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PrÉSentation

  • : La Page de Reginelle
  • : Ce blog est une invitation à partager mon goût pour l'écriture, à feuilleter les pages de mes romans, à partager mon imaginaire. Des mots pour dire des sentiments, des pages pour rêver un peu.
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Texte Libre

Création d'un FORUM
 
Naissance du forum "Chaque être est un univers", ici à cette adresse :
 
 
Créé en collaboration avec Feuilllle (dont je vous invite à visiter le Blog – voir lien dans la liste à gauche). Tout nouveau, il n'y a pas grand-chose encore, tout juste référencé... il ne demande qu'à vivre et à grandir. Chacun y sera le bienvenu.

Et puis, j'ai mis de l'ordre dans les articles, au niveau de la présentation... ça faisait un peu fouillis ! Quoique… je me demande si c'est mieux maintenant ! On verra bien à l'usage.
Alors maintenant, voyons ce que ce Blog vous offre :

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3 novembre 2007 6 03 /11 /novembre /2007 15:07
         - Comment ? Débarrasser quoi !
- Toutes les bogues qui sont tombées derrière le mur. Et il faudrait tailler les arbres pour éviter que cela se reproduise.
- Ben voyons ! Et ensuite, je demanderai au vent de ne souffler seulement que de ce côté-ci !
- Écoutez, je ne fais qu’obéir aux ordres, et je peux vous dire que le patron n’est pas du genre souriant ! Moi, je n’y suis pour rien, vous savez, et de plus, vos châtaignes, ça fait trois jours que toute l’équipe s’en régale.
- Ah !
- Oui... Alors, nous, nous nettoierons ce qu’il y a par terre. Mais pour les arbres...
- Cela n’a aucun sens !
            Et même si elle avait la bêtise de s’exécuter et de supprimer quelques branches, cela ne résoudrait rien. Ils étaient trop hauts, trop grands. D’ailleurs, qui pourrait prévoir où ils se délesteront de leurs fruits ?
- Là, vous avez raison...
- Pour ce que ça change ! Regardez-les, ils sont magnifiques ! Les plus beaux des environs.
- J’l’sais bien et je suis navré, mademoiselle. Bon, il faut que j’y aille, le camion attend. Bonne nuit, et à demain.
- Oui, bien sûr... À demain.
            Elle avait bien besoin de ça ! Elle pensait être enfin au terme des désagréments de ces dernières semaines : la construction complètement achevée, plus d’arrivées et de départs de camions bruyants, plus de cris d’ouvriers s’interpellant d’un bout à l’autre de la propriété. Un presque retour à la normale et elle, dans les meilleures dispositions pour souhaiter la bienvenue à des étrangers.
            Position qui était, désormais, à reconsidérer !
            Mais pourquoi s’inquiéter ? Il suffira aux nouveaux venus de quelques mois pour se faire aux habitudes du pays, seulement leur donner le temps de se frotter à l’esprit Ardéchois ! Il n’y avait qu’à laisser passer l’orage.
- Charlotte ! Où es-tu ?
- J’arrive !
            Une vie calme et paisible ? Ici ? Vraiment !
- Ah ! Te voilà enfin ! Où est passé le clafoutis ?
- Je l’ai mis à refroidir sur le rebord de la fenêtre comme tu me l’as demandé...
- Tu as dû le rêver !
- Il n’y est plus ? Encore !
- Comment encore ?
 - Rien... Rien d’important... Je vais en préparer un autre, ce sera vite fait.
            Voilà qui devenait inquiétant !
            Tout avait commencé cinq ou six jours auparavant… Des choses qui disparaissaient, comme ça. Deux terrines de foies de volaille, un pot de confiture de mûres, un autre de poires au sirop, et un saucisson qui n’avait pas encore eu le temps de sécher... Et ça, c’était bien fait pour le chapardeur !
            Pas plus tard que ce matin, elle n’avait plus trouvé la couverture qu’elle avait étendue la veille pour l’aérer un peu, et maintenant le clafoutis ! Eh bien, dans l’immédiat, il suffira de poser un cadenas sur la porte de l’appentis, et d’ouvrir l’œil...
            Mais l’incroyable était que, cette fois, cela se fut produit en plein jour alors que toutes deux se trouvaient à la maison, avec tous les risques que cela sous-entendait pour le coupable de se faire surprendre.
            Des risques ? Pour qui, finalement ? La maison était hors du village, à peine visible de la route.
            Pour s’y être aventuré à plusieurs reprises, l’auteur de ces larcins avait dû les observer, et noter qu’elles étaient seules à demeurer là. Jusqu'à présent, il n’avait opéré que la nuit. Mais de même que la faim faisait sortir le loup du bois, une situation désespérée pouvait amener un homme à un acte regrettable... Et rien ne garantissait que celui qui rôdait saura se maintenir dans les limites de l’acceptable.
            Marraine, à son âge et dans son état, n’avait pas besoin d’une frayeur ! Donc, mieux valait ne lui parler de rien et prendre toutes les précautions utiles à sa sécurité. Et puis il n’y avait aucune raison de s’affoler, il ne s’agissait que d’un peu de nourriture, et d’une couverture. Rien de très important, pour elles du moins. Alors que, pour celui qui les avait pris, cela pouvait être vital.
            Qu’un être en fut réduit à cela !
         Pourquoi se cacher ? Il aurait suffi de demander… mais elle oubliait que demander n’était pas toujours facile.
- Dis, Charlotte, que tu en fasses un autre, je veux bien, mais où est passé le premier ?
- Le premier ? De quoi ? Ah, oui, c’est vrai ! Eh bien, sans doute… les ouvriers d’à côté ! Qui ont dû croire qu’il était là pour eux.
- Ça alors ! Un sacré toupet !
- Mais non, c’est que, vois-tu, ils... Ils ont effectué quelques petits travaux pour moi et... Et en échange, à l’occasion, je leur prépare un quelque chose, une gâterie. Ce qui explique la confusion.
- Tu me rassures. Bon, maintenant, passons aux choses sérieuses. Où en es-tu de ton travail ?
- Ça va, il avance.
- C’est ce que tu dis ! Cela fait des jours et des jours que tu n’as plus touché à rien !
- Je n’ai plus de toiles de fond. Ce soir, je m’occuperai des bains de teinture.
- Veux-tu que je le fasse ?
- Ce serait bien, mais...
- Dis donc ! Tu oublies qui t’a tout appris !
- Les bases, Marraine... Seulement les bases.
- Il n’y a pas trente-six manières de teindre un bout d’étoffe.
            Et Charlotte sourit.
            C’était là que sa Marraine se trompait, des deux, cette fois, c’était elle qui allait apprendre, elle qui allait devenir élève attentive.
            Juste le temps de lui livrer quelques petits secrets, et ensuite elle lui offrira des couleurs jamais vues, pas même imaginées. Et elle lui montrera comment emprisonner un morceau de rêve dans un carré de soie.
            La soie, l’écrin idéal pour tous ceux qu’elle portait en elle.
            Mais avant, une idée idiote : Une besace, une bouteille de vin, une demi miche de pain, un fromage bien crémeux et deux tranches de jambon cru... Et, sans se faire voir, suspendre le tout au portail du jardin avant qu’il ne fasse plus sombre.
        Il n’y avait aucune raison pour que quelqu’un ait faim, là-bas, quelque part dans les bois.
            Pas de dessert ? Non, celui à qui cela était destiné en avait déjà pris une portion bien plus que raisonnable.
            Peut-être la prochaine fois !

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3 novembre 2007 6 03 /11 /novembre /2007 15:06



