Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

PrÉSentation

  • : La Page de Reginelle
  • : Ce blog est une invitation à partager mon goût pour l'écriture, à feuilleter les pages de mes romans, à partager mon imaginaire. Des mots pour dire des sentiments, des pages pour rêver un peu.
  • Contact

Texte Libre

Création d'un FORUM
 
Naissance du forum "Chaque être est un univers", ici à cette adresse :
 
 
Créé en collaboration avec Feuilllle (dont je vous invite à visiter le Blog – voir lien dans la liste à gauche). Tout nouveau, il n'y a pas grand-chose encore, tout juste référencé... il ne demande qu'à vivre et à grandir. Chacun y sera le bienvenu.

Et puis, j'ai mis de l'ordre dans les articles, au niveau de la présentation... ça faisait un peu fouillis ! Quoique… je me demande si c'est mieux maintenant ! On verra bien à l'usage.
Alors maintenant, voyons ce que ce Blog vous offre :

Recherche

Archives

4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 23:42

 

Une réussite totale à laquelle elle pouvait applaudir ! Et David qui était vexé maintenant ! Julie hésitait, debout et immobile, au beau milieu du passage menant à la piste de danse, ne sachant plus que faire. Elle ne se supportait pas en situation de fuite !
Fuir ? Ce corps, derrière elle, si proche… à la frôler ! Ces mains possessives qui prirent sa taille… Ces pouces qui épousèrent, caressants, le creux de ses reins ?
Elle les connaissait si bien ! Autant que l’abandon auquel, infailliblement, ils savaient la réduire…
Elle en ferma les yeux, s’offrant presque davantage à leur contact. Cette voix… chaude et envoûtante... qui lui murmurait à l’oreille tout un bonheur de la retrouver, de la toucher, de la respirer…
Échapper à Gab ? Elle rêvait !
- Bonsoir, mon cœur… Tu m’as manqué… Comment fais-tu pour être plus belle à chacune de nos rencontres ?
- Gab ! Pas ici, pas de scandale !
- Mmmm… Oui, tu as raison, l’endroit est mal choisi. Que j’aime ce parfum ! C’est celui qui dit « regardez-moi, mais ne vous approchez pas ». Celui que je préfère. Je t’emmène où tu veux... tu n’as qu’un mot à dire et...
Canaille ! Tricheur ! Julie se sentit émue qu’il ait si bonne mémoire pour tout ce qui la concernait ! Pourquoi donc David tardait-il tant ? Où était-il passé ? Mais que pourrait-il contre Gabriel ?
Pour parfaire une situation absurde, voilà ce Gauthier qui ne perdait rien du spectacle qu’elle offrait en ce moment ! Était-il indispensable d’afficher une expression aussi effarée ? Elle-même, quelle impression donnait-elle, à moitié défaite entre les bras d’un homme, autre que celui qui lui tenait compagnie il y avait deux minutes !
Elle devait se tirer de ce guêpier, coûte que coûte !
Et remercier le ciel de se trouver dans un restaurant... Gabriel n’osera pas davantage... Ne serait-ce que par égard pour elle, pour ne pas l’humilier en public.
Elle frissonna aux doigts qui se détachaient d’elle, qui la libéraient... La libérer ? Sera-t-elle naïve toute sa vie ! Qui ne le firent que pour lui imposer un demi-tour avant de la reprendre aussitôt, pour mieux la contrôler par deux cercles puissants autour des poignets fragiles, pour l’amener face à lui, permettant à Gabriel de l’envelopper de ce regard qu’il savait toujours l’émouvoir.
- Je ne suis pas seule.
- Je sais, je viens de croiser David. Beau garçon, mais trop tendre pour toi ! À moins que, à force de t’escorter partout, il n’ait acquis certains droits... Julie, mon cœur, ôte-moi d’un vilain doute...
- Cela suffit, Gabriel ! Laisse-le tranquille, tu sais pertinemment qu’il n’est et ne sera jamais rien de plus qu’un ami.
- O.K. ! Que m'offres-tu en échange ?
- Quelque chose dont tu te souviendras jusqu’à ton dernier souffle si tu ne me lâches pas immédiatement !
Une ombre entre eux, qui se matérialisa par un bras qui entoura les épaules de Julie, une bouche qui effleura sa joue et des mots qu’elle peina à traduire.
- Chérie, je suis désolé de vous avoir abandonnée ainsi... Si vous me présentiez votre ami ?
Et Julie respira, uniquement consciente de la main qui l’attirait vers Julien et qui avait surtout le mérite de la dégager de celles d’un Gabriel trop surpris pour s’y opposer. Stupide et silencieuse, elle se tenait entre les deux hommes, presque hors de la réalité, sous une voix douce, d’une douceur qu’elle connaissait trop bien, celle qui annonçait le pire.
- Un ami ? Siffla Gabriel, mâchoire contractée. Vous vous trompez. Rien de moins que son mari, ce que, apparemment, vous ignoriez. Je n’ai pas retenu votre nom ?
Deux mots qui la ramenèrent à la réalité, avec toute son énergie et sa combativité !
- Ex mari ! Gabriel, tu es sourd ? Ex... Ce qui veut dire passé, fini, révolu, envolé, disparu, pfuuittt ! ! ! Mets-toi bien ça dans le crâne une fois pour toutes ! Et tu n’as rien à faire du nom de...
- Voyons, chérie ! L’interrompit Julien avant de s’adresser à Gabriel. Ainsi donc, vous êtes l’« ex » époux de « ma » Julie ! Je suis Julien Gauthier… et ravi de vous rencontrer enfin !
Une Julie qui se sentait sombrer en plein vaudeville alors que Julien, souriant et amène, resserrait l’étreinte autour de sa taille, la ramenant au plus près contre lui, d’un geste de propriétaire, totalement inconscient du défi que Gabriel pourrait soupçonner dans une telle attitude. Jusqu’où allait-il le provoquer ? Elle devait intervenir… l’empêcher de…
- Vous perdez la tête ! Cria‑t‑elle presque… Tous les deux ! Julien... cela suffit, vous ne savez pas sur quel terrain vous vous aventurez !
- J’adore ces lueurs de colère dans vos yeux, ce qui promet pour demain.
- Je vous en prie, cessez cela, allons-nous-en !
Elle savait bien qu’ils se ressemblaient tous les deux ! Aussi arrogant l’un que l’autre, mais davantage de maîtrise en Julien qui se montrait beaucoup plus décontracté que Gab... Pour l’instant !
- Un moment, nous ne sommes pas pressés… Que diriez-vous, cher Gabriel, de vous joindre à nous, pour une coupe de champagne ?
- Pourquoi pas ? Répondit froidement ce dernier.
- C’est parfait ! Nous allions justement fêter un quelque chose de… de « spécial » et il eut été dommage que vous n’y participiez pas !
- Vraiment ? Je ne vois pas…
- Je dois admettre que si vous ne l’aviez laissée filer…
Julie se figea… Que racontait Julien ? Que savait-il de leur vie, de leur séparation ?
- … elle et moi, aujourd’hui…
Gabriel fronçait déjà les sourcils sur le regard des mauvais jours... serrait les poings... et...
- Vous et… ? Reprit‑il, laissant en suspens la fin de sa phrase.
- Oui… Je sais, que pour cette occasion, elle désirait fortement vous avoir avec nous. N’est-ce pas, ma douce ?
Où Julien voulait-il en venir ? Et elle, que faisait-elle, là, à les fixer ainsi qu’elle aurait détaillé deux extra-terrestres ?
- Julie, pourrais-tu m’éclairer sur ce qui se passe ? Articula durement Gabriel.
Que pourrait-elle lui expliquer alors qu’elle-même n’y comprenait goutte… Et pourquoi la harcelaient-ils, ainsi… tous les deux ? Où se croyaient-ils ?
- Chérie, tu ne lui as rien dit ? S’étonnait Julien, légèrement grondeur. Tu me l’avais pourtant promis… Eh bien, Gabriel, je suis heureux de vous informer que, ce soir, nous célébrons...
« Que célébraient‑ils ? » s’inquiéta soudain Julie regard rivé aux lèvres de Julien.
‑ … Nos fiançailles !  
Leurs… quoi ? Assommée… pire encore ! Elle n’entendait plus rien, se tenait, yeux ronds et bouche ouverte, en apnée totale, poumons oppressés et cœur affolé, incapable d’assimiler une telle élucubration. Tout autant que Gabriel qui, hébété et semblant y croire vraiment, la regardait comme... comme si elle était responsable des divagations de cet illuminé !
- Des fiançailles ? Tu en es donc là et tu ne m’en as rien dit… murmura-t-il d’un ton las.
- Gabriel… attends… ce n’est pas…
- Allons, Julie… La coupa Julien, il fallait bien qu’il l’apprenne un jour ou l’autre ! Voilà qui est fait !
    Comment revenir en arrière… et effacer ces derniers mots ? Pourquoi Julien avait-il prononcé ces mots idiots ? Désormais, il risquait le pire, et elle... elle ! Seigneur, elle !
- Dans ce cas… profitez-en le temps que cela durera. Décréta Gabriel, ayant visiblement retrouvé toute maîtrise. Julie, mon cœur, je te laisse à… ces festivités. Quand tu t’en seras lassée ou que tu auras recouvré tes esprits… tu sais où me joindre. Quant à vous, Gauthier... un conseil : ne vous aventurez pas très loin dans cette voie... elle ne vous mènera nulle part et pourrait s’avérer... périlleuse.
- Avec Julie à mon côté ? Cela en vaut la peine, non ? Rétorqua Julien !
Qu’il se taise ! Elle savait combien Gabriel supportait mal que quelqu’un s’opposât à lui, et il suffirait d’un rien pour que... Oh, non ! Pas ici ! Elle n’oserait plus jamais remettre les pieds chez Lucciano !
- Rien n’est jamais définitivement acquis. Souligna Gabriel froidement.
- Je le sais, c’est ce qui fait la vie intéressante, parfois.
- Attention…
- Ne vous inquiétez pas, je saurai veiller sur elle ! Le coupa Julien, mettant ainsi un terme à leur discret affrontement. Excusez-nous, mais nous sommes attendus. Bonne soirée ! Venez, chérie, ma sœur nous fait signe. Tenez ! Voilà David ! Il était temps qu’il revienne.
    Ses jambes ? Du coton ! Elle devenait sourde, sans force, ni réaction aucune. Fiancée ! Elle aura tout intérêt à décrocher son téléphone, à changer de numéro et... à déménager ! Elle allait trouver Gabriel assis devant sa porte à toute heure du jour et de la nuit... L’hôtel ! Elle ira à l’hôtel ! L’unique solution à adopter, au moins durant les prochains jours.
Julien était-il fou ! Qui lui avait demandé d’intervenir ? Où l’entraînait-il ainsi ? Croyait-il qu’elle pouvait courir dans un fourreau à peine assez large pour lui permettre de respirer ? Il allait se faire démolir. Il ne restera rien de lui après que Gab s’en sera occupé... et ce sera bien fait pour lui ! Elle qui ne rêvait que d’une vie tranquille ! Elle avait gagné le gros lot cette fois. Qui étaient ces gens ? Pourquoi David s’énervait-il ? Il n’avait aucune raison de le faire, lui ! Bonne idée qu’il avait eue de s’esquiver... Tout ce qui était arrivé depuis... c’était de sa faute !
    De quoi parlaient-ils ? La raccompagner ! Qui ? Julien ? Jamais ! Et ce lâche de David qui acquiesçait. Sa veste ? Évidemment qu’elle allait la prendre. Encore un qui s’adressait à elle comme si elle n’avait pas plus de six ans ! Qu’avaient-ils à la dévisager ainsi ? Que lui tendait cet individu ? Un sac ? D’où sortait-il son sac !
- Julie ? Ça ne va pas ? Trop d’émotions à la fois ?
- Comment ?
- Vous n’avez pas l’air bien du tout.
- Moi ? Moi ! Oh ! Souciez-vous plutôt de ce qui vous attend ! Vous ne réalisez pas… Gabriel va vous éreinter et... ce sera tant pis pour vous ! Vous m’avez placée dans une position impossible. Qui vous a prié de vous mêler de ma vie ? Des fiançailles ! C’était la pire des sottises à avancer. Seigneur ! Il doit être dans un état de fureur incroyable et je vais avoir toutes les peines du monde à le convaincre que...
