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PrÉSentation

  • : La Page de Reginelle
  • : Ce blog est une invitation à partager mon goût pour l'écriture, à feuilleter les pages de mes romans, à partager mon imaginaire. Des mots pour dire des sentiments, des pages pour rêver un peu.
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Texte Libre

Création d'un FORUM
 
Naissance du forum "Chaque être est un univers", ici à cette adresse :
 
 
Créé en collaboration avec Feuilllle (dont je vous invite à visiter le Blog – voir lien dans la liste à gauche). Tout nouveau, il n'y a pas grand-chose encore, tout juste référencé... il ne demande qu'à vivre et à grandir. Chacun y sera le bienvenu.

Et puis, j'ai mis de l'ordre dans les articles, au niveau de la présentation... ça faisait un peu fouillis ! Quoique… je me demande si c'est mieux maintenant ! On verra bien à l'usage.
Alors maintenant, voyons ce que ce Blog vous offre :

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26 mai 2006 5 26 /05 /mai /2006 15:11

 

- La première des 12 ou 15 nouvelles (ça reste à définir) qui composeront mon prochain livre. Titre envisagé "Pas de Deux" - Où il sera question de rencontres, dans des lieux divers, qui se terminent tantôt bien... tantôt moins bien

L’aéroport est en vue, la voix rassurante du pilote énumère les recommandations de circonstance. Ongles ancrés aux accoudoirs, elle serre les dents. Toujours le même petit pincement au creux de l’estomac alors que l’avion amorce la descente. "C’est au décollage et à l’atterrissage qu’il y a le plus de risque lors d’un vol"... Cette affirmation entendue, un jour, au hasard d’une conversation, vient la titiller à chaque fois qu’elle opte pour ce moyen de transport.

D’ordinaire, elle préfère le train, mais dans le cas présent, il y avait urgence. Bien la première fois d’ailleurs qu’elle regrette demeurer dans l’un de ces villages accrochés aux flancs des Pyrénées. Charmants, mais tellement loin de toutes commodités !

Cependant, elle n’est pas mécontente de cette inquiétude qui la distrait de celle qui la mine depuis quelques jours.

Depuis qu’elle a pris cette décision complètement folle de rencontrer X !

Mais il leur fallait bien sauter le pas un jour ou l’autre !

Après ces longs mois d’échanges par emails, SMS et téléphone, avec ce sentiment qui, peu à peu, s’est insinué en eux, il ne pouvait en aller autrement ! C’était inévitable ! Inéluctable !

Elle ne sait plus comment elle s’est retrouvée, un soir, à consulter, via Internet, les tarifs et horaires des vols en direction de Paris. Ni à comparer les prix des hôtels de la capitale. Elle a encore du mal à comprendre comment elle a pu - elle ! Et « en ligne » de surcroît - acheter ses billets d’avion et, plus encore, retenir une chambre double à l’hôtel du quai Voltaire. « Avec un grand lit ! » a-t-elle même eu l’audace de préciser dans son message ! Elle se souvient avoir écrit « avec vue sur la mer ! » au lieu de « la Seine » La personne qui s’est occupée de sa réservation a dû bien rire à ses dépens !  Quand elle y pense, elle en rougit de confusion !

Comment décrire son trouble tandis qu’elle lui annonçait qu’elle arrivait ? Et l’émotion qu’il a montrée, lui !

Et combien elle a regretté très vite cette démonstration d’une témérité jusqu’alors insoupçonnée chez elle !

Combien également les jours d’attente lui ont paru aussi longs que  passer trop vite !

Mais les dés sont jetés. Les roues effleurent la piste, s’y accrochent. L’oiseau blanc s’est posé et bientôt expulsera ses passagers. Elle et les autres !

Quelques secondes devant elle pour se défaire d’un reste d’irrésolution.

Et ensuite tout s’enchaîne très vite. Elle suit le mouvement, se lève, réajuste jupe et pull et retend ses bas. Insatisfaite du résutat, elle se résigne néanmoins à récupérer son manteau dans la soute au-dessus de sa tête et tâtonne un peu pour atteindre son sac. A peine un pied posé dans la travée centrale qu’elle est entraînée par les uns et les autres, qui la guident vers le sas, la poussent à traverser une passerelle, la déposent sur un sol ferme.

Noyée dans un flot d’inconnus aveugles à son désarroi, elle se laisse emporter par un tapis roulant tout droit vers la sortie.

Là, elle hésite. Taxi ou RER ? Elle n’est pas pressée ! Il est tout juste 17h30 ! Lui, il ne sera libre que vers 19 heures. Le temps de fermer boutique, de traverser Paris… et…  et…

Elle se décide pour le RER. Histoire d’occuper les minutes, de meubler une attente. De l’aéroport d’Orly au Quai Voltaire, il suffit d’un changement de ligne, son bagage est léger, et de plus, avoir du monde autour d’elle ne pourra que la distraire des questions qui lui taraudent l’esprit.

La distraire ?  Y croit-elle seulement alors que dans sa tête des images se bousculent, se chevauchent, dénoncent!

Une folie ! Totale ! Que connaît-elle de cet homme vers lequel un train indifférent l’emporte ? Des mots ? Quelques photos ? Et cette émotion qu’il a su éveiller dans son cœur endormi depuis des années !

Se retrouver à des centaines de kilomètres de chez elle, à cause d’un message ! Un banal message dans sa boite e.mail. Presque invisible dans ces dizaines de spam qu’elle supprime de deux clics de souris chaque matin.

Quelques mots d’une tristesse infinie, pour la remercier de la douceur apaisante d’un commentaire qu’elle avait posté elle ne saurait plus dire où ni à propos de quoi.

Auxquels, émue, elle avait répondu.

Un geste spontané qui n’attendait nul retour.

Et retour il y eut.

Jour après jour, nuit après nuit.

Nuit après nuit, d’abord. Toutes les nuits devant un écran…  des clics et des clics pour actualiser une boite à lettres virtuelles… pour des mots à s’écrire et à lire. Des pages et des pages de mots.

Jour après jour ensuite. A cause d’une panne d’Internet qui les avait séparés durant des heures, ils échangèrent leurs numéros de téléphone et les SMS fleurirent sur d’autres écrans. Des « coucou »… pour faire ces jours plus courts. Une attente tolérable. Un lien constant.

Des semaines durant.

Et puis, un soir… une vibration incongrue sur le plan de travail, alors qu’elle préparait le dîner,  qu’elle plaisantait avec Pierre, son mari. Devant le regard interrogateur de ce dernier, elle avait hésité, troublée, déjà coupable. Ce fut entre deux tours de cuillère que, comme distraitement, elle avait jeté un œil. Sur la petite fenêtre lumineuse… trois mots et elle le rouge au front.

"Vous avez écrit  « je vous aime » ! …
 
Je ne m’attendais pas à cela… je l’avoue… vraiment pas…  « baiser » ou « caresse » en lieu de bisou… un simple pas… un tout petit pas. 
Je ne pensais pas… je n’ai jamais pensé que vous en viendriez à cela… Et me voilà tremblante comme si j’avais exécuté un exercice périlleux au-dessus d’un triple filet de protection alors  que de filet, il n’y avait plus. Quoique… la chute a été douce et belle… Un peu vertigineuse mais… Belle ! Il n’y a donc rien à regretter. Et puis… si c’est arrivé c’est que cela devait être !
J’ai l’émotion au fil des lèvres, à ras le cœur… au bout des doigts.
Tellement que j’en ai l’esprit engourdi.
Et il nous faut être prudents et retenus… pas pour les autres, ils ne savent pas… ils sont si loin de tout cela… Et il n’est nul besoin qu’ils sachent. Il ne faut absolument pas qu’ils sachent. Mais pour ne pas bousculer une paix, une sérénité, tellement fragiles qu’un simple regard interrogateur, inquiet, inamical, suffirait à les fissurer, suffirait à tiédir une chaleur réconfortante, suffirait à ternir une lumière encore timide.
Prudents et retenus pour nous… Pour ne rien abîmer…
Et parce que… parce que l’amour est affaire d’esprit, d’âme… mais aussi d’épiderme, oui…de grain de peau ! Et d’odeur, de saveur… une curieuse alchimie… Nous en apprécions, nous en savourons l’un des ingrédients, sans doute le plus précieux puisqu’il est le plus tenace, le plus… le plus… mmmmmmmmm…Les autres n’étant qu’éphémères. Mais ces autres comptent aussi au début… et nous en sommes… non, nous n’en sommes pas au début. Nous avons commencé par l’aboutissement…
Demain nous le dira. Un jour…
Oui…un jour… un jour, vous lirez au hasard d’un message : « je serai au Champ de Mars entre telle et telle heure »… ou ailleurs. Un lieu que vous ne choisirez pas, parce qu’il faudra que vous veniez jusqu’à moi… Cette rencontre, cela fait tellement longtemps que je la décris, que je me contente de la vivre en rêve… de ne faire qu’en rêver… de n’accepter que d’en rêver… vous n’allez pas me priver des meilleures pages que j’écris à l’encre invisible sur les ombres de la nuit.
Ce n’est pas pour demain, ni même dans un mois… Nous avons le temps de voir venir… d’y réfléchir. Je ne vous en parlerai plus… à moins qu'un rugissement de fauve ne me pousse à sauter dans le premier train en partance vers Paris...
Oh ! Mon téléphone… il a vibré et sonné et durant un instant j’ai cru ou espéré… mais non… mon fils… seulement mon fils… j’aurais dû savoir que ce ne pouvait être vous… je vous ai attribué une sonnerie bien à part… un groupe à vous tout seul !»

Un pas hors de la zone abritée et une bourrasque glacée la cueille. Que ce mois de décembre est froid ! Elle aurait dû attendre les beaux jours ! Comment envisager des promenades nocturnes et romantiques sur les quais de la Seine sous de telles températures ? Cette fausse fourrure dans laquelle elle s’emmitoufle ne sera pas de trop ! Elle en remonte le col, cale la bandoulière de son sac sur son épaule et glisse les mains dans les manches dont elle fait un chaud manchon.

Le panneau d’affichage lui signale 6 minutes d’attente.

Six minutes après six mois de dialogues !

Fin juin pour le premier signe… début septembre, le « je vous aime »… et là, mi-décembre pour un presque aboutissement.

Bien à l’abri, au cœur de son grand sac, dans une petite pochette de toile expressément réalisée pour eux, trois livres reliés artisanalement. Leurs messages, qu’elle a imprimés et  assemblés en « saisons » et une couleur différente pour la couverture de chacune.

La première est d’un jaune aussi lumineux et chaud qu’une amitié naissante. La seconde s’est vue attribuer un vert de bourgeon aussi frais et fragile qu’une espérance.

Pour cette troisième… combien elle a hésité ! Elle a balancé entre le rouge et le rose, et le rose l’a remporté. Un rose d’émoi d’adolescente, réservant ainsi le rouge sang, le rouge brûlure, le rouge intense, à la passion.

 
Et maintenant ?
Maintenant j’ai l’impression d’aborder une troisième saison. Et je lorgne mon recueil à la couverture verte… me demandant s’il n’est pas temps d’en ouvrir un autre.
Que diriez-vous de… orange ? Un bel orange éclatant ? Je ne sais pas…Quoique ! Ceci m’évoque  un beau fruit à déguster quartier après quartier… chacun aussi juteux et sucré que le précédent…
Bleu ? Un bleu de ciel sans nuage ? Non ! Ce serait justement le défier… Si l’azur  venait à être jaloux de notre si parfaite uniformité, ne nous enverrait-il pas quelques cumulus nimbus pour la troubler ?
Pas violet, ni noir, ni gris… trop… trop… je ne sais pas… non… pas ces trois-là !
Arc-en-ciel ? Je devrais pouvoir en trouver… quitte à le peindre moi-même ! Suis-je bête de ne pas y avoir pensé plus tôt avec tous ces tubes et bâtons de couleur qui dorment dans une boîte presque oubliée !
Et Rose ? Oui… ça fait fille, je sais ! Et puis vous m’avez dit un jour que, pour vous, il  évoque tendresse, douceur… (ce serait après le rouge, non ?) Mais… mais vous aviez écrit également  volupté ! Et ça, ça me plait bien !
Parce que le rouge… non… pas encore… pas déjà…
Que dois-je faire ? Que feriez-vous, vous ! Je sais… mais je voudrais que vous me le disiez…

Sur le seuil de l’hôtel, à l’instant d’en pousser la porte, voilà que sa gorge se serre. Et qu’elle se surprend à jeter des regards furtifs à droite, à gauche. Femme respectable sur le point de déchoir adultère. Image qui fait fleurir un sourire sur ses lèvres.

Pas d’hésitation cependant. Après tout, rien n’est consommé encore. Elle s’entend donner son nom. De jeune fille. L’épouse, ici, n’a rien à faire.

Elle demande à régler d’avance. En espèces. Aucune trace.

La chambre est au troisième étage. Un grand lit dans un décor banal. Un petit bureau, une armoire, un guéridon, deux fauteuils. Une salle de bains fonctionnelle. Mais la fenêtre ouvre au-dessus de la Seine, face au Musée du Louvre et au Jardin des tuileries. Exactement ce qu’elle espérait. Juste un regard pour satisfaire à l’attente de l’hôtelier, le temps de lui assurer que « tout est parfait »Elle est pressée surtout de s’en défaire.

Enfin seule, elle se déleste de son bagage, fouille son sac à main, en extrait son petit téléphone portable, compose un sms. « Je suis arrivée à l’hôtel ! »

Elle frissonne un peu en appuyant sur la touche « envoyer»

Et elle est déjà à la porte, la franchit, dédaigne un ascenseur qu’elle devrait attendre, dévale les escaliers, confie la clé à l’accueil et déboule sur le trottoir.

Paris… Paris… Paris ! Combien elle aime cette ville ! Elle n’en aurait pas souhaité une autre pour y renaître ainsi.

Un pas et le petit appareil à coque rouge, celui qu’elle ne lâche plus depuis des semaines, celui avec lequel elle s’endort chaque nuit, vibre entre ses doigts.

Elle regarde, un peu interloquée, la minuscule enveloppe qui s’est affichée sur l’écran. Un sms ?

« Je ferme le magasin ! »

Il sera là bientôt ! Elle a juste le temps de prendre un peu d’avance.

Elle l’imagine, maladroit de trop d’urgence, ranger un peu, éteindre, baisser le rideau métallique. Y a-t-il un rideau ? Forcément ! Tous les magasins en ont un ! Il fait un froid atroce, qui lui mord cruellement les mains, les joues, le nez.

Et elle tremble.