            - Charlotte, peux-tu m’expliquer ce qui se passe ici ?
- Un moment !
            Elle ne s’en sortira pas ! Encore quelques secondes pour bien fixer la teinte et... C’était ça ! Tout à fait ce qu’elle espérait ! Un bleu fabuleusement profond, avec juste assez de reflets mordorés pour accrocher la lumière, et la retenir captive ; un bleu de ciel de crépuscule, plus sombre aux flammes d’un soleil couchant. Maintenant, le bain de rinçage et...
- Charlotte ! Vas-tu venir à la fin !
            Marraine pouvait crier autant qu’elle le voulait, personne ne l’obligera à interrompre cette tâche délicate ! Risquer de perdre une pièce unique ? Pas question ! Rien de moins sûr que d’obtenir deux fois la même nuance ! Il suffirait de si peu, de quelques grammes de poudre colorante en plus ou en moins. Voilà ! Elle pouvait respirer. Juste attendre que l’étoffe sèche pour apprécier pleinement le résultat.
            Demain, un saut au Puy pour y récupérer la dentelle commandée et ensuite... Elle voyait déjà son croquis s’échapper du papier, s’animer, devenir drapés fluides et légers... Sa robe ! Elle la caressait presque des yeux !
- Charlotte, que veut dire ceci ?
- Quoi donc ?
- Ça !
            Marraine, sourcils froncés et lèvres pincées, aussi droite que la balance de la justice, avec un sac de toile dans une main, et dans l’autre... Une bouteille de vin, intacte !
- C’était devant notre porte !
- Ah, bon ?
- Encore pour les gars d’à côté ?
- Je suis heureuse de voir que tu peux te déplacer sans ta canne ! C’est très bien.
- Ma petite, tu ne m’auras pas comme ça et pas deux fois avec le même conte à dormir debout !
            Justement, ne pouvait-elle lui laisser le temps d’en improviser un autre ! Ce qui, dans l’immédiat, n’avait rien de facile.
- Fais attention, je sais quand tu mens !       
- Marraine ! Je… d’accord, tu as raison. C’était destiné à un vagabond qui traîne dans le coin depuis quelques jours.
- Un vagabond ! Alors… le gâteau, hier ?
- Lui, certainement !
- Je vois !
- Ce qui est rassurant dans tout cela, c’est que nous n’ayons pas affaire à un buveur.
- C’est déjà ça ! Bon, je m’occupe du déjeuner, tu peux retourner à ce que tu faisais ! À ce propos, très joli, ton bleu. Deux ou trois housses de coussin taillées là-dedans iraient très bien avec mon couvre-lit.
            Des coussins ? Et puis quoi, encore !
            Soulagée de s’en tirer à si bon compte, Charlotte se réfugia dans son atelier où elle se remit à l’ouvrage sans perdre davantage de temps. Elle s’appliqua à tendre sa précieuse étoffe à l’aide de fines baguettes de bois léger s’imbriquant les unes dans les autres, constituant ainsi autant de cadres que demandés pour en arriver au bout, les repliant habilement pour former un éventail géant suspendu par de fines cordelettes à cinquante centimètres du sol.
            Et ainsi pour une dizaine d’autres soieries, prenant garde de les séparer au maximum afin de permettre à l’air de circuler au mieux entre chaque panneau.
            Enfin, à l’aide d’un ingénieux système de treuils et de poulies, elle les hissa à hauteur de plafond, une après l’autre, et seulement après un dernier regard de contrôle sur chacune.
            Il ne restait qu’à surveiller l’égouttage et particulièrement le sol, où seule l’absence de tache montrera que les couleurs étaient bien fixées.
            Ce fut les bras douloureux qu’elle s’assit, comme à chaque fois et aussi émerveillée qu’à la première, souriant sans s’en rendre compte à une suspension insolite.
            Quelques minutes, le temps de reprendre souffle avant de passer à une autre opération ; une idée qui l’obsédait depuis son retour, un peu folle, pas même réalisable peut-être, mais qu’elle brûlait d’expérimenter.
            En adoptant la technique qu’elle avait utilisée pour son petit foulard - des fondus de bleus et de blancs - elle devrait y arriver.
- Charlotte, ma chérie !
            Encore !
- Oui, Marraine.
- Viens manger un morceau.
- Plus tard... Plus tard...
            Oui, plus tard, parce que, pour l’instant...
- Que fais-tu ?
- Rien, tu verras. Il me faut de la Terre de Sienne... Et un peu de jaune pour l’éclairer...
            Oui, c’était presque ça. Et en partant de là, elle devrait réussir à obtenir une palette infinie de bruns.
- Puisque tu es là, passe-moi un bac... Merci... J’ajoute un peu de pourpre... Ça ne te rappelle rien ?
- Je voulais te dire...
- Pas maintenant ! Regarde... Alors ?
- La vigne qui recouvre la façade de ma maison ?
- Une nuance seulement, reste à trouver les autres.
- Oui. À propos de ton vagabond...
- Qui ? Tu l’as vu ?
- Non mais quelque chose m’est revenue en mémoire. Avant-hier, pendant que tu étais chez moi pour nourrir les lapins, je m’étais installée sur la terrasse pour profiter un peu du soleil... J’y pense, tu devrais rentrer le parasol, il n’est plus vraiment utile, il suffirait d’un coup de vent pour l’abîmer, ce serait dommage, il peut...
- Viens-en au fait, Marraine.
- Au fait ? Ah, oui... Donc, j’étais tranquillement assise, avec mon tricotage - tu sais, le pull pour Jacques - et il y avait un loupiot...
- Un gosse ? Un du village ?
- Non, je ne l’avais jamais vu auparavant.
- Et où se tenait-il ?
- De l’autre côté du chemin, accroupi sur la pierre rode… tu vois laquelle ? Il avait l’air d’attendre quelqu’un.
- Depuis longtemps ?
- Je n’en sais rien… Comment veux‑tu ! Mais bon… Il était là, et il faisait chaud, et il semblait tellement perdu que je lui ai fait signe d’approcher.
- Et alors ?
- Alors il a hésité et puis il est entré et je lui ai proposé un peu de sirop.
- Tu l’as interrogé sur ce qu’il faisait là ?
- Bien sûr que je l’ai fait !
- Que t’a-t-il dit ?
            Un claquement de langue chez Marraine, signe d’agacement devant trop d’interruptions. Chose qu’elle détestait par-dessus tout ! Elle redressa la tête, carra les épaules et se lança dans son récit toisant la jeune femme d’un regard impérial.
            Ce que la gamin avait dit ? Il n’avait pas arrêté de parler : un vrai moulin à paroles ! Que son père était maçon, et qu’il travaillait dans la grande maison, et que lui, il devait l’accompagner tous les jours, qu’il le faisait par tous les temps et sur tous les chantiers. Et que son père c’était le plus grand et le plus fort de tous les hommes. Et tout cela, mains enfoncées dans les poches d’une veste trop large pour lui, en la fixant droit dans les yeux avec un petit air farouche, presque de défi. Mais ce n’était pas cela qui l’avait intriguée, c’était quand elle avait sorti les bouteilles et qu’elle lui avait demandé de choisir. Il était resté longtemps à les observer et puis il avait tendu un doigt tremblant vers celui... Comment s’appelle-t-il ?
- Tu sais, celui que tu fais toi-même... Le blanc...
- Le sirop d’orgeat ?
- C’est ça... Si tu avais vu son regard pendant que je remplissais le verre, et comment il l’a bu ! Une gorgée après l’autre, toutes petites… lentement, en fermant les yeux à chacune.
- Et ensuite ?
            Ensuite ? Il avait posé très doucement le verre sur la table et il était parti sur un « merci » murmuré d’une voix.... D’une voix étrange, presque étranglée. Il s’était éloigné, à petits pas, en courbant la tête. C’est là qu’elle s’était rendu compte que quelque chose n’allait pas, et c’était ce détail qui venait de lui revenir. Il avait pris la direction du petit pont qui enjambe La Glueyre, celui qui vibre quand on y passe, tout droit vers l’autre versant, alors que, à côté, les hommes s’installaient pour leur repas.
- Je ne vois pas...  murmura Charlotte, pensive.
- Un père qui sait que son fils est là et qui ne s’en préoccupe pas à l’heure du déjeuner, tu trouves que c’est normal, toi ? Et maintenant que j’y repense, avec ses cheveux en broussaille, ses joues grises et ses chaussures éculées, ce petit : il n’était pas clair !
- Vers les bois ? Tu en es certaine ?
- Et où voudrais-tu qu’il puisse aller en passant par-là ?
- Ce petit garçon, quel âge aurait-il à ton avis ?
- Huit, neuf ans. De toute façon, bien trop jeune pour traîner ainsi dehors. Dis, et si c’était lui notre vagabond ?
- J’espère bien que non !
            Un gamin perdu dans la forêt, avec tous les dangers qu’elle renferme. Ne serait-ce que le froid, l’humidité de la nuit, ils étaient aux portes de l’hiver. Et il n’y avait pas que cela : Les sangliers ! Deux jours auparavant, un gros mâle s’était aventuré jusque dans le jardin de Marguerite, à deux pas de l’église, en plein cœur du village. Ils étaient en surnombre, et si cet enfant venait à se trouver nez à nez avec l’un d’eux !
        Charlotte se redressa, repoussant bacs et couleurs, et cueillit un gilet au dossier d’une chaise. 
- Que vas‑tu faire ?
- Je vais interroger les ouvriers avant qu’ils ne s’en aillent et ensuite j’irai faire un tour en face, j’y ai vu de la lumière, deux ou trois fois. On ne sait jamais, tu as peut-être raison.
- Tu ne préviens pas les gendarmes ?
- Je ne crois pas que ce soit vraiment utile pour le moment. Nous verrons à mon retour. N’éteins pas les lampes extérieures et n’ouvre à personne, c’est compris ?
- Évidemment ! Et toi, demande à quelques hommes de t’accompagner.
- Pour qu’ils organisent une battue ? Si tu ne fais pas erreur, ce serait le meilleur moyen pour affoler totalement ce gosse. J’y vais et ne t’inquiète pas.

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3 novembre 2007 6 03 /11 /novembre /2007 15:05