- Du calme !
- Me calmer ? Me calmer après que...
- Votre mari nous observe.
- Que voulez-vous que j’y fasse ! Lui mettre un bandeau sur les yeux ? D’ailleurs, il n’y a pas davantage de mari ici que de… que de fiancé… et cela depuis longtemps !
    Elle se ridiculisait davantage à chaque mot prononcé. Quant à la sœur de Julien elle semblait se divertir comme jamais ! Julie changerait volontiers de place avec elle, immédiatement, juste pour voir si la situation l'amuserait autant qu'elle le laissait paraître.
- Il vaut mieux que je vous ramène chez vous.
- Vous ! J’ai envie de vous... de vous... si je pouvais...
- J’ai hâte de voir ça ! Allons-y, vous me montrerez en route. Hélène, je t’appellerai demain. Amusez-vous, les enfants ! En piste... « Chérie ! »
    Qui l’autorisait à l’enlacer ainsi ? Toutefois, si elle faisait mine de se dégager, elle aurait à affronter Gabriel ! Patienter jusqu'à la porte, ensuite, un taxi fera l’affaire ! À moins que l’énergumène qui la serrait à l’étouffer n’en décidât autrement.
- Où m’emmenez-vous ?
- Au paradis… Hé ! Ne vous emballez pas ! Chez vous nous suffira. Et si vous vous décidiez à mieux jouer votre personnage de jeune fiancée follement amoureuse ?
- De qui ? De vous ? En effet… il faudrait être folle pour…
- Attention, nous approchons d’une zone à risques. Il est à deux doigts d’intervenir ! Cet homme tient à vous et je me demande si j’ai eu raison de l’éloigner.
- C’est bien le moment de vous en préoccuper ! Ne me serrez pas si fort.
- Cela vous ennuie ?
- Lui surtout. Vous ne...
    Elle céda subitement à l’élan instinctif de se rapprocher davantage de Julien, seulement de deviner dans le regard de Gabriel une invitation à le rejoindre, à oublier leur différend. Non, elle ne devait pas s’y laisser prendre, ne pas supposer qu’il avait enfin changé. Elle savait bien que non… que son but véritable n’avait rien à voir avec ce qu’elle avait toujours espéré en vain trouver en lui… qu’il ne voulait que récupérer ce qui lui avait, jadis, appartenu.
Si ce n’était… une étrange perception à laquelle Julie ne s’attendait pas et qui la fit trembler un peu.
- Ne me lâchez pas maintenant.
    Une prière murmurée à l’oreille de Julien. Parce qu’elle avait eu le temps de lire un violent désir mêlé à une profonde tristesse dans les yeux qui la suivaient, et qu’elle n’était pas certaine d’y résister.
- Que ferait-il si je vous embrassais ?
- Lui ? Mieux vaudrait ne pas vous y risquer, et moi... moi, je vous en ôterais l’envie, une fois pour toutes.
- Diable ! Ce serait pourtant le meilleur moyen de le persuader que votre cœur est pris ailleurs !
- Je me charge de la suite à donner à « mon » histoire. Nous sommes loin, vous pouvez me lâcher.
- Pas question, ne vous retournez pas, il nous suit à trois pas.
- Je ne vous crois pas !
- Regardez, devant vous, son reflet dans la porte vitrée. À quoi dois-je m’attendre ? Est-il du genre à en venir aux mains ?
- Oh, oui ! J’en suis navrée pour vous car c’est bien la seule méthode qu’il connaisse pour éloigner radicalement de moi tous ceux qu’il juge importuns. Laissez-moi, je vais lui parler. Vous n’avez aucune raison de vous exposer à un coup de poing.
- Qui vous dit que je ne saurais pas le rendre ! Du sang-froid ! Nous sommes arrivés. Installez-vous, lui ordonna-t-il tout en lui ouvrant la portière d’un véhicule. Et essayez de me sourire... une petite grimace de circonstance !
    Assise, à l’abri, elle pouvait voir Gabriel, qu’elle ne savait aimer encore ou plus du tout, debout, sur le seuil du restaurant. Quelques secondes, le temps que Julien mette le contact, s’éloigne sans accélérer plus qu’il ne fallait, sans hâte, pour montrer qu’ils n’avaient aucune crainte et qu’ils ne fuyaient personne.
- C’est fini, vous pouvez respirer.
- Pour le moment !
- Savez-vous que j’ai eu du mal à vous reconnaître ? Lui dit-il d’un ton léger.
- Comment ? Euh… La tenue sans doute. Rien à voir avec celles qui se portent pendant les heures de labeur !
- Dommage ! Vous êtes... bien plus que ravissante ! Je comprends votre ex mari, il est fou de vous.
- Du moment que vous le dites, c’est sans doute la vérité !
- D’ailleurs, pendant un moment, au début du moins, j’ai cru assister aux retrouvailles de deux amants et j’ai apprécié toute l’émotion qui s’en dégageait. Surtout de vous, pratiquement consentante.
- Très élégant de votre part de le souligner ! Pour tout dire, malgré l’échec de notre union et en dépit de toutes ces années de séparation, j’avoue qu’il exerce toujours un certain pouvoir sur moi. Je n’en suis pas totalement libérée.
- À quel point ?
- Euh… Disons que… même avec la meilleure volonté du monde, il m’est impossible de nier que, physiquement, Gab sait très bien comment s’y prendre avec moi et je ne parviens pas toujours à lui dire non. La chair est faible !
- Pardon ?
- Oui, je n’y peux rien... J’ai du mal à... Vous le faites exprès ? À moins que vous ne soyez trop coincé par une moralité rétrograde pour comprendre ce que je veux dire !
- Rassurez-vous, vous ne pourriez être plus claire dans vos explications. En revanche, je ne m’attendais pas à une réponse aussi... directe.
- Il faut bien appeler un chat, un chat.
- Je ne vous contredirai pas là-dessus ! Votre adresse ? Je me suis porté volontaire pour vous reconduire, mais je n’ai pas l’intention de rouler au hasard toute la nuit.
- Un hôtel, le plus proche du bureau. Et demain, à la première heure, j’enverrai Claudine chez moi, prendre des vêtements.
- Un... ? Je rêve ! Pincez-moi ! Madame Julie Castel en déroute ! Je savais que ce moment serait mémorable !
- Ravie de constater combien mes ennuis vous amusent !
- Écoutez, je vous accompagne jusqu'à votre porte. Vous vous enfermez à double tour, et vous n’ouvrez plus à personne. Le grand méchant loup ne vous croquera pas cette fois-ci.
- Vous ne savez rien ! Il va encore me harceler au téléphone.
- Débranchez-le !
- Fffffff !!! J’en ai déjà l’habitude. Il n'empêche que, demain matin, il m’attendra au pied de l’immeuble et…
- Je passerai vous prendre. Je ne vois pas ce que je peux faire de plus, à moins que vous ne m’invitiez à dormir chez vous !
- Vous ! Chez moi ? Ne vous égarez pas en vaine supposition ! J’apprécie le service rendu, mais nous n’irons pas plus loin que « merci » et « au revoir » !
- J’ai dit « chez vous » et non « avec vous » ! Je ne suis pas fou au point de désirer qu’il en soit autrement ! Vous côtoyer est beaucoup trop dangereux !
- Je m’en doutais : courageux mais pas téméraire ! Vous avez peur de Gabriel, vous aussi… comme les autres !
- De lui ? Détrompez-vous. En revanche, à en juger par votre comportement avec les hommes, et à votre attitude suite à l’effet que vous leur faites, la prudence exige de se tenir à une distance raisonnable de votre petite personne !
- Vous ! Vous n’êtes qu’un goujat, et de la pire espèce ! Arrêtez ce véhicule !
- Cessez donc de prendre la mouche à chaque mot ! C’était un compliment ! Vous n’avez rien à craindre. Vous ne courez aucun risque en me permettant de vous ramener à bon port et je n’ai d’autre intention que vous rassurer. Alors ? Votre adresse ? Dois-je fouiller votre pochette ?
- Avenue du Prado, le 334. À cinq minutes. Dépêchez-vous, j’ai hâte de... me retrouver seule.
- Idem pour moi ! Demain matin, soyez prête à huit heures.
- Sept heures trente ! Sinon, je me débrouillerai sans vous.
- Pas de problème ! C’est un vrai plaisir ! Je n’ai jamais rencontré de ma vie une femme d’aussi désagréable. De quoi décourager un saint ou la moindre approche d’un individu normal !
- Parfait, je suis ravie de vous déplaire, voilà qui me garantit des lendemains tranquilles…
- Aucun risque que j’entre en concurrence avec votre ex mari ! Tout bien réfléchi, je me demande ce qu’il trouve en vous de particulièrement attirant : une jolie façade, mais rien derrière !
- Tant mieux… Vous, après lui… ce serait comme tomber de Charybde en Scylla… pire encore ! D’ailleurs seul un sot ou un faible d’esprit pourrait imaginer, qu’avec un... un... un animal de votre espèce, il puisse en être autrement ! Hé ! Cria-t-elle, projetée en avant par un inexplicable coup de frein, évitant de justesse se heurter au tableau de bord. Nous n’y sommes pas encore, pourquoi vous arrêter ?
- Pourquoi ? Pour ceci !
    Elle n’eut pas le temps de réagir... et moins encore celui de reculer, de tenter de lui échapper.
- Ne me touchez pas ! Ne vous avisez pas...
- Trop tard, Julie ! Il ne fallait pas réveiller la bête qui dort... en chacun de nous.
Une brute ! Contre laquelle elle ne put rien, sinon demeurer inerte sous les mains qui capturèrent son bras et sa nuque, qui la contraignirent à subir la bouche qui violenta la sienne, sans force contre des lèvres qui insistèrent et exigèrent. Qui se montrèrent expertes, habiles et patientes. Qui devinrent douceur et caresse.
Jusqu'à éveiller en elle, malgré elle, un picotement sur la peau, un frisson qu’elle connaissait trop bien, qui la trahit, qui l’affaiblit. Une tentative pour le repousser, pensée, pas même esquissée, avant de céder à une vague incontrôlable, qui la fit docile, enfin soumise. Assez pour le déconcerter, qu’il en devienne attentif et soucieux de son attitude, pour l’amener à lui offrir l’initiative.
Et par cela, ce fût elle qu’il surprit à son tour. Elle, seulement habituée à répondre au désir de l’autre, presque dressée à lui plaire, à le satisfaire. Pas à recevoir ni à exiger.
Et ce fut elle qui demanda, qui provoqua, elle qui se dévoila audacieuse, et aussi avide que lui... au point de s’en effrayer soudain et de reculer.
Sans qu’il cherchât à la retenir.
Deux à reprendre souffle.
Et il suivit la confusion d’un regard un peu égaré, se muer en colère... contre lui seulement ?
- Julie... Je suis désolé...
- Je ne veux rien entendre !
- Je ne voulais pas...
- Taisez-vous !
    Julien obtempéra, surpris devant une réelle fureu. A cause d’un baiser ? Rien de plus qu’un baiser... Seulement ? En revanche, voilà qui allait, à coup sûr, envenimer leurs rapports au bureau. Déjà qu’elle avait un fichu caractère !
Non... demain, elle aura oublié.
Lui aussi.
Lui ? Vraiment ?
Quand Julien lança le moteur ce fut bien plus pour dissiper un silence soudain trop lourd, entre eux, que dans le but de la ramener chez elle.
Ils n’échangèrent plus un seul mot jusqu'à l’entrée de l’immeuble… pas même un « merci » lorsqu’elle quitta le véhicule, dont elle s’éloigna, sans un seul regard derrière elle.  
Comme promis, Julien attendit, quelques secondes… deux minutes… jusqu'à ce qu’une lumière troue l’obscurité, trois étages plus haut.
Bonne nuit, Julie !