C’est difficile… de retrouver un ton léger alors que… et pour la première fois depuis bien longtemps c’est moi qui n’ose plus… qui retiens mes doigts. Qu’ils n’aillent pas taper n’importe quoi sur un clavier n’ayant pas plus de cervelle qu’un moucheron !
Vous avez écrit « « il faut qu’elle sache, je ne peux plus garder ça pour moi et en même temps je me le suis avoué »…
Je me suis trompée alors. Car je pensais que vous le saviez déjà et que vous ne vouliez seulement rien m’en dire…
Etes-vous certain de ne pas vous tromper ? De ne pas aimer seulement un… personnage… un être idéalisé au fil d’une correspondance ? Est-ce bien moi que vous voyez ?
Non… je ne veux pas savoir ! Il sera bien assez tôt pour cela !
Vous n’avez rien bousculé… vous me connaissez si peu au fond… « la lente évolution que j’aime tant »… oui… parce que vous êtes loin… mais si vous étiez là… j’aime être bousculée, assaillie… oui… prise d’assaut… presque par surprise… non… totalement par surprise. Dans l’urgence.
Comme un manque à satisfaire coûte que coûte. J’aime les deux… un cheminement tranquille côte à côte et aussi… aussi…
Ne soyez pas jaloux du tout… ou alors soyez-le férocement. Cessez de vous brider… d’être ce que chacun attend que vous soyez.. Votre voix, ce que vous écrivez, ce que vous laissez fuir de vous, ligne après ligne… cela ne ressemble pas à ce que vous dites être souvent.
Et si vous croyez être de trop, battez-vous… soyez conquérant. Vous pouvez l’être
Et il est vrai qu’il n’est jamais trop tard… pour personne. D’être ce qu’il est, de vivre comme il l’entend… et de plus c’est l’apanage de l’âge : ne plus rien avoir à prouver, faire ce que l’on a envie, et se moquer éperdument du qu’en dira-t-on ! Alors… soyez exigeant, soyez possessif, accordez-vous le droit d’être enfin ! Mais pas timide, pas… résigné… jamais !
Vous parler ? Croyez-vous que cela soit facile pour moi ? Alors qu’il me suffit de vous écouter respirer ? De vous sentir là, presque à portée… tout proche… au creux de mon oreille ? Oui.. vous m’avez conquise… mot après mot… sensation après sensation… et vous pourriez être petit, borgne et bossu, je ne vous en aimerais pas moins…
C’est grave docteur ? Pardon ! pas docteur, j’oubliai… c’est grave « monsieur » le professeur… très grave…
« Ne le savez vous déjà………Je vous aime »… je suis restée paralysée devant l’écran de mon petit téléphone rouge… Et je me demande si je ne le suis pas devenue autant que lui… de surprise… d’émotion contenue… de… et le « oh » a été longtemps seulement ce que j’ai été capable d’écrire alors que mon cerveau (encore lui !) s’efforçait désespérément d’organiser des lettres en mots et des mots en phrases…
Vous parler du temps ! Alors que je voudrais vous dire tellement…
Si je pouvais trouver l’audace de les « dire »… de les prononcer… de vous les glisser à l’oreille…
C’est si simple… tellement naturel de vous les écrire… « je vous aime »…

(à suivre)

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26 mai 2006 5 26 /05 /mai /2006 15:10

« Je vous aime ». Combien de fois les a-t-elle dits, ces mots ? Bien davantage ces dernières semaines que durant toute une vie.

Col remonté jusqu’aux oreilles, elle se hâte vers le quartier Saint-Michel, vers l’île de la Cité. Elle veut mettre un maximum de distance entre elle et l’hôtel. Elle se veut proie, elle se veut objet de désir, elle se veut quête. Et lui, elle le veut chasseur opiniâtre, elle le veut amant vorace, elle le veut conquérant ardent.

« As-tu déjà un programme ? Nous ? Peut-être une envie particulière ? »
Un programme ? Non… et des envies… j’en ai des tas… ou une seule finalement qui se décompose en une infinité d’autres… non…perdu ! Pas seulement « ça »… pas essentiellement cela… il y a aussi tout le reste… les gestes, les regards, les rires, les retenues, les errances… oui… errer ensemble, n’importe où, sans aucune urgence… au hasard des rues… des haltes… des escales… et puis « ça » aussi… Sois patient… sois tendre… ou alors cède à l’urgence… empêche-moi de trop réfléchir…

ffffff !!! Je ne sais plus ce que je veux… ce que je souhaite… ce que je préfèrerais… et je ne veux rien vouloir, ni rien souhaiter, ni rien préférer… trop peur de certaines de mes réactions… suis très stupide parfois, vois-tu…
Non… n’écris pas ça ! Bon sang… assez ! Trop c’est trop… arrête ! tu ne sais pas… tu ne sais pas ce que tu fais, là… et j’aime… c’est toi… c’est moi… nous quelque part… et cela me fait peur aussi… peur que toutes ces sensations, tellement… non… n’arrête pas… continue…
Je dois penser à autre chose… à n’importe quoi… à quoi ? A ta peau contre la mienne ? A tes mains sur moi ? je les voudrais déjà… je les ressens déjà… je ferme les yeux et tu es là… presque là… pas tout à fait mais bien assez … oui continue… n’arrête pas… et cette sensation… je la garde… la savoure… je l’entretiens… j’attise cette faim…
Je voudrais tellement que tu ressentes la même… et qu’elle ne t’abandonne pas quand… quand…
Si tu savais
combien cela n’est pas que « sexuel »… que cette faim est une faim de tout… une faim de silences, de mots et de rires, une faim d’errances et de repos, une faim de ton contact et de toi en moi, une faim de complicité et de… de… « résonance »…
J’arrête là pour ce soir… n’en peux plus… n’ai plus les idées claires… voudrais comprimer l’espace, faire ces deux foutues villes mitoyennes… tendre la main et te toucher… comprimer le temps… réduire des mois en secondes… ouvrir les yeux et t’avoir là… déjà là… Et tu me demandes d’être sage… comme si je pouvais d’un simple haussement d’épaule me débarrasser de tout cela… et je n’ai pas envie de m’en débarrasser… pas envie du tout de me refuser cela… et je n’y peux rien… cela passera… ce corps autant têtu qu’indépendant finira par se calmer… par se rasséréner de lui-même…. En attendant demain… accorde-moi… autorise-moi au moins cela…

Beaucoup de monde autour de Notre Dame. Des haut-parleurs diffusent des chants de Noêl. Un petit air de veille de nativité flotte. Où est-il ? Dans le métro ? Penché sur les manettes de sa moto, se faufilant avec adresse entre des véhicules importuns ? Dans la chambre ? Jetant un coup d’œil attendri au désordre qu’elle y a laissé ?

Un sac ouvert sur des vêtements rangés pêle-mêle… une paire de chaussures… sa trousse de toilette et des fards éparpillés… leurs recueils d’émotions … Elle aura bien le temps de s’en soucier !

Un autre sms ! « Je suis à l’hôtel ! »

Gagné ! et elle sourit aux passants, à la nuit, aux étoiles, à la buée qui s’échappe de ses lèvres entrouvertes.

Juste opter pour « appeler »… quelques secondes de patience à suivre les bip bip bip… et sa voix glisse en elle. Et elle lui décrit la place, les gens, la musique, elle lui raconte le froid auquel elle ne s’attendait pas, et la douce tiédeur d’une ambiance, les regards croisés. Elle rit, le bonheur au fil des mots.

« Où es-tu ? »

De surprise, elle en détache l’appareil de son oreille, le regarde comme s’il était le misérable responsable d’une telle incompréhension.

« Mais… à Notre Dame ! » Précise-t-elle enfin.

«  J’arrive ! »

Et si, de nouveau, nous calmions un peu le jeu ?
Je te sens si triste quelquefois… tellement tendu !
Il ne nous reste qu’un tout petit mois… moins encore… nous sommes déjà le 20 novembre ! Les jours passent ! Aucun ne nous fera l’affront de s’attarder… Sois certain aussi que pas un lundi… ni un mardi… ni n’importe quel autre jour quel que soit le nom qu’il porte, ne possède assez de force pour arrêter les aiguilles de l’horloge céleste. Chronos veille à ce que les secondes s’ordonnent dociles et diligentes… ne les entends-tu pas ? Tic-tac font-elles… tic-tac égrennent-elles… Laisse-les te bercer, assoupir en toi toute impatience.
Que faire d’autre d’ailleurs, car, aussi fort que nous puissions le désirer, ni toi ni moi ne saurions accélérer le rythme des heures ! Autant nous en faire une raison et mettre à profit le temps à venir pour… nous rasséréner autant que possible.
Quant à nous… mets-nous en veilleuse… oui… ne fronce-pas les sourcils ! Place-nous, bien au chaud dans un coin de ton cœur…
Et puis… lorsque tu en auras fini des heures laborieuses, lorsque livres, enfants, foot et musique ne sauront plus te distraire… Rêve… oui, rêve !
Laisse-la courir, ton imagination… finalement ce n’est pas plus mal… non… non… pas sur toi et moi… pas à propos de ce que nous allons ressentir… seulement sur ce que tu pourrais avoir envie de faire… ne nous enferme pas dans une chambre d’hôtel… ne nous fige pas dans un lieu… dans le temps…
Toutes ces heures qui nous attendent, remplis-les de sons, d’images, de lieux… remplis-les de promenades, de chocolats chauds et de thés brûlants… ou de ce que tu voudras… au gré de tables de bistrots et autres cafés pourquoi pas philosophiques ! Habille-les de lumières… anime-les de bousculades et de courses… égaie-les de rires et de chants…
Etire-les sur un quai de Seine, pose-les un instant aux pieds d’une scintillante Tour d’acier… promène-les sous le ciel de Paris…
Le ciel ! Fais-le jaune et bleu et gris et parme et souffre…  Fais-le de soleil et de vent et de bruine et de pluie… fais-le même de neige !
Fais les heures froides pour que nous nous serrions davantage l’un contre l’autre… fais-les sereines pour que nous sachions en apprendre le plus possible l’un sur l’autre… fais-les longues pour nous remplir autant que possible l’un de l’autre…
Fixe une heure… un lieu… quand et où nous retrouver… Fixe-nous dans le temps, dans un cadre… fais-le… Je crois que le moment est venu de le faire… Tu as tous ces jours encore devant toi, pour y réfléchir…
Je n’ordonne pas… je n’exige rien… mais je sens tout cela au fond de moi comme une totale nécessité…  très fort… je pense qu’il n’y a qu’ainsi que nous pourrons nous préserver…
Tu te fais du mal… toute cette attente te brise… je le sens… à moins que je ne me trompe… j’aimerais tellement me tromper !
De quoi as-tu peur ? Que devrions-nous craindre ?
Cet instant-là… celui de notre rencontre… ces jours qui viennent… ceux que nous allons vivre ensemble… ils sont inévitables. Les dés en sont jetés… c’est bien ainsi que l’on dit ?
Ce qu’ils vont nous apporter… de bonheur ou de déception… nous n’y pouvons plus rien. Ils seront ce qu’ils doivent être…
Et même… si déception il devait y avoir, je ne crois pas que nous ne saurons pas la surmonter… Au-delà de cet impalpable doute qui plane au-dessus de nous, et ainsi, quoique nous fassions pour le nier, jusqu’à la toute dernière seconde… jusqu’à ce que nos yeux se posent l’un sur l’autre, se croisent, jusqu’à ce que nos peaux se touchent… jusqu’à ce que nous sachions enfin si nos corps se reconnaissent ou se repoussent…. Oui… au-delà de ce doute, j’aime trop ce que tu es pour accepter l’idée de te perdre tout à fait…
Hier… alors que nous plaisantions… que je te proposais Fanny… que tu répondais « vamos »… je t’ai écrit, tout en riant encore, « on reste amis quand même ?»… et aussitôt j’ai ressenti que si je peux accepter l’idée de te déplaire, il m’est difficile de concevoir perdre aussi le reste… Et j’ai réalisé que c’était pour cela que depuis des jours et des jours, je nous imagine ailleurs, hors de cette chambre… je nous fais heureux, curieux, rieurs…
Comme des amants satisfaits, bien assez repus l’un de l’autre pour pouvoir s’autoriser enfin à être aussi amis complices…
Et je nous fais vieilles connaissances qui papotent sur tout et sur rien… parce que nous sommes vraiment de vieilles connaissances… oui… de vrais « intimes »… pour en savoir davantage l’un sur l’autre que tous ceux qui nous entourent, que nos familles ou amis…
Oui, je nous fais légers et rieurs… je nous fais amis…
De ces amis bien assez complices pour pouvoir s’autoriser enfin à être aussi amants…
Je t’aime… profondément… j’aime ce que tu me montres être… et je te veux heureux… Je voudrais pour toi que ces jours à venir soient pleins d’espérance et de sérénité.
Je t’aime, mon doux cœur, ma vie, mon âme… et si le silence s’installe un peu trop longuement entre nous… si nos voix ne se mêlent pas… cela n’enlève rien à ce que je ressens pour toi.
Oui… rien ne m’empêche de te porter en moi, sans cesse… même en remplissant le lave-vaisselle, en étendant du linge ou en repassant… une chemise qui n’est pas tienne !
Je suis bien, calme… même si je n’ai pas de totale certitude sur cette « terrible » première seconde à deux… elle sera ce que nous voudrons bien en faire… J’ai peur encore… cela m’arrive… comme toi sans doute… mais… c’est comme un accouchement : quand le moment est venu, il ne sert à rien de serrer les cuisses… Il faut y passer !
Euh… l’image n’est peut-être pas la plus indiquée dans ce cas…
Quoique… (ben quoi… je ne vais pas perdre tout sens de l’humour !)
Laisse s’écouler le temps, à son gré… et… demain est presque là…
Je t’aime très fort… et ce qui est mieux encore, je t’aime d’amour et d’amitié…
Tu es le seul homme à qui j’ai eu envie de dire cela… le seul pour qui cela soit possible…
Je t’aime, te porte, te garde… ris… ris doucement à mon oreille… murmure-moi tout ce que tu veux… et même que je suis folle… je m’en moque… j’aime ma folie… elle est chaude et douce… elle porte ton nom…
A demain, ma vie, mon cœur, mon âme…
Je suis toute à toi…

« Je suis toute à toi »… Combien de fois le lui a-t-elle écrit, et murmuré ? Ils en étaient presque à la fin de la saison rose. Ils avaient encore tout un mois devant eux. Combien elle a aimé et redouté cette attente mâtinée d’impatience ! Tous ces jours qui n’en finissaient pas de passer… et qui lui semblent, désormais, n’avoir duré que le temps d’un clin-d’œil.

Le vent lui fait le froid insoutenable. La transperce. Il arrive ! Combien de temps ? Celui de fumer une énième cigarette ? Deux ?

De quoi as-tu peur ? Que devrions-nous craindre ?

Rien ! Ils n’ont rien à craindre ! Murmure-t-elle. Quelle sotte elle fait ! De ne pas avoir sagement attendu dans la chaude tranquillité de leur chambre, de se laisser aller soudainement à avoir peur, d’envisager le pire !

Il arrive ! Et elle marche, avance sur le bd d’Arcole. Se pose un instant sur le pont Notre Dame. Fait demi tour, s’arrête devant un café,« Le Quasimodo » La tentation est grande d’y entrer, de se mettre à l’abri des morsures de glace d’un hiver agressif.

Et ce nom lui rappelle tant de choses. Ses taquineries à propos de son physique.

« Et si je ressemblais à Quasimodo ? »

(à suivre)

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26 mai 2006 5 26 /05 /mai /2006 15:09

Toi… pourquoi te dis-tu possible Quasimodo ? Savais-tu que j’ai une profonde sympathie pour Quasimodo, le seul personnage sincère et pur dans Notre Dame de Paris ?
Et voilà que je me surprends à imaginer une tenue qui pourrait convenir à une Esméralda d'aujourd'hui... à me demander quel haut pourrait bien aller avec ma longue jupe noire à volants... à chercher où je pourrais bien trouver un jupon aux couleurs vives pour l'égayer... au comment me composer une allure de "gitane"...

Que le temps passe lentement ! Qu’il tarde à lui arriver ! Combien elle regrette aussi de ne pas s’être laissée aller à toute une fantaisie ! Elle ne résiste plus dans une bise glaciale qui lui fait cette attente inhumaine.

Elle reprend le téléphone, appuie sur la touche « rappel ». Très vite, son souffle, un peu haletant. Il se hâte ? C’est bien !