            Bredouille ! À quoi eût‑elle dû s’attendre d’autre ! Qui serait assez fou pour loger ainsi à la belle étoile en cette saison ?
            Et pourtant elle se tenait au bon endroit ! Oui, c’était bien là qu’elle avait vu des lueurs, elle ne pouvait se tromper. En face, elle discernait clairement le porche de sa maison, en droite ligne.
            Le silence... Un merveilleux silence. Depuis combien de temps ne s’était-elle plus aventurée ainsi, aussi tard, jusqu’aux abords de la forêt ?
            Autrefois, elle adorait s’y risquer. Comme un pied de nez à l’intention de Marraine et à ses histoires de croque-mitaine. Cette sorcière se délectait de les lui distiller juste avant une excursion dans les bois.
            Elle la voyait encore, sur son vieux fauteuil à bascule, toujours un ouvrage de laine entre les doigts, regard inquiet au-dessus de lunettes cerclées d’acier... Et elle l’entendait aussi…
« - Les Quatre-Vios ? Il est bien tard pour envisager aller si loin... Si vous voulez rentrer avant la nuit, vous avez tout intérêt à ne pas lambiner... Vous ai-je raconté l’étrange aventure qui est arrivée à l’oncle de Marguerite, un soir où il y était allé vérifier des pièges ? »
            Et personne n’aurait pu l’empêcher d’entreprendre et d’aller au bout d’un récit aussi rocambolesque que troublant, cumulant maints détails aussi terrifiants qu’excessifs, d’une petite voix monotone et indifférente, donnant ainsi davantage de relief à un craquement ou à un halètement.
            Combien de courses échevelées Charlotte lui devait-elle ! Simplement d’y penser et son cœur s’emballait... Encore maintenant... Et elle frissonna, pas seulement sous l’humidité qui émanait du lit de la rivière.
            C’était à celui qui se montrait le plus téméraire, ils chantaient à tue-tête, défiant crânement de leurs notes discordantes la déchirante ululation des sapins torturés par un vent impitoyable, se voulant sourds à un bruissement ou à un cri d’animal, avançant au cœur d’une obscurité profonde, sans faillir, vaillamment regroupés derrière un étroit faisceau de lumière vacillante...
            Et la fois où la torche s’était éteinte : plus de batterie, plus rien pour les sécuriser. D’où une galopade folle, une bousculade désordonnée et résonnante de rires grinçants pour éloigner ou nier une frousse incontrôlable.
            Emprunter le raisonnable et rassurant cordon d’asphalte de la nationale ? Pas question ! Cela les aurait dénoncés prudents, voire timorés, aux yeux des autres galopins du village.
            Elle devait reconnaître que, tant par leur turbulence que pour leurs bêtises, elle‑même et ses compagnons d’autrefois n’avaient rien à envier à ceux qui hantaient désormais Marcols et ses environs... Et elle, bien moins encore que tous !
            Et là... Juste à ses pieds... Cette pente douce... Et combien tentante ! Une piste aussi idéale que naturelle pour s’essayer à de la luge sur herbe. Elle gagnait toujours. Combien de fois s’était-elle retrouvée dans la rivière, enfoncée jusqu’au cou dans une eau glaciale, pour se refuser à ralentir une glissade et remporter ainsi des paris absurdes !
            Mais ces choses-là n’étaient plus de son âge.
            Vraiment ?
            De plus, à cette heure ! Il faudrait qu’elle ait perdu toute raison...
            Quoique...
            Qui pour y trouver à redire ?
        Elle ?
        Qui même pour la surprendre ?
            Un tout petit pas... Et...
- Houahouhouuuuuu ! ! ! !
            Elle allait trop vite ! Ça allait bien trop vite. Et comment s’arrêter, comment freiner avant que de... De... Oh non ! Non ! Pas ça ! Pas encore... Pas ce soir ! Refoulant un fou rire, jupe retroussée bien au‑dessus de ses cuisses, elle enfonça les talons dans la terre tendre, se recroquevilla sur elle‑même, yeux fermés et dents serrées, se préparant au pire et... Et...
            Juste à temps ! À peine quelques centimètres de plus et elle y avait droit ! Si Jacques la voyait ainsi, il la ferait enfermer aussi sec !
            Sec ! Au sec... Elle avait failli ne plus y être du tout...
            Et il n’y avait pas lieu de rire ainsi, comme une écervelée, aux portes de la nuit, sur la rive d’une rivière grossie par les dernières pluies en amont.
            Elle se laissa tomber en arrière, mêlant sa chevelure aux pousses humides, inspirant à pleins poumons les frémissements de la nuit, le silence des étoiles, les bruissements d’une vie invisible. Et sa cascade !
            Elle était devant sa cascade, celle qu’elle préférait. Un rideau d’écume vibrante abritant une courbe d’eau tranquille. C’était là qu’elle venait se baigner aux heures les plus chaudes, été après été. Dommage qu’il fit aussi froid, sinon, comme pour le reste, elle se serait laissée aller à s’y plonger.
            Du bruit ? Quelqu’un ? Elle se redressa et scruta au travers de l’obscurité autour d’elle. Elle était folle de s’attarder ainsi. Et s’il s’agissait de... Du vagabond ! Un gamin ? Rien ne le prouvait.
            Cet inconnu qui rôdait la nuit pouvait ne pas être aussi inoffensif qu’elle voulait le croire... Et elle était seule, assise sur un sol détrempé, chemisier à moitié défait, découverte jusqu’à l’impudique transparence d’un slip coquin, alors que... Là... Une ombre animée qui se hâtait vers elle. Une silhouette bien réelle qui, pour ne pas être celle d’un enfant, n’avait rien de rassurant. Et elle n’avait aucun moyen de fuite, pas une seule échappatoire pour se mettre hors de portée sinon... Sinon celle qu’elle adopta d’un bond : affronter un courant gelé !
- Attendez !
- HAAAA ! ! ! !
            Pourquoi ce cri ? Pour l’étreinte de glace qui lui cisailla les jambes ou pour la main qui avait effleuré son bras ? Et elle ne se souvenait pas d’un cours aussi large... Ni aussi profond ! Et elle s’appliqua à ne pas regarder derrière elle, à tendre toute son énergie pour avancer au mieux et au plus vite, sans perdre l’équilibre.
            Jusqu'à se sentir soudain agrippée par les cheveux, ramenée en arrière, sans pouvoir résister, submergée par un flot capricieux, sournois complice d’un assaillant inattendu.
            Toussant et soufflant, elle s’efforça de refouler toute panique et demeura docile, guettant le contact de la terre ferme sous ses pieds. Aussitôt un semblant d’équilibre assuré par des appuis plus solides, elle se retourna contre l’homme qui la tirait, lançant ses mains tous ongles tendus, vers la tenaille de doigts qui emprisonnait sa chevelure, les enfonçant de toutes ses forces dans un étau vulnérable pour n’être que de chair.
            Un cri de douleur qui la libéra... Et elle se mit à courir, à courir sans prêter l’oreille aux pas dénonçant une poursuite... Et...
- Non ! Haaaa !
            Elle glissa sur l’herbe traîtresse, et roula jusqu’à se retrouver immobilisée, poignets prudemment cerclés et fermement maintenus au sol, mais envahie par une rage démente. Et elle oublia la peur, toute violence axée contre l’individu qui pesait sur elle... Se démenant telle une diablesse, corps arqué, s’épuisant à tenter de se soustraire à une masse de muscles qui la contraignait sur place.
- Laissez-moi !
- Pas question...
- Lâchez-moi... Sinon...
- Si vous vous tenez tranquille !
            Tranquille ? Là... L’épaule... Juste à portée… À peine relever la tête et... elle y alla de toute la dureté de ses dents !
- Aïe ! Hé... ça ne va pas, non ? En voilà assez !
- Lâchez-moi... Ou je... Je... Je recommence ! 
- Essayez et je vous garantis de vous en ôter définitivement l’idée ! Allez-vous vous calmer, oui ou non ?
- Me calmer !
- Oui... Si je vous libère, vous montrerez-vous raisonnable ?
- Raisonnable ?… Espèce de… de… Si vous croyez que...
- Jetez-vous encore à l’eau et vous y resterez !
- Me jeter à l’eau ?
- Je ne plongerai pas une seconde fois pour vous en repêcher, c’est clair ?
            Contre son visage, une douceur de cachemire... Et un parfum qui lui chatouillait les narines : des fragrances bien trop légères et raffinées pour être dégagées par un individu dans l’indigence. Elle sentit renaître en elle l’ébauche d’un fou rire qu’elle maîtrisa à grand-peine.
        Elle avait été stupide, mais lui... Cet idiot ! Qu’avait-il imaginé ?
- Bon sang ! L’entendit‑elle s’agacer, vous n’allez pas pleurer maintenant !
- Moi ? Ah non, alors... réussit‑elle à articuler entre deux hoquets de rire. Au contraire ! Mais vous... Vous... Si vous saviez !
- Vos mains et... Votre joue ! Vous saignez... Vous êtes blessée !
- Ma joue ! Où ? Mais non ! Ce n’est que de la teinture... Bougez-vous... Laissez-moi me relever ! Nous voilà bien, tous les deux ! Si quelqu’un nous voit, nous allons être la risée du village ! Allez... Je vous dis !
- Seulement si vous me promettez d’être sage.
- Comme une image ! Lui assura‑t‑elle. D’ailleurs, si nous en sommes là... C’est de votre faute !
- La mienne ? Ce n’est pourtant pas moi qui me suis précipité du haut de la route !
- Oh ! Vous avez vu ?
- J’ai surtout entendu votre cri... Et vous avez dévalé la pente à une telle vitesse que je m’attendais au pire.
- Ce n’était qu’un j… un accident !! Qui pourrait arriver à n’importe qui ! Allez ! Bougez‑vous !
- Pas encore ! Je ne suis pas convaincu ! Expliquez‑moi le pourquoi, ensuite, de ce plongeon dans la rivière ?
- Qu’auriez-vous fait, à ma place, face à un inconnu vous fonçant dessus ?
        Interrogation qui interpella suffisamment l’inconnu en question pour qu’il en desserre l’étreinte autour de ses poignets.
- Prétendez-vous que... Vous avez eu peur de moi ?
- Gagné ! Ou plutôt... Je vous ai pris pour quelqu’un d’autre... Un vagabond qui erre dans le coin...
Un mieux : d’allongé sur elle, le voilà qui se redressait jusqu’à n’être plus qu’assis sur ses hanches ! Encore un peu et il finirait bien par se lever tout à fait !
- Et vous êtes assez imprudente pour vous y promener seule ?
- Pitié, pas de sermon !
- Vous mériteriez pire que cela.
- La situation étant totalement éclaircie, pourriez-vous, s’il vous plaît, vous faire plus léger ? Ma position n’est pas du tout confortable et, de plus, j’ai une pierre assassine juste au creux des reins...
            Enfin ! Elle poussa un petit soupir de soulagement, respirant mieux aussitôt délivrée d’une charge importune.    
        Ignorant avec superbe la main que l’homme lui tendit, elle se redressa d’un simple rétablissement, satisfaite de lui deviner un air un peu gêné.
- Il est temps pour moi de rentrer.
- Je vous raccompagne.
- Surtout pas !
- Il est nuit noire...
- Si vous vous tenez loin de moi, je ne risque absolument rien. Au fait, comment avez-vous trouvé l’eau ?
- Froide... Horriblement froide !
- J’en suis ravie ! L’aventure en devient presque plaisante. Bonne nuit !
- Bonne nuit... Mais... À propos de cet intermède entre nous...
- Quoi encore ?
- Tout le plaisir était pour moi, murmura-t-il dans un sourire.
            Et Charlotte, s’éloigna, sans plus répliquer, nuque raide et rouge au front.

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3 novembre 2007 6 03 /11 /novembre /2007 15:04