 

Partager cet article
Repost0
4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 23:41

 

    Le visage fermé de la Julie qui sortit du sas d'accès ce matin-là n'augurait rien de bon.
- Claudine ? Ton bloc, deux cafés, et dans mon bureau ! Isole ma ligne, je ne veux aucun appel ni voir personne avant une demi-heure.
    Sans s’arrêter, sans ralentir le pas. Sans même un regard.
- Bonjour... comment vas-tu... je vais très bien, merci... il fait beau... et gna gna gna… persifla Claudine avec une grimace avant de s’exclamer : Bleu ! Je crois qu’elle a mis du bleu. Ça va barder ! Ah ! Tiens ! Bonjour, Monsieur Gauthier !
- Bonjour, Claudine ! Belle journée, hein ! Julie est arrivée ?
- Gagné ! Elle est là, mais, désolée ! j’ai ordre de ne pas la déranger.
- Même pour moi ?
    Ils se turent au grésillement de l’interphone, et se dévisagèrent gravement sous la voix dénonçant une Julie bien plus qu’agacée. « Claudine, c’est pour aujourd’hui ou pour demain ? Il y a d’autres services si celui-ci ne vous intéresse plus ! »
- Aïe ! S’écria la jeune fille. Elle a vraiment dit « vous » ? J’ai tout intérêt à me presser ! Navrée, je vous laisse. Zut ! Les cafés !
- Je m’en occupe.
- Pas question ! Je vais lui en porter un à ma façon ! Priez pour que j’arrive à la dérider, sinon, nous allons tous souffrir. Du bleu ! Rien que ça ! Si elle appelle, dites-lui que j’arrive. Non, il vaut mieux laisser sonner.
    Et elle s’éclipsa avant que Julien ait pu lui demander à qui il devait s’adresser !
Il patienta autant qu’il en fut capable avant de se décider finalement à faire le tour des bureaux, espérant trouver, au hasard de son errance, les informations qu’il avait prévu obtenir de Julie.
Et constata très vite qu’aucun ne lui accordait la moindre attention : Il les découvrait bousculés, pris dans un vent de panique.
À l’exception d’une adorable jeune personne, déjà rencontrée la veille, qui lui rappelait quelqu’un, une ressemblance impossible à définir avec exactitude, et qui, surtout, ne semblait partager en rien l’inquiétude affichée par chacun, même par David !
De ce dernier, par contre, il reçut un clin d’œil complice et, peut-être, un début d’explication.
- Salut Julien ! Que lui avez-vous fait pour nous la mettre dans un état pareil ?
- Moi ? Vous croyez que c’est à cause d’hier soir ?
- En tout cas, le bruit court que son humeur navigue dans le bleu !
- Le bleu ? Vous aussi ? Il était prévu que je passe la prendre, chez elle, ce matin, mais j’y arrivai qu’elle démarrait sa voiture ! Pas eu le temps de dire « ouf » ! Elle m’a semé en trois tours de roue ! Comment dois-je interpréter cette histoire de couleur ?
- Attendez de la rencontrer ! Vous souvenez-vous de l’image qu’elle offrait, hier, au restaurant, de ses yeux, surtout ?
- Il serait difficile de les oublier.
- Appliquez-vous à bien les observer chaque matin. Après beaucoup de pratique, vous pourrez, comme nous, deviner son humeur du jour ! Ça y est, mon poste sonne, c’est mon tour, priez pour moi ! Justine, accompagnez-moi, nous devons faire front ensemble.
- Lâche, vous faites appel à moi parce que je suis sa nièce ! Pas question, je reste avec ce monsieur.
- Cela ne lui plaira pas !
- Si vous imaginez que je vais l’amadouer pour vous éviter…
- Tant pis pour vous… croyez ce que vous voulez, moi… je vous aurais prévenue !
Pendant que David s’éloignait, Julien prit le temps d’assimiler la dernière information avant de rompre le silence qui avait repris ses droits autour d’eux.
- Vous seriez donc la nièce de… Madame Castel ?
- De Julie ? C’est cela !
- Alors… c’est à elle que vous ressemblez tant ! Mais… votre tante ! Elle paraît si jeune, presque autant...
- Que moi ? Merci bien ! Heureusement que vous me comparez à quelqu’un que j’aime infiniment. Julie a largement dépassé la trentaine… elle se trouve à mi-parcours de la prochaine dizaine, mais ne lui en parlez pas, elle déteste qu’on y fasse allusion.
- Tiens donc ! C’est là que se situerait son tendon d’Achille ! Madame serait vulnérable et aurait peur, comme tant d’autres, du temps qui passe ? Vieillir l’ennuie vraiment à ce point ?
- Oui… mais pas comme vous semblez le supposer… elle est… elle est tellement pleine de projets, d’envies, de rêves aussi et il faut qu’elle bouge, toujours ! Son souci véritable c’est de ne plus avoir, un jour, la possibilité physique de foncer dans l’existence à cent à l’heure.
- Des envies et des rêves ? Chez une personne aussi décidée, pragmatique, rigide…
- Rigide ? Nous ne parlons pas de la même Julie… ou alors vous ne connaissez pas du tout la mienne. La vraie ! Qui est, pour moi, le symbole même de la liberté. Je crois d’ailleurs que c’est pour cela que son mariage a dérapé. Et pourtant, Gabriel - son mari - l’adore.
- Alors… leur séparation n’est pas venue de lui ?
- Jamais il ne l’aurait quittée ! Il en est fou, vous savez… Je crois qu’il serait capable de tuer, qu’il donnerait sa vie pour elle… mais…
- Évidemment, il y a un « mais » !
- Hélas ! Il est aussi possessif qu’amoureux… et pour la considérer sa propriété, il la voudrait en cage… une cage dorée et des plus confortables, bien sûr, mais dont il garderait jalousement la clé. Ce qui ne va pas du tout avec le caractère indépendant de ma tante.
- Et c’est pour cela qu’elle est partie !
- Oui… mais un jour ou l’autre, ils se retrouveront. C’est inévitable ! Gabriel le sait bien, et il attend presque patiemment. C’est tout moi : je parle, je parle…
- Je crois, qu’en effet, nous sommes tous deux coupables d’indiscrétion. Vous, pour avoir livré ce qui ne vous appartient pas, et moi pour vous avoir si volontiers écoutée. Et si nous passions à autre chose ? Que diriez-vous d’aller prendre un verre hors de ces murs ?
- Que c’est une bonne idée !
    Mais ils n’eurent pas le temps de quitter le lieu. Empêchés par une voix, déformée par le grésillement du haut-parleur, mais impatiente et nettement agacée, ordonnant à Justine d’accourir dans les dix secondes, lui rappelant, au su de tous ceux qui s’activaient à l’étage, qu’elle n’était pas en villégiature dans un quelconque camp de vacances et que le fait d’être sa nièce ne lui autorisait aucun privilège... Bien au contraire !
- Cela promet ! Excusez-moi, je vous laisse, mais je ne vous tiens pas quitte de votre offre. À plus tard !
    De nouveau solitaire, tout en ruminant les informations fournies par la jeune fille, Julien reprit sa promenade dans un couloir où seul résonnait le bruit de ses pas, dont les portes entrouvertes laissaient apercevoir des êtres silencieux, religieusement absorbés par leurs tâches. Pour être honnête, à peine plus que la veille et il devait admettre qu’elle obtenait de bons résultats avec eux.
Dire qu’il avait mis en doute son autorité ! Finalement un coup d’éclat chez Julie Castel, d’ordinaire souriante et avenante, avait plus d’impact qu’il ne le pensait.
Il pressentait que « Sa Majesté » ne se préoccuperait pas de lui avant longtemps. Mieux encore, il était persuadé d’être volontairement tenu à l’écart de tous, dans l’attente du bon vouloir d’une tigresse qui affûtait ses griffes sur chacun. Avant de les essayer sur lui ?
Où se cachait la Julie douce et joyeuse à la personnalité fascinante dont lui avait parlé Ed Musslër ? Il ne lui en avait apparemment décrit que l’aspect tranquille lui laissant la surprise pour les autres !
    Autant se permettre le luxe d’une visite au petit bistrot voisin, de s’offrir un vrai café, et de... l’enrager un peu plus ?
    Et si, la colère de Julie n’était en fait que le résultat du petit incident entre eux ? Belle idée qu’il avait eue là !
    Mais se mettre dans un état pareil suite à un banal baiser échangé avec un presque inconnu ? Non, c’était absurde ! Pas à son âge ! Quoique… un baiser banal… pas tout à fait mais malgré tout… pas un crime à se reprocher. Ni pour l’un, ni pour l’autre.
    Une Julie porteuse de rêves… d’envies ? C’était une perspective assez inattendue, et qui ne cadrait en rien avec l’apparence qu’elle offrait. À moins que ce soit lui qui ait voulu ne la voir qu’ainsi ?
Combien il avait été ravi, la veille, de surprendre cette pimbêche dans une position inconfortable, et plus encore, ensuite, de l’amener à lui être redevable d’un service !
Il ne l’avait pas immédiatement reconnue pourtant ! Il ne l’aurait sans doute pas même vue si Hélène, sa sœur, ne lui avait indiqué l’étrange et troublant comportement d’un couple tout en soulignant que l’homme lui ressemblait beaucoup.
Il ne leur avait jeté qu’un coup d’œil distrait, enregistrant effectivement une légère similitude dans la taille, la carrure, plus imposante chez cet inconnu, pour axer très vite toute son attention sur la jeune femme.
La contemplant, adossée au torse viril, pratiquement conquise, comme sur le point de chavirer… Troublé d’abord par une infinie féminité… fasciné ensuite… Incapable de s’en détourner.
Ne se lassant pas de détailler l’adorable cambrure des pieds, la finesse des attaches subtilement soulignée par l’or d’une chaînette cerclant une cheville… le galbe parfait des longues jambes, les courbes douces des hanches étroites… la taille voluptueusement ployée, et une poitrine haute et arrogante…
Superbes composants d’un corps sensuellement gainé d’une étoffe d’un noir pur et profond, exaltant la blancheur nacrée et soyeuse des épaules rondes, des bras fuselés, du cou gracile, d’un visage à l’ovale idéal nimbé de mèches folles, parfait écrin d’une bouche, d’un nez, aux tracés dignes du meilleur des peintres… Et des yeux… des yeux à en rêver… des yeux qui le poursuivaient depuis quelques heures… des yeux… Ceux de Julie !
Il avait cherché à capter son regard, pour s’assurer qu’il n’était pas victime d’une confusion, pour conforter une presque certitude… et il s’était heurté à celui d’un animal pris au piège et cherchant désespérément une issue, un moyen de s’échapper. Ce fut ce regard-là, et seulement cela qui l’avait incité à intervenir.
Il avait très vite compris qui était cet homme, ce qui se passait entre eux… Il ne saurait expliquer pourquoi il s’était amusé à improviser ainsi, jusqu’à créer une situation qu’il avait voulue, pour elle surtout, des plus embarrassantes !
Quant à son mari, - son ex mari ! -, abstraction faite d’une animosité bien naturelle vu les circonstances, il l’avait trouvé passablement arrogant, passionné et fonceur, mais également solide, résolu, responsable et équilibré : un type somme toute plutôt sympathique !
Mais… qu’avait dit Justine ? Un Gabriel trop possessif... qui la voulait en cage... enchaînée... Autant d’exigence ? Sa propriété ? Un caractère aussi absolu à leur relation ?
Si cela s’avérait être la réalité, Julie Castel méritait plus d’indulgence que ce qu’il lui en avait accordée jusqu'à lors.
Quoique… supposer une Julie prisonnière, c’était espérer l’impossible ! Lui, serait prêt à lui infliger pire que cela, pour assurer la paix à l’humanité tout entière, et masculine en particulier !
En revanche, si son ex mari la poursuivait vraiment avec opiniâtreté, annoncer d’éventuelles fiançailles n’avait pas été une idée bien inspirée. De quoi le pousser à bout, et à se manifester avec plus de virulence… ce que lui-même ferait dans de pareilles conditions.
Comprenant intimement l’homme, il commençait à mieux cerner le problème.
À qui la faute ?
Il avait des excuses à présenter et quelques pions à remettre en place.
Le sien en tout premier.
Le mieux à faire, dans l’immédiat, serait tenter de forcer sa porte, d’avoir une explication avec elle, et limiter leur relation au cadre professionnel qu’elle n’aurait jamais dû quitter.
Essayer, pour le moins, de repartir du bon pied.
D’autant plus que, dans quelques mois, en supposant qu’il acceptât la proposition de son oncle... Là, il n’avait aucun mal à imaginer sa réaction… il la savourait même par avance…
En toute innocence !

 

Partager cet article
Repost0
4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 23:40

 