« Encore moi ! Fait trop froid, je me mets à l’abri ! Je t’attends au Quasimodo.  C’est sur la rue d’Arcole ! »

« Oui… je connais ! Je n’en suis pas loin. »
 
Elle raccroche. Pensive. Pas loin ? Est-elle prête, vraiment prête ? La salle est « quasi » déserte. Un sourire pour un demi jeu de mots. Deux bonshommes assis sur la gauche, un couple sur la droite.

Elle préfère une table tout près de l’entrée, bien dans l’angle. Elle s’installe, dos à la vitre givrée.

Le garçon enregistre sa prière d’un thé « bien bien » chaud d’un sourire qu’elle décide complice.

Oh non ! Son nez la chatouille ! Bien le moment ! Pas de crise d’éternuements ! Pitié ! Pas ça ! Dans quelques secondes il sera là, devant elle, et elle n’aura que ça à lui offrir ! Un nez rouge et, pis encore, qui goutte ! Pas de mouchoir ! Elle n’en a jamais ! La petite serviette de papier fera l’affaire. Il arrive et voilà qu’elle a le désir étrange de repousser « cette seconde inévitable »  Juste le temps de… de quoi ?

"Besoin tout à coup d'un moment d'isolement ? »
M'isoler... un besoin qui me taraude depuis des jours... Mais du fait qu’il m'est évidemment impossible de me "transplaner" sur une île déserte, je me contente de me re-installer dans une routine sécurisante, au centre de repères bien connus. Je me calfeutre dans un environnement que je sais sans remous.
La maison brille comme un sou neuf, je "tarte" à tout va. Je vais de gauche à droite, souvent sans but précis. Et je m'efforce de ne penser à rien qui nous concerne.
« J'aurais préféré que nos mails ne s'arrêtent pas trop... »
Et moi j'avais besoin qu'ils viennent de toi... comme ce soir... Peut-être parce que j'avais besoin de sentir qu'ils te sont vraiment nécessaires... indispensables...  Suis compliquée, tu vois...
« Les eaux ne sont pas toujours accueillantes ni calmes. »
Un lac sombre, sans fond... dans lequel j'ai la sensation de me noyer souvent.
Et là aussi, comme toi... je n'ai pas envie d'en dire davantage.
Parce que j'ai peur de ce que je pourrais me laisser aller à écrire.
C'est maintenant que tu dois te montrer fort pour nous deux. Ne pas me permettre de... de… douter
tu vois... ce n'est pas facile même de l'écrire.
Oui… j’ai moins écrit… beaucoup moins… Mais  il me fallait connaître ta propre angoisse, en prendre la mesure.
Ces jours à venir, ces derniers jours...
Ton message... combien je voudrais que tu l'aies écrit parce que tu as senti... que tu as deviné ce trouble en moi...
Ne me lâche pas maintenant... et sois plus fort que mes silences...
T'embrasse aussi tendrement...

Le thé est fade, trop léger, davantage encore qu’elle ne s’y attendait.

La voix de Nina Simone... "Isn’t It a Pity "... Est-ce bien ce titre-là ? L'histoire d'un amour désespéré. Pourquoi justement ce morceau-là et pas un autre ? Elle frissonne.

Elle est toute crispée de l’intérieur, douloureusement crispée. Elle s'applique à canaliser ses émotions, à penser à autre chose, et surtout à briser ce tempo lancinant qui martèle son coeur. Elle se déh-anche sur la tangente d'un harmonique, elle swingue modérato, mais pas trop. Au coeur de l'armure, elle cherche la clé. En hauteur, sans forcer l'allure, elle est équilibriste et glisse allegro sur le fil d'une gamme chromatique. Esclave d'un plectre qui se dit médiator, elle va crescendo de silence en soupir, de ton en demi-ton, et elle timbre et nuance les degrés des « piano » et « fortissimo » d’une mélodie abstraite. Sur l’arpège d’un accord, elle croche un intervalle, à portée d’une mesure, elle traque un comma, sur un contrepoint, elle tempère une tierce majeure... Paupières closes, elle se module blues.

Du blues au jazz… Il aime le jazz et elle aussi. Où va-t-il l’emmener ?

Quel bonheur lui a-t-il programmé ?

Elle a fini son thé, allume une autre cigarette. Lui ne fume pas ! 

Il tarde !

Combien de coups d’œil jetés sur sa droite. Vers une porte qui ne s’ouvre sur personne. Il ne lui a pas dit s’il était à pied ou en moto et chaque vrombissement de moteur lui vrille le ventre.

Non… à pied ! Il est forcément à pied ! Il lui semble avoir lu, quelque part, que son utilisation devenait délicate. Les chaussées glissantes de pluie verglacée. Elle a bien plus froid ici que dans la neige, chez elle. Où il lui arrive très souvent de sortir dans un jardin blanc sans même se soucier d’enfiler une veste.

Et…

La porte… une main… un bras…Un blouson.

Il est là et elle s’effrite, se décompose.

Tu ne vas pas m’ennuyer… crois-tu que je ne sache pas que les premiers instants seront très difficiles… que nous allons nous retrouver comme deux idiots… paralysés et empruntés autant l’un que l’autre et ne sachant débiter que des platitudes…
Peut-être devrions-nous seulement nous prendre par la main et marcher en silence… ou tout bonnement nous asseoir sur le premier banc libre (il ne pleuvra pas, jure-moi que le ciel ne nous fera pas ça ! et puis je m’en moque, qu’il pleuve ou pas ce sera pareil… et nous ferons avec !)
Nous pourrions nous tenir ainsi, assis côte à côte, et aussi ton bras autour de moi, et moi appuyée contre toi… en silence… heureux simplement d’être… de nous sentir, nous ressentir, nous respirer… nous entendre respirer de près… d’être enfin ensemble… nous nous sommes tellement dit, nous nous en disons encore tant… et il nous reste tant et tant à dire encore… des choses sensées, des bêtises, des platitudes, des taquineries… nous pourrons bien nous en dispenser pour ces premiers instants...

- Tu vas bien ?

Bien ? Oui, à demi-étranglée d’émotion, la bouche aussi sèche qu’un désert de sable.
 
- Euh… oui, bien sûr, je vais bien.

Un baiser… sur la joue ? A cause d’une non-solitude ? Elle le devine tendu… ou déçu ?

Assis face à elle, un inconnu, un total inconnu. Qu’il parle, qu’il dise vite ces mots qui le relieront à celui qu’elle attendait !

Il nous faudra bien discipliner nos émotions, les toutes premières… ne pas leur permettre de nous faire mal pour nous pousser à aller trop vite…
Il nous faudra bien discipliner nos urgences… à moins que ce ne soit elles qui, de l’être trop (urgentes) s’autoparalysent… tu sais comme ces douleurs très fortes… tellement que de l’être trop elles anesthésient le nerf qui les véhicule jusqu’au cerveau…

Il commande un thé. Indique avec moult précisions ses préférences au garçon. Revient à elle. Lui demande si elle a eu bon vol. Lui assure avoir trouvé l’hôtel parfait, la chambre très correcte.

« Correcte ? » Un peu étourdie, elle se rassemble, entre deux acquiescements. Elle se recompose une façade confiante et souriante.

Voilà… c’est passé… le premier choc est contrôlé, absorbé. Mais la chambre… « correcte ? » Elle serait incapable d’en décrire le papier des murs ou même affirmer s’il y a papier ou pas !

Tu ne seras pas ridicule… pour le moins un peu gauche et emprunté… de cette maladresse qui sait si bien me faire fondre comme neige au soleil… et peut-être que je te taquinerai un peu… ou alors serai espiègle pour te faire rire… ou encore c’est moi qui le serai tant - et gauche et inquiète – que toi, malheureux de me voir ainsi, tu éprouveras si fort le besoin de me rassurer que tu en oublieras tout le reste…

Ce n’est rien… rien de plus que le trouble d’un premier instant. Et elle aurait dû prendre le temps de rectifier un maquillage, le rafraîchir. Faire l’effort de… de quoi ? Deviendrait-elle sotte ? Toute cette façade devrait bientôt se trouver bousculée et effacée par des doigts, des lèvres.  Elle sera nue. D’une nudité sans fards.

Mais… pas encore… pas déjà… pas ainsi. Plus maintenant. Au premier regard, oui. Une main tendue immédiatement, et elle se serait levée, s’y serait accrochée, se serait laissée emporter. En une fraction de seconde l’union aurait été totale, absolue… consommable !

« Consommable ? » Du cynisme, en elle ?

Je nous imagine, je nous vis de tellement de manières… mais jamais décontractés, légers, et décidés… je crois que ça… ce ne serait pas bon signe !
Je t’aime !
Je viens… j’arrive, me glisse dans ton sommeil à défaut de trouver le mien…
Parce que j’en perds aussi le sommeil…
Après toutes ces nuits presque blanches, je vais t’arriver fripée comme une pomme rainette… faudra me laisser dormir au moins quarante-huit heures pour réparer tout ça !

Manger ? Elle sursaute… a-t-elle émis tout haut ce « consommable » ? Non… il parle du dîner. Et dîner ? Oui, bien sûr ! Il est plus de vingt heures… Elle n’a pas faim mais peut admettre que pour lui, il n’en aille pas de même. Et puis cela leur donne du temps, du temps devant eux pour se ressaisir tout à fait. Et ainsi retrouver le ton, l’esprit, de tous leurs échanges passés.

Là… ça vient… il lui ouvre la porte, revient très vite se poster près d’elle, et un bras timide se hisse et se pose sur ses épaules. Elle se sent mieux. Où elle veut aller ? Nulle part en particulier ! Elle le lui a dit et répété, elle ne prendra aucune décision ! Lui, qui se plaint de n’avoir jamais pu être décideur de toute son existence, devra se charger de celles les concernant !

Elle, elle se contente de le suivre !

« Tu es un curieux mélange de concret et de rêve, de force et de fragilité, de détermination et de renoncement. »  lui avait-il écrit un jour.

Et moi, je voudrais n’être qu’une partie de toi… lui avait-elle répondu.

Il la guide vers Saint-Michel. Son bras libère parfois ses épaules pour que sa main vienne frôler la sienne et que ses doigts se nouent aux siens. Ils traversent le Petit Pont, le Quai St Michel, débouchent dans la rue de la Huchette. Ils passent devant le Caveau. Ils sourient d’y avoir, chacun, ses propres souvenirs et se promettent d’en construire très vite d’autres qu’ils partageront. La rue St Séverin, celle de la Harpe. Que préfère-t-elle ? Tout et n’importe quoi, elle aime toutes les cuisines.

Mexicaine ? Va pour mexicaine.

Un chili con carne pour lui, un guacamole pour elle. Elle adore ça et plus encore les petits triangles croustillants et épicés qui sont généralement servis avec. Et de toute façon, elle ne pourrait rien avaler de plus consistant. Une salle comble et surchauffée, deux guitaristes. L’idéal pour diluer un reste de gêne. 

La chanson de Nougaro ?

«Sur l'écran noir de mes nuits blanches, Moi je me fais du cinéma Sans pognon et sans caméra, Bardot peut partir en vacances : Ma vedette, c'est toujours toi.
Pour te dire que je t'aime, rien
à faire, je flanche : J'ai du cœur mais pas d'estomac C'est pourquoi je prends ma revanche Sur l'écran noir de mes nuits blanches

Où je me fais du cinéma. Je tourne tous les soirs, y compris le dimanche,
Parfois on sonne; j'ouvre: c'est toi! Vais-je te prendre par les hanches Comme sur l'écran de mes nuits blanches ?Non: je te dis "comment ça va ?"

Pourquoi celle-ci ? Pourquoi à cet instant ? Parce qu’il la lui a envoyée tant et tant de fois ?

« Te voilà déjà dans mes bras,Le lit arrive en avalanche... »

Dans ses bras, elle n’y est pas encore. Etrange comment son comportement change en fonction de l’environnement. Dans la rue, un zeste d’audace ! Petit… très petit, il est vrai… mais quand même ! Et ici, au milieu de tous ces gens, elle a l’impression d’être assise face à une relation professionnelle. Oublie-t-elle qu’il est timide. Il lui a assuré être d’une timidité paralysante.

Il faut se calmer… redevenir sereine et confiante.  Je n’ai, à vrai dire, pas envie de parler… enfin… parler c’est beaucoup dire…Non, je goûte ta peur… elle me fait du bien, elle me rassure quelque part. Je sais que tu comprends ce que je veux dire.

Le guacamole est délicieux, ce qu’elle a eu largement loisir d’apprécier. Le vin  rugueux et charnu se révèle ardent. Ce qui lui convient tout à fait. Ses joues doivent d’ailleurs en témoigner.  Elle se voudrait à la fois hors de ce lieu et faire durer l’instant à l’infini.

Comment ai-je désigné cela ? Ah oui… Une alchimie ! Et cette alchimie me paraissait tellement idéale à cause de tout ce que nous avons véhiculé d’émotions, de ressenti, de communion d’esprit jusqu’ici, que pas une seconde je n’ai supposé que nos corps pourraient trahir cela…

Peut-être vaut-il mieux désirer qu’obtenir ? Ce dernier voile… une fois levé… que nous restera-t-il à découvrir ?

Mais le temps fuit, et les tables se vident. Il faut se lever, reprendre le cours de la vie. Elle le regarde avec tendresse. Ainsi, aussi emprunté qu’elle l’imaginait, il lui redevient accessible, elle le reconnaît tout à fait. Elle lui offre un premier sourire, un vrai, grand, chaleureux. Et elle est ravie de voir naître le même chez lui. Un tout petit effort, d’autres grimaces heureuses et ils finiront bien pas dissiper cet agaçant malaise.

Tu as le trac… et moi je meurs de frousse.
Nous portons en nous la même peur du regard de l’autre.

C’est sur un accord de guitare, qu’ils sortent du restaurant, et bras-dessus, bras-dessous, qu’ils dérivent dans les rues. Elle se laisse aller contre son épaule. Légèrement grise. D’un excès de vin mais également d’un trouble naissant.

Elle en ferme presque les yeux, se laissant guider, pratiquement silencieuse. Elle savoure chaque frémissement qui naît dans des zones secrètes d'un corps qu’elle croyait endormi à jamais. Elle guette chacune des contractions qui brûlent ses reins en vagues successives.. Elle suit la progression d’un plaisir presque oublié et qu’elle retrouve tout à fleur de peau. Une onde de chaleur enfle de son sexe à son ventre à ses seins, enflamme ses joues, son front.  A en hurler de frustration. Elle avance, vibrante de l’intérieur au point de s’en mordre les lèvres.

Elle n’est qu’avide impatience… Et toutes ces portes-cochères… Tous ces antres sombres qui semblent les inviter, les appeler… lequel ? Dans lequel va-t-il enfin se décider à la pousser ? Dans lequel va-t-il enfin la plaquer contre un mur, ouvrir son manteau, remonter sa jupe sur ses hanches, passer les mains sous son pull… les poser enfin sur elle.

Elle avance, tendue de désir au point d’en tituber.

Il ne peut pas ne rien deviner... ne rien percevoir !

Là ? Ici ? Plus loin ? Elle a faim. Faim de sa peau contre la sienne, faim de son désir, de son urgence. Elle a faim de son poids, de sa force sur elle. Et elle a soif, de sa bouche, de sa langue, de ses doigts, sur elle, en elle.  Elle veut gémir sous la morsure de ses dents, elle veut pleurer sous la douleur d’une déchirure, elle veut ployer sous ses assauts, elle veut… elle veut…

Ils arrivent sur le Quai Voltaire ! C’est fini… trop tard… Pour trop d éclairage… Et trop de circulation. Mais l’hôtel n’est pas loin.

Quelques pas… Elle défait la pression de ses ongles sur le cuir du blouson. Elle refoule pas après pas cette impulsion folle, presque indécente sous les projections lumineuses des vehicules qui passent.