            J’ai froid et j’ai mal à la tête... Et ce bruit dans ma poitrine quand je respire trop fort... J’suis pas bien du tout...
            Et puis... Je dois faire plus attention. Ce soir, j’ai failli me faire prendre. Et ce type n’a pas du tout l’air gentil... Heureusement que... « Elle »... Elle est là. Sans « Elle » je serais déjà mort de faim...
            Je suis fatigué... Tellement fatigué... Je vais rester ici jusqu'à la fin de la semaine et ensuite... Il faudra que j’aille plus loin. Je peux plus rester dans ce garage. Depuis quelques jours, il vient à n’importe quelle heure... Même en pleine nuit... Je peux jamais deviner à l’avance ! Oh, il reste pas longtemps... Juste faire un tour dans la maison et dans le parc... Mais pendant ce temps... Moi, je suis obligé de me cacher dans les bois et avec la pluie... Il m’énerve... Pourquoi il fait pas comme tout le monde ? Pourquoi il part pas le matin pour ne rentrer que le soir ! Au moins, moi, je pourrais m’organiser... Et puis, de cette façon, tous les deux, nous prendrions comme... Comme des habitudes...
            Et il est toujours tellement... Tellement... J’sais pas comment... Pas en colère mais... Fâché... Voilà... Comme s’il était fâché... Ou triste... Ou pas content... Quelque chose comme ça, en tout cas...
            Sauf une fois... Il est rentré de sa promenade en sifflant... Il était tout mouillé et il sifflait ! Comme si c’était amusant de se promener tout mouillé avec ce froid !
            C’est vrai qu’il fait froid... Très froid... Et j’peux plus rester dehors... Et puis je claque tellement des dents que... Sûr, qu’il va m’entendre s’il passe près de moi...
            Tout à l’heure, lorsqu’il est venu chercher des bûches, j’ai bien cru que...
        Des bûches ? Si c’était pour allumer un feu ça veut dire qu’il compte rester là plus tard que d’habitude... Et puis... Ce matin... Le grand camion... Tous les meubles que les hommes ont déchargés... Et si... Il ne compte quand même pas passer la nuit ici ! Il faut qu’il parte... Il doit partir... Sinon il n’ouvrira pas la porte du garage et... Comment je vais faire, moi ?
            Je suis pas bien... Y a tout qui tourne quand je bouge et... J’peux plus m’empêcher de tousser... Et ça fait mal... Et il pleut encore... J’dois trouver un endroit pour me mettre à l’abri... Un endroit... Le trou sous les escaliers... Au moins jusqu'à demain matin...
            Les fenêtres sont encore éclairées... Il ne dort pas... Je dois avancer doucement... Ne pas faire de bruit... Pas même craquer une branche... Je suis léger comme... Comme une bulle de savon... Et... La porte !
            Il a ouvert la porte !
            Du calme... Je ne risque rien... Il peut pas me voir... Je suis invisible... Je suis... Mandrake !
            Et je suis aussi agile que... Que Spiderman... Et aussi fort que Batman... Je suis un héros... Et les héros ne se font jamais attraper ! Et les héros n’ont pas peur... Et... Et... C’est pas vrai... Tout ça c’est pas vrai... J’suis qu’un petit garçon... Et j’ai froid... Et j’ai peur... Et je suis malade... Et... Et...
            Il s’est arrêté ! Il regarde autour de lui... Ça va... Il continue... Allez ! Avance !
            Où il va comme ça ? Qu’il fasse deux pas... Rien que deux... Encore un... Ça y est ! J’le vois plus... Qu’il me laisse juste le temps de... Deux mètres... Pas plus de deux mètres et je serai à l’abri... Encore un peu et...
‑ Non !
- Je te tiens, mon gaillard !
            Non ! Il m’aura pas... J’veux pas... Je vais... Je vais...
- Doucement, petit... Je ne te veux aucun mal...
            J’peux pas... Il est trop grand... Trop fort... Et...
- Laissez-moi tranquille...
- Pas avant que tu ne m’aies dit ce que tu fais ici, en pleine nuit...
- Vous n’avez pas le droit de me retenir... J’me laisserai pas faire...
            Et j’veux pas pleurer... Il faut pas que je pleure... Je sais me débrouiller tout seul... J’ai besoin de personne...
- Allez... Je te ramène chez toi...
- Non ! Je veux pas... J’veux pas y retourner ! Lâchez-moi...
- Hé... Mais qu’est-ce qu’il te prend !
- J’veux pas... J’peux pas ! Ils vont m’enfermer... Et... Je veux pas qu’ils m’enferment... J’veux pas !
- OK. OK. On fera comme tu voudras... Tu entends, petit ? C’est fini... On n’en parle plus... Calme-toi, bonhomme... Et dis-moi où tu veux aller...
        « Bonhomme »... « où il est mon bonhomme »... Papa... Je voudrais tellement... Papa...
- Mais... Mais tu es brûlant ! Tu as de la fièvre !
- Je veux...
- On verra ça plus tard, bonhomme... Tu me suis et... attends… ne tombe pas, voilà ! Je te tiens… allez, viens…
- Oui, papa... Je veux rentrer... Je veux rentrer à la maison... Avec toi... Et je veux... Je veux maman... Va chercher maman... Je veux voir maman...

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3 novembre 2007 6 03 /11 /novembre /2007 15:03

 

        


            - Alors ? Qu’en penses-tu ?
            Fixé à la base du cou par un cercle d’argent, un triangle de délicate dentelle. À peine assez large pour épouser les courbes douces du buste élancé sous les épaules entièrement découvertes, soulignant la finesse de la taille et l’étroitesse des hanches, dénudant le dos jusqu’au creux des reins... Un morceau de ciel d’un bleu translucide, de ce bleu d’avant que la première étoile ne s’éveille, un éclat de ciel d’encore jour ourlant un crépuscule de cascades jaillissantes de soie chatoyante, s’étalant jusques aux pieds en des drapés d’indigo mordoré qu’irisaient les lueurs mouvantes des flammes vives qui dansaient dans l’âtre.
- Un peu osé, pour mon goût, mais certainement ce que tu as fait de mieux jusqu’ici. Et avec cette robe, je pense que ta collection est enfin au point.
- Non, marraine... Pas ce modèle... Lui, il n’est que pour moi !
- Je comprends maintenant pourquoi tu n’as pas mieux réussi que ça ! Si tu gardes les plus belles pièces pour ton usage personnel, tu n’arriveras jamais à rien.
- Je gagne bien assez d’argent pour couvrir mes besoins. C’est fou ! J’en rêvais depuis des mois ! Regarde...
- Avec un corsage un peu plus étoffé... Et en blanc, elle serait idéale pour... Pour un mariage !
            Il y avait longtemps que la conversation ne dérivait plus vers ce sujet !
            Charlotte en avait l’habitude, il lui suffisait de faire la sourde oreille, de ne relever aucune allusion. Elle allait finir par se supposer coupable du pire en n’aimant plus Jacques !
            Qu’y faire ? C’était ainsi et elle n’y pouvait rien changer. En revanche, elle devrait trouver le courage d’en parler ouvertement avec lui. De ne pas le laisser entretenir plus longtemps la certitude qu’elle lui était définitivement acquise.
            Elle pensait que leur séparation allait l’y aider mais il n’en était rien. Au contraire, ses lettres étaient aussi tendres qu’aux premières heures de leur relation, et ses appels de plus en plus pressants. Bien davantage même qu’avant son départ ! Mais il était si seul à Mâcon, c’était sans doute à cause de ça, de trop de solitude.
            Il suffisait d’attendre un peu, le temps qu’il rencontre du monde, qu’il lie de nouvelles amitiés, et puis... Et puis, elle verra bien !
- Et à quelle occasion comptes-tu la porter ?
- Comment ?
- Je t’imagine très bien assister dans une telle tenue à la fête annuelle de l’hospice, ou encore à notre veillée des anciens ! Allons, sois raisonnable et suis mon conseil : ajoute-la aux autres et avec un peu de chance...
- Marraine, les deux châtaigniers du clos, ceux qui ne produisent plus rien... Pourquoi veux-tu les conserver ?
            Elle pouvait froncer les sourcils, se renfrogner tout son soûl ! Que croyait-elle ? Que sa « grande » histoire d’amour était ignorée de tous ? C’était au cœur de l’ombre de ces arbres que, à vingt ans, elle retrouvait son soupirant, là que leur tendre aventure s’était ébauchée, là qu’elle avait grandi, et là qu’elle s’était achevée.
            Comment et pourquoi ? Personne ne l’avait jamais su, mais chacun était certain que c’était cela qui avait fait qu’elle ne se fut jamais mariée.
- Comme ça ! Ils sont très beaux... Et ils ne dérangent personne... Et puis... J’en ai le droit, non ?
- Et moi j’ai celui de posséder... « comme ça »... Un quelque chose qui peut te paraître complètement inutile !
- Écervelée !
- Tyran !
- Gamine capricieuse !
- Radoteuse !
- Mauvais caractère !
- Tout ton portrait ! Le fruit de ton éducation... De quoi te plains-tu ?
            Une autre de leurs gentilles querelles, celles par lesquelles elles semblaient mesurer ou éprouver leur complicité.
            Charlotte était heureuse de retrouver la Marraine d’autrefois, de il y avait peu, de juste avant un stupide accident dont, apparemment, il ne restait plus rien. Sinon une lassitude un peu inquiétante pour être inhabituelle chez une personne aussi énergique.
            Un dernier coup d’œil, juste pour le plaisir.
            Sa plus belle réussite ? Du moins jusqu'à la prochaine. Depuis qu’elle était revenue dans sa maison du bord de la rivière, l’inspiration ne manquait pas, elle avait même du mal à la canaliser.
            Ces couleurs... Des couleurs à foison... Des teintes éphémères qu’un rien suffisait à modifier... Seulement le cours du temps... La lumière du jour différente de minute en minute, de seconde en seconde… Comme si chacune portait en elle sa propre coloration et pouvait l’imprimer à une nature qui ne serait plus que toile vierge, docile et complaisante. Une palette infinie d’harmonies subtiles et parfaites… intensifiées par une ondée, éclaircies au caprice d’un soleil éclatant, ou diluées par les vapeurs évanescentes des brumes matinales...
            Parfois elle avait l’impression d’être engagée dans une course contre le ciel ; d’un regard à un autre, ce n’était déjà plus la même nuance.
            Mais il était tard... Très tard, et il serait raisonnable qu’elle s’active à mettre un peu d’ordre autour d’elle, à ranger bacs et poudres, aiguilles et bobines de fils, et ôter un rêve qu’elle avait fait réalité avant que de le tacher ou de l’abîmer...
- Charlotte... Viens vite ! Il y a quelqu’un sur la route...
            Et alors ? Les gens étaient libres de circuler comme bon leur semblait ! Elle, pour le moment, elle devait défaire une agrafe à peine fixée, se concentrer pour agir avec délicatesse et...
- Il est entré dans le jardin !
            Voilà ce qu’elle avait oublié ! Donner un tour de clé à la serrure du portail ! Marraine avait raison : elle n’était qu’une écervelée !
- Il avance...
            Il devenait essentiel de juguler une crise de nerfs naissante chez Marraine, et ensuite… allumer la lampe du porche pour faire comprendre à l’inconnu qu’il était découvert en espérant que cela suffira pour qu’il déguerpisse !
- Il... Il arrive ! Qu’allons-nous faire ?
- Rien de particulier.
- Rien ? Et si…
- Si quoi ?
- S’il forçait la porte ?
- Allons bon ! Pourquoi le ferait-il ?
- Pourquoi ne le ferait-il pas ?
- Bon, eh bien… pendant que je le surveille, va me chercher le fusil de grand-père.
- Mais… il est hors d’usage !
- Tu le sais... Je le sais... Mais pas lui ! Allez... Dépêche-toi !
            Charlotte se posta derrière la fenêtre, souleva légèrement la fine dentelle du rideau et risqua un regard dans l'allée. Elle fronça les sourcils devant la silhouette penchée qui louvoyait de gauche à droite. Pourquoi cet individu n’approchait-il pas de front ? Il paraissait contourner volontairement le halo de lumière... À moins que ce ne fut pour se protéger de la pluie en longeant le mur du garage... Et... Elle le vit faire un bond pour éviter la flaque d’eau qui s’était formée au bas des marches... Qu’il escalada deux à deux !
- Ça y est ! Je suis prête !
            Charlotte eut bien du mal à retenir un sourire au spectacle que lui offrait sa marraine, fièrement campée sur ses jambes et tenant fermement entre ses mains une archaïque pétoire bien trop poussiéreuse pour paraître menaçante...
- Astique un peu le canon au moins pour que cet engin semble entretenu ! Tu n’effraierais pas même un enfant avec ça !       
            Deux coups à la porte... Et elle ne sut plus que faire...
            Encore un et une voix qui se glissa jusqu'à elles...
- Il y a quelqu’un ?
            À son avis ? Pourquoi une maison brillerait-elle de toutes ses ampoules si elle était déserte ? Et elle n’avait pas à s’affoler : que risquaient-elles ? Les serrures étaient solides et...
- Ouvrez ! J’ai besoin d’aide...
            De l’aide ? À cette heure de la nuit ? Un coup d’œil vers Marraine, visage décomposé, escopette tendue et tremblante au rythme de son angoisse...
        Elle tressaillit à de nouveaux tapotements contre les carreaux, et hésita, main posée sur la clé... Jusqu’à, sans vraiment le vouloir, finalement la tourner, actionner la poignée et entrebâiller la porte, s’aventurant même à montrer le bout du nez...
- Vous ?
            Elle eut à peine le temps d’exprimer son étonnement qu’une explosion, derrière elle, la fit sursauter, et elle ne put retenir un véritable hurlement lorsque deux bras la saisirent et la projetèrent sur le côté...
- Vous n’avez rien ?
- Je... Je ne crois pas... Que s’est-il passé ?
- Je n’en sais rien... Il y a eu un éclair... Un bruit et... Et de la fumée...
- Marraine ! Où est Marraine ?
Écroulée sur une chaise, cheveux et doigts noircis, Marraine contemplait d’un regard hagard le fusil posé sur ses genoux... Ou du moins ce qu’il en restait.
- Je suis là... Je suis désolée... Je ne l’ai pas fait exprès...
            Et ce fut l’inconnu qui arriva le premier auprès d’elle, s’assurant qu’elle ne souffrait d’aucune blessure tout en la débarrassant des reliefs de sa mésaventure.
- Ça ira, elle va bien... Simplement un peu choquée... Ça passera très vite.
            De quoi se mêlait-il ? N’en avait-il pas assez fait déjà ? Sans lui, rien de tout cela ne serait arrivé... Mais elle aussi, quelle sotte ! Comment lui était venu cette idée stupide d’exhiber une arme dangereuse !
- Marraine... Comment est-ce possible ! Tu m’as toujours assuré que ce fusil était déchargé !
- Il l’était ! J’ai vérifié... La chambre était vide... Je ne sais pas comment c’est arrivé... J’ai dû appuyer sur la gâchette par mégarde, et... C’est la poudre... J’ai dû actionner la pierre... Et... Comment pouvais-je supposer que...
- Ce n’est rien... C’est fini... Et vous, ne restez pas planté ainsi... Aidez-moi à l’allonger...
- Je n’ai plus le temps... J’ai un gosse malade qui attend et je ne peux le laisser seul trop longtemps....
- Un gosse malade… le médecin le plus proche est à… .
- Non, non… je suis médecin, ce dont je manque c’est de médicaments. Écoutez... Il faut que j’y aille, il est mal en point et... En fait, je dois trouver une pharmacie ouverte et j’espérais que quelqu’un pourrait veiller sur lui durant mon absence... Ce n’est pas loin... Juste la maison à côté...
- À côté ? Vous ! Alors c’est vous qui... Nous verrons ça une autre fois ! Donnez-moi le temps de coucher Marraine, de me changer et je vous rejoins. Oh, j’y pense ! Avant d’aller plus loin, voyez à l’Hospice, en haut du village, ils auront certainement de quoi vous dépanner.
- L’hospice ?
- Oui, on y assure des soins médicaux. Cela va d’un rhume à... Et mince ! Je n’arrive pas à défaire l’agrafe de la ceinture.
- Tournez-vous... Voilà qui est fait. Au bout du village ?
- Une grande bâtisse toute repeinte de neuf, il est impossible de la rater. Je peux les avertir ou bien... Vous pouvez leur parler et voir directement avec eux s’ils disposent de ce qui vous est nécessaire.
- En effet, et pendant ce temps...
- Je me dépêche !
- Je suis désolé, vous vous prépariez à sortir et...
- Non, pas du tout... Ce n’était qu’un simple essayage.
- Vraiment ? C’est une très jolie robe et qui vous va à ravir.
- Merci ! Tenez, voici le numéro. J’en ai pour deux minutes.
- Attendez ! Vous vous appelez... Charlotte, c’est cela ?
- Oui, et il faudra faire avec !
- Ça me convient tout à fait...
- Tant mieux. Et vous ?
- Moi ?
- Oui, vous… Votre nom ?
- Oh… Pardon… moi, c’est Pierre. Pierre Brussac.
- Enchantée, Pierre !
- Moi surtout, car de nous deux, c’est en vous qu’est le merveilleux... Pas en moi.