Où était passé ce Julien Gauthier de malheur ? Avaient-ils, tous sans exception, décidé de lui empoisonner l’existence ? Midi moins le quart ! Il en prenait à son aise !
L’équipe entière avait eu droit à une sévère mise au point ! La veille, au cours de sa tournée, le regard perspicace d’un trublion avait mis en évidence un certain laisser-aller que Julie était trop honnête pour ne pas reconnaître, et trop exigeante pour ne pas y porter remède.
Elle leur avait accordé quarante-huit heures pour rattraper le retard, et si l’un d’eux devait y passer la nuit, qu’il ne vienne pas lui parler d’heures supplémentaires !
Mais Justine… Elle y était allée un peu fort avec elle. Tant pis, cela ne pourra que lui être bénéfique, car ailleurs, n’importe où, elle risquait de ne pas retrouver la même chaleureuse ambiance ni le même esprit d’équipe. Elle avait pu ainsi avoir également un aperçu du pire.
Oui, mais... sa nièce ! Elle avait cru un instant... non, pas au point de la faire pleurer ! Tant pis, ce qui était fait, était fait !
Une ruche ! Pleine de gentilles et laborieuses abeilles, appliquées et productives... Voilà à quoi devait ressembler « son » étage !
Au moins pour réduire au silence l’odieux personnage à qui elle devait de ne pas avoir fermé l’œil de la nuit.
En revanche, lui avait su s’esquiver et fuir l’orage qui grondait au-dessus de sa tête. Il voulait s’informer, apprendre, fouiner ? Il allait être servi. Encore quelques minutes et le réduit attenant à son bureau serait fin prêt pour l’accueillir ; pas très grand, avec une fenêtre avare de lumière, à peine suffisant pour y caser l’indispensable, mais où il demeurera à portée de voix. De sa voix !
Il ne tardera plus à apprendre ce que signifiait « peiner » sous ses ordres. Que croyait-il ? Elle avait sélectionné le moindre document à lui soumettre. Elle... personnellement !
Elle lui réservait quelques litiges en suspens, pas grand-chose, des clients récalcitrants... à lui de s’en débrouiller ! Ensuite, deux contrats délicats en cours de négociations, pas réellement importants et qu’elle pouvait se permettre de perdre, mais une bonne mise à l’épreuve pour un donneur de conseils !
Elle pourrait aussi exhumer les statistiques portant sur les cinq dernières années ! Ce serait parfait pour corser le tout. Lors de leur entretien, il avait clairement déclaré qu’il n’affectionnait pas particulièrement cet abord des chiffres… Mais, si chacun ne faisait que ce qu’il aimait, ce serait l’anarchie ! Allons... aucun favoritisme... après tout, elle n’exigera rien d’extraordinaire... une simple étude, des comparaisons, et une analyse de l’évolution de l’Agence... pas de quoi lui ôter le sommeil ! Cela devrait suffire pour la partie gestion… dans l’immédiat du moins !  
Pour le reste, elle avait chargé Raymond de concocter deux ou trois dossiers types, histoire de juger si cet empêcheur de tourner en rond avait de l’esprit, de l’humour et une dose de créativité. Connaissant les tendances « pourquoi faire simple quand il est possible de faire compliqué » de Raymond, le pauvre Julien ne sera pas à la fête !
Interdiction absolue à Claudine de lui prêter assistance, en aucune façon. S’il avait besoin d’aide, il devra d’abord en passer par elle et elle n’était pas certaine d’être souvent disponible pour lui. Il commencera au bas de l’échelle, comme elle ! Après tout, elle ne regrettait rien de sa propre formation, alors... elle lui rendait service ainsi !
Elle avait appris à s’ouvrir une voie, à imposer ses idées, même alors que certains s’ingéniaient à dresser des obstacles devant elle ! Si, elle, avait su s’y prendre, il n’y avait aucune raison pour que, lui, n’y parvienne pas. Et ce, avec d’autant plus de facilité, pour lui, d’évoluer dans un univers que beaucoup disaient réservé aux hommes !
Il avait déjà en attente suffisamment de boulot sur le dos pour l’occuper pleinement durant les jours à venir et lui ôter toute envie de rire… surtout à ses dépends !
Seulement cela ?
Qu’y aurait-il d’autre ?
Gare à lui s’il osait évoquer une certaine expérience ! Elle n’acceptera aucune allusion à ce sujet.
Chacun à sa place !
Le temps qu’elle avait décidé de lui consacrer était pratiquement écoulé ! Encore deux minutes et... tiens ? Sauf erreur, c’était bien lui qu’elle entendait !
Elle constata, ravie, que Claudine avait bien appris sa leçon : Plus de rires avec Monsieur J. Gauthier !
Le « J » de Julien… Julien et Julie… Qu’y avait-il là d’extraordinaire ? Rien de plus qu’une coïncidence… pas même amusante, pour elle du moins !
Ding - dong ! Midi ! Fini ! Trop tard pour le recevoir… à chacun son tour de patienter… lui, le fera au moins jusques après le déjeuner !
Pourquoi ne pas conduire la bataille hors de son bureau, entre deux portes ? À peine le temps de mettre certaines choses au point… définitivement ! D’ailleurs, cet homme ne méritait pas qu’on lui prêtât davantage d’importance que cela !
Elle avait oublié les fleurs. L’accueil en était envahi !
À son arrivée, déjà ! Un énorme bouquet trônait sur son bureau, et ensuite... Un cauchemar ! Les envois s’étaient succédés tout au long de la matinée, après chaque appel de Gabriel, en dépit, - ou à cause -, de son refus de lui parler. Elle se sentait pratiquement en état de siège !
Espérait-elle vraiment se calmer !
- Claudine, débarrasse-moi de tout ça. Quant à vous, Gauthier, je vous verrai plus tard. Je suis pressée.
- Julie, je crois...
- Madame Castel ! Grâce à vous, je ne risque plus de l’oublier. Vous pouvez vous féliciter du résultat de votre bévue !
Le téléphone qui sonnait, Claudine qui lui faisait signe de se taire ! Gabriel ? Encore ! Elle n’en sortira donc jamais !
- Allô ! Non, elle vient de partir. Oui, absolument... Il n’en manque pas un... Mais… vous seriez gentil de me dire combien encore je dois me préparer à en entreposer d’ici à ce soir ?.... Plaît-il ?... Moi ! Me moquer de vous ? Monsieur Castel… jamais je n’oserais !
Julie fulminait : cette fille était à battre ! Ne comprenait-elle pas qu’ironiser ainsi n’était que provocation pour Gabriel et… Stop ! Ne pas s’énerver… prendre sur soi… Il était plus que temps de mettre un point final à leur relation, et surtout d’enrayer une invasion odorante.
- Cela suffit, passe-moi cet appareil, Claudine.
 - Mais…
- Pas de mais !... Trancha Julie, en s’emparant fermement du combiné. Allô ! Gab ? Tu vas cesser de... Non ! C’est toi qui écoutes... Pour ton information, je suis allergique aux fleurs... Depuis quand ?… Depuis ce matin… Alors cesse d’en... Comment ?... Où ?... dans l’une des corbeilles ?... Non, pas curieuse à ce point... Tout à fait ce que j’aime ? Si tu le dis... Gab ! Arrête... Je sais tout cela... Je ne peux pas...
            Comment pouvait-elle se laisser émouvoir aussi aisément ? Elle fondait, devant les yeux incrédules d’une Claudine éberluée, et un Julien mal à l’aise, pour un regard troublé et une voix hésitante qui se faisait tendre murmure.
Et Julie sembla oublier leur présence, donnant une dimension nouvelle à l’écouteur posé contre elle, y déversant ses mots au point de rendre son correspondant présent parmi eux.
- Gabriel, écoute-moi... je n’attends qu’une seule chose de toi... Tout ce que je veux ?... Tu en es sûr ?... Tu es d’accord ?... Pour tout ?...
Julien la regardait, consterné ! Elle était en plein délire ! Ne devinait-elle pas, qu’ainsi, elle l’encourageait dans son entêtement à la poursuivre ? Ne supportant plus de la voir se conduire de la sorte, bien décidé à la ramener sur terre, il tendit soudain la main et…
- Accorde-moi encore un peu de temps… il faut que je... Hé ! Qui vous permet !
    Dressée sur la pointe des pieds, Julie, furieuse, tentait vainement de récupérer le téléphone que Julien venait de lui subtiliser et qu’il maintenait, à bout de bras, hors de sa portée !
- Vous êtes complètement fou !
- Et vous, ridicule !
- Rendez-moi cet appareil !
- Sans problème… mais dans un instant. Gabriel ? Aïe ! Pardon… deux secondes… Claudine, tenez-moi ceci !
    Julien fit face à une Julie déchaînée, qui se jetait sur lui poings tendus pour se trouver rapidement et proprement ceinturée, bras et taille fermement maintenus dans un cercle d’acier, et soulevée tel un vulgaire ballot de chiffons !
- Tenez-vous tranquille, et laissez-moi faire !
- Je vous tuerai !
- D’accord, mais après !… Et vous, Claudine… cessez de rire ! Allô ! Gabriel ? Vous êtes toujours là ? C’est parfait... Julien à l’appareil... Oui, c’est cela... hier soir... le fiancé... Vous vous en souvenez ? Bien, alors… Comment ?… Ce qui se passe ici ? Rien… C’est Julie qui pique une colère… oui… précisément ! À cause de vous… Parce qu’elle n’en peut plus de vous demander de sortir de sa vie… de la laisser en paix... Pas question ? Tant pis… désormais tous vos appels aboutiront sur mon poste. C’est clair ? Alors, à bientôt !
    Et il raccrocha alors que Julie, calmée mais toujours prisonnière, le regardait bouche bée, se répétant inlassablement qu’elle avait affaire à un fou…
- Posez-moi à terre… tout cela est d’un grotesque !
- Exactement ce que je pense de votre attitude ! Voulez-vous, oui ou non, couper les ponts ? À quoi rime cette façon de lui chuchoter vos doutes à l’oreille !
- Vous racontez n’importe quoi !
- Je ne vous savais pas de mauvaise foi ! Si vous l’aimez encore, cessez de le faire languir, en revanche, si vous ne voulez plus de lui, montrez-vous ferme et décidée ! Vous y gagneriez, tous les deux !
- Je suis capable de le lui faire admette sans votre aide !
- Vraiment ? Alors, prouvez-le-moi, rappelez-le. Non ? Allez, on file d’ici. Claudine, si ce monsieur rappelle, dites-lui que Julie est partie avec son... fiancé ! Motus et bouche cousue, ce n’est qu’un petit mensonge de circonstance à ne surtout pas ébruiter. Nous nous comprenons ?
- Totalement ! Bon appétit.
- N’oubliez pas ce que Madame Castel a ordonné, jetez ces fleurs ou plutôt… offrez-les à qui vous chante !