Ils y sont…  Elle a repris la maîtrise de ses sens comme elle aurait remis de l’ordre dans sa tenue. Apportant le même soin à lisser son attente qu’elle en aurait eu pour l’étoffe de sa jupe.

C’est lui qui demande les clefs, lui qui les prend. Elle n’a plus aucun contrôle sur la situation.

L’ascenseur les emporte. Une cabine étroite, de celles que l’on trouve surtout dans ces vieux immeubles où aucun espace n’a été prévu pour en accueillir de plus confortables. Ils se tiennent à quelques centimètres l’un de l’autre. Il lui sourit. Elle lui offre en retour une mimique un peu crispée.

Trois étages. La porte. La chambre. Un simple tour de clé, un pas à l’intérieur et elle se raidit un peu de le sentir derrière elle.

Elle se défait de son manteau, le laisse tomber sur le premier fauteuil venu. Deux pas jusqu’à la fenêtre. Qu’elle ouvre. Elle se hisse sur le balcon, s’accoude à la rambarde. Il la suit. Ses mains, enfin, épousent l’arrondi de ses épaules.

- Tu n’as pas froid ?

Froid ? Alors qu’il y a peu elle était incendie, que des braises la consumment encore. Qu’un rien, un mot, un geste, suffirait à les raviver !

- Non… ça va… je vais fumer une cigarette. Ici. L’odeur ne te dérangera pas comme ça.

- D’accord… Je vais dans la salle de bains.

Quelques secondes seule avec elle-même. Elle revient dans la chambre et s’arrête, saisie.

Devant le bureau, sur l’assise du fauteuil, repose un sac, entièrement vidé, et entre ses quatre pieds, des pantoufles sont soigneusement disposées côte à côte.

Elle n’a même pas pensé à prendre les siennes !

Quelques pas jusqu’à l’armoire.

Sur les étagères, des chaussettes, des slips. Pliés et empilés.

Elle regarde son bagage, pense à ses vêtements encore à l’intérieur. En boule.

Il faisait si froid dehors…alors qu’elle promenait son attente autour des murs de Notre Dame… Si froid ! Si horriblement froid !

Sur des cintres, pantalons et chemises affichent leurs plis impeccables.
Elle se tient ainsi, mains accrochées aux battants de bois. Et elle sourit. Un sourire un peu ironique.

Il faisait si froid dehors… alors qu’elle distrayait ses urgences de lui en évoquant les siennes ! Si froid ! Si cruellement froid !

Il est de retour, près d’elle. Il sent le savon, le propre.
Il la prend par la taille, et elle se laisse faire docile.

Te voilà dans mes bras, le lit arrive en avalanche.
Te voilà dans mes bras, le lit arrive en avalanche.
Te voilà dans mes bras, le lit arrive en avalanche.

Ces mots l'obsèdent. Notes lancinantes.

Elle n’est que marionnette soumise tandis qu’il remonte son pull, qu’il l’en défait. Il tire sur la fermeture éclair de sa jupe, la fait glisser le long de ses hanches et elle se redresse, machinalement, pour une aide inconsciente. Le crissement de l’étoffe sur le nylon de ses bas résonne dans sa tête.

Dehors… il faisait si froid ! Si cruellement froid !
Te voilà dans mes bras, le lit arrive en avalanche.

- Tu ne portes pas de culotte ?

- Aujourd’hui ? non… non, je… je… attends…

Pas ainsi ! Pas encore !

Elle se dégage doucement. Se redresse.

S’éloigner ! Elle doit mettre un peu de distance entre eux.

- Il… il faut que j’aille aussi à la salle de bains.
 
Elle s’y rend, toute droite, appuie machinalement sur l’interrupteur et la lumière crue la gifle. Si froidement qu’elle en cligne des paupières sur son regard de myope.

Et elle l’aperçoit. Légèrement penchée, en équilibre dans un verre de plastique. Tellement incongrue pour elle, qu’elle s’en approche.

Une brosse à dents ?

Elle l’imagine… elle le voit aussi nettement que si elle avait été à ses côtés. Vider son sac, plier et pendre son linge de rechange. Et ranger toutes ses petites affaires. Ici le rasoir, là, un flacon de déodorant.

Elle est là, toute l’urgence qu’il avait d’elle. 

Et ça, qu’est ce que c’est ? Un tube de pommade ? Un soin pour la peau. Pour les petits boutons qui encombrent son front sans doute. Voilà le tube de dentifrice. Il est là ! Et il a même pris le temps de défaire un verre de son emballage de cellophane… et d’y placer sa brosse à dents.

Pas même neuve ! Pas même achetée pour l’occasion !

Sa hâte de la rejoindre… elle est là ! Elle en prend la pleine mesure. Elle la ressent dans toutes les fibres de son être. Au travers de toutes ces secondes, ces minutes occupées à satisfaire aux manies  dignes d’un vieux garçon !

Elle quitte la petite pièce, traverse la chambre et ramasse au passage briquet et paquet de cigarettes, en allume une machinalement.

Il est debout devant elle et elle le contourne. Tout droit vers la fenêtre, toujours ouverte, et elle s’assoie à même le sol du balcon sans se soucier du froid qui mord sans scrupule la peau de ses fesses nues.

Il est déjà à ses genoux, ses mains glissent sur le nylon qui gaine ses jambes, remontent. Et elle serre les cuisses.  Se ferme à lui.

- Je veux que tu t’en ailles, maintenant.

- Mais…

- Maintenant !

La seine coule à quelques mètres. Indifférente.
Elle ne la voit pas, ses yeux dérivent ailleurs. Du côté de Notre dame

Elle l’entend, enfant obéissant, s’activer à réunir ses objets personnels.

Quand elle regarde enfin vers l’intérieur, il se tient à quelques pas d’elle, déjà prêt, blouson boutonné jusqu’au menton, encore indécis.

Il faisait si froid dehors… alors qu’elle le supposait tellement… tellement… Il faisait si froid ! Si cruellement froid !

- Pars, s’il te plait ! Va-t-en !

Il lui tourne le dos, s’éloigne…

- Et n’oublie pas ta brosse à dents !

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22 mai 2006 1 22 /05 /mai /2006 02:09

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   Cette salle est l’un de mes nombreux royaumes. Et un assez pimpant, ma foi !

D’épais et lourds rideaux d’un jaune tournesol éclaboussé d’ocre soutenu encadrent gaiement les larges baies ouvertes sur des jardins en friches. Une teinte soleil qui a coulé jusque sur le bois des sièges et des tables, des dessertes et des buffets, et même sur les portes, ne laissant à un obstiné vert olive qu’à peine l’espace indispensable pour pouvoir s’exprimer. Les assises des chaises et fauteuils sont aux couleurs de la Provence, recouvertes de cette étoffe joliment griffée « Souléiado ».

Oui, ce lieu est bien agréable ! J’en suis fort satisfaite !

Il en est d’autres, gris et ternes, où l’esthétique est de beaucoup moins étudié ! Certains sont de vrais antres de désolation ! Au point que, moi-même, bien qu’accoutumée au pire, je m’y sente mal à l’aise. Mais ces derniers disparaissent petit à petit. Enfin, beaucoup auront un jour grimé leur grisaille de clarté... mais pas tous ! Il en restera toujours quelques-uns ! Je vous fais confiance pour cela !

Et puis il y a les « autres »... tous ces petits mondes « individuels ». Ils sont nombreux ! De plus en plus nombreux d’ailleurs ! Quelquefois ces lieux fleurent l’eau de rose, le jasmin, la lavande, quelquefois le rance, la crasse, l’urine. Mais quoi qu’ils embaument, celle, celui ou ceux qui y demeurent y bougent peu... j’y veille !

Je suis patiente ! Très patiente ! J’attends ! Je vous attends ! Bien avant que votre ouie malhabile ne perçoive l’écho du premier vagissement que vous poussez en ouvrant les yeux à la lumière, je commence à vous attendre ! Plus exactement, je suis déjà là, près de chacun de vous, prête à vous accompagner tout au long de votre existence. Chaque seconde, chaque heure, chaque jour, chaque année que vous vivez, vous les vivez avec moi et vers moi.

A quatre pattes ou debout, pressé ou lambinant, chacun de vos pas vous rapproche de moi, et tous ces pas, les fissiez-vous à reculons, que cela n’y changerait rien !

Vous êtes mes « choses », mes créatures et vous me chérissez... Du moins pendant un temps... Oui, durant un temps vous m’aimez et vous m’appelez « la vie »... La vie ! Enfin ! Si cela vous fait plaisir !

Consciencieusement, vous jalonnez ce parcours qu’à tous j’impose. Prime enfance, enfance, adolescence, âge adulte, maturité... autant d’étapes. Sans doute cela vous rassure-t-il et du moment que cela ne me gène en rien, je n’y vois aucun mal.

Il me plait de vous observer, jolis poupons grassouillets, agiter pieds et mains. J’éprouve la tendresse d’une mère pour vos lèvres entrouvertes sur des gencives roses, pour vos mentons baveux, vos crânes au rare duvet.

Oui j’aime vous étudier, et voir comment vous grandissez, membres souples, doigts agiles, joues lisses et rondes autour de sourires perlés de nacre et auréolés de chevelures denses et opulentes.

Je vous épie et je perçois vos rires et vos larmes, je scrute vos espérances et vos désespérances, je soupèse vos courages et vos faiblesses.

Je vous surveille, oui, et je vous étudie avec la même attention qu’aurait un sculpteur envers un bloc de pierre ou un tas de glaise. Plus tendre que marbre, aussi malléable qu’argile, vous êtes, en fait, ma matière première.

Jour après jour, je m’insinue jusqu’au plus profond de vous-mêmes, et j’y cherche l’invisible, l’inavoué, le caché. Car c’est cela qu’à petites touches délicates il me siéra, à mon heure, de ramener à la surface de vos épidermes.

Mais qu’elle m’est longue et douloureuse cette attente ! Combien vous en prenez à votre aise pour atteindre cet « instant de perfection absolue » ! Et que j’aime deviner cet infime laps de temps que dure votre « achevé » !

Que vous êtes beaux ! Tant et tant que j’en frémis d’impatience !

Et j’ose... du bout d’un doigt encore hésitant, je vous effleure pour une ébauche tracée à la pointe légère d’une mine de graphite sur du vélin vierge. Ah ! j’en tremble ! Là, un premier sillon, ici un premier fil blanc. A peine visibles ! Dont vous ne vous souciez pas ! Pas encore !

Et je m’enhardis, le temps passant, à sculpter vos traits immatures. Ici, aux coins des yeux, des lèvres, je dessine des lignes espiègles, reliefs de vos rires heureux, ou alors de profonds et sinistres sillons creusés à l’amertume de vos rancœurs.

Je grave sur vos traits les humeurs qu’à tous vous cachez, tous ces secrets que j’ai cueillis au tréfonds de vos âmes, ainsi je les affiche, les dénonce. Vos amours et vos haines, vos élans et vos regrets, vos joies et vos rages, vos bonheurs et vos désirs refoulés, c’est avec tout cela que je vous cisèle une apparence.

Et je ne m’arrête pas à si peu ! I

D’une simple caresse je fripe une peau, d’une chiquenaude voilà que j’agrémente ce parfait cou de cygne d’un jabot flasque de vulgaire volaille. D’un pincement je grippe des articulations, une pression sur eux et les seins se soumettent et abaissent leur arrogance.

Mâles ou femelles, je n’ai pas de préférence, tout est bon sous mes doigts appliqués. Et les tailles s’épaississent, les chairs s’alourdissent, s’affaissent, les os ploient sous mes soins attentifs.

Parfois quelques-uns parmi vous m’échappent, ravis à ma voracité destructrice par celle qui, ainsi que je le fais moi-même, dès le premier battement de votre cœur fragile, attend son heure. Moins patiente, cette stupide rivale se laisse aller à couper, trop tôt, le fil ténu qui vous relie à l’univers. Maudite Camarde ! Ne peut-elle, en paix, me laisser parfaire mon œuvre !

Ce qui m’enrage, c’est que, contre elle et pareillement à vous, je suis impuissante ! Tout autant qu’il me déplait qu’elle vous inspire bien plus d’épouvante que moi ! Car si cette indifférente et expéditive porteuse de faux vous semble être d’une cruauté aveugle, je le suis, moi, bien davantage qu’elle ne le sera jamais !

Oui, je suis cruelle ! Ne l’aviez-vous pas deviné ?

Ha ! Venez, venez à moi, tendres agneaux ! J’ai soif, j’ai faim, de cette jeunesse qui sourd de chaque pore de vos corps divins ! Venez que je la gobe, la savoure, et m’en délecte enfin !

J’aspire à pleines lèvres la douceur de satin de vos carnations, je me gave du suc de vos organismes !

Et le rose vire au bistre, le nacré se couvre de cendres alors que la soie devient vilain crépon froissé. Vos cheveux tombent à pleines poignées et vos cœurs s’essoufflent, vos gorges râlent, vos doigts si fins, si lestes, s’engourdissent de nœuds douloureux cependant que vos yeux usés de larmes se voilent.

Oui, vous pleurez ! Tous ! Vous pleurez car vous prenez enfin conscience de ce que je suis ! Vous, pauvres sots, qui me nommiez « vie ! » alors que, en fait, dès votre premier souffle, vous n’avez fait que vieillir !

Oui, pleurez ! Tant il est vrai qu’avec aucune autre espèce que la vôtre, je ne me montre aussi raffinée dans mes travaux de décrépitude ! Mais qu’y puis-je si vous, pour avoir reçu les dons de « connaissance » et de « conscience », ne m’en êtes que plus attrayants ! De vrais défis à mes acharnements !

Revenons vers cette salle au décor chaleureux, à ces jardins offerts à vos regards éteints et larmoyants ! A ces tables sur lesquelles vos doigts battent cartes sans nom ou mesures inaudibles, à vos fauteuils qui roulent, emportant vos corps infirmes et impotents sur leurs cercles de gomme silencieuse au hasard de travées hurleuses et bafouilleuses.

Oui, revenons vers vos jambes découvertes exhibant leurs oedèmes noirs et purulents, vos membres ratatinés, recroquevillés sur des souffrances gémissantes, vos têtes trop lourdes désormais pour vos nuques surchargées d’arthrose.

Pourquoi fermez-vous les yeux devant cette mâchoire qui pend, rétive à s’unir à sa jumelle, sur ces doigts qui triturent à s’en blesser quelque morceau d’étoffe ou un gobelet inutile ? Auriez-vous peur d’y voir le reflet des vôtres ?

Assez de jérémiades ! De quoi vous plaignez-vous donc ! Voyez ! A vos derniers instants je vous fais un ultime cadeau, comme une récompense !

Regardez-vous ! Voyez vos mains et vos pieds qui gigotent encore de spasmes incontrôlables, et vos lèvres sans force gisantes sur vos gencives édentées ! Vos mentons sont de nouveaux baveux sous vos crânes déplumés. Vos mémoires s’animent aux tout premiers de vos souvenirs. Vous balbutiez, en revenez au langage primaire.

Voyez combien je vous aime pour vous rendre à votre premier éveil !

Oui ! Je vous rends aux cerveaux vides, à l’inconscience, à l’ignorance.

Et c’est là que surgit l’autre qui s’impatiente ! Celle que vous redoutez follement alors que, bienveillante, elle vous arrache enfin, vous mes jouets usés et fatigués, à mes raffinements cruels !

Mais vous êtes si nombreux à venir encore... j’ai de beaux jours devant moi...

...    et cela aussi longtemps que vous, vous durerez.