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3 novembre 2007 6 03 /11 /novembre /2007 15:02



            - Pierre ! Tu avais promis de m’accompagner au vernissage de Léo !
- Oui, mais j’ai une urgence, alors entre un malade et une exposition de toiles qui seront encore là demain…
- Avec toi, c’est toujours pareil !
            Faire la sourde oreille seulement quelques minutes, le temps qu’une infirmière l’appelle et le délivre d’un front boudeur.
- Et il n’est pas question que je m’y présente seule ! De quoi aurais-je l’air !
- D’une jeune femme terriblement séduisante ! Et puis, seule, je ne crois pas que tu le resteras longtemps.
- Ce qui veut dire ?
- Rien de particulier, sinon que tu as suffisamment de relations pour ne pas redouter la solitude.
- Et cela ne t’inquiète pas ?
- Pourquoi ? Le devrais-je ?
            Béni soit le téléphone…
- Je suis désolé, Sandra, mais je dois y aller.
- Oui, c’est ça ! Sauve-toi ! Et je suppose que tu vas en avoir pour toute la nuit.
            Et bien au-delà encore, si cela ne dépendait que de lui. Du moment qu’il échappait à Léo et sa clique…
- Je le crains, mais toi, amuse-toi et excuse-moi auprès de tes amis.
            Si, en général, prendre la fuite n’était pas un comportement honorable, il y avait quelques occasions où cela devrait être fermement recommandé.
            Et force lui était de reconnaître qu’il en avait de plus en plus souvent envie. Peut-être était-il enfin temps, pour lui, de reprendre ses distances, de ramener cette relation à des proportions moins… moins quoi ?
            Une aventure, et pas davantage, si ce n’était l’évidente volonté de Sandra de la faire évoluer vers une situation plus conventionnelle. Un guêpier dont il allait devoir se tirer au plus vite. Restait à trouver la méthode la plus élégante.
            Si encore elle n’était pas autant douée pour certaines choses, l’affaire serait déjà expédiée et sans effort, mais il avait rarement eu affaire à quelqu’un d’aussi… d’aussi habile. Un réel talent pour enflammer les sens de n’importe quel homme ; sur ce plan-là, il était certain de la regretter, au moins un temps !
            Quel dommage ! Mais aussi, pourquoi les femmes se montraient-elles tellement prosaïques ! Quelques sorties, quelques moments agréables et les voilà déjà à projeter des plans d’avenir. Plans dans lesquels, lui, n’était pas prêt, mais pas prêt du tout, à se laisser intégrer.
            Et surtout pas avec Sandra !
            Mais il ne lui sera pas vraiment difficile de se prétendre très occupé dans les jours à venir, et cela jusqu’à ce que tout danger fut écarté… jusqu’à ce que cette adorable mante religieuse se rabatte sur une autre proie moins rétive que lui.
            Mais en attendant, il n’avait aucune raison de refuser les captivants agréments qu’elle lui offrait.
            En revanche, il y avait certainement quelque chose à faire pour égayer un peu ces couloirs. Qui avait décidé de déposer sur les murs d’un service de pédiatrie une peinture d’un vert aussi déprimant ? Ni tendre, ni acide… non… presque gris ! Et avec ça pour horizon, des gosses malades devraient demeurer optimistes ?
            Il avait été plus qu’agréablement surpris par le modernisme des installations qui n’avaient rien à envier à celles du meilleur hôpital de la capitale. Rien n’y avait été laissé au hasard, sinon, comme pratiquement partout, la décoration.
            Ceux qui étaient supposés y penser avaient montré un manque total de discernement. Ignoraient-ils combien un environnement pouvait se révéler important parfois ?
            Qui aurait envie de rire devant toute cette grisaille ?
            Un bleu indigo… des cascades d’eaux vives sous les teintes flamboyantes d’un crépuscule et… d’où lui venaient de telles images ?
            Ah, oui ! L’incroyable robe de Charlotte !
            Comment se débrouillait-elle avec leur petit inconnu ? S’il s’en tenait au dicton « pas de nouvelles, bonnes nouvelles », il n’y avait pas lieu de se tourmenter à ce sujet... À moins que… Lui avait-il bien indiqué comment le joindre si l’état de l’enfant le nécessitait ? Il ne savait plus… Et était-il prudent de lui en confier la garde ? Ne s’était-il pas dégagé trop vite d’une éventuelle responsabilité ? Mais pouvait-il agir autrement ? Entre le cabinet, l’hôpital et les visites à domicile, il avait si peu de temps à lui ! Comment veiller sur un petit garçon malade ?
            Non, le transporter chez cette jeune femme avait été la meilleure solution. Et puis, elle n’était pas seule… et il lui suffisait de s’y arrêter avant de rentrer chez lui… en fait, dès qu’il en aura fini ici.
            Mais dans l’immédiat, un autre cas l’attendait et bien plus grave qu’un mauvais rhume. S’il ne trouvait pas très vite ce qui perturbait profondément une petite fille obstinément muette, toute recroquevillée sur elle-même, et refusant de s’alimenter, ainsi que le moindre contact avec autrui… Comment parvenir à l’atteindre ?
            Voilà une dizaine de jours que cette gosse leur était arrivée et depuis il n’avait abouti à rien.
            Une fillette apparemment choyée… d’ailleurs son corps ne portait aucune trace de coup, aucune marque qui aurait pu trahir de mauvais traitements. Des parents ordinaires, inquiets comme tous les parents du monde, et sincèrement dépassés par la situation.
            Et surtout incapables de lui fournir une quelconque information sur un possible traumatisme psychique. À moins qu’il ne faille en rechercher les causes en dehors du cercle familial. Mais les nombreuses entrevues avec son institutrice et ses petites camarades de classe n’avaient rien donné à ce jour.
        Combien la fragilité de l’esprit pouvait s’avérer plus redoutable que celle du corps pour un médecin !
            Un organe défaillant, un os cassé… ou même un virus quelconque… c’était du tangible, mais comment cerner la blessure de l’invisible ?
            Il ne se supportait pas impuissant face à une douleur bien plus bouleversante pour être silencieuse.
            L’absence de tout phénomène pathologique l’avait amené à supposer, tout d’abord, qu’il se trouvait confronté à une forme sévère de l’autisme… mais depuis quelques heures il ne saurait définir pourquoi il n’en était plus du tout convaincu. Quelques détails infimes… presque rien…
            Ce dont il était persuadé, en revanche, c’était qu’ils devaient agir vite… très vite ! Avant que cette gosse ne se referme totalement sur elle-même… avant qu’elle ne se perde dans un univers parallèle.
            Une chambre moins anonyme que les autres. Peu à peu, depuis la veille, avec l’aide des infirmières, il créait pour une gamine inconsciente un environnement de couleurs et de sons. Il avait suffi de draps fleuris, de poupées sagement assises sur une commode, de rideaux au tulle brodé de chats espiègles courant après une balle, d’un petit poste jamais éteint… et de plusieurs voix se relayant pour la lecture des pages d’un conte pour enfant.
            Et c’était à son tour de prêter la sienne à divers personnages, thérapeutes inattendus contre une maladie indéfinie.
            Seulement le temps de défaire un paquet, de brancher un lecteur de disque et d’y insérer un cercle brillant, de régler le volume des haut-parleurs…
- Où que tu sois, ma puce, je suis certain que tu vas aimer cette histoire… Celle d’une fille aux yeux d’émail. Des yeux presque aussi beaux que les tiens… Écoute, écoute bien… il était une fois, il y a longtemps… très longtemps… tu n’étais pas encore née… une merveilleuse jeune fille qui s’appelait Coppelia…
            Hoffmann et Delibes… des mots sur quelques notes… un conte perché sur une musique dansante…
            Et un léger frémissement de deux fragiles paupières closes sur un monde invisible.