- Claudine, non ! Avant, dans l’un des paniers, cherche un petit paquet... Ne me dis pas ce que c’est, ni de quelle boutique il provient. Tu le renvoies, comme d’habitude. Julien... Lâchez-moi, je suis en état de marcher toute seule !
    Avait-il besoin de serrer son bras si fort, de la traîner ainsi ! Rire ou pleurer ? Ou se cacher dans un coin et se laisser aller ! Encore une intervention de ce genre et elle sera obligée de quitter la ville !
- Julien, c’est affreux ! Vous lui avez raccroché au nez !
- Simple distraction de ma part ! Julie… en fait, je venais vous présenter mes excuses, et non pas déclencher une nouvelle guérilla !
- En raison de votre comportement, nous risquons de nous trouver confrontés à pire que cela !
- Facile d’y porter remède ! Tout dépend de vous.
- Rien que ça ! Allez-le-lui dire, à lui !
- Il ne peut vous obliger à rien, Julie.
Elle devait s’avouer qu’il avait raison, en partie du moins, mais elle ne lui donnera pas la satisfaction de le reconnaître. De toute façon, il n’était pas question qu’elle revienne auprès de Gab ou, du moins, plus dans les conditions d’autrefois.
Il disait pourtant avoir changé, et il lui avait paru souffrir de la tournure que prenait leur situation. Sans doute à cause de Julien, et de la stupide éventualité d’une romance entre eux ! Ce qui était idiot, sans aucun fondement… et pourtant il y croyait ! Non seulement, c’était bien la première fois que Gab semblait prendre au sérieux l’existence d’un rival, mais, surtout, il le considérait dangereux ! S’il savait !
- Que comptez-vous faire ? Lui demandait justement le rival en question.
- Moi ? Cela suffit ! Vous m’embrouillez les idées, je ne sais plus où j’en suis.
    L’ascenseur ! Quelqu’un ! N’importe qui, un tiers entre eux devant qui Julien se tairait enfin !
- Décontractez-vous et faites le point ; en fonction de votre décision, je saurai réparer les dégâts.
- Vous ? Par pitié, ne vous mêlez plus de quoi que ce soit ! Vous êtes l’unique responsable de cet imbroglio et je devrais vous faire confiance ?
    Un cri du cœur, qu’elle ne put retenir à l’ouverture automatique de la porte, qui amena sur elle des regards curieux, surpris ou amusés ! Gagné !
- Julie, où...
Pour la discrétion, c’était réussi ! Un mot de plus, et elle l’assommait.
- Plus tard !
    De nouveau, elle était furieuse ! Son humeur se faisait Yo-Yo capricieux ! Six étages, presque autant d’arrêts, ils ne sortiront donc jamais de cette boîte métallique !
- Où souhaiteriez-vous déjeuner ?
- Là où je serai certaine de ne pas vous voir ! Satisfait ?
    Devant elle, deux hommes échangèrent des sourires entendus… se croyaient-ils invisibles ? La pensaient-ils aveugle ? Elle les connaissait, ils travaillaient au septième et… oh, non ! Chez Montero ! Après le mal qu’elle avait eu pour gagner leur respect, elle était stupide de s’exposer ainsi à leur ironie ! Pas évident, après ceci, qu’ils renouvellent leur contrat.
- Je pourrais aller jusqu'à vous inviter.
- Personne ne vous le demande !
    Le rez-de-chaussée, enfin ! Elle bousculerait n’importe qui pour s’échapper plus vite.
- Têtue comme une mule ! Alors… On fait la paix ?
- C’est trop fort ! D’abord, pourquoi avoir parlé de fiançailles ? Siffla-t-elle aigrement en se dirigeant rapidement vers la sortie.
- Je n’en sais rien. Pour vous rendre service, l’ennuyer un peu. Vous aussi... Vous surtout. Sans imaginer...
- Ben, voyons ! Désormais, il ne me laissera en paix que dûment mariée.
- Vous exagérez ! Pour me culpabiliser.
Que croyait-il ? Elle connaissait assez Gabriel pour savoir qu’elle lui semblera accessible aussi longtemps qu’elle ne sera pas liée à un autre. Pour empêcher cela, il était prêt à utiliser tous les moyens que lui offrait sa position sociale, sans oublier qu’il était de ceux qui n’hésitaient pas à faire appel à leur force physique.
- La violence n’a jamais rien résolu, mais s’il le fallait…
- Quoi ? Endosser la cuirasse du preux Chevalier blanc défendant les couleurs de sa Dame ? Lui lança-t-elle, ironique, entre un « Pardon » et un « Excusez-moi » destinés aux inconnus entre lesquels elle se faufilait habilement. Ne comprenez-vous pas que c’est exactement ce qu’il fait ? Avec l’intime conviction d’en avoir le droit et, surtout, le devoir… N’oubliez pas : pour lui, je suis toujours « sa » femme !
- Il ne peut ignorer un divorce ni faire comme si de rien n’était.
Julie haussa les épaules ! Comme si cela comptait pour Gabriel ! Il était vrai que, parfois, comme par jeu, il condescendait à admettre qu’elle était libre. Tout en précisant que, dans ce cas et en toute logique, elle devait, également, accepter qu’il tente de la reconquérir. C’était à en devenir folle !
- Doucement, Julie… ralentissez l’allure ! Croyez-vous participer à un marathon ou avez-vous peur de lui ?
    Surprise par ces derniers mots, Julie s’immobilisa brusquement. Qu’avait-elle, en effet, à courir ainsi ? Qui fuyait-elle ? Pensait-elle sincèrement que Gabriel pouvait surgir ainsi, à l’impromptu et avec agressivité ? Non…
- Gab ne me ferait jamais de mal. Pas à moi, lui assura-t-elle en reprenant calmement la marche.
- Depuis quand êtes-vous séparés ?
- Officiellement ? Neuf ans.
- Et après toutes ces années…
- Il me connaît ! Il sait qu’il m’est facile de trébucher entre ses bras !
    Julien serra les dents au ton léger, presque amusé qu’elle utilisa pour évoquer les liens qui la reliaient encore à son passé. Pourquoi cette idée lui déplaisait-elle autant ? Parce que, ainsi, elle se dénonçait inabordable pour un autre ?
- Je vois. Mais vous, vous avez certainement rencontré un homme qui vous ait intéressée un tant soit peu ! Au moins une fois !
L’imaginait-il dans le rôle de la Belle au Bois Dormant ! Bien sûr qu’elle avait essayé de refaire sa vie ! Sans succès ! Chaque fois, Gabriel s’était ingénié à faire le vide autour d’elle ! Dès qu’il se rendait compte qu’un homme prenait une place importante dans son existence, qu’elle donnait une tournure trop personnelle à leur relation, il devenait omniprésent au point de décourager le meilleur. Un « Bouh ! » de sa part, et voilà ! Adieu... au prochain ! Elle n’avait jamais gagné à ce jeu-là !
- Maintenant grâce à vous, il se trouve en position d’urgence, et je dois m’attendre au pire...
- Nous agirons en conséquence... Ma voiture est là...
- Celle-là ! Ce n’est pas celle que vous conduisiez hier soir !
- Non, mais... je ne vois pas en quoi...
- Et je la reconnais ! C’était vous ! Encore et toujours ! Ma place... C’était vous !
- Votre place ?
- Oui… hier… sur le parking !
- Hier ? Oh… je comprends tout maintenant ! Pourtant je n’ai fait que suivre les instructions reçues : Deuxième sous-sol, rangées F et G, côté accès piétons. Je me suis garé sur le premier emplacement venu, je n’ai vu aucune indication particulière sinon Musslër 1.
- Et J.C en rouge ! En tout petit, c’est vrai mais...
- Je n’y ai pas prêté attention, pas plus qu’à tous les tags et graffitis décorant les murs. Désolé !
- Vous ne m’apportez que des tracas.
- Vous le pensez sincèrement ?
- Je suis en dessous de la vérité, mais vous êtes pardonné.
- Voilà qui me rassure. Bon, et maintenant, où allons-nous ?
- Plaît-il ?
- Déjeuner… Vous avez oublié ? Direction l’Estaque ou les Goudes ?
- Au point où j’en suis ! N’importe où, et le centre-ville ira très bien ! Bien plus, si par le plus grand des hasards, vous aviez un billet pour la Chine dans votre poche, cédez-le-moi et je vous absous pour tout le reste.
- Nous sommes à quelques mètres d’une agence de voyages. J’en prends deux, deux allers simples. Dites oui et je vous enlève ! Alors ?
    Quelques secondes avant d’assimiler chaque mot, pour refuser de s’interroger sur l’émotion qu’ils faisaient naître.
Elle avait vingt ans, elle était inexpérimentée, se rendait au rendez-vous d’un premier flirt, et…
Et presque l’idée folle de se laisser aller...
D’acquiescer à tout.
- Je ne sais lequel serait le plus ennuyé si je vous prenais au mot !
- À votre place, je ne parierais pas là-dessus. Montez.
    Le cœur de Julie s’emballa ! Un peu, alors que Julien, lui ouvrant la portière, l’invita à pénétrer dans le véhicule ; guère plus, lorsqu’elle passa devant lui, nettement quand, à peine installé derrière le volant, il se tourna vers elle, avec un sourire qui la désarma totalement.
Il était doué pour l’irriter, depuis leur rencontre, tout allait de travers dans sa vie, et pourtant !
C’était la première fois qu’elle se sentait autant à l’aise avec quelqu’un, aussi bien en colère que pratiquement détendue. Comme en ce moment !
- Julien… vous avez dû vous apercevoir que je suis un vrai panier de crabes.
- Oui… là… effectivement ! Mais moi, voyez-vous, j’ai un penchant naturel pour tout ce qui présente une difficulté. Et à propos de notre destination, vous avez suggéré le centre ! Je crois que nous y sommes, non ? Est-il vraiment utile de mettre le contact ?
- Mon avis sincère ? Non… Je ne crois pas.
- C’est bien ce qu’il me semblait ! Suivez-moi, un peu de marche ne nous fera pas de mal. Je vous fais une proposition honnête, je vous offre une croisière sur notre légendaire Ferry-Boat et je vous laisse le choix du restaurant. Marché conclu ?
- Le choix… et l’addition ?
- Julie ! Si j’aime déguster quelques oursins, je ne vais pas jusqu'à les glisser dans mes poches ! Tant pis, vous l’aurez voulu, je décide de bout en bout. D’ailleurs, je sais ce qu’il nous faut et je commence à regretter que vous n’ayez pas accordé plus de crédit à ma proposition de tantôt ! Et vous, c’est extraordinaire, vous riez !
    Julie devait se reprendre, ne pas ouvrir de porte à une situation absurde.
Jusqu'à refuser une innocente récréation, une petite parenthèse ? Pourquoi ?
La suite n’en serait-elle pas plus intéressante ?
- Un mirage, une illusion, ne vous y fiez pas. Bientôt, plus tôt que vous ne le pensez, vous allez pouvoir apprécier combien je sais m’amuser. Et, croyez-moi, j’ai hâte d’y être !