 
 
 
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22 mai 2006 1 22 /05 /mai /2006 02:06

 

 

 

Un ciel bas, d’un gris sale déprimant, totalement déplacé au-dessus d’un village de Provence en ce premier jour d’août.

L’homme - grand, au corps  aussi robuste qu'un chêne, aussi souple qu'un peuplier, aussi noueux qu'un platane - s’accorda quelques secondes de repos et laissa son regard dériver sur le paysage terni de trop de grisaille. Entre les pins, sur sa gauche, un triangle de plomb avait enchâssé les turquoises marines qui, hier encore, scintillaient d’éclats d’or pur.

Il s’essuya le front à même la peau de son avant-bras, épongeant partiellement les rigoles salées qui lui brûlaient les yeux. Une heure, deux peut-être, et il en aura terminé ici.

Déjà quelque chose de bien connu s’agitait en lui. Un mal-être, un sentiment d’urgence. Un appel profond et irrépressible.

À quelques pas, juste en contrebas de la maison, la nationale déroulait ses courbes douces. Pas de début, pas de fin visibles. Le ruban d’asphalte noire surgissait de bosquets rabougris, courait sur une dizaine mètres puis disparaissait entre d’autres arbustes.

Deux inconnues… l’avant… l’après…

Il plissa les paupières sous un effort invisible.

Son avant… Rien ne persistait dans sa mémoire des jours, des mois, des années passés. Rien au-delà des dernières quarante-huit heures. Hier… il avait poncé ces mêmes volets… il avait gratté peintures et vernis écaillés. Depuis quand ? Combien de jours ? Et la crécelle qui résonnait dans sa tête ? Cette voix caqueteuse qui n’en finissait pas de tourbillonner autour de lui, martelant ses tympans d’accords aigus… Il lui semblait l’avoir toujours entendue, subie, haïe, pour la retrouver jusque dans le plus ancien de ses rares souvenirs vieux d'à peine quelques heures..

Son après… il en ignorait tout. N’en prévoyait rien… Sinon ce morceau de route qui déjà l’appelait… qu’il savait devoir bientôt emprunter. Dans un sens ou dans l’autre. Vers les collines, vers l’intérieur confiné des terres ou alors vers le bord de mer, vers un espace ouvert sur l’infini. Ce sera en fonction des signes…

Il se redressa et reprit le pinceau oublié. Il scruta longuement le fond de la boite de vernis coloré ouverte devant lui.

« Bien assez pour en terminer » décida-t-il au jugé.

Il se jucha de nouveau sur le haut tabouret, fesses étroitement calées sur l’inconfortable assise, jambes tendues jusqu’à poser la pointe des pieds sur les dalles roses.

La terrasse… il en connaissait le moindre recoin. Il en avait refait le tour dès son réveil. Renouvelant ses repères, ceinturant son espace vital de certitudes.

La maison lui demeurait inconnue. Il n’y entrait que pour de rapides repas pris sur un coin de la table de la cuisine.  Collations frugales et insipides, des instants fugitifs dont il ne gardait que peu d'images au-delà du dernier. Et encore ! Quelques détails seulement. La tranche de jambon, si pâle, si fine, qu’il en frémissait encore de dégoût aux sillons bleus des  pétales de céramique. Comme chair encore vivante, drainée de veines palpitantes. Et la tomate ouverte sur une pulpe sanglante perlée de sel. Sa main avait glissé sur la table repoussant doucement l’assiette loin de lui. Trop de rouge…

La femme l’avait regardé, lèvres pincées, sourcils froncés. Sans mot dire, de ses doigts fins et raides elle avait ramené le plat vers elle et séparé la couenne de la chair rose pour l’offrir du bout de ses ongles longs et vermillons au chien assis à ses pieds.

L’homme avait eu du mal à réprimer un haut-le-cœur lorsque la mâchoire canine avait happé le cordon tremblant de gélatine transparente.

Une nausée qui persistait en lui depuis…

Il trempait consciencieusement le pinceau dans un pot vide depuis longtemps, passait de haut en bas, de bas en haut, de droite à gauche, de gauche à droite, une brosse quasi sèche… méticuleusement… veillant à ne pas oublier un seul centimètre carré.

La première goutte lui érafla l’oreille, la seconde s’écrasa sur sa main tendue, une autre encore vint se mêler à celles, salées, qui emperlaient sa nuque.

Juste à temps… Juste ainsi qu'il l'avait pensé… ou senti… deviné. Il en avait terminé avant l’orage. Le premier signe. Ce signe qu’il attendait depuis l’aube… L’eau… Cette eau qui allait le laver des odeurs domestiques, décaper sa peau des sensations accumulées depuis… depuis quand ?

Quand était-il arrivé là ?

Et le ciel ? Plus le même… À son insu, il avait viré du gris au noir, recouvrant l’espace d’immenses plaques opaques.

« Un ciel de fin du monde » murmura-t-il…

Il rassembla tout son matériel dans le panier que la femme lui avait confié à cet usage.  Qu’il devait ranger… ranger où ?

Quatre marches unissaient la terrasse au jardin… Qu’il savait devoir descendre pour atteindre l’allée qui le guiderait vers la remise. Cette dernière était fermée par un gros cadenas… Détail dont il se souvenait, mais qui n’avait aucune importance : Sa tâche s’arrêtait là !

Il repoussa le tabouret contre le mur et posa le panier dessus. Il en avait terminé. Ne restait qu’à réunir ses maigres possessions et reprendre la route.

Satisfait, il regarda les six fenêtres ouvertes, leurs volets… comme neufs.

Son avare mémoire gardait encore les mots de la femme, le nom de la couleur… bleu pervenche… Un bleu qu’il ne connaissait pas. Alors il avait choisi ce vert… de la nuance exacte des bouquets d’aiguilles de pins qui ombraient le jardin. La crécelle s’était emballée, rageuse, avec des envolées  stridentes soulignées par le staccato affolé des sandales de bois allant et venant autour de lui.

« Je ne vous paierai rien ! Vous entendez ! Rien ! Rien ! Rien ! Pas un sou ! Et estimez-vous heureux que je ne vous fiche pas à la porte ! Vert ! Mais qui vous a dit vert ! Je ne veux pas de vert ! Espèce de bon à rien !… »

Il avait continué à peindre, refermé en lui-même, concentré à contrôler le tremblement de ses doigts, à maîtriser la « chose » sournoise qu’il sentait s’éveiller en lui. Pas ça… pas ça…

Adossé à la balustrade, il se décida satisfait des claire-voies qui se découpaient nettement sur la façade. Bronze mat sur ocre pâle… Tous deux intensifiés par les lueurs plombées d’un ciel d’orage.

« C’est bien ! » Dit-il à voix haute.

Derrière lui, le chien grogna, d’un grognement tendre pour un amical assentiment.

La pluie inondait son crâne, suivait les lits étroits formés aux rides de son front, glissait le long de l’arête de son nez, perlait à son menton, ruisselait de ses épaules à ses bras, ses mains, gouttait au bout de ses doigts, détrempait son tee-shirt, son pantalon, collant les étoffes de coton et de toile à son torse, ses jambes, formant des flaques sous ses pieds nus.

Il n’était pas de vie sans eau… Et il absorbait la vie par chaque pore de sa peau, s’en imbibant jusqu’au plus profond de lui-même. L’eau… Son avant était d’eau… sa seule certitude… et son après ne pourrait être sans eau… Il n’était point de vie sans eau.

« Venez vous mettre à l’abri ! Ne restez pas ainsi sous l’averse ! »

Il sursauta et se tourna vers une voix d’une douceur inconnue…

La femme lui faisait signe de la rejoindre. Elle lui parut plus grande, plus fine, plus élancée. Vêtue d’un long fourreau vert tendre et avec sa chevelure d’un rouge flamboyant, elle lui évoqua un hibiscus géant.

Surpris par cette image, il la fixa quelques secondes, puis refusa son invitation d'un mouvement de tête et reprit sa position première. 

Des taches roses, jaunes, bleues, mauves émaillaient l'émeraude des plates-bandes qui ourlaient la terrasse. Délicats pétales de soie multicolore pour d'éphémères coupes, fragiles réceptacles qui ployaient sous une trop abondante manne liquide.

Hier encore taries et poussiéreuses, deux vasques rejetaient leur trop-plein, vomissant feuilles mortes et brindilles alors que dans la lumière métallique s'estompaient arbres et tonnelles, que choses et distance se diluaient réduisant la réalité d'un périmètre à celle d'une balustrade.

Il huma longuement l'odeur de terre mouillée, suivit du regard les ruisseaux boueux qui se bousculaient au bas des marches, emportant avec eux tout un tas d'immondices ramenées des collines auxquelles s'appuyait la bâtisse.

"L'eau lave tout... le ciel et la terre, bêtes et hommes... tout !" énonça-t-il doucement. 

 Les doigts fins et raides aux ongles longs et vermillons se posèrent près des siens noueux et forts aux ongles écornés et noircis.

"J'ai peur des orages..." murmura la femme d'une voix éteinte. "Et celui-ci est... est... terrible !... Et ce n'en est pas le coeur encore... Ecoutez... Ecoutez comme il tonne... il se rapproche... "

L'homme haussa les épaules, désarmé devant l'aveu d'une crainte qu'il ne comprenait pas.

"Votre nom... vous ne m'avez jamais dit votre nom..." Demanda la femme.

Il réfléchit un instant, cherchant dans sa mémoire... Un nom ? "Son" nom ?

"Pas de nom..." finit-il pas articuler.

"Tout le monde a un nom...  Mais si vous ne voulez pas me donner le vôtre... ça vous regarde !" cracha la femme en retrouvant des accords de crécelle. 

"Pas de nom..." répéta-t-il... .

Il était, cela suffisait. Il respirait, buvait, mangeait, se mouvait, ressentait. Quoi que soit ce nom que désirait connaître cette femme, il ne lui apporterait pas davantage.

Il plissa les paupières, affûtant son regard pour scruter au plus profond les rideaux liquides ondoyant devant lui, tout autour de lui... cherchant l'issue. Un passage. Celui qu'il allait bientôt devoir emprunter. Le prochain signe. Il releva le front, regarda au-dessus de la maison. 

"Je vais là-bas !" déclara-t-il soudain.

"Où ? Où partez-vous ? Pas maintenant ! Pas déjà !" cria la femme d'une voix étranglée. "Ecoutez les collines, les arbres, qui craquent, se tordent, bougent, s'écroulent, glissent, dévalent..."

Près d'eux, le chien s'ébroua vigoureusement, essorant son pelage, puis s'éloigna jusqu'à se mettre à l'abri à l'intérieur de la véranda couverte qui prolongeait la cuisine.

"Et je n'ai pas votre argent... je n'ai pas eu le temps de le retirer, et il n'est pas question que j'y aille maintenant ! Vous devrez attendre... attendre que la pluie cesse..." s'emporta la femme.

L'homme ferma les yeux, tendu soudain, tous ses sens en alerte... argent... un mot qui ne lui rappelait rien...

Sans répondre, il fit demi-tour et se dirigea vers la véranda où gisait un sac à demi rempli. Il regarda autour de lui, détailla quelques vêtements puis les rangea  dans la besace qu'il ferma soigneusement avant de la déposer au pied du matelas relevé contre le mur de briques d'argile. Là où il allait, il n'en aura pas besoin.

Il se redressa et jeta un coup d'oeil autour de lui puis posa une main pesante sur la tête du chien qui l'observait gravement... et qui gémit comme s'il avait conscience de recevoir sa dernière caresse.

Il était temps... L'eau l'appelait, et la terre. Il chancela ... déjà  ivre, de trop d'odeurs, d'effluves, d'arômes. Il les goûtait, les savourait, allait de découverte en surprise.

Il savait désormais où il devait se rendre, quel endroit l'attendait.

Oui... Il était plus que temps de se mettre en route, ses membres s'engourdissaient déjà.

Il leva la tête, fixa un point au dessus du toit, un lieu de roches affleurantes et de buissons et se mit en marche.

La pluie tomba durant trois longues journées, sans discontinuer. Trois jours interminables durant lesquels la femme se terra entre les murs de la maison aux volets comme neufs. Elle pleurait, tremblait, criait, à chaque fois que le ciel lançait ses bordées de coups de semonce, à chaque ébranlement du sol, à chaque roche qui dégringolait de la colline...

Et puis le calme revint, sans se faire annoncer mais dans une débauche de lumière, de trilles d'oiseaux, de bourdonnements d'insectes. De tous ces bruits qui font un silence.

Ce fut joyeusement que la femme se précipita à l'extérieur et son coeur se serra devant son jardin dévasté. Bouche bée, elle avança vers les bordures défoncées par la force aveugle des ruisseaux, les bosquets déchiquetés par les rafales meurtrières d'un vent enragé et les pelouses englouties par les glissements de terrain. Elle se tourna vers sa demeure, redoutant déjà le pire, calculant par avance le montant des dégâts occasionnés au toit, aux murs, et se rassura aussitôt en constatant que si quelques pans de la colline avaient été emportés, l'essentiel avait été préservé, et que pas une seule tuile ne semblait avoir souffert des éléments déchaînés..

Et elle se figea... étonnée... découvrant au coeur d'un paysage mille fois détaillé un élément nouveau. Dans un lieu qu'elle avait toujours connu dénudé, juste au-dessus de la maison, un lieu de pierres et de broussailles, se dressait un chêne énorme à l'épaisse frondaison... aussi fermement que profondément ancré au flanc raviné, recouvrant et retenant terre et roches entre ses puissantes racines.  

A deux pas d'elle, le chien agita la queue, heureux... et s'élança en aboyant, comme courant à la rencontre d'un ami qu'il croyait perdu.

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15 mai 2006 1 15 /05 /mai /2006 01:32

1

 

La frêle silhouette traversait les champs fraîchement retournés, trottinant sur les larges sillons de noire terre grasse. Aussi résolue et véloce qu’une intrépide souris égarée, elle s’éloignait des landes incultes alors que, devant elle, se dressait une haute muraille d’arbres dont les denses frondaisons crénelées se nimbaient fugacement de pourpre et d’or.

Tout près, un long cri lacéra le silence.

La jeune femme s’immobilisa un instant, oreilles tendues. Un loup ! Ce n’était qu’un loup qui hurlait à la lune rose.

Elle se remit en marche, sans accélérer davantage l’allure tant elle était persuadée que nul mal ne pouvait lui advenir de ce farouche et indompté compagnon à quatre pattes.

Enveloppée d’une ample cape brune au capuchon soigneusement rabattu sur ses cheveux de nuit, elle avançait d’un pas assuré, ombre dans l’ombre mouvante des nuages qui glissaient silencieusement, très haut au-dessus d’elle, telle une escorte vigilante.

Tête baissée, elle allait, les mains délicates jointes contre la poitrine, uniquement soucieuse de ne pas relâcher l’étreinte de ses doigts autour d’une bourse au cuir usagé, la maintenant sans cesse au contact de son corps.

Si bien concentrée sur cette tâche qu’elle faillit buter sur une énorme roche moussue couchée au pied d’un buisson.

La Pierre de la Sorcière[1] ! Ce qui signifiait qu’elle était aux portes de Spott. Dangereusement proche d’ailleurs, si elle se fiait aux lueurs qui dansaient entre terre et ciel, plus nettes, plus fortes.

Une longue trentaine de miles la séparaient encore de Dunbar. Si elle ne pouvait se permettre de perdre du temps, il n’était pas question pour autant de s’aventurer à traverser Spott, de risquer d’être surprise par ses habitants, d’être livrée à leur folie. Elle devait contourner le village.

Elle regarda autour d’elle, lentement, scrutant le moindre repli du terrain, étudiant posément le meilleur itinéraire possible.