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3 novembre 2007 6 03 /11 /novembre /2007 15:01



            D’autres paupières fermées sous une tignasse emmêlée de mèches humides d’un sommeil tourmenté.
            Charlotte et sa marraine contemplaient leur redoutable vagabond : un enfant au corps frêle, relief insignifiant sous un drap soigneusement tiré.
- Il dort...
- Vu son état, ce n’est pas plus mal. Où notre voisin dit-il l’avoir trouvé ?
- Dans son parc, il y a quelques heures. Trempé, grelottant de froid et de fièvre… d’après lui, un sacré paquet de nerfs à vif ! Une véritable anguille qui a failli lui glisser entre les doigts après l’avoir mordu.
- Et c’est tout ?
- Eh bien… oui !
- Et cela vous suffit !
- Mais… comment en apprendre davantage dans l’immédiat ?
- Il ne vous est pas venu à l’idée que, quelque part, quelqu’un doit s’inquiéter à propos de ce gamin ! Te rends-tu compte de la légèreté de votre conduite ! De la tienne surtout… Lui, cet homme, il s’est débrouillé pour…
 - Marraine ! Il est médecin, et il était attendu à Privas. Il nous a paru plus pratique…
- Pratique ! C’est cela même ! Et pour qui ? Pour lui, évidemment. Quant aux ennuis, inévitables j’en suis certaine, tu devras les affronter seule ! Non, avec moi puisque je suis complice, sans le vouloir, de… de tout ça ! Nous voilà bien !
- Tu te tracasses pour rien… Dès demain, nous verrons, lui et moi, ce qu’il y aura lieu de faire.
- Et tu crois vraiment que cet individu va se préoccuper de la suite des événements ? Je t’ignorais naïve, ma fille ! Téléphone à la gendarmerie, dès ce soir, et…
- Chut ! Ne parle pas aussi fort, tu vas le réveiller. Et puis, il est temps d’aller te coucher.
- Et toi ?
- Je vais rester auprès de lui.
- C’est bon, mais, je te préviens, dès que ce petit sacripant pourra parler…
- Oui, je sais. Allez, laisse-moi maintenant, que je puisse également prendre un peu de repos.
            Il semblait à Charlotte que l’aube n’allait jamais se décider à se libérer des ombres de la nuit. Et que fabriquait ce maudit Pierre Brussac ? À tous les coups, il devait dormir en toute tranquillité et la conscience en paix.
            Le temps n’en finissait pas de passer... Et si Marraine avait raison ? Et elle - d’ordinaire sage et raisonnable - que lui prenait-il de faire confiance à un parfait étranger ? Elle se leva lentement, libérant avec d’infinies précautions ses doigts d’une petite main moite. Juste quelques pas jusqu’au secrétaire, et se saisir d’un petit rectangle de papier se détachant nettement sur le bois sombre, et hésiter encore. Pourquoi ? Il ne s’agissait pourtant que de composer un numéro et rappeler à un médecin oublieux l’état alarmant d’un enfant malade.
            Un homme pas vraiment séduisant. Des cheveux taillés courts, d’un châtain sombre éclairé de fils d’argent aux tempes et sur la nuque, des sourcils en broussaille surplombant des yeux gris et un nez fin et droit, des joues creuses, une bouche aux lèvres minces et dures soulignées par un menton carré. Pas très grand, à peine deux, trois centimètres de plus qu’elle, un corps mince mais vigoureux... Cela, elle avait pu le constater par elle-même, un certain soir dont elle préférait ne pas se souvenir. Un type étrange, de toute évidence autoritaire et sévère, mais... Pas seulement.
            Chaque fois que le hasard les avait amenés à se rencontrer, sous son regard d’acier froid, elle s’était sentie devenir animal burlesque. Une impression bizarre qu’elle ne saurait comment expliquer.
            Elle se secoua, essayant de ramener ses pensées entre des frontières bien définies, au cœur d’un territoire sûr et peuplé d’êtres familiers. Elle revint prendre place en silence près du lit, à la lisière même du faible halo de lumière de la lampe à l’abat-jour adouci d’un foulard de soie safranée, et laissa son regard se perdre au-delà des carreaux de la fenêtre, fouillant la nuit, cherchant au creux d’une obscurité placide le tracé du chemin menant au village, à la première maison, endormie à l’ombre d’un… Cet arbre immense, au tronc puissant, à quelle variété appartenait-il ? Son écorce portait encore, gravé profondément, bien visible pour tous, l’aveu d’un amour… celui de Jacques pour elle.   
         Jacques…Que faisait-il ? Que devenait-il, loin d’elle, loin de ce qui était « eux » ? Sa dernière lettre, pourtant pleine de tendresse, lui avait semblé rédigée par un inconnu. Elle ne le retrouvait plus, lui, dans les longues phrases... Trop longues de mots qu’elle n’aurait jamais supposés un jour être écrits par lui. Des mots qui lui disaient qu’il rêvait d’elle... Qu’il la gardait en lui, au plus profond, bien à l’abri, pour mieux la retrouver à chaque instant... Chaque fois que son absence se faisait trop cruelle… Des mots qui lui disaient qu’il comptait les heures qui la séparaient d’elle, et qu’il se rassurait de les voir s’égrener, heureux de chaque nuit qui passait pour la promesse qu’elle portait d’un autre jour... Un de plus... Un encore à soustraire au temps qui les séparait. Un inconnu qui lui disait chercher sans cesse dans ses souvenirs le rayonnement d’un ciel, uniquement poussé par la certitude qu’elle-même y baignait ; et encore l’odeur d’un sous-bois, de ceux dans lesquels elle aimait se perdre, et la fraîcheur d’une cascade... De sa cascade... Regrettant infiniment ne pouvoir les partager totalement pour ne l’y avoir jamais accompagnée.
            Des mots jetés pêle-mêle, sans véritable ordonnance, sans calcul aucun, bousculant sans scrupule la froide et élégante discipline d’une écriture qu’elle avait toujours connue nette et appliquée.
            Des mots sans apparente tristesse, trahissant même la ferme volonté de ne jamais la souligner, au point qu’une autre qu’elle ne l’aurait pas devinée.
            Mais elle connaissait si bien Jacques...
            Soudain sa chambre lui parut trop petite, trop close, trop silencieuse, avec la désagréable impression d’y étouffer, d’y être oubliée par le monde extérieur et de s’y perdre.
            Son cœur... Pourquoi son idiot de cœur s’emballait-il ? À cause de ces quelques phrases ou des doigts qui les avaient tracées ? La seule évocation des mains de Jacques sur les siennes suffit à faire naître des frissons sur sa peau... Était-ce de prendre soudain conscience de trop de solitude
 que son corps devenait sourd à toute raison, rebelle à toute modération ?
            Et modérer quoi ? Le désir qu’elle avait subitement du corps de Jacques contre le sien, de sa bouche capturant la sienne ? Elle ferma les yeux, incapable de refouler l’onde chaude qui naissait au creux de ses reins, ne le souhaitant pas, s’y livrant même sans aucune retenue.
        Sans pouvoir s’y opposer, ses pensées dessinèrent une autre silhouette, un autre visage... Et ses lèvres murmurèrent un autre prénom.
        Que faisait-il ? Pourquoi tardait-il autant ? Allait-il seulement prendre le temps de s’arrêter pour voir comment se portait l’enfant ? Il ne semblait pourtant pas indifférent. Qu’en savait-elle finalement ? Elle ignorait tout de lui, sinon qu’il s’était révélé voisin râleur et peu amène. Tout ? Pas tout à fait. Dur, sans doute possible, et autoritaire également, certainement habitué à voir tout un chacun obéir au moindre de ses ordres. Solitaire aussi, peut-être, d’après les ragots qui circulaient dans le village.
        « C’est en vous qu’est le merveilleux… » Il devait dire cela à toutes les femmes qui croisaient sa route. Mais sa voix…la douceur sensuelle de sa voix lorsqu’il le lui avait dit, à elle, et elle se laissa aller à imaginer d’autres mots, d’autres phrases, uniquement à elle destinés, prononcés par cette voix-là.
           Son regard ! Comment pouvait-il passer aussi aisément de l’acuité la plus acérée d’un adulte retors au timide émerveillement d’un gamin naïf !
           Comment des lèvres au tracé aussi sévère pouvaient-elles esquisser un sourire aussi chaleureux ! Étaient-elles vraiment aussi dures qu’elles le paraissaient ? Posées sur les siennes, sauraient-elles se faire tendresse ou ne seraient-elles qu’exigence ?     
          Il lui sembla sentir encore peser sur elle la force de son corps, et respirer son odeur.
         Que ce serait-il passé si elle avait continué à se débattre ? Il ne l’aurait jamais jetée à l’eau, non, mais qu’aurait-elle pu contre la vigueur sèche des doigts maintenant fermement ses poignets, et les jambes se nouant aux siennes, la contraignant à l’obéissance, la forçant à l’acceptation de sa domination ?
        « Tu perds la tête, se tança-t-elle, ce type n’est qu’un séducteur, et un parmi les plus redoutables ! Tiens-toi loin de lui, idiote ! ».
        Loin de lui ? Alors qu’elle le voudrait là et… Un tressaillement sous sa main la ramena à la réalité d’un regard encore embrumé de fièvre.
- On se réveille enfin ?

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3 novembre 2007 6 03 /11 /novembre /2007 13:05
Je vous ai raconté comment maman nourrit les bébés canaris.

Ben, elle fait exactement la même chose avec tout ce qui, adulte, porte plumes !