 

Partager cet article
Repost0
4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 23:39

 

Quelle idée de renouer avec ces errances nocturnes, et solitaire de surcroît ! Julie ne reconnaissait plus rien.
    Sinon le Vieux Port, fidèle à lui-même ou peu s’en fallait. Espérait-elle vraiment ressusciter l’ambiance de ses vingt-deux ans ?
    Le Beau Rivage était ouvert, et les tables de la terrasse occupées, malgré la fraîcheur de l’air... ainsi qu’autrefois... Combien de fois s’y était-elle précipitée, en pleine nuit ? Le seul endroit où elle savait trouver des cigarettes. Il lui semblait, pourtant, que le café, à côté, ne s’appelait pas comme cela, avant. Avant ? Déjà si loin dans le passé !
Elle s’y attardait quelquefois pour regarder les voiliers danser sur la nappe d’eau à peine troublée par le vent, et écouter la musique de leurs mâts fiers et droits. Elle adorait les imaginer harpes et flûtes entre les doigts invisibles du Mistral. Comment avait-elle pu oublier cela !
Plus haut... toutes ces voies nouvelles… ou différentes ? Dans l’obscurité et sans lunettes, elle allait finir par se perdre. Ses verres, où les avait-elle fourrés ? Mais son sac était plus profond qu’un gouffre truffé d’oubliettes. Inutile de tenter d’y retrouver quoi que ce soit.
    Elle aborda la route de la Corniche. En plein jour, elle n’y prêtait aucune attention pour n’être qu’un trajet de routine. Ce soir, elle la redécouvrait. Jusqu'à hauteur de la statue de David, elle lui restait familière, mais ensuite... le bord de mer avait été aménagé, et... Qu’avait-on fait de ses souvenirs ?
    David, le vrai, celui en chair et en os, filait le parfait amour avec Justine ! Elle était certaine de ne pas se tromper : voilà quinze jours qu’ils penchaient, de concert, leurs fronts secrets sur des dossiers qui traînaient de plus en plus, et trois qu’elle ne les voyait plus.
Les traîtres ! Que penser sinon de leur commune dérobade devant son invitation à l’accompagner promener sa nonchalance sous des prétextes futiles, inconsistants !
Bien sûr… ils étaient jeunes, elle les ennuyait certainement, mais… une fois ! Une seule... au moins ce vendredi, pour l’aider à conclure une semaine douloureuse !
Le tour du rond-point, reprendre dans l’autre sens. Le vent… comme autrefois !… Non… ce n’était pas le mois d’avril… pas tout à fait la même époque mais… c’était voilà déjà treize ans, non, quatorze ! C’était à peine hier... maintenant... Là ! Devant Le Monaco !
Un coup de frein trop brutal devant elle, un permis très récent, une légère collision et... une éraflure sur un pare-chocs.
Le douze octobre, le jour ou plutôt la nuit de son anniversaire… celui de ses vingt-deux ans. La petite dernière de la famille, gâtée par tous… le repas à la maison avec ses parents, ses sœurs, leurs maris, leurs enfants et… ses amis !
Une soirée joyeuse que ces derniers avaient voulu prolonger ailleurs.
Justement à la terrasse de ce café, où - c’était amusant de s’en souvenir si bien - les joueurs de l’Olympique de Marseille, installés aux tables derrière eux, lui avaient volé la vedette.
Qui l’accompagnait ce soir-là ? Jean-Louis et Annie, Michel et Liliane, et Paul… le parfait amoureux transi ! Cher Paul, gentil au possible... Trop sans doute.
Qui encore ? Incroyable comment certains détails s’estompaient alors que d’autres… par exemple… cet homme, assez âgé… qui les avait rappelés à l’ordre pour leurs rires peu discrets et leur joie trop exubérante.
    « Le rire est le propre de l’homme » avaient été ses premiers mots… ensuite quelque chose à propos du feu… elle se souvenait avec précision de son refus d’utiliser un briquet, lui préférant des allumettes, pour, avait-il dit, « ne pas dénaturer le goût du tabac ».
Le reste avait disparu dans les méandres de sa mémoire. Pourquoi ces phrases, sans véritable intérêt, et pas d’autres plus instructives ? Il les avait amusés, un temps, puis les avait laissés, emportant plus loin son allure étrange, ses grands gestes, sa chevelure grise et ses élucubrations de poète noctambule. Qu’était-il devenu ? Vivait-il encore seulement ?
Ensuite, leurs courses sur le sable humide et leurs regrets, en dépit de la saison déjà fraîche, de ne pas avoir pensé aux maillots de bains. Surtout de se trouver dans un lieu trop exposé aux regards des passants, pour se permettre un bain de minuit dans toute sa splendeur et offrir leur nudité aux vagues luisantes.
Sa première robe longue ! Une vraie, qu’elle avait dessinée et que sa mère avait réalisée… comme la plupart de ses vêtements.
Puis il avait été l’heure de rentrer, son obstination à le faire seule, sans plus savoir depuis la raison de ce subit besoin de solitude alors que… Comment avait-elle pu oublier une chose aussi importante ? Pourquoi ne pas avoir raccompagné Paul ? Qui s’en était chargé ? Son destin aurait, sans doute, été différent de lui avoir confié le volant jusqu'à sa porte.
Plus maladroite qu’eux au démarrage, un feu rouge qui l’avait retenue, et une accélération pour les rattraper. Trop vive pour éviter de heurter, sans réel dommage, un véhicule devant elle.
Gabriel ne s’était pas totalement extrait de son siège pour constater les dégâts, qu’elle savait déjà, sans erreur possible, qu’il était furieux ! Et puis... il l’avait regardée… il avait pris sa main… et il ne l’avait plus lâchée.
L’entraînant dans un tourbillon auquel elle s’était abandonnée, pour se réveiller, dix mois après, ivre de bonheur, le corps brisé mais le cœur en fête, sous l’identité de Julie Castel. Madame Gabriel Castel !
Un anneau d’or à la main gauche.
Le premier maillon de la chaîne qu’elle ignorait alors tant détester un jour.
Aujourd’hui, il ne restait plus rien de tout cela ! Comble de l’ironie, Le Monaco était fermé, triste sans ses lumières accrocheuses, construction sans âme, dépouillée de toute finalité, masse de briques et de ciment ayant perdu toute raison d’être après que la vie l’eût désertée. Sur les grilles ternies de rouille, une affiche lacérée de grosses lettres à la couleur rouge des blessures mortelles « À vendre ».
Elle se souvenait de ses vagabondages d’adolescente rêveuse et insatisfaite ; elle en retrouva l’allure nonchalante pour emprunter le long serpent de béton gris qui épousait le rivage, avec la même absence dans un regard égaré au-dessus des eaux sombres.
Et s’immobilisa, un instant, pour suivre dans le ciel des arabesques d’oiseaux de papier. Souffrant mille regrets devant leurs élans sans cesse brisés, au point de souhaiter être une lame invisible et glisser sur la crête des vagues jusqu’à s’accrocher au souffle qui les portait, fondre vers eux et enfin trancher les liens les reliant au sol.
À en sentir se ranimer l’oubliée envie de descendre au ras des flots. De les laisser l’envelopper d’écume. De chanceler au sable qu’ils feraient, espiègles, se dérober sous elle. Se laissant bousculer par leur force tranquille ou éclabousser de leur rage, alliés dociles et impuissants du vent qui les malmenait contre les pierres dures et noires des digues.
Par où se hasardait-on pour gagner les masses affleurantes ? Autrefois elle en connaissait l’accès. Qu’en avait-on fait !
Elle s’était lancée dans l’aventure du mariage sans se demander ce qu’elle en espérait.
Amoureuse ? Sans aucun doute possible. Combien de fois était-elle venue… à peu près à cet endroit‑là… s’asseoir sur l’un de ces rochers, et y rester… des heures interminables, s’offrant au grondement de la houle, hypnotisée par le mouvement pendulaire de l’onde, l’esprit ainsi dégagé de la moindre pensée futile, pour mieux s’interroger sur ses sentiments pour Gabriel et cerner au plus juste ceux qu’il disait éprouver pour elle.
Pas les bonnes questions. Julie avait omis l’essentiel : rien de moins que prendre en compte sa nature profonde, oubliant combien elle était - et demeurait - rétive à toute contrainte. Trois mots pour la décrire : Athée, apolitique, rebelle !  
Hors religion, bien que baptisée et élevée dans un esprit chrétien, assistant à la messe de onze heures, chaque dimanche, jusqu'à atteindre l’âge qui lui avait permis d’opposer un refus catégorique à l’exigence de ses parents.
Attentionnée, agissant toujours dans le souci de ne blesser et ne léser personne, respectant les idées de tous, sans chercher à en convaincre un seul d’adopter sa propre façon d’appréhender l’existence, rejetant, d’instinct, toute idéologie qui pourrait asservir l’individu, le fermer à la tolérance et à l’acceptation des différences.
Hors politique, après avoir décortiqué jusqu’à la moindre information, étudié chaque parti, s’être informée au mieux sur leurs dirigeants, leurs idées, leurs projets ; jusqu'à les considérer comme des utopistes distraits, ignorants de l’âme profonde du peuple qu’ils prétendaient gouverner, de la réalité de ses problèmes et de son mal-vivre, confondant allègrement servir et asservir et oublieux de leur tâche première et, à son avis, la principale : Être les garants de la justice, des droits et de la dignité dus à chacun.
Se voulant sourde et imperméable à tous, bien que consciente de la nécessité d’établir des règlements, un code de vie et des lois, et les respectant scrupuleusement… mais dans la limite où ils n’affectaient en rien son libre arbitre en tout ce qui touchait son identité profonde.
Insensible aux critères d’une mode fixée par d’autres, dessinant et créant son propre style de vêtements, adoptant une étoffe pour le plaisir de l’œil ou du toucher, et une coupe pour le confort et l’allure qu’elle lui prêtait.
Pour se vouloir différente ? Non ! Simplement paraître ce que bon lui semblait, passant du très long au très court au gré de son humeur, sans tenir compte des articles des revues spécialisées indiquant les tendances à suivre dans le domaine vestimentaire.
Pour vivre ainsi qu’elle l’entendait, sans concession inutile, pour se savoir seulement de passage, n’être que la énième étape d’une lignée humaine, sa seule fonction véritable. Elle se voulait, Julie, enfant de la terre, graine que le hasard aurait déposée, là, pour y grandir semblable à tant d’autres, jumelle de la fleur qui égayait un jardin, cousine du pin qui offrait son ombre bienfaisante, amie de chaque animal qui se promenait dans le même espace-temps qui lui était imparti. Et elle se voulait libre.
Pourquoi sa vision, très simple, de la réalité, compliquait-elle autant ses rapports avec autrui ?
Elle en convenait, avec Gabriel, ces notions étaient devenues abstraites, secondaires. Ou alors tellement évidentes pour elle, qu’elle avait cru, à tort, qu’elles l’étaient autant pour lui.
De quoi avaient-ils parlé durant les dix mois qui avaient précédé leur union ?
Pas un mot sur leur approche personnelle du mariage, rien sur leur conception intime.
Après réflexion, elle devait accepter une grande responsabilité dans leur échec.
Quand lui avait-elle dit que le côté officiel, l’aspect légal de cet acte lui paraissaient totalement absurdes, incongrus, et que, à ses yeux, cela ne signifiait rien de concret dans une vie de couple. Que, justement, pour elle, un couple c’était tout, sauf deux signatures apposées sur la page numérotée et datée d’un registre. Elle en avait toujours refusé l’éventualité, pourquoi avoir renié ses principes ? La première d’une longue série d’erreurs.
Comment avait-elle pu déserter un emploi qui lui avait coûté nombre batailles ? S’était-elle, une seule fois, révoltée avec vigueur contre l’exigence de son mari de lui voir abandonner la conduite de son propre véhicule ? Elle avait cédé, trop facilement, devant le désir de Gabriel de ne la savoir occupée que par lui, devant son inquiétude à l’imaginer exposée aux dangers de la circulation, acceptant de ne se déplacer qu’avec lui pour chauffeur. 
Au début, elle lui concédait qu’il s’était montré entièrement disponible, puis... de plus en plus occupé, la mettant sur liste d’attente. Une séance chez le coiffeur ? « Pas avant la semaine prochaine, chérie... après la réunion du conseil d’administration ». Une visite chez sa sœur, à deux cents kilomètres de Marseille ? Inimaginable sans sa protection. « Pas le moment de m’éloigner de l’usine, avec une crise interne sur les bras. »
Que dire d’une descente dans les boutiques du centre-ville ! « Tu sais, mon cœur, je te connais si bien, je t’imagine dans cet ensemble, un rêve ! ».
Adieu, à la petite robe bain de soleil, jaune acide, à la prochaine, peut-être, joli body bleu nuit, et tant pis, pour ces sandales qui lui faisaient le pied dansant. À oublier également son Air du temps, son N° 5, son Joy, et bonjour à Shalimar, à Opium... fini de fureter à la recherche d’une teinte nouvelle pour ses paupières, d’un nouveau déguisement pour jouer avec l’humeur de chaque jour ! Avec obligation de se rendre dans tel institut de beauté, et pas un autre, où une esthéticienne, toujours la même pour mieux obéir aux instructions, avait ordre de lui faire un visage lisse et unique.
La porte ouverte à la monotonie, sans le droit de se surprendre elle-même !
Au point que le moindre déplacement lui était devenu une corvée. Un problème ? Pourquoi donc ! « Qu’à cela ne tienne, les soins se feront à domicile. Un simple appel, et tu les verras accourir. Ce sera bien plus reposant pour toi, chérie ! » Évidemment !
Une pente insidieuse sur laquelle elle s’était laissée guider, glisser. Un isolement luxueux, douillet dans lequel elle s’était installée, ne sortant que la nuit, pour assister à un repas d’affaires ou entre amis, ceux de Gabriel, bien entendu, pour une soirée, un spectacle, un film, chez Lucciano ! Rarement dans la journée, et toujours au bras de « Monsieur son mari » ! S’y risquer seule ? Non, par crainte de l’appel qui l’aurait dénoncée absente, rebelle, fautive, désobéissante.
Des mois ? Bien plus... Des années !
Puis, un jour, sans se souvenir de la raison précise qui l’y avait conduite, elle s’était retrouvée dehors, au pied de l’immeuble, sur l’avenue du Prado avec l’impression bizarre d’aborder une ville inconnue, alors que seulement oubliée. Adieu, la paix !
Elle n’était rentrée qu’à la nuit tombée, grise de mouvements, furieuse après elle et décidée à reprendre sa vie en main. Bonjour, la guerre !
Elle l’avait gagnée !
Qu’avaient-ils à faire hurler leur Klaxon ?
Il était nuit noire ! Et elle ? Que faisait-elle, assise sur un siège de béton inconfortable, à se glacer le bas du dos !
Les cerfs-volants avaient disparu, rangés dans leurs boîtes, en attente de leurs prochains simulacres d’évasion.
Elle s’était identifiée à eux, ce qui l’avait poussée à s’installer à cet endroit précis, confondant leurs envols bridés à sa vie auprès de son mari. Liberté illusoire, ailes rognées, coupées, retenus par un fil invisible, arrachés à l’espace auquel ils appartenaient, comme elle, isolée de ce qu’était son existence avant sa rencontre avec Gab.
Elle voudrait ne plus penser à ces années stériles. Moins encore à ce que ce terme évoquait, pour ne pas laisser remonter trop d’amertume en elle.
Deux silhouettes sur sa droite… Qui approchaient... Course lente, souffle régulier. Encore à cette heure ? Combien étaient passées devant elle, sans qu’elle les remarquât ni daignât les suivre d’un regard. Une véritable épidémie qui s’étendait autour d’elle… Partout, à chaque instant, ces êtres qui couraient, dans leurs shorts, leurs baskets, leur serre-tête ! Ils l’épuisaient seulement de les accompagner un moment des yeux ! Pas pour elle !
À son actif, quelques longueurs de piscine, un sauna… bien assez pour avoir la conscience tranquille quant aux attentions qu’elle devait à son corps. À propos de ce dernier, il serait temps de lui permettre de prendre un repos bien mérité.
Elle ne croyait pas s’être éloignée autant de son automobile. Elle traversa les voies, rejoignit le trottoir opposé. Avec prudence, sans hâte, indifférente aux appels de phares que certains lui adressaient.
Pour qui la prenaient-ils ? Pour une obscure travailleuse de la nuit ou une âme en quête d’aventure ?
Lui fallait-il vraiment regagner son appartement ?
Elle ne s’y était jamais sentie totalement chez elle. Encore un cadeau de son ex mari ! Preuve matérielle de sa générosité ou la certitude pour lui de savoir où la trouver si nécessaire ? Se décidera-t-elle, un jour, à l’abandonner ? Froid, impersonnel, trop vaste pour abriter sa solitude, pourrait-elle oublier ailleurs ses nuits à errer de pièce en pièce ?
Elle ralentit un peu à l’écho de pas derrière elle. Était-elle imprudente en se promenant ainsi ? Combien de mètres avant de retrouver la relative sécurité de son véhicule ? Et puis, après tout, qui pouvait lui interdire de flâner en compagnie de son ennui ?
Elle jeta un coup d’œil, rapide, par-dessus son épaule. Un autre sportif amateur de sprint, trop éloigné pour représenter un danger. Devait-elle le supposer la suivre ? Pas nécessairement, et il était facile de s’en assurer. Rien de plus compliqué que de retourner en bord de plage, de se rapprocher des voix qui arrivaient jusqu'à elle, d’avancer vers d’autres fous, en équilibre précaire sur leurs planches fragiles, sans pour autant signaler sa présence, s’isoler dans l’ombre et se perdre entre deux murs.
Elle déboucha au début d’une jetée, projection de terre et de pierres qui, tel le nez d’un espadon, déchirait les eaux ! Elle ne l’avait jamais vue. Et le chenal qu’elle délimitait ? Depuis quand ? Elle se promit de revenir en plein jour, de réapprendre sa ville.
Elle n’eut aucune hésitation à franchir la dérisoire barrière que formait une corde tendue entre deux piquets. Elle marchait sur une piste de sable, étroite, elle n’en finissait pas de suivre un chemin sur la mer.
Pour se découvrir vulnérable de ne plus s’y trouver seule, se devinant aisément accessible à une silhouette floue à vingt pas, qui, de toute évidence, ne se contentait pas d’user des semelles pour entretenir une forme physique.
N’éprouvant aucune peur véritable, elle amorça un demi-tour, de la même démarche tranquille, pour un retour à la lumière. Faisant ainsi face à l’homme qui sembla hésiter, sautilla un instant sur place, avant de tourner les talons, sans pour autant manifester une réelle intention de s’éloigner d’elle tout à fait.
Un risque potentiel ? Ou un individu trop timide pour l’aborder hardiment !
Mais il lui était facile de le surveiller, de guetter, pour mieux le prévenir, le moindre geste menaçant. Jusqu'à la zone éclairée, rassurante et surtout... assez proche pour révéler l’essentiel à son regard de myope.
Pourquoi toujours ne voir que l’aspect dangereux d’une situation ? Pourquoi ne jamais imaginer se trouver sous la discrète protection d’un esprit charitable, uniquement inquiet d’une solitude ? Un « Preux Chevalier Blanc » des temps modernes, soucieux d’une sécurité.
Comment lutter contre la subite hilarité qui monta en elle !
Julien Gauthier !
Elle n’opposa aucune résistance au rire qui la secouait, au point d’en laisser fuser quelques éclats dans la nuit claire.
Un merveilleux chevalier, en polo, short et... baskets !
Un Julien, qui ralentit l’allure, piétina un instant avant de s’arrêter tout à fait, à hauteur des pieux fichés dans le sol. Pour s’appuyer sur l’un d’eux tout en croisant les bras, montrant ainsi son intention d’attendre qu’elle le rejoignît.