Sur sa gauche, les berges dégagées de la rivière lui promettaient une progression facile, mais la feraient également vulnérable, pour trop de clarté lunaire intensifiée par le miroir des eaux calmes, pour ne lui offrir aucun abri où se réfugier si nécessaire.

À sa droite, le dôme dénudé de Brunt Hill émergeait d’une collerette boisée ourlée de fougères géantes.

Un fouillis végétal inextricable, le refuge des peuples du dessous et du dessus, et, pensa-t-elle, animant d’un sourire ses lèvres pâles, nul individu, à des lieues à la ronde, suffisamment audacieux pour se hasarder, après le crépuscule, sur ce sol supposé creusé d’une multitude de galeries aussi actives et grouillantes que d’immenses termitières dans lesquelles s’affairerait l’espiègle petit peuple des lutins.

Mieux encore, entre la colline et les premières masures, du haut de ses neuf pieds, le massif menhir de Easter Broumhouse pointait de sa tête ocre les frileuses étoiles. Contexte fort appréciable pour qui avait bien plus à redouter de ses frères humains que des Brownies, hôtes familiers de ces vieilles pierres levées et que beaucoup médisaient ombrageux et irascibles.

Il était temps de reprendre la route. Celles qui l’attendaient, à Dunbar, patienteront quoi qu’il leur en coûtât mais elle n’avait pas le droit de mettre leur vie en péril par de trop longs atermoiements.

Le cercle des Ombre[2] se resserrait, elle les sentait ! Si proches ! Tellement ! Bien sûr, elle s’était montrée discrète, et prudente ! Mais elle avait si peu d’expérience ! Elle se savait si mal armée pour mener à bien cette importante tâche.

Elle secoua la tête, repoussant ces craintes importunes et, affermissant sa prise autour de l’aumônière de cuir élimé, elle se hâta vers la sécurisante obscurité du sous-bois.

Quiconque eut suivi la progression de l’inquiète fugitive aurait pu jurer, sans mentir, que les hautes feuilles lui ouvraient la voie avec complaisance. Qu’elles défaisaient à son approche leurs nœuds de dentelle pour les retisser aussitôt derrière elle. Que l’herbe ne se couchait pas sous ses pieds rapides, qu’aucune brindille n’était assez sournoise pour craquer sous son poids léger.

Et si cet observateur eut été vraiment attentif, il aurait pu surprendre une larme, une seule, limpide diamant de l’eau la plus pure, perler sur la courbe des cils noirs, glisser sur l’albâtre diaphane d’une joue, et hésiter sur le doux arrondi d’un menton avant de se réfugier dans un rude repli d’épaisse étoffe brune.

Et aussi l’autant étrange qu’impalpable halo iridescent qui jaillissait fortuitement d’entre les pans indiscrets d’une cape soumise aux caprices d’un vent mutin.

Mais la nuit était déserte, et Spott fut rapidement distancé. Entre deux buissons dansa un éclat d’argent, puis d’autres, moirure morcelée aux rides du courant. La rivière glissait silencieuse et sereine, à quelques foulées seulement.

Ne la rejoignant pas ainsi qu’elle l’avait prévu, la jeune femme redoubla d’attention. Elle scrutait désespérément la berge à la recherche du ponton écroulé.

À moins que, pour avoir marché trop longtemps à couvert, elle ne l’ait dépassé.

Non… Elle reconnaissait le coude familier que faisait, ici, la Spott Burn.

Elle se rapprocha de la rive, trois, deux mètres, et elle distingua enfin sur l’onde scintillante une avancée sombre et déchiquetée. Un pas encore et elle sentit ployer sous elle les planches vermoulues.

Et elle la vit.

Une barque courte et étroite, si basse que ses bords n’étaient qu’à quelques pouces au-dessus de l’eau glaciale. Et trop loin ! La corde d’amarrage était trop longue ! 

Ses doigts étaient douloureux contre sa poitrine, esclaves épuisés d’une vigilance sans faille. Et là, maintenant, comment ramener l’esquif vers elle sans faire appel à eux ?

D’un brusque mouvement de tête elle rejeta la capuche en arrière, et, protégeant son trésor secret d’une main, entreprit de se défaire de sa pèlerine de l’autre.

Habilement, elle la fit glisser de ses épaules, desserra son corselet et ouvrit sa chemise.

Elle plaqua tendrement entre ses seins menus le petit paquet et réajusta son corsage au plus serré, tirant fortement sur les lacets, jusqu’à presque incruster dans sa chair les reliefs durs d’un objet mystérieux même pour elle.

Agrippant la corde alourdie d’un excès d’eau, elle tira de toutes ses forces. La petite embarcation enfin à sa portée, elle ramassa son large manteau, l’y jeta avec adresse, et embarqua avec prudence.

Posées sur le fond plat, elle trouva deux rames. Elle prit le temps de s’envelopper de la chaude protection de sa cape, et s’arc-bouta sur les avirons.

Elle gagna habilement le milieu du cours d’eau jusqu’à se sentir happée par le courant.

Désormais, elle n’avait qu’à se laisser porter, veillant seulement à ne pas approcher de trop les bords. Presque hors de portée.

Seulement quelques heures et Dunbar dressera devant elle les ruines de son château.[3]

Où la Licorne attendait.

Elle pensa à Marion Lillie, et à toutes celles qui, pauvres esprits égarés, avaient joué avec des forces qui les dépassaient. Se prétendant ce qu’elles n’étaient pas ou bien captives de l’Axe Noir[4].

Coupables surtout d’avoir attiré sur des innocentes les foudres d’une meute enragée.

Trois en ce triste cinq octobre 1705… Trois de trop… Sans doute pas les dernières.

Deux autres jeunes et belles existences avaient également été sacrifiées pour protéger ce qui meurtrissait sa peau.

Combien encore ? La sienne aussi peut-être.

Frissonnante, elle jeta un dernier regard derrière elle.

Au loin, les flammes étaient toujours hautes. 

Les bûchers brûlaient bien ce soir à Spott.

Elle hoqueta sous les soudaines serres froides qui refermèrent brutalement un étau de glace sur sa poitrine, qui assaillirent sa gorge.

Yeux écarquillés d’effroi, elle vit des nuées d’étincelles bleutées émaner de sa bouche ouverte, de sa peau, de tout son être, des cristaux de givre, impalpables, qui flottèrent comme irrésolus, avant de former une longue et fine flèche d’argent luisant qui s’élança droit vers l’infini de l’espace.

Et les étoiles disparurent dans un ciel d'un noir subitement opaque, linceul jeté sur la Terre, funeste écrin pour un rubis de feu.

[1] A environ 0,5 mile de Spott, abrité par des buissons, un énorme bloc de pierre est couché sur le sol. D’après la légende, il marquerait l’endroit, où, en l’année 1698, Marion Lillie « The Ringwoodie Witch », accusée et reconnue coupable de sorcellerie, fût jugée et condamnée au bûcher. 

[2] Anges des ténèbres

[3] Irrégulières et rouges, les ruines qui dominent le port de Dunbar sont les seuls vestiges de l’un des châteaux forts les plus imposants, sur le plan stratégique, de l’époque médiévale. La forteresse subit de multiples assauts, et l’épisode le plus marquant de son histoire est incontestablement l’ardente défense que soutint en 1339 « Black Angel », comtesse de March et de Dunbar, contre les troupes anglaises conduites par Salisbury. Le Parlement écossais ordonna sa démolition en 1567.

[4] Confrérie regroupant tout ce que l’univers compte de sorciers et de démons

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15 mai 2006 1 15 /05 /mai /2006 01:17

2

Au milieu même du cours d’eau, docile aux vaguelettes qui la poussaient, la barque étroite glissait, portant son fardeau endormi, désormais vulnérable aux premières lueurs de l’aube qui délayaient impitoyablement la sécurisante protection des ombres nocturnes.

La tête posée sur l’épaule, nuque ployée et douloureuse de trop d’inconfort, la jeune femme gisait, jambes repliées sous elle et mains ouvertes autour de la rugosité des rames rustiques.

Le capuchon à demi rejeté dévoilait un fragile profil aux traits tirés jusque dans le sommeil, plus pâle encore sous le noir de jais des mèches en bataille échappées des mailles d’une sage résille.

Le col desserré de la cape laissait entrevoir la finesse du cou, la douceur de la gorge que ne pouvait ternir une vilaine meurtrissure d’un bleu violacé.

Mais l’aube s’étalait à son aise, ranimait bêtes et hommes. Les trilles d’un oiseau écorchèrent le silence, un chien aboya, au loin, et des voix humaines glissèrent sur l’onde, amenées par la brise matinale. La vie des heures claires reprenait doucement ses droits.

Une chatoyante lueur rose s’éleva d’entre les pans entrouverts de la pèlerine de la jeune femme assoupie.

Aussitôt, des lambeaux de brume effilochée s’élevèrent des eaux cristallines, s’ordonnèrent en un épais cocon autour de la légère embarcation, tandis que, contrainte par une force invisible, cette dernière obliquait vers la gauche, se rapprochant de la rive jusqu’à effleurer une haie de roseaux, et s’arrêter, habilement retenue par les branches pendantes d’un saule.

 Et là, comme par jeu, du plus profond du lit de la rivière, jaillirent des dizaines de traits aux écailles d’argent qui, espiègles, éclaboussèrent de mille gouttelettes la silhouette immobile.

Qui tressaillit sous l’humide assaut, remua un peu, et s’éveilla enfin. Et alors que des doigts fébriles se portaient aussitôt sur une poitrine pour s’assurer de la présence de la petite bourse, deux grands yeux gris s’ouvrirent au clair-obscur de rideaux feuillus.

Les sens immédiatement en alerte, la jeune femme se redressa vivement, faisant osciller dangereusement la petite barque et malmenant ses membres ankylosés. Ce qui l’incita très vite à se mouvoir avec davantage de modération.

Après avoir bien observé autour d’elle, elle s’assit de nouveau, le temps de reprendre souffle et de faire le point sur sa situation.

Pour se laver des miasmes d’une nuit de mauvais repos, elle plongea ses mains en coupe dans l’onde claire, projeta l’eau recueillie sur son visage, et elle plissa le nez sous l’étrange odeur iodée qui en émanait. Elle passa sa langue sur ses lèvres, goûtant l’amertume, surprise de lui reconnaître des saveurs marines. Et elle sourit, réalisant brusquement que cela signifiait que la mer était très proche, bien assez pour mêler ses flots à ceux de la Spott Burn.

Mieux encore, à en juger par le sens du courant, elle se trouvait du bon côté, sans plus aucun obstacle devant Dunbar.

Rassérénée, elle mit un peu d’ordre dans sa tenue, réajusta son corsage. Elle observa quelques secondes l’ecchymose qui bleuissait la naissance de sa gorge, l’effleura délicatement, étonnée de ne ressentir aucune douleur.

Mais il sera temps de s’en soucier plus tard. Dans l’immédiat, l’important était de se remettre en route, d’atteindre la côte et de la suivre jusqu’à Dunbar.

Elle marchait depuis deux longues heures lorsque, parvenue au sommet d’un talus, les lueurs plombées de la Mer du Nord s’offrirent à son regard.

Elle frissonna d’espoir, toute droite dans cette lumière froide d’avant l’orage, sous laquelle chaque chose - ombre, feuille, chemin, le moindre caillou - semblait ciselée, prenait un plein relief, par laquelle les couleurs, étrangement, s’intensifiaient ainsi qu’étoffes mouillées. Le vert tendre de la luzerne devenait sombre émeraude tandis que les ocres des roches affleurantes viraient taches de rouille.

Et, tout au loin, sur les vagues d’argent terni, l’écume qui les ourlait n’était plus que cendres éparses.

L’air fleurait la tempête. Mais ainsi, lourd et menaçant, le ciel devenait complice. Qu’une ondée s’abatte, qu’elle refoule hommes et bêtes à l’abri de leurs demeures, de leurs tanières, et la voie serait libre pour celle qui se rêvait invisible durant la dernière étape de son voyage.

Comme si répondant à cette ardente attente, quelques gouttes claquèrent entre bruyère et rocaille, tirs de semonce d’une armada céleste de noirs et pesants vaisseaux chargés à ras bord d’éclairs, de foudre et de grêle.

Et alors que les premières bordées tonnaient à en ébranler les nues, la jeune femme s’engagea sur une sente qui sinuait tout droit vers ce qui demeurait de l’austère silhouette du Castel de Dunbar.

Elle parcourut sans encombre la lande déserte, atteignit la côte. Dressée sur la pointe des pieds, défiant vent et embruns, elle prit quelques secondes pour bien se situer. La tour s’élevait sur sa gauche, dominant l’effrayant rocher des gorgones. Et son cœur s’emballa. C’était bien la clarté rassurante d’un feu qui dansait à une centaine de mètres devant elle, exactement là où elle l’espérait.

Quelques minutes encore, un dernier effort, celui d’oublier la profonde terreur que lui avaient toujours inspiré ces monstres pétrifiés,ces faces déformées par la rage, la peur, la douleur, cet amoncellement de corps entremêlés, figés pour l’éternité, rejetés ou sculptés par les caprices des Dieux marins.

Au-delà se trouvait le salut !

Elle avança, tremblante, et dut réunir tout son courage pour poser un pied sur le premier gnome de pierre torturée, mais c’est avec une folle détermination qu’elle escalada ces horreurs grimaçantes. 

La joie, l’espérance, la portaient, la poussaient. Et elle courut, malgré l’eau glacée qui alourdissait ses jupons, sa jupe, mordait ses chevilles. Retenant tout appel joyeux qui aurait pu alerter un esprit malveillant.

Et enfin : La grotte, trois silhouettes assises autour d’une claire flambée, trois têtes qui se tournèrent vers elle, à l’unisson, et un cri, un mot lancé d’une seule voix…

- Silvine !

Elle s’écroula entre les bras tendus, passa des uns aux autres, mille fois étreinte, embrassée, cajolée, rendant caresse pour caresse, baiser pour baiser.

Et encore…

- Tu es là ! Tu as réussi !

Très vite ce fut à qui la déferait de ses vêtements mouillés et sales, et elle n’eut que le temps de se saisir de la petite aumônière de cuir.

- C’est ça ? Demanda Elina.

- C’est dedans, répondit Silvine.

- Tu l’as touché ? S’inquiéta Nitia.

- Non, la rassura Silvine. Je sais que nul ne le doit.

- Tu l’as vu ? Interrogea Orlane.

- Non, je ne l’ai pas vu. Seulement ressenti. Là… ajouta-t-elle en ouvrant son corsage.

Les trois jeunes filles détaillèrent avec une curiosité mêlée de tendresse l’étrange meurtrissure entre les seins de leur amie.

- C’est douloureux ? S’enquirent-elles dans un ensemble parfait.

- Non, pas du tout, leur assura Silvine, souriante.

- C’est bizarre, murmura Elina, cela semble phosphorescent.

- Et avec une forme bien particulière, ovale et en même temps… on dirait des ailes qui tiennent un œuf, décrivit Nitia.

- Je suis certaine que, lorsque l’hématome aura disparu, ce sera très beau, assura Orlane.

Silvine hocha la tête, en signe d’assentiment, tout en observant la marque sur sa poitrine, pensive.

- Il y a plus extraordinaire encore, confia-t-elle doucement.

- Quoi donc ? Articulèrent six lèvres roses.

- Hé bien, j’ai une curieuse impression… le sentiment de… de savoir. Moi, la novice ignorante, j’ai l’intuition profonde de la connaissance. D’avoir assimilé en quelques heures, sans même en être consciente, ce qui demande des années d’études. C’est embrouillé, mon esprit est confus, comme s’il se trouvait submergé d’acquis non encore classifiés, ordonnés. Mais je sens que tout est là ! En moi !