Et ça, tous les voisins (si ce n’est TOUT le quartier) le savent. Ce qui fait que, dès que quelqu’un trouve un oisillon tombé du nid, il le mène directement chez nous et le remet aux bons soins de maman. Qui se transforme aussitôt en « mère porteuse ».

C’est à la chaleur de son corps qu’elle entretient l’étincelle de vie de ces fragiles déplumés, et avec une attention sans faille qu’elle les gave !

Jusqu’à ce qu’ils montrent assez de vitalité pour qu’elle estime le temps venu de les éloigner de son sein protecteur, pour les déposer dans un nid bien douillet, préparé à leur intention dans une cage qui leur est spécialement réservée.

Ho, ça ne marche pas à chaque fois et c’est, pour toute la maisonnée, un vrai crève-cœur lorsqu’elle ne réussit pas à en sauver un.

Et dans ces cas-là, la voilà qui creuse une petite fosse bien profonde dans l’un des pots de fleurs de la cour, qu’elle y dépose la petite carcasse inerte, puis la recouvre soigneusement et tasse bien la terre ! Quand elle n’en profite pas pour y glisser, suivant la plante déjà en place, une graine ou deux !

Parce qu’il n’est pas question de balancer aux ordures ce petit être innocent pour lequel elle a lutté ! Bien moins encore concevoir qu’il pût finir au menu d’un rat ! Ha non, alors !

Depuis que je suis en âge de me souvenir, nous avons eu le devoir, chaque année, de partager maman avec des « frères » volatiles. De passage, fort heureusement !

Car, sitôt adultes ou pour le moins assez grands pour se dépatouiller par eux-mêmes, la porte de la cage était ouverte et le restait.

Peu à peu nos miraculés se hasardaient à voleter dans la cour ! Dans cet espace semi-protégé, ils rencontraient leurs semblables, apprenaient à trouver leur pitance, et s’émancipaient progressivement de la sécurité de leur petite cage, osant aller plus haut qu’un toit, plus loin qu’un immeuble, qu’une rue... jusqu’à, finalement, prendre leur envol vers l’infini du ciel, bien loin de notre univers de terriens.

Oui, c’est ainsi que cela se passait toujours... excepté une fois !

Un moineau plus sot ou plus futé que ses prédécesseurs.

Qui n’est jamais parti !

Il faisait de longues promenades, très haut, très loin dans l’azur, mais il revenait toujours vers le confort de son refuge domestique.

Et pourtant, maman a tout tenté pour le rendre à sa liberté naturelle, jusqu’à enlever la fameuse cage, le privant en même temps d’un asile trop accueillant.

Ce qui n’a pas perturbé pour autant notre obstiné qui se posait et dormait, boule soyeuse, sur l’une ou l’autre des volières pendues aux murs de la façade.

Effronté au point de se glisser à l’intérieur de la maison à la moindre occasion pour s’y exercer à mille voltiges pépiantes

Finalement il est resté !

Nous l’avons adopté et baptisé P’titou (ben oui... ) et il a ainsi vécu dans une famille à deux pattes (comme lui !)

S’il passait la plus grande partie de la journée à l’extérieur, migrant d’un coup d’aile d’une plante à une autre, il était désormais naturel de le voir, à l’heure du petit déjeuner, sautiller sur le formica jaune de la table de la cuisine, entre bols et cuillères, en quête des miettes de nos tartines.

Ou bien venir picorer, toutes ailes battantes, un minuscule éclat de jaune d’œuf durci sur un bout de doigt tendu ou sur un coin de lèvre (la spécialité de maman).

Il fallait le voir grimper hardiment aux mailles des rideaux jusqu’à faire l’équilibriste sur les minces tringles d’acier.

Rien d’extraordinaire là-dedans, me direz-vous ! J’en conviens ! Mais... vous en avez vu beaucoup des moineaux en liberté dans une maison, vous ?

Chaque nuit le trouvait, tête enfouie sous une aile, sagement endormi sur l’une des cages couvertes de nos canaris.

Il n’y avait pas que des avantages dans cette cohabitation, il me faut bien le reconnaître !

Etions-nous, ma sœur et moi, assises à la table de la salle à manger, nos cahiers bien ouverts sur la toile cirée, et nous appliquées à nos devoirs du soir, que ce turbulent zigoto s’empressait de venir se poser sur un bras, trottiner sur une épaule, ou s’agripper à une chevelure.

Nous avions beau lui souffler dans les plumes (au sens propre des termes) rien n’y faisait. Une pirouette et il revenait à la charge, osant même à l’occasion parapher à sa manière et d’une encre « douteuse » une laborieuse page d’écriture !

Et comme, personnellement, cette page, il n’était pas question que je la recommence, ces pâtés malvenus m’ont valu quelques réflexions acides de Madame Béranger, mon institutrice du CE2.

J’aurais pu lui expliquer le pourquoi du comment mais... non... Un moineau comme compagnon de jeux... ce n’était vraiment pas le genre de personne apte à comprendre et moins encore admettre une chose pareille !

Et les chats vous exclamez-vous soudain ! Parce que si vous avez tout bien lu jusqu’ici, vous n’avez pas oublié que notre toit abrite également un, deux ou trois spécimens de la gent féline.

Hé bien, rassurez-vous, nos chats font bon ménage avec P’titou... Nous trouvions d’ailleurs très amusant de les voir dormir les uns à quelques pas de l’autre !

Le contraire eut mieux valu sans doute !

Car ainsi, notre petit ami aurait appris à s’en méfier, ou alors en aurait trouvé les lieux de beaucoup moins hospitaliers ce qui l’aurait poussé à s’en éloigner...

Parce que un soir...

Oui... un soir... P’titou voletait dans la cuisine ! Il y a eu le ronronnement de la moto de papa, annonçant son retour... Papa a ouvert la porte mais, par cet accès soudain offert, quelque chose l’a devancé, une masse de poils qui s’est propulsée à l’intérieur de la pièce... vive comme l’éclair et... les feulements de nos gentils matous domestiques devant cette intrusion sauvage... et nos hurlements !

Un affolement total aiguilloné par une angoisse sans nom ! Nos piétinements, nos gestes malhabiles et impuissants à arrêter une violence aveugle et meurtrière... et P’titou a filé vers un placard ouvert, s’y est engouffré poursuivi par une gueule béante...

Je revois la main de papa, encore enfermée dans l’épais gant de moto de cuir noir, se saisir de la porte du placard, la rabattre avec une force terrible sur le corps ramassé du prédateur... j’entends toujours mon cri :

- « Tue-le ! Tue-le ! Tue-le ! »

Combien je me souviens encore de cette rage hystérique qui s’était emparée de moi, celle qui nait du désespoir !

Et puis papa a relâché le battant de bois, il s’est penché sur le corps inerte du chat et il a délicatement dégagé la douce et chaude carcasse de notre P’titou d’entre les machoires ensanglantées... un P’titou qui ne volerait plus jamais...

Nous avons tous pleuré ! Un vrai et profond chagrin...

Et, en moi, une colère infinie contre cette injustice atroce !

Mais alors que je vidais mon cœur, que je me réjouissais de la mort de l’auteur de cet acte barbare, que, entre deux sanglots, je remerciais papa de l’avoir si justement puni, il a hoché tristement la tête en me disant qu’il n’avait jamais eu l’intention de faire ça !

Le retenir, le coincer... à la limite l’assommer... oui... mais pas le tuer !

Devant mon début d’indignation il a souligné que ce qui s’était passé là était absolument normal. Que les chats coursent logiquement les oiseaux, et qu’il ne fallait pas voir en cela un signe de cruauté !

Que, la nature étant ainsi faite, tous les animaux sont à un moment donné, chacun la proie d’un autre.

Que, à la limite, pour avoir domestiqué un oiseau au point d’éteindre en lui tout instinct de prudence, nous étions, nous, davantage coupables que ce pauvre matou qui n’avait fait qu’obéir au sien propre... de chasseur !

Il a avoué ses regrets pour, poussé par une angoisse égale à la nôtre, ne pas avoir su mieux se contrôler.

Que le chat ne méritait pas plus la mort pour avoir voulu gober notre P’titou que le boucher qui abat, pour nourrir ses clients, un bœuf tendrement élevé par une fermière.

Et à mon « Papa ! Mais c’est P’titou que ce monstre a tué, ce n’est pas n’importe quel oiseau ! »

- Justement, Brunéline... pour lui, ce n’était qu’un oiseau comme un autre !

C’est ce jour-là que j’ai pris conscience que tous, autant que nous sommes, nous ne comptons pas, nous ne sommes rien.

Et que si nous devenons un jour importants, précieux, essentiels pour quelques-uns, c’est par l’amour que nous leur portons et par celui que nous recevons d’eux.

Peu de temps après ce drame, papa maman m’ont offert le Petit Prince...

Je l’ai toujours... un des trois ou quatre livres, avec le Chat Botté, qui m’ont suivie partout.

Je le lis encore souvent. Et... je ne sais pourquoi... sa lecture m’apporte à chaque fois une émotion différente.

Suivant que j’ai le cœur lourd ou léger.
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3 novembre 2007 6 03 /11 /novembre /2007 13:00
Notre maison comporte huit pièces, toutes en rez-de-chaussée, et ouvre sur une grande cour cloisonnée de béton au centre de laquelle est posé un grand lavoir à deux bacs. Maman a une machine à laver, de la meilleure marque sur le marché, super perfectionnée et tout ! Mais... elle fait très souvent les lessives à la main, dans ces bassins, avec brosse et savon, sur une vieille planche de bois gondolée, érodée par l'usage. Hiver comme été ! Par économie, je crois, mais aussi parce que, de son avis, c'est ainsi qu'il faut laver le linge. Joachine et moi, parfois, nous l'aidons... un peu... mais seulement quand il fait chaud, très chaud ! Ben oui ! Tiens ! Je voudrais vous y voir, vous ! En plein cœur de l'hiver ! Et mettre vos mains dans une eau glaciale ! C'est un vrai lavoir, et il n'est pas branché à un cumulus d'eau bouillante !

Une tâche nous est assignée à ma sœur et moi ! Celle d'arroser les plantes. Non, pas avec un petit arrosoir -cela nous prendrait trop de temps- mais avec un long tuyau branché au robinet du lavoir. Un très long tube gris, que j'ai toujours connu fendillé.