 

Partager cet article
Repost0
4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 23:38

 

- Hâtez-vous, lança Julien, je me refroidis, là !
- C’est tout ?
- Bien suffisant ! Que faites-vous ici ?
- Et vous ? Ce n’est pas possible, j’ai encore du mal à y croire.
- Dois-je vous pincer ?
- Essayez, pour voir ! Le distingué, le très élégant « J » Gauthier ! Vous êtes mignon tout plein dans ce short ! Un retour en enfance ? Vous avez oublié la pelle et le râteau ?
- Cessez de dire des sottises. Croyez-vous raisonnable de... traîner dehors, la nuit ?
- Traîner ? Surveillez vos expressions. Je me promène à mon rythme. Vous ne trouveriez rien à redire si je vous imitais !
- Au moins, il n’y aurait aucune confusion possible. Vous n’avez rien remarqué d’insolite ? Les deux individus, là-bas, dans ce véhicule, tous feux éteints !
- Et alors ?
- Cela fait un moment qu’ils vous surveillent.
- Oh ! J’ai peur ! Que voulez-vous qu’ils me fassent !
- Rien de bien important, sinon, contrôler votre identité.
- Des... c’est vrai ?
- Une situation très agréable pour Julie Castel, respectable personne, honorablement connue, et titulaire d’un poste névralgique dans une société d’échelle internationale.
- Alors... S’ils me voient en votre compagnie, ils vont s’imaginer que...
- Une nuit au bloc ! C’est ce qui vous pend au nez !
- Vous vous moquez de moi ! De plus, j’ai mes papiers, je peux prouver qui je suis. Il est tard, je rentre… Bonne continuation !
- Froussarde !
- Menteur !
- Nous sommes quittes ! Vous me raccompagnez ?
- Chez vous ? Vous n’avez pas de moyen de locomotion ?
- Bien sûr ! Mes pieds ! Mais je les sens un tantinet surmenés.
- Loin d’ici ?
- À trois tours de roues, nous sommes presque voisins. Il n’y a que quelques dizaines de numéros qui nous séparent, pas plus… mais je suis du côté impair.
- Depuis quand ? Je n’en savais rien.
- Il s’agit de l’appartement de ma sœur et de son oiseau voyageur de mari. Il a été muté pour deux ans en Belgique. Je m’y suis installé deux jours après... Lucciano !
- Vous livrez-vous souvent à ces... activités ludiques ?
- Autant que possible ! C’est le seul moyen qui me permette de satisfaire un éternel besoin de mouvement. Bon, on y va ? Il ne fait pas chaud de reste.
- Je veux bien vous prêter ma veste. Sa couleur jurera avec celle de votre culotte, mais ce sera mieux que rien ! Julien, à votre âge ! Vous tenez le coup ?
- Julie, vous n’amusez personne. Sur ce, bonne nuit et bon week-end !
    Il était sérieusement fâché ! Suffisamment pour la planter là avant qu’elle put réagir, et foncer tout droit en direction de la contre-allée. Pas très vite, mais encore trop pour qu’elle envisageât sérieusement de se lancer à sa poursuite ! De plus… de quoi aurait-elle l’air, en tailleur rose, à courir ainsi après lui ? À ce propos...
    Et les deux bonshommes ? Disparus… envolés !
Elle le savait : pure invention de la part de ce… de cet éteignoir ! Dans le seul but de la placer en position de faiblesse... Elle le parierait ! Et il n’avait aucun humour ! Alors là… se piquer ainsi pour une anodine boutade ! Elle n’en revenait pas !
En revanche, la température étant assurément des plus fraîches, le risque de s’enrhumer était considérable… surtout pour lui… tout transpirant et aussi peu couvert. Elle ne pouvait nier que, devant elle, Julien frissonnait ! Quelle idée, aussi, de galoper de ces heures au lieu de se prélasser dans un bon bain chaud !
Où avait-elle lu ou entendu qu’il ne fallait pas interrompre brutalement un effort physique intense ? Surtout par temps froid… Depuis combien de temps se dépensait-il ainsi ? Trop… bien trop ! Bien assez pour attraper le rhume du siècle ! Et combien encore pour remonter toute l’avenue ? Ce n’était là que pure folie ! Elle devait se hâter… le rattraper !
Elle se précipita vers son véhicule… pestant de le constater stationné dans le sens opposé à la direction à prendre, et n’hésita pas à commettre quelques infractions au code de la route plutôt que de perdre de précieuses secondes dans des manœuvres complexes…
Les hommes de tantôt ? Étaient-ils réellement partis ? Et s’il s’agissait vraiment de policiers en civil ? Il ne manquerait plus qu’elle se fit arrêter ! Voilà… elle, était sur la bonne voie, et lui, pas très loin… Là !
Ralentissant jusqu’à se maintenir tant bien que mal à son allure, elle baissa la vitre côté passager tout en l’appelant.
- Julien ! Montez !
- Pas question ! Rentrez chez vous !
- Il fait froid et vous risquez le pire !
- Je suis bien plus en sécurité sur ce trottoir que près de vous, allez… filez !
- Ne vous entêtez pas ! Je... je vous demande pardon !
- Vous dites ?
- Je suis désolée ! Sadique ! Vous aviez très bien entendu. Alors, vous venez ? C’est maintenant où jamais… les deux types reviennent.
- Où cela ? Arrêtez-vous, j’arrive !
    Julie ne stoppa que le temps de permettre à Julien de la rejoindre et démarra sur les chapeaux de roue !
- Hé, nous ne participons pas à un rallye ! Où sont-ils ?
- Qui donc ? Je vais mettre le chauffage en marche…
- C’est inutile…
- Vous avez la chair de poule !
- Continuez dans ce registre et je descends immédiatement !
- Mais c’est vrai ! Vous êtes glacé.
- Qu’en savez-vous ?
- Il fait tout juste dix degrés à l’extérieur, et le vent n’a pas dû vous épargner. Malgré ma veste, je n’étais pas totalement à l’aise. Alors, vous ! À quel numéro habitez-vous ?
- Au 467.
- Bien plus près de chez moi que je ne le pensais.
- Cela vous ennuie ?
- Non, je saurai qui appeler en cas d’ennui mécanique. Quant à vous… courir ainsi alors qu’il est près de minuit, et s’exposer à contracter une bronchite… une pneumonie ! Il y a un plaid à l’arrière, prenez-le.
- Julie !
- Je suis sérieuse et je ne supporte pas l’idée que quelqu’un souffre inutilement.
- Je vous assure que je vais très bien et... Nous y sommes, vous pouvez me laisser là... Atch...ii !
- Je le savais ! Vous avez de quoi vous soigner ?
- Elle est folle ! Pour un éternuement ! Atchiii !
- Deux ! Vous voyez ! Prenez un verre de lait bien chaud ou une infusion. Un grog serait parfait… et deux aspirines. Vous en avez ?
- Oui, docteur ! Ensuite ?
- Au chaud, sous d’épaisses couvertures.
- Je devrais en trouver. À demain, Julie ! ATCHHI !
- Vous ne voulez pas que... c’est de ma faute ! Attendez !
- Quoi encore ?
    Elle le retardait en discutaillant ainsi. Autant le laisser partir. Il était bien assez grand pour se prendre en charge sur ce plan-là ! Au fait, quel âge avait-il ? Elle en connaissait très peu à son sujet… Quarante ? Un peu plus ? Elle le saurait si elle avait pris la peine d’étudier ses références !
Il y avait bien eu un appel du Grand Patron, pour s’enquérir des premiers résultats obtenus par son « cher neveu, » - son neveu... rien que ça ! – et… il avait également exprimé un énorme soulagement de lui voir enfin renoncer à une vie mouvementée, aventureuse, toujours par monts et par vaux, et surtout particulièrement difficile. Dans quelle activité ? Dès demain, se renseigner là-dessus ! Qu’avait encore dit Ed ? Que Julien avait besoin de souffler un peu. Non… pas seulement... Il avait évoqué une contrainte, l’obligation de ralentir... pour en avoir trop fait ! C’était, hélas, tout ce qu’elle avait bien voulu entendre et retenir des confidences d’Ed Musslër, trop irritée par sa recommandation de mettre chacun à la disposition de son protégé dans la mesure du possible et à chaque fois que nécessaire.
À quoi elle avait fait la sourde oreille ! Pas question de se priver du scénario qu’elle avait mis en place à son intention.
Pour le moment, il n’était pas dans un état particulièrement brillant, et son oncle ne pouvait lui être d’aucune utilité. Elle, en revanche...
- Julien, je peux vous aider. J’ai une idée qui...
- Allez dormir, sinon, demain vous aurez les yeux cernés et tous les fards du monde n’y pourront rien !
- Les... quoi ! Vous... vous êtes pire que... Et puis, d’abord, demain, c’est samedi, il n’y aura personne pour me regarder ! Bon, je vous pardonne ! Vous aimez les bains à remous ?
- En cette saison ? Vous voulez m’achever.
- Non ! Je vous en propose un, bien chaud, parfumé à ce que vous voudrez, à l’abri. Chez moi !
- Je commence à m’inquiéter. Êtes-vous certaine de ne pas délirer !
- En tout bien, tout honneur, vous ne risquerez rien, parole de scout ! Il y a quatre chambres et vous choisirez la vôtre… je vous garantis une indépendance totale, vous ne me verrez pas, et demain, je vous le promets, vous serez remis à neuf.
- À neuf ? Je n’ai jamais cru aux miracles, douce Julie. Vous parlez sérieusement ? Atchiii !
- Encore ! On ne peut pas plus ! Assez de discussion, je vous emmène. Je ne vais pas vous laisser ainsi.
    De toute façon, c’était elle qui tenait le volant, elle qui dirigeait les opérations. Une chance… Pour lui !
- Julie, cessez de... Je n’ai jamais rencontré d’individu aussi déconcertant que vous ! Voilà quinze jours que vous m’usez à l’extrême, que vous me traitez ainsi que… que… il n’y a rien qui me vienne à l’esprit qui puisse illustrer une comparaison ! Je crois que vous montrez plus de considération pour le plus insignifiant de vos clients que vous ne le ferez jamais pour moi !
- Bien sûr, il paye, lui ! Si vous estimez que je vous ai surchargé de travail, il suffit de m’en parler, et fermez cette vitre !
- Je ne supporte pas l’odeur du tabac !
- Mais... vous fumez vous-même ! Je vous ai vu au bureau.
- Oui mais là… c’est à cause de l’espace trop restreint, et... d’un début de rhume. N’y faites pas attention et ne roulez pas si vite, je tiens à profiter encore un peu de la vie. Bon sang ! Je me demande ce que je fais ici ! Julie, ramenez-moi à la maison.
- C’est trop tard, nous sommes arrivés. En passant par le garage, vous aurez moins froid.
    Il ne la supportait plus ! Pour toujours vouloir diriger, régenter la vie de chacun ! La sienne principalement !
    Deux longues semaines à l’ignorer ou lui adresser la parole uniquement pour le presser à propos des dossiers qu’elle lui avait confiés.
Il vivait en pleine aberration… et cela dès le premier jour… Après s’être vu confiné dans une pièce étroite et mal éclairée… et que dire de cette table bancale sur laquelle il s’appliquait depuis à besogner tel un débutant... sans soulever la moindre objection !
L’obligeant ainsi à reconsidérer sa position, à lui confier des tâches plus intéressantes et des problèmes plus ardus... mais en multipliant leur nombre au-delà du tolérable. Il y avait consacré tout le dernier week-end… mais pour celui-ci… qu’elle n’y compte pas ! Lundi, elle attendra !
    Elle logeait au troisième étage… cela… il s’en souvenait !
Au fond, il commençait à s’amuser, et, autant le reconnaître, plutôt impatient de voir de quelle manière elle envisageait se conduire avec lui.
Espérant même retrouver très vite la Julie des jours passés pour pouvoir enfin lui démontrer qu’il savait et pouvait, aussi bien qu’elle, se révéler désagréable et impertinent.
    Elle s’inquiétait de la température ? Si elle pouvait imaginer à quelles conditions climatiques il avait dû se frotter avant de rentrer en France !
Que dirait-elle à propos de celles régnant, à cet instant même, sur les plates-formes perdues en plein océan, ces îles de fer et d’acier sur lesquelles ses missions le conduisaient pour de longues semaines d’isolement ? Et des tempêtes qui les ébranlaient jusqu'à leurs bases ? Encore que, lui, pouvait s’y considérer comme un privilégié, son boulot étant, de loin, moins pénible que pour tant d’autres.
    Son travail !
Combien il lui manquait ! Même en tenant compte du pire, même les soirs où il s’écroulait, épuisé, sur sa couchette, abruti de fatigue, de bruit, de confinement. Et de courir, déjà, sur un pont métallique, en rond, comme un rat de laboratoire pris au piège.
« Laboratoire », un mot qu’il voudrait effacer de son vocabulaire et oublier...
    Son nez le chatouilla de nouveau ! Il suffisait de s’éloigner un peu d’elle, geste essentiel pour que cela passe. En fait, il était allergique à son parfum !
    Celui que portait Suzanne, sa femme… enfin son ex… Lui aussi avait une « ex »… Et ce depuis bientôt... Combien de temps maintenant ? Deux ans…
Deux seulement ? 
Il lui semblait quelquefois que… qu’il y avait bien plus longtemps que cela… Pourquoi ces choses-là arrivaient-elles ?
Ce bonheur qui s’installait et puis qui devenait habitude… qui, un beau matin, - pourquoi beau ? - ne répondait plus à l’appel… et ce décor qui se faisait fade, terne, hostile. Jusqu'à désirer le fuir… et… Suzanne n’avait pas vraiment résisté.
Mais il était seul responsable de sa désertion… Sa faute, à lui, uniquement. Trop peu présent, pas tellement attentif, pas totalement amoureux. Sur une autre planète ! Cet échec n’était que le tribut à payer pour suivre la vie qu’il s’était choisie. L’addition lui avait paru autrefois un peu lourde, alors que... ce n’était peut-être qu’un premier acompte...
- Deux secondes et... Vous verrez, vous irez mieux très vite... voilà, nous y sommes !
- Serions-nous enfin dans « L’antichambre du Paradis » ?
- N’exagérons rien ! Voilà, entrez et prenez à gauche. Pour la salle de bains, c’est tout droit, la porte vitrée. À l’origine, elle était transparente… une idée de Gabriel… Mais après son départ, j’ai tout fait changer… Votre pudeur ne risquera rien, le verre est opaque désormais. Je m’occupe de la boisson chaude, vous devez être capable de vous en sortir avec quelques robinets et des boutons de réglage. Les serviettes... Dans le placard, juste à l’entrée. Avant choisissez votre chambre, je m’assurerai qu’il n’y manque rien. Que préférez-vous, un grog, du lait, une tisane ou du thé ? Je ne sais pas ce que vous aimez. Oh ! Nous avons oublié...
- Quoi donc ?
- De quoi vous changer ! Non ! Je devrais trouver quelques effets encore sous emballage. Gab en achetait toujours trop. J’ai vidé pas mal de placards, mais il en reste encore. Je les garde, parce que, quand il lui arrive de... quand il... Aucune importance. Tiens ! C’est amusant, je n’avais pas remarqué !
- Certains détails peuvent vous échapper ? Vous m’étonnez !
- Julien ! Je ne vous savais pas sarcastique à ce point ! Vous êtes de la même taille ! Que Gabriel ! Vous êtes un peu moins large d’épaules, pas autant le style «monsieur Muscle », mais, la stature est presque identique.
    Leur seul point commun ? Il l’espérait très fort !
- Alors, où voulez-vous dormir ? Dans une pièce bleue, rose... rétro ou moderne ?
- Dans un bon lit. Uniquement le lit a de l’importance.
- Et pour votre bain ? Je vous conseille de l’huile d’euca...
- Julie ?
- Oui ? Dites-moi et…
- Seulement deux petites choses : La première, vous informer que je ne suis pas un bébé que vous allez cajoler pour passer le temps, je sais ce qui ne va pas et j’ai l’habitude de me soigner sans aide aucune... pour la deuxième : du silence ! Rien de plus que du calme et du silence ! Parlez-vous toujours autant ?
- Je... Je vous laisse...
Elle fuyait ! Il était parvenu à la mettre en déroute... sa première victoire ! Qu’il regrettait déjà pour ne pas aimer du tout le trouble qui avait terni d’un voile triste l’or du regard sous les paupières mauves. 