- Ô ! Formèrent trois bouches arrondies.

- Oui, et cela m’effraie un peu avoua Silvine.

Elina et Nitia prirent chacune une main de Silvine et de Orlane formant ainsi un cercle clos.

- Plus fortes nous serons et moins nous risquerons, affirma Elina.

- Si ce que tu penses est vrai, ce n’en est que mieux déclara Nitia.

- Nous aurons besoin de toutes nos forces pour mener notre tâche à bien, et si ce…talisman ? t’en a transmis autant que tu le dis, il ne pouvait choisir être plus digne que toi. Conclut Orlane.

Des larmes brillèrent fugitivement aux cils de Silvine, émue.

- Merci mes douces amies. Dès demain nous nous mettrons en route. Il reste encore le plus important : mettre en sûreté cette bourse.

- Où ? Interrogèrent les voix jumelles.

- Ce qu’elle contient nous guidera.

- Et ensuite ? Reprirent-elles.

- Ensuite ? Nous devrons chercher et trouver le lieu qui nous attend. Là où nous élèverons le Manoir aux quatre tours.

- Un Manoir ? S’écrièrent-elles, joyeuses.

- Oui ! Du moins c’est l’image que j’en ai reçue. Mais pour l’heure, je crois qu’il serait sage de prendre un peu de repos. Un long périple nous attend.

- Tu as bien raison, acquiescèrent-elles.

Et ce fut soudain à qui frotterait sa peau de satin pour en ranimer la chaleur, à qui peignerait ses longs cheveux de nuit jusqu’à leur rendre souplesse et luisant, à qui masserait ses chevilles alourdies de fatigue.

Au crépuscule elles bavardaient encore, grignotant pain bis et fromage de chèvre, mais la nuit les trouva assoupies, blotties les unes contre les autres.

Au plus profond de leur sommeil, une silhouette blanche aux longues jambes fuselées et à la crinière de neige se matérialisa à l’entrée de la douillette caverne. Qui se tint un instant immobile, naseaux frémissants, à l’écoute des respirations tranquilles avant d’avancer au plus près des dormeuses. La fière apparition les observa un instant, les caressant affectueusement de son doux regard doré avant de pencher son front chevalin jusqu’à effleurer de sa corne d’ivoire la chair tendre et tiède d’une gorge humaine.

Puis elle se détourna, racla légèrement de son sabot d’argent le sable qui recouvrait le sol, et disparut aussi silencieusement qu’elle avait surgi tandis que des fils de ténèbres se tissaient en un rideau opaque, dissimulant l’accès d’un asile trop vulnérable aux yeux du monde des vivants.   

D’entre les doigts noués de Silvine s’échappa alors une impalpable clarté qui enveloppa d’un palpitant halo d’or pâle les corps apaisés dans la douce chaleur de flammes qui, pas un instant, ne faiblirent.

Elles dormaient, à l’abri, au seuil d’une autre vie.

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15 mai 2006 1 15 /05 /mai /2006 01:10

 3 

 

 

- Dalhousie se cache, marmonna Elina !

- Et cette carte ne nous est d’aucune aide, rien alentour ne ressemble à ce qui y est tracé, souligna Nitia dépitée.

- À mon avis, cette ligne-ci représente pourtant la rivière que nous longeons depuis l’aube, assura Orlane en suivant d’un ongle rond des courbes d’encre délavée. Et ces monts sur notre dextre sont certainement ceux qui sont dessinés là. Le château est indiqué, ici, entre les deux, donc…

- Nous devrions déjà au moins voir sa tour, insista Nitia alors que Elina ajoutait « Ce qui n’est pas le cas ! »

Silvine n’entendait rien des mots prudemment chuchotés pour ne pas troubler le profond et pesant silence alentour.

Une douloureuse oppression s’imposait à ses sens en éveil. Des rares boqueteaux qui rompaient la monotonie de la lande sur sa droite lui semblait sourdre une invisible menace alors que sur sa poitrine irradiait une brûlure de glace.

- Dalhousie est là, mais nous ne pouvons le voir ! Nous arrivons trop tard pour rejoindre ceux qui nous y attendent. Le cercle des Ombre se resserre en ces lieux, il a déjà posé le siège. Murmura la jeune femme d’une voix assourdie de tristesse.   

- En es-tu certaine ? S’alarma Orlane.

- Hélas ! Les Moggles sont là, embusqués, ils guettent ! Si ce n’était la folle énergie que déploie notre talisman pour nous maintenir invisibles à leurs yeux morts, ils seraient déjà sur nous.

- Qu’allons-nous faire ? S’enquit calmement Nitia.

- Nous devons avancer encore. Au moins jusqu’au prochain coude de la rivière, la traverser et reprendre la route en direction du Mur d’Hadrien.

- Mais… et pour le…

Elina n’avait pas fini sa phrase qu’un cri strident leur fit lever la tête.

Le corps effilé du faucon fendait l’air, était déjà sur elles, les clouant de son œil rond, le bec tendu. Avant qu’une seule d’elles ait pu esquisser un geste, les serres habiles du rapace glissèrent sous le menton levé de Sylvine, frôlèrent son cou gracile  et se saisirent du fin cordonnet de soie, l’arrachant sans effort de son tendre asile de chair.

Devant leurs regards médusés, l’oiseau, d’un gracieux coup d’aile, repartit à l’assaut de l’azur, emportant dans son sillage la précieuse petite bourse de cuir.

Mais alors qu’il était encore en pleine ascension, d’entre les branches emmêlées d’un bosquet voisin, s’élancèrent deux silhouettes difformes aux moignons armés de lames aiguisées.

Muettes d’horreur, Nitia, Elina et Orlane se dressèrent, le cœur étreint d’impuissance devant cette chasse cruelle, tandis que Sylvine levait les bras au ciel, tendait les mains. Et de ses doigts effilés jaillirent deux flèches d’argent qui trouèrent l'éther, filèrent plus vite que sa pensée jusqu’à traverser les corps des deux prédateurs. Qui se volatilisèrent aussitôt.

D’autres Moggles, dix, vingt, cent, prirent leur essor, tel un sinistre envol de noirs corbeaux, et Sylvine tourna ses paumes vers les cieux. Et de nouveau des cristaux de givre se formèrent, s’ordonnèrent en des traits pareils à des carreaux d’arbalète. Dix, vingt, cent… qui fusèrent, chacun à la poursuite de sa cible. Sans dévier d’un pouce. Infaillibles.

Là-haut, très haut, si haut déjà, l’enfant du vent osa une pirouette, pied de nez joyeux à un ennemi défait, effacé, puis décrivit un cercle parfait, juste au-dessus des quatre visages levés vers lui.

 

 

 

Et puis, ainsi qu’un mirage se dissipe, les pierres roses se diluèrent dans l’air léger, emportant avec elles toute trace de vie humaine et restituant le sol aux chardons et aux bruyères.

- Doux Jésus ! Quel charmement[1] est-ce là ? Comment… mais comment as-tu fait… ça ? Questionnait déjà Orlane.

- Je ne sais pas, murmura Silvine visiblement épuisée.

- Nous verrons cela plus tard, intervinrent Nitia et Elina.

- Le plus urgent est de nous éloigner de ces lieux, conseilla Orlane qui s’exclama aussitôt : Mais… en fait, n’est-ce point là, la fin de notre mission ?

Elles se tenaient, immobiles et silencieuses, laissant ces quelques mots cheminer dans leur conscient jusqu’à y imprimer leur évidence, que, émanant d’un espace soudain assombri, du sol étrangement asséché et craquelé, des eaux mêmes de la rivière brusquement boueuses et tourmentées, une plainte lugubre enfla autour d’elles.

Alors que, saisies d’effroi, ses compagnes se terraient à l’arrière, Silvine donna du fouet aux placides bovins, les incitant à se remettre en mouvement.

À peine les roues s’animaient-elles qu’un vent violent se levait, déracinant buissons et arbustes en autant de projectiles qu’il lançait rageusement sur une fragile carriole noyée dans des tourbillons de terre et de pierres.

Vaillamment les bœufs s’ébranlèrent pesamment, tirant sur leurs harnais de cuir dont les lanières, tendues à craquer, entaillèrent les paumes crispées de Silvine.

- Dessinez une étoile à cinq branches, hurla-t-elle dans le mugissement d’une atmosphère irrespirable. Vite… tracez une étoile !

- Comment ? Où ? Demandèrent ses amies, affolées.

- Pour l’amour du ciel ! Tracez-la à même les planches et formez un cercle autour d’elle. Hâtez-vous ! Invoquez les forces de la nature ! Feu ! Air ! Eau ! Terre ! Appelez-les ! Le temps presse !

Derrière elle montait déjà le parfum âcre des chandelles de suif alors que leurs voix récitaient « Esprit du feu, par ce bois que nous t’apportons, que ta flamme repousse au loin les ténèbres… Esprit de l´air, par ces soupirs qui nous animent, que ton souffle apaise la tempête… Esprit de l’Eau, par ces larmes que nous versons, que tes vagues lavent l’espace de toute haine… Esprit de la Terre , par cette prière que nous t’adressons, que tes voies nous mènent vers la sécurité ! »

- Non… non… tout ceci n’est qu’illusion ! Rien n’est réel ! S’écria soudain Silvine dans un rire étranglé. Combien nous nous savons vulnérables pour nous laisser prendre à de tels simulacres !

- Un simulacre ? Mais…

- Regardez les bêtes ! Elles ne sont en rien effrayées ! Nous avons vaincu les Moggles et ces manifestions de violence ne sont que les derniers sursauts de l’esprit du cercle des Ombre. Qui est sans doute trop éloigné pour nous atteindre vraiment, ou bien est-ce le talisman qui veille encore sur nous !

- Alors… murmura Orlane…

- Alors, reprit doucement Silvine, nous sommes sauves ! Nous pouvons traverser en paix ce cours d’eau et reprendre la route en direction du Mur d’Hadrien.

- Mais nous sommes à quelques heures seulement d’Edimbourg s’exclama Nitia !

- Oui, mais notre but est désormais Carlisle et ensuite…

- En Angleterre ! S’écrièrent les trois jeunes filles !

- Ceci est folie, souligna Elina ! Nous n’y serons point bienvenues. Les Anglais…

- Anglais, Ecossais ! Cela n’aura bientôt plus aucun sens. Il ne s’en faut désormais que de quelques mois pour qu’un traité les unisse. Anne Stuart y veille !

- D’où te vient cette certitude ? Interrogea Orlane visiblement perplexe.

- Je le sais… c’est tout ! Cela se produira dans très peu de temps. Deux ans encore et… la Grande-Bretagne  sera réalité. Allons… la nuit approche, nous ne pouvons nous attarder ici.

 - Silvine… Murmura Elina..

- Oui, mon amie… C’est l’Angleterre qui nous attend, Carlisle et ensuite Liverpool… et plus loin encore… Ceci n’est que le début de notre quête. Allons, va, rassure-toi et vous, prenez un peu de repos. Les heures à venir seront dures.

Le cœur serré, la jeune femme se détourna de ses compagnes, reprit fermement les brides en mains et activa un peu l’allure du paisible attelage.

Quelques notes fragiles s’échappèrent alors de sa gorge, s’ordonnèrent en une mélodie étrange et inconnue, berceuse antique. Autour d’elle les contours des roches, des bosquets, des landes se diluaient, devinrent brume.

Ciel et terre s’unissaient davantage à chaque pas tranquille des robustes bœufs alors qu’une torpeur lourde s’emparait d’elle.

Sentant le sommeil la gagner elle s’efforça de lutter, de garder les yeux ouverts. Elle se tournait pour alerter, pour éveiller l’une des dormeuses lorsque son corps s’affaissa. Vaincue, elle sombra dans l’inconscience. 

Sur la lande obscure, le chariot avançait, suivant sans un seul cahot un chemin balisé d’étoiles.

 

 

[1] enchantement

 Enfin, dans un chant qui résonna dans l’espace tel un hymne victorieux, il piqua vers l’horizon, guidé par un appel perceptible pour lui seul, tout droit vers un poing ganté de cuir.

Durant quelques secondes, la silhouette d’un homme sembla flotter entre les quatre jeunes femmes et le castel de Dalhousie enfin visible.

Dans l’azur pommelé de blanc, un faucon glissa sur l’air immobile, lacérant le silence de son cri rauque.

Sous le ciel malmené, une carriole grossièrement bâchée cahotait sur la sente pierreuse au rythme nonchalant de deux bœufs efflanqués, unique point mouvant sur le canevas de champs et de landes qui étalait ses verts et ses roux jusques aux contreforts des mauves collines.

Les mains retenant mollement les rênes distendues, le regard affûté, toute concentration, Silvine scrutait l’horizon tandis que, sagement installées derrière elle, ses trois amies consultaient un parchemin jauni.

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14 mai 2006 7 14 /05 /mai /2006 15:21

  

 

Vous, les hommes...

On vous aime quand même !!! 

 

Oui... vous les hommes !

 

Que les femmes vilipendent à plaisir, dont elles se gaussent à l’envi, vous... objets de leurs sarcasmes et de leurs cajoleries, de leurs foudres et de leurs « coups de foudre », de leurs emportements et de leurs accablements, de leurs fièvres et de leur agonie...

 

 

Ha ! Qu’elles ont la dent dure et la langue acerbe lorsque, par "hasard",  vous devenez le centre de leurs médisants papotages ou, pis encore, celui de leurs confidences mutuelles. Vous le savez, et bien sot paraîtrait celui qui prétendrait l’ignorer : les femmes vous dotent des pires défauts... Mieux encore, « dixit » : « vous êtes responsables de tous les maux qui les frappent » !

 

Ceci vous agace ? Ne vous en défendez pas : vous avez bien des raisons de l’être ! Tout autre espèce, en butte aux mêmes récriminations, en serait tout autant que vous hérissée.


Et puis... reconnaissez-le, vous en faites tout autant de votre côté... donc, vous voilà quittes !

En revanche, lorsque ces dames déclarent à qui veut les entendre que leur liberté ne dépend que de votre bon vouloir c’est vous supposer un pouvoir que vous n’avez point ! Un mensonge éhonté ! De fait, elles vous font là un trop grand honneur !

 

Mais ne nous égarons point ! De trop vous flatter nous risquerions de vous fâcher... ce qui n’est pas du tout le but ici ! De plus, beaucoup parmi vous ont trop peu d’humour pour pardonner ces petits coups de griffe.

Oups ! Ce dernier trait n’est pas plus gentil que les précédents... mais vous ferez avec !

 

Ha !!!!!!!! Vous les hommes...

Il est des bonnes âmes qui se mobilisent pour la défense de tout un tas d’espèces vivantes menacées de disparition. Oiseaux, mammifères, poissons, fauves, insectes... la liste est longue et pourrait l’être davantage encore, hélas, de tous ces êtres que la folie de l’humanité menace.

 

Ce qui est surprenant, c’est que vous, vous n’y figuriez pas !

N’ouvrez point de si grands yeux ! Ne prenez pas cet air outré ! Ne laissez pas la bile d’une indignation rageuse et susceptible noyer le dernier soupçon de bon sens qu’il vous reste ! Si vous ne réalisez pas la justesse de cette observation c’est que ce qui vous advient est mérité ! A moins que vous ne l’ayez désiré ! Ce qui enlèverait à ces lignes toute justification d’être !

 

Optons donc pour l’hypothèse d’une complète ignorance !

Car vous êtes inconscients du péril qui vous guette !

 

Oui... vous êtes en danger ! En très grand danger !

