds, défiant vent et embruns, elle prit quelques secondes pour bien se situer. La tour s’élevait sur sa gauche, dominant l’effrayant rocher des gorgones. Et son cœur s’emballa. C’était bien la clarté rassurante d’un feu qui dansait à une centaine de mètres devant elle, exactement là où elle l’espérait.

Quelques minutes encore, un dernier effort, celui d’oublier la profonde terreur que lui avaient toujours inspiré ces monstres pétrifiés,ces faces déformées par la rage, la peur, la douleur, cet amoncellement de corps entremêlés, figés pour l’éternité, rejetés ou sculptés par les caprices des Dieux marins.

Au-delà se trouvait le salut !

Elle avança, tremblante, et dut réunir tout son courage pour poser un pied sur le premier gnome de pierre torturée, mais c’est avec une folle détermination qu’elle escalada ces horreurs grimaçantes. 

La joie, l’espérance, la portaient, la poussaient. Et elle courut, malgré l’eau glacée qui alourdissait ses jupons, sa jupe, mordait ses chevilles. Retenant tout appel joyeux qui aurait pu alerter un esprit malveillant.

Et enfin : La grotte, trois silhouettes assises autour d’une claire flambée, trois têtes qui se tournèrent vers elle, à l’unisson, et un cri, un mot lancé d’une seule voix…

- Silvine !

Elle s’écroula entre les bras tendus, passa des uns aux autres, mille fois étreinte, embrassée, cajolée, rendant caresse pour caresse, baiser pour baiser.

Et encore…

- Tu es là ! Tu as réussi !

Très vite ce fut à qui la déferait de ses vêtements mouillés et sales, et elle n’eut que le temps de se saisir de la petite aumônière de cuir.

- C’est ça ? Demanda Elina.

- C’est dedans, répondit Silvine.

- Tu l’as touché ? S’inquiéta Nitia.

- Non, la rassura Silvine. Je sais que nul ne le doit.

- Tu l’as vu ? Interrogea Orlane.

- Non, je ne l’ai pas vu. Seulement ressenti. Là… ajouta-t-elle en ouvrant son corsage.

Les trois jeunes filles détaillèrent avec une curiosité mêlée de tendresse l’étrange meurtrissure entre les seins de leur amie.

- C’est douloureux ? S’enquirent-elles dans un ensemble parfait.

- Non, pas du tout, leur assura Silvine, souriante.

- C’est bizarre, murmura Elina, cela semble phosphorescent.

- Et avec une forme bien particulière, ovale et en même temps… on dirait des ailes qui tiennent un œuf, décrivit Nitia.

- Je suis certaine que, lorsque l’hématome aura disparu, ce sera très beau, assura Orlane.

Silvine hocha la tête, en signe d’assentiment, tout en observant la marque sur sa poitrine, pensive.

- Il y a plus extraordinaire encore, confia-t-elle doucement.

- Quoi donc ? Articulèrent six lèvres roses.

- Hé bien, j’ai une curieuse impression… le sentiment de… de savoir. Moi, la novice ignorante, j’ai l’intuition profonde de la connaissance. D’avoir assimilé en quelques heures, sans même en être consciente, ce qui demande des années d’études. C’est embrouillé, mon esprit est confus, comme s’il se trouvait submergé d’acquis non encore classifiés, ordonnés. Mais je sens que tout est là ! En moi !

- Ô ! Formèrent trois bouches arrondies.

- Oui, et cela m’effraie un peu avoua Silvine.

Elina et Nitia prirent chacune une main de Silvine et de Orlane formant ainsi un cercle clos.

- Plus fortes nous serons et moins nous risquerons, affirma Elina.

- Si ce que tu penses est vrai, ce n’en est que mieux déclara Nitia.

- Nous aurons besoin de toutes nos forces pour mener notre tâche à bien, et si ce…talisman ? t’en a transmis autant que tu le dis, il ne pouvait choisir être plus digne que toi. Conclut Orlane.

Des larmes brillèrent fugitivement aux cils de Silvine, émue.

- Merci mes douces amies. Dès demain nous nous mettrons en route. Il reste encore le plus important : mettre en sûreté cette bourse.

- Où ? Interrogèrent les voix jumelles.

- Ce qu’elle contient nous guidera.

- Et ensuite ? Reprirent-elles.

- Ensuite ? Nous devrons chercher et trouver le lieu qui nous attend. Là où nous élèverons le Manoir aux quatre tours.

- Un Manoir ? S’écrièrent-elles, joyeuses.

- Oui ! Du moins c’est l’image que j’en ai reçue. Mais pour l’heure, je crois qu’il serait sage de prendre un peu de repos. Un long périple nous attend.

- Tu as bien raison, acquiescèrent-elles.

Et ce fut soudain à qui frotterait sa peau de satin pour en ranimer la chaleur, à qui peignerait ses longs cheveux de nuit jusqu’à leur rendre souplesse et luisant, à qui masserait ses chevilles alourdies de fatigue.

Au crépuscule elles bavardaient encore, grignotant pain bis et fromage de chèvre, mais la nuit les trouva assoupies, blotties les unes contre les autres.

Au plus profond de leur sommeil, une silhouette blanche aux longues jambes fuselées et à la crinière de neige se matérialisa à l’entrée de la douillette caverne. Qui se tint un instant immobile, naseaux frémissants, à l’écoute des respirations tranquilles avant d’avancer au plus près des dormeuses. La fière apparition les observa un instant, les caressant affectueusement de son doux regard doré avant de pencher son front chevalin jusqu’à effleurer de sa corne d’ivoire la chair tendre et tiède d’une gorge humaine.

Puis elle se détourna, racla légèrement de son sabot d’argent le sable qui recouvrait le sol, et disparut aussi silencieusement qu’elle avait surgi tandis que des fils de ténèbres se tissaient en un rideau opaque, dissimulant l’accès d’un asile trop vulnérable aux yeux du monde des vivants.   

D’entre les doigts noués de Silvine s’échappa alors une impalpable clarté qui enveloppa d’un palpitant halo d’or pâle les corps apaisés dans la douce chaleur de flammes qui, pas un instant, ne faiblirent.

Elles dormaient, à l’abri, au seuil d’une autre vie.

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commentaires

L
ENCORE ! EmerveilléSourire
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