Parce que des plantes... il y en a ! Des géraniums et pélargoniums à foison, des rouges, des roses, des blancs, des bicolores, et des simples, et des doubles ! Mais aussi des asters au cœur souffre et aux collerettes mauves, bleues, jaunes... Des dahlias aux parfaites boules oranges... D'énormes pivoines cramoisies, aux pétales géants... de hauts iris bleu outremer mouchetés d'or, des roses pâles griffés d'ocre... des narcisses jaune d'or, des blancs éclaboussés de soleil... Des clématites échevelées... Des arums à grandes cornettes blanches... d'autres à grandes feuilles marginées de blanc et aux épis serrés de baies rouge orangé... des ancolies aux coupes bleu nuit serties de violet sombre... Des bégonias à floraison simple, allongée ou retombante... des touches de blanc, de rose, de rouge, de jaune, d'orangé... avec des tons pastels ou vifs... et des doubles, des frisés... aux fleurs de camélia ou de rose au bout de leur tige grêle et cassante... au-dessus de feuilles d'un vert brillant, légèrement lobées et dentelées... Des massifs de roses à l'assaut des murs et deux buissons de belles de nuit... un de chaque côté de la porte d'entrée... Des belles-de-nuit jaunes, rouge magenta, blanches... des pétales unis, bi ou tricolores avec de longues étamines jaunes... et de petites boules noires. Leur parfum embaume la cuisine, le séjour... Sans oublier l'énorme camélia... ROUGE... Ce camélia ! Il n'a pas de chance ! Je lui suis tombée dessus une fois, à la suite d'une de mes échappées sur le toit... et depuis, il est d'une santé vacillante... mais en plus, comme il bloque une fenêtre de la maison, papa gronde et râle à chaque fois qu'il doit le déplacer pour pouvoir fermer les volets à l'occasion d'une longue absence. Le déplacer ? Ben oui... parce que tout cela est planté dans des pots !

Des grands, des petits, les seconds parfois sur les premiers, l'un en équilibre entre deux autres... des en argile, des en plastique, des métalliques... dans un véritable fouillis... un enchevêtrement de tiges, de feuilles, d'arômes... une mini jungle recouvrant le sol et en dissimulant l'austère platitude du ciment. Un jardin mobile qui occupe la plus grande partie de la cour, et qui recouvre aux deux tiers la façade de la maison.

Façade à laquelle sont suspendues les cages des oiseaux.

Deux couples de bengalis, deux autres de perruches, et... des canaris !

Des dizaines de canaris ! Parce que ces volatiles s'unissent... se reproduisent... ils font des nids ! Ils s'accouplent ! Pondent des oeufs... qui éclosent... d'où sortent de petits monstres à la peau transparente au rare duvet, aux yeux globuleux et au bec démesuré. Un bec plus gros que leur tête, déjà ouvert à peine nés, quémandant une pitance jamais suffisante ! Et ces extra terrestres grandissent... deviennent canaris... mâles et femelles ! On ne peut pas choisir ! Et ça piaille ! Ça piaille sans arrêt ! Bon, ça chante aussi... mais seulement quand ils sont grands ! Une couvée, passe encore ! Mais cinq, six... dix ! En même temps ! La cour n'est qu'une immense volière compartimentée à volonté suivant les envies de maman!

Et elle les connaît tous ! Un par un ! Et lequel a une patte un peu tordue... et celui qui module quelques notes bien particulières dès qu'elle approche de sa cage... et ces deux qui ne se supportent pas et qu'il est important de séparer suffisamment pour qu'ils ne se voient pas ! Cette femelle qui ne fait que des oeufs "clairs"... faudrait peut-être penser à changer le mâle... lui en proposer un autre... Cette autre qui refuse de s'occuper de ses petiots... Voir s'ils sont à terme et préparer une pâtée spéciale pour les nourrir !

Parce que maman les nourrit ! Avec une allumette taillée elle prélève un peu de cette pâtée dont elle a le secret et gave ces petits corps l'un après l'autre, une fois, dix fois, cent fois ! Repas qu'elle termine, pour tous, en glissant au fond du gosier quelques gouttes d'eau à l'aide d'une pipette.

Chaque matin, avant toute chose, maman sort et suspend les cages, et chaque soir, dès les premières ombres, elle les rentre dans la cuisine. À cause des chats errants. Nous avons des chats, mais les nôtres sont civilisés ! Ils ne touchent pas aux oiseaux de maman ! Il leur arrive même de dormir sur l'une ou l'autre cage... Des masos qui s'imposent le supplice de Tantale... ou bien de bons gros chats bien gentils qui veillent tendrement sur leurs petits compagnons... ou encore trop bien nourris, trop gras et trop paresseux pour désirer entretenir un fatigant instinct de chasseur... quoique non... puisqu'ils chassent quand même les moineaux ! Mais il est vrai que ces derniers sont sauvages, étrangers au cercle familial !

Les canaris de maman ! Et le nettoyage de leurs déjections ! Ce qui se fait dans une pièce bien fermée pour éviter toute évasion ! Je n'y mets jamais un doigt ! D'ailleurs je suis incapable d'attraper un seul oiseau ! D'abord, ils volettent de tous les côtés dans un grand charivari d'ailes affolées, et ensuite, j'ai trop peur de les blesser ! Et puis, avec maman, ils se laissent faire, alors ! Et en plus, ses mains sont plus grandes que les miennes !

En revanche, je veux bien m'occuper de l'épouillage des bâtons. Oui, les bâtons ! Des baguettes de bambou, bien rigide... que l'on dispose entre les barreaux et sur lesquelles se perchent les canaris ! Et comme ces baguettes sont très souvent partiellement évidées, il arrive que des poux y nichent. Oh ! Ce n'est pas très difficile, il suffit de tapoter fortement les pointes des baguettes contre une surface dure et voilà... ça fait peur aux poux et ils s'en vont. Mais il ne faut pas le faire n'importe où !

Nous avons une grosse, grosse, grosse cuisinière à charbon et à bois, qui chauffe toute la maison. Il y a toujours deux ou trois hauts fait-tout, pleins d'eau, sur la grande plaque de fonte brûlante. De temps en temps maman y dépose aussi un ou deux larges zestes d'orange dessus, et l'air se charge de leur parfum.

Hé bien, c'est sur le dessus de cette plaque, sur l'endroit le plus chaud, qu'il faut tapoter les bambous ! Et les poux qui cherchent à fuir tombent et brûlent ! Comme ça, ils ne risquent pas de revenir !

C’est quand même un sacré travail ! Beaucoup de travail qui occupe maman une grande partie de la journée ! Entre ses plantes et ses canaris… elle est souvent débordée !

Et puis, une multi-volière, c’est bruyant ! Essayez d’écouter une chanson qui passe à la radio ! Ben faut monter le son au maximum… Et les émissions à la télévision ! Bruitage assuré, mais pas vraiment en harmonie avec les images. Une scène de duel, au soleil du far west, aux trilles d’une chorale en livrée jaune, ça perd quand même de son charme ! Roméo qui déclare sa flamme à Juliette aux jacasseries de quatre perruches bavardes, ça perd quand même de son intensité poétique.

Alors il faut se dépêcher de couvrir les cages avec des housses opaques taillées sur mesure pour retrouver un peu de silence !

Ce fond sonore je l’ai dans les oreilles depuis que je suis née, je vais l’avoir ainsi durant des années encore…

Toute symphonie, toute ballade, tout spectacle aura ce bruitage incongru… Et je sais déjà que quand je serai grande, je n’aurai pas de canari !
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3 novembre 2007 6 03 /11 /novembre /2007 06:12

J’ai fait un rêve… un rêve éveillé… un de ces rêves qui semblent vrais… tellement vrais que s'ouvrent une à une les portes des plus folles espérances.

J’ai fait un rêve… un rêve très fou…

Alors ce rêve je l’ai laissé m’habiter, jour après jour. Je l’ai laissé guider chacun de mes actes, chacune de mes pensées.

Je l’ai joué, ce rêve… comme une comédienne jouerait le rôle de sa vie.

Je l’ai joué pour de vrai ! Avec autant d’intensité que j’en portais en moi ! Je l’ai joué… je l’ai joué comme je rêvais de vivre la vie ! Un rêve dans un autre rêve…

Il était beau, ce rêve ! Si beau ! Aussi beau que la vie quand elle sait se faire belle ! Et combien elle sait se faire belle, parfois, la garce ! Aussi beau qu’un ciel de nuit, dans un lieu où nulle lueur humaine ne vient distraire un regard de la clarté d’un abîme d’étoiles ! Beau… beau comme un sourire, de ces sourires qui naissent sur les lèvres, illuminent les yeux, éclairent un visage. Beau comme quand c’est le corps tout entier qui sourit !

Il était doux, ce rêve ! Si doux ! Aussi doux que la peau de l’amant sous l’effleurement des doigts ! Aussi doux que ces instants de demi sommeil, au creux d’un bras replié… que cette pause d’éternité juste avant l’éveil… un temps suspendu alors que même les paupières n’osent s’entrebâiller de crainte de le dissiper trop vite… Aussi doux que le poids d’une main qui repose au repli d’une hanche, doux comme la tendresse… Doux comme lorsque chaque instant de vie a un goût de miel !

Il était fort, ce rêve ! Si fort ! Aussi fort que mon Mistral quand il bouscule l’espace ! Et combien il souffle fort, parfois, ce fou ! Aussi fort que ces élans qui jaillissent des tréfonds de l’âme et qui serrent le cœur, si fort ! si fort ! que le pauvre s’en affole ! Aussi fort que ces étreintes dont les corps réchappent pantelants. Si fort, ce rêve, que de le porter en soi, nul obstacle ne semble infranchissable… Nulle épreuve insurmontable… Si fort qu’il n’est plus d’impossible !

Il était grand, ce rêve ! Si grand ! Aussi grand qu’un univers intérieur ! Aussi grand que l’infini d’un imaginaire qu’aucune raison ne vient limiter. Il était grand, aussi grand que l’humain peut l’être ! Et combien il sait être grand, parfois, ce visionnaire ! Aussi grand que le verbe quand il décrit une belle idée ! Grand comme l’amour d’une mère… Grand comme seule une femme sait aimer.

Il était fragile, ce rêve ! Si fragile ! Aussi fragile qu’un nourrisson à peine né ! Aussi fragile que le fil de cristal qui dessine une arabesque sur la coupe de la vie… et qui s’étire, s’étire… s’étire tant qu’il en finit par se rompre. Fragile comme le flocon qui vient se poser sur une joue et y fond de trop de chaleur… fragile comme la candeur de l’âme poussée au bord d’un précipice de noirceur. Si fragile qu’un mot, un seul suffit pour l’ébranler. Fragile comme l’espoir d’un condamné.

C’était un ancien rêve… Le rêve de toutes les nuits… Toujours le même. Le rêve de toute une vie…
 
Est-ce que ça meurt, un rêve ? Peut-on tuer un rêve ?

Je ne sais pas...
Mais un rêve... Un rêve… je crois qu'il peut tuer.
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