Posez-vous un instant et observez-vous... Ici... dans ce centre de musculation : suant et soufflant, membres et torse soigneusement épilés, vous activez douloureusement vos muscles, soucieux de modeler votre silhouette aux lignes idéales d’un corps d’athlète... et là, entre les mains câlines d’une habile faiseuse d’illusion : vous soignez votre peau, faites la chasse aux points noirs, traquez le moindre cheveu blanc, la première ride... ici... un centre de remise en forme : où vous vous vautrez dans des bains de boue, devenez des St Sébastien offerts à des flêches d’eau glacée, prenez un avant-goût des portes grisantes de l’enfer en vous exposant aux caresses brûlantes de vapeurs odorantes.

 

Et tout cela pourquoi ? Pour vous ? Fi donc ! En partie...  pour quelques-uns d’entre vous, des Narcisse des temps modernes, il faut en convenir... mais pour le gros de la troupe ... n’est-ce point pour leur plaire encore, à elles !

Mais il est vrai qu’il ne vous reste plus que cela !

 

Ha ! Les femmes ! Elles l’ont levée haut leur bannière d’émancipation ! Elles les ont criées fort leurs revendications ! Elles les ont énoncées clair leurs exigences !

Egalité ont-elles réclamé ! Egalité ont-elles « presque » obtenu ! Car leur bataille ne fait que commencer ! Elles n’en sont encore qu’à essayer leurs armes, affûter leurs arguments, organiser leurs forces !

 

Aussi, vous les hommes : tremblez ! Car le pire vous reste encore à venir ! Oui, à venir alors que, déjà... déjà ! Ô ciel ! Dans quelle déroute vous voilà !

A votre crédit, il faut noter qu’elles vous ont surtout pris de court ! Oui vous, pauvres naifs, qui vous les croyiez tout acquises ! A votre totale dévotion... Qui pensiez être « le chef » de l’équipe que vous formiez, chacun avec sa chacune !

 

Et vous vous demandez où vous avez péché ! Quelle sotte erreur vous avez commise pour en arriver là ! Aveugles que vous êtes !

Vous, soldats dans l’âme, avez-vous oublié que tout bon guerrier ne se contente pas d’avancer dans un territoire ennemi conquis de haute lutte ! Qu’il assure également ses arrières en affermissant les acquis ! Qu’asservir ne peut que pousser à la révolte des opprimés !

 

Quelques fleurs, un peu de tendresse, un zeste d’attention, un brin d’écoute, un soupçon de reconnaissance, un semblant de dévotion, et le tour était joué ! Dans la main, qu’elles vous mangeraient encore ces tigresses ! Non... vous avez joué à « moi Tarzan, toi Jane ! »

Bien sûr, elles auraient bataillé pour obtenir les mêmes droits que vous ! Celui de voter, d’un salaire égal pour un travail égal, et être médecin, avocat, pilote !!! ... Mais cette lutte aurait été dirigée contre un système social et politique et non pas contre vous !

 

Mais désormais, vous ayant arraché par la force ce que vous auriez dû leur accorder par vous-mêmes, plus rien ne les arrête !

Tremblez ! Tremblez ! Adieu à l’homme fort, l’homme guide, l’homme protecteur ! Madame se bat avec adresse, conduit sa vie comme bon lui chante et sait très bien se préserver du pire !

 

Et accrochez-vous car ce n’est pas fini !

Déjà, devant les fourneaux les relais sont passés... les aspirateurs n’ont plus d’état d’âme quant aux doigts ou aux pieds qui les commandent... les plumeaux ne savent plus à quelles mains se vouer... Et aux regards des enfants désormais, papa maman sont hermaphrodites.

 

Ha ces femmes ! Finis leurs yeux baissés, leurs joues qui rosissaient gracieusement. Envolées ces timidités qui vous ravissaient, ces pudeurs qui vous désarmaient !

De chassées, elles sont devenues chasseresses, de proies les voilà mutées prédatrices ! Elles n’attendent plus d’être élues... Elles choisissent ! Vous en avez froid dans le dos ? Vous avez raison !

 

Mais après tout... de quoi vous inquiéteriez-vous ! Ne vous l’a-t-on pas dit et répété ? « La femme est l’avenir de l’homme »

De plus, l’évolution n’étant après tout qu’un éternel recommencement... un jour, peut-être assisterons-nous à... l’émancipation de l’homme !

 

Quand ?.... Ben.... là, c’est à vous de voir !   

 
 

 

 

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14 mai 2006 7 14 /05 /mai /2006 15:07

 

 

Une sensation étrange et jamais ressentie auparavant.

La légèreté... voilà... une impression de légèreté, absolue ! D’un immatériel qui, soudain, lui serait palpable.

Ou bien comme si son humaine consistance avait évolué jusqu’à pouvoir s’unir à l’impalpable. S’y fondait... S’y mêlait.

Une totale plénitude... Son dos éprouvait l’aspérité des éclats de roche qui parsemaient cette couche improvisée dans un repli de terrain, mais, bien qu’elle lui ait été aussi rude qu’inconfortable au premier contact, elle lui devenait peu à peu aussi douce qu’idéale.

Ses narines humaient, aspiraient les vapeurs odorantes, lentement... offrant à ses papilles gourmandes tout un bouquet enivrant de saveurs qu’elles dégustaient, dont elles se délectaient... thym, romarin, lavande, résine de pin... autant d’arômes exaltés sous l’ardente étreinte d’un soleil qui s’imposait sans faiblesse, au zénith de son emprise sur un ciel céruléen.

Il baignait dans une lumière de plein midi, presque perpendiculaire, éclatante, aveuglante. Une clarté oubliée, originelle. Du premier matin de la création du monde. Et douce aussi.

Pas la moindre brise pour animer les rares ombres figées dans l’espace immobile, et pourtant il ressentait sur sa peau une invisible caresse, subtile et incessante. Chaque centimètre carré de son épiderme lui semblait être l’objet d’une attention de tous les instants.

Une présence... le désert qui s’étendait à perte de vue n’était que présence. Muette.

Pas un crissement dans l’aride végétation, pas un seul bourdonnement d’insecte, aucune vibration ne venait rider la nappe de silence qui l’enveloppait.

Sinon un bruissement lointain, assourdi, qui semblait naître et s’épandre à l’intérieur de lui-même.

Il n’osait remuer d’un pouce, béat et serein, de crainte de troubler une totale quiétude.

Il ferma les yeux.

Derrière le fin écran de ses paupières closes une ombre glissa.

Il se souvint brusquement de ce qui l’avait amené en cet endroit précis.

Il savait également qu’il n’y était pas seul. Qu’il connaissait parfaitement celle qui l’avait accompagné dans ce saut vers l’inconnu.

Enfin... inconnu... pas vraiment. Pas tout à fait.

Il s’était promené longuement dans les hologrammes que lui avait envoyés l’agence. Dans ceux-ci et dans d’autres. D’autres lieux, d’autres époques, d’autres civilisations. Le choix n’avait pas été aisé. Bien moins encore de convaincre sa compagne.

Qui, elle, eut préféré un séjour dans un cadre plus à la mode et surtout sans quitter Abilon, leur planète.

Non, ce n’avait pas été sans mal qu’elle avait finalement accepté de le suivre dans cet éden artificiel. Un petit astéroide qui gravitait aux limites de leur galaxie. Il n’y avait pas plus éloigné de leur monde.

En contrepartie, il avait promis un retour truffé d’escales. Toutes celles qu’elle pourrait désirer. Et même une halte plus longue sur Gëiada, la nébuleuse rose. Ils avaient du temps devant eux désormais ! N’en avaient-ils pas, tous deux, terminé avec leurs années de rendement technique ? N’étaient-ils pas libérés de la moindre contrainte ? N’était-il pas plus que temps, pour elle, de s’offrir cette « lune de miel » dont elle disait tant rêver à force d’en lire la description dans les ouvrages d’origine Terrienne ?

Tout autant que lui-même de se rendre au plus tôt sur la légendaire Nourada ! Où seuls les mâles étaient acceptés.

Ces hologrammes... Quel mal il avait eu à s’en extraire à chaque fois qu’il s’y était aventuré ! Et quelle ruse il avait dû déployer pour ne jamais s’y faire surprendre !

Il entendit un léger bruit... un soupir... sur sa droite. Elle aussi devait s’éveiller, lentement, comme lui.

Il grimaça. Pas d’autre être vivant hors eux-mêmes sur cette masse rocheuse d’à peine quelques kilomètres carrés. Et tout à l’échelle... rivière et vallée, désert et océan, mont et plaine, et même une jungle tropicale.

Il était temps cependant de se secouer.

Il se redressa, tourna la tête, grimant de tendresse ses lèvres sèches.

Elle était assise et l’observait. Et il se raidit un peu devant les pupilles inexpressives, le visage extrêmement pâle. Bien davantage que sa peau de blonde ne le paraissaît d’ordinaire.

Le choc du passage des barrières temporelles, sans doute. C’était son premier voyage, sa première expérience hors d’un périmètre sécurisé par mille habitudes, par une routine laborieuse.

Il tendit la main, qu’elle regarda quelques secondes avant d’y poser la sienne. Ils se levèrent ensemble, dans un même élan. Et elle ébaucha un premier sourire, ranimant un reflet rose sur ses joues.

La gorge bizarrement nouée, incapable d’articuler un son, il indiqua d’un bref mouvement du menton le chemin qu’ils devaient suivre. Une sente suspendue à flanc de colline. Rocailleuse et abrupte.

Invitation qu’elle sembla accepter d’une légère pression des doigts contre les siens.

Et son cœur s’emballa, inquiet de ce qu’il s’apprêtait à commettre.

Là haut, pas très loin, à une centaine de mètres s’il s’en souvenait bien, une cabane les attendait. D’un confort rudimentaire, d’à peine deux pièces, une pour y cuisiner et l’autre pour y dormir. Bien suffisant pour eux !

Il aurait pu choisir une résidence d’un standing un peu plus cossu mais, à quoi bon écorner davantage leur réserve de crédits !

Lui-même n’y séjournerait pas assez longtemps pour souffrir d’un décor aussi spartiate que rustique. Un frisson hérissa les poils de sa nuque. Une légère vague d’effroi bien vite refoulée ! Il devait mieux se contrôler, ne laisser aucune prise à la panique, bien moins encore à l’impatience, à la moindre fébrilité. Ne surtout pas commettre d’erreur, n’alimenter aucun soupçon, n’afficher qu’une sereine impassibilité.

La silhouette de la petite construction de bois se dressa subitement au coude du chemin. Inconsciemment il hâta un peu le pas. Il lui restait peu de temps. Juste assez pour faire le tour des lieux, en prendre possession, découvrir leurs provisions, les ranger. Ce qui serait vite réglé vu qu’elles avaient été évaluées pour deux jours ! Ceci alors que leur séjour, lui, était programmé pour durer deux mois entiers.

Ce qui avait été le plus difficile à obtenir du directeur de l’agence, passablement intrigué par une telle incohérence. Le seul problème qu’il n’avait su résoudre autrement qu’en avançant le désir d’en revenir ainsi aux temps ancestraux, à cette époque oubliée où leurs prédécesseurs devaient chasser pour se nourrir !

Ils y étaient enfin ! Il lui suffit d’une légère poussée sur la porte sans poignée ni serrure, ainsi qu’il en avait décidé, pour qu’elle s’ouvre devant eux, et il cligna des yeux sur la pénombre qui régnait à l’intérieur. Fraîche et accueillante.

Il guida sa compagne jusqu’à la chambre, jusqu’à la couche large et moelleuse.

- Tu devrais te reposer encore un peu, ma chérie, l’invita-t-il d’une voix passablement enrouée. Pendant ce temps, j’irai voir où sont nos bagages. Ils semblent manquer. Je n’en aurai pas pour longtemps.

Il se pencha vers elle alors qu’elle se posait docilement sur le bord du lit, caressa de ses lèvres le front lisse à peine baissé et se redressa très vite, passa la porte, traversa la pièce, se rua vers l’extérieur, le chemin, regard tendu vers un point lumineux qui flottait entre les collines dominant la vallée qui déjà s’assombrissait, ramenant sur ses creux une couverture crépusculaire.

Dans quelques instants il sera loin, en route vers Nourada. Quant à elle, elle n’aura pas le temps de trop comprendre, pensa-t-il, sans remords aucun. Fragile et sans défense, livrée à elle-même... Dans deux mois, lorsque la navette reviendra, Eden VI n’en gardera nulle trace.

Le petit vaisseau stationnait à une altitude moyenne. Le pilote inséra adroitement dans le lecteur correspondant la puce sur laquelle étaient mémorisées les coordonnées de leur vol de retour pendant que l’occupant du siège voisin pianotait allègrement les codes du programme prévu pour les vacanciers d’Eden VI.

Ce dernier en avait fini avec les 15 jours prévus de fournaise, de sécheresse, avec les deux semaines suivantes tonnantes d’orages, de foudre et de grêle. Encore quelques dizaines de microts et il pourra appuyer sur le petit bouton rouge qui clignotait à l’extrème droite du clavier transparent.

Il jeta un coup d’œil sur le cadran qui luisait doucement à son poignet gauche, compara l’heure qu’il indiquait avec celle qu’affichait l’horloge spatio-temporelle du tableau de bord. Avec une moue satisfaite il tapa les derniers chiffres.

- C’est OK ! Tout est paré ! déclara-t-il avant de poursuivre dans un murmure songeur. Mais quel drôle de couple quand même !

- Pourquoi ? Demanda son compagnon. Nous en avons vu déjà de toutes sortes. Je ne les ai pas trouvés davantage bizarres que d’autres.

- Non... Mais quand la femme a pris connaissance de cet ordre absurde de revenir nous poser sur Eden VI au cas où l’un des deux changerait d’avis, elle l’a annulé. Et puis, elle a décidé à la dernière seconde de ne pas partir.

-  Alors en bas c’est... ?

-  Un Robosex femelle du groupe III. Un sosie parfait. Elle a veillé au moindre détail, pour que lui, ne soit en rien déçu ! Déçu... je ne sais pas ! Mais ce dont je suis certain c’est qu’il ne va pas être à la fête avec les options qu’il a sélectionnées dans nos brochures !

-  Et elle le laisse ici avec cette machine ! Par le grand Ordonnateur ! Il paraît que certains hommes ne peuvent plus s’en passer ensuite !

- Ben apparemment, cette bonne femme est prudente, s’exclaffa le co-pilote. La batterie de sa rivale électronique n’est conçue que pour durer 3 jours. Son bonhomme ne devra l’utiliser qu’avec parcimonie et à bon escient !

- Triste compensation alors que sa femme de chair n’a pas eu le cran de le suivre et a préféré rester sur Abilon !

-  Ah… mais non ! Elle, elle a pris la navette pour Gëiada... et en compagnie du robosex mâle ! Mais avec une batterie rechargeable ! Je crois qu’elle va se payer du bon temps alors que son fou de mari va tâter de la préhistoire. Tu es prêt ?

-  Oui... on peut y aller, déclara le pilote après un dernier regard sur les instruments autour de lui.

-  OK ! C’est parti alors annonça son compagnon en appuyant d’un doigt ferme sur le petit bouton rouge qui cessa aussitôt de clignoter. En tout cas, ajouta-t-il, ironique, j'espère que ce type sait courir ! Dans dix microts, loups et tigres seront lâchés. Exactement comme il l’a exigé !

Dans un feulement imperceptible le petit vaisseau glissa sur son aile arrondie, dessina un demi-cercle, tourna complètement le dos à l’astéroide qui brillait aux derniers rayons d’un soleil couchant artificiel, et, d’un simple éternuement de ses réacteurs, s’enfonça dans l’espace ouvert devant lui jusqu’à y disparaître.

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