 

Partager cet article
Repost0
4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 23:37

 

Pour l’instant, autant savourer ce moment de répit et au diable le bain à bulles ! Rien de plus réconfortant qu’une douche suivie d’une friction énergique ! Ensuite, juste pour le plaisir de contrarier la péronnelle qui l’attendait à côté, retour chez lui.
    Sur le point de pénétrer dans la salle de bains, Julien hésita, surpris par le décor qui s’offrait à lui. Un endroit insolite, aux murs de miroir qui, à son avis, devaient instiller, à la longue, une sensation d’oppression.
"Notre belle Julie a un goût étrange… à moins qu’elle ne soit narcissique au point de ne jamais se perdre de vue… ou, surtout, irrémédiablement cinglée !" marmonna Julien, passablement agacé. 
Cette porte… comment l’imaginer en verre translucide ? « Une idée de Gabriel ! ». Soit !… Mais, le reste aussi ? Tel que pas de serrure pour protéger une concevable intimité, ni même un rideau derrière lequel isoler une légitime pudeur… Lui encore ?
Heureusement, peu à peu, la buée se chargea de recouvrir toutes ces surfaces polies, estompant ainsi son image reflétée à l’infini. Le spectacle devait être autrement agréable avec le corps ruisselant de la trop séduisante jeune femme qui s’activait à deux pas et... oserait-il se la représenter offerte aux jets brûlants ?
Du calme ! Ne pas oublier : Personne hautement dangereuse, à manipuler avec précaution. Une rincée d’eau froide, indispensable pour lui remettre les idées en place, et sortir de cette boîte à fantasmes !
Une grande serviette fera l’affaire, car il n’était pas question d’emprunter le peignoir pendu à portée de main… De toute évidence, celui de son mari... de son ex mari ! Indiquant, si besoin en était, qu’il partageait toujours la vie de Julie, au point de pouvoir s’y glisser à tout moment - aussi aisément que dans ce vêtement - et en droit de l’interroger quant aux raisons de la présence d’un autre homme... chez lui !
Pas que cela... Un rasoir, des produits incontestablement masculins.
Il s’attendait pratiquement à les découvrir humides, encore porteurs de la chaleur d’une main, de celle de Gabriel... Ce dernier était-il jamais sorti tout à fait de l’appartement ?
Et elle, qui lui disait vouloir rompre les liens la reliant au passé ! Les femmes ! Plus facile de traduire du chinois que de déchiffrer ce qui gravitait dans leur crâne !
Il était plus que temps, pour lui, de retrouver la sereine ambiance de son refuge provisoire.
- Julie ? Où êtes-vous ?
Où se cachait la maîtresse des lieux ? Qu’il regrettait avoir un peu malmenée mais… c’était le seul moyen d’endiguer ces flots de paroles !
    Pas question de s’aventurer sur le Prado en tenue d’Adam, un pagne autour des reins. À moins de risquer la camisole !
Il se promenait, à demi nu, dans un froid décor de marbre blanc qui n’avait rien à voir avec celui, brouillon pour trop d’extravagances, de la maison de sa sœur.
Seules touches de couleurs, une infinité de bouquets de fleurs, mais pas de celles qu’il pensait trouver. Ni fières roses pourpres, ni arums altiers, pas de glaïeuls arrogants, de lis majestueux ou de cannas exotiques.
Uniquement de celles qui se dissimulent, fragiles, délicates, dans l’ombre d’un sous bois ou d’autres, moins timides, qui s’aventurent à égayer les prés.
Même dans la cuisine… un énorme tournesol ! En cette saison ? Non, séché, avec soin. Qu’il eut envie de caresser… presque pour s’assurer de sa réalité.
- Ne le touchez pas ! Vous risqueriez de l’abîmer.
- Vous m’avez fait peur ! Sursauta Julien. C’est votre œuvre ?
- Je n’y suis pour rien, il est comme cela depuis l’été dernier ! Je n’ose pas même m’approcher de lui. Oh !
    Elle rougissait ! Elle savait faire cela ? Un homme pratiquement dévêtu pouvait la troubler à ce point ?
- Suivez-moi, vous n’avez pas vu le peignoir ? Il est... il est propre, vous savez.
- J’ai craint usurper les droits de son propriétaire.
- De… oh… fffff ! Je vois... Dans cette pièce, vous trouverez de quoi vous habiller. Je vous attends, dans le salon. Seigneur, Julien ! Votre dos ! Je... Excusez-moi. Je n’aurais pas dû… Je vous laisse…
- Julie ! Ne vous sauvez pas ! Ce n’est rien… un accident, sans plus. C’est si moche que ça ? Au point de vous effrayer ?
- Non, mais… c’est assez important pour en dénoncer la gravité… je… Prenez votre temps.
    Elle s’éloigna, trop émue pour parler davantage. Un accident ? Tout à fait récent, si elle se fiait à cette atroce blessure à peine cicatrisée et dont il devait souffrir encore… Et cet inconscient qui s’épuisait à courir, en pleine nuit ! Et elle, qui l’avait cruellement enseveli sous les dossiers, l’obligeant à se surmener ?
Elle aimait son torse ! Pas aussi large que celui de Gabriel, mais... quand même ! Qui révélait une énergie particulière, celle d’un individu accoutumé à exposer son corps aux intempéries, à la nature, qui s’y était endurci ! Et il savait se montrer tellement calme : L’attitude singulière des êtres confrontés à des situations difficiles, et aguerris à les dominer.
Elle l’entendit… Il arrivait… Il était déjà prêt et… Pas elle ! Pas encore en état d’affronter son regard…. Elle ne lui plaisait pas, il la tolérait à peine !
Et avec raison… n’avait-elle pas tout fait pour cela ? Alors ? Pourquoi s’en plaindre ou en être déçue ?
Dès les premiers jours, n’avait-elle pas repoussé, avec dédain, toutes ses tentatives pour instaurer entre eux des rapports amicaux ? Oubliait-elle le réduit qu’elle lui avait attribué ? S’était-il plaint… avait-il émis des reproches… des revendications ? Jamais ! Pas une seule fois… Des deux, c’était lui le plus courtois, le plus digne !
Encore là, devant elle, comment pouvait-il désirer lui sourire ?
- Julie, ça va ?
- Bien sûr, asseyez-vous.
- Non, c’est gentil de votre part, mais il vaut mieux que je vous laisse. Je n’aurais pas dû vous suivre jusqu’ici.
- Je comprends. C’est de ma faute.
- Pour être sincère, j’y ai été guidé par le désir de vous donner une bonne leçon, mais... il est plus sage d’en rester là.
- À cause de mon attitude de ces derniers jours ? Je vous dois des excuses.
- Acceptées ! N’en parlons plus. Je passerai demain vous ramener ces vêtements.
- Gardez-les, ou jetez-les ! Ils n’ont aucune importance.
- Vous croyez ! Votre Gabriel ! Il remplit l’atmosphère. J’ai l’impression de respirer sa lotion d’après-rasage ! À propos de parfum, je dois mes éternuements à celui que vous portez en ce moment. Rassurée ?
- Une banale allergie ? Oh… alors je… je n’en userai plus. C’est promis. De toute manière, il ne m’a jamais vraiment plu. Un choix de... Mais... il est tard et je vous retiens ! Venez... je... je vous raccompagne.
    À peine quelques pas, lentement... pas pressée de le voir partir, de retrouver sa solitude, le silence...
Le silence ?
La sonnerie du téléphone... Ainsi que chaque nuit. Un contrôle à distance.
- Allez répondre, je peux trouver la sortie...
- Non, c’est Gabriel. Une espèce de rituel pour lui.
- À une heure du matin ! C’est dingue ! Et si vous étiez en train de dormir ?
- Je supprime la sonnerie au moment d’aller me coucher. J’ai l’habitude. Au début, cela me perturbait, maintenant... je m’en suis fait une raison.
- Changez de numéro.
- Que croyez-vous ? Cela n’a servi à rien. Quelques jours de répit et le cœur un peu plus serré après un calme illusoire.
- Mon comportement de l’autre jour n’a pas dû arranger les choses, n’est-ce pas ?
- Ne vous inquiétez pas, pour cette fois, je tiens bon. C’est ce qui l’agace aussi fortement.
- Seulement cette fois-ci ? Vous n’en sortirez jamais.
- Je n’en sais rien. Bonne nuit, et... je pourrais vous prêter ma voiture ! Vous me la rendriez demain.
- Pas la peine, c’est à deux pas. Vous avez mon numéro ?
- Celui que vous m’avez donné pour votre dossier ? Oui, noté dans mon carnet. Avec les autres...
- N’hésitez pas à m’appeler, si besoin était. Dormez bien et n’ouvrez plus cette porte... à personne.
- Qui se fait du souci pour rien maintenant ? Promis. Allez, dépêchez-vous !
    Julien ?
Mal à l’aise de l’abandonner ainsi, pour la sentir désarmée, la savoir vulnérable. Mais quelques heures seulement, pas longtemps, bien décidé à revenir en milieu de matinée, après lui avoir laissé le temps de se dissimuler derrière l’un de ses masques de poudres et de crèmes colorées, se promettant d’essayer de comprendre, entre temps, pourquoi le bleu, pourquoi le mauve ! Les deux teintes entre lesquelles elle avait balancé tout au long des deux dernières semaines.
    Et Julie ?
Le cœur lourd devant les heures vides d’une nuit solitaire, triste d’être la cible, même si en étant responsable, d’une inévitable rancune en lui, elle demeura adossée à la porte, tournée vers un intérieur qui la glaçait chaque jour davantage… Ce à quoi… elle avait les moyens de porter remède !
Tout cet argent que ce bourreau de Gabriel virait sur un compte endormi ! Elle savourait déjà un goût de revanche : Elle allait l’employer et avec démesure !
Et ce sera lui qui financera son nouveau décor !
Chez lui ? Plus pour longtemps !
    Bonne nuit, Julien, et merci ! 

 

Partager cet article
Repost0
4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 23:36

 

Devant l’appartement de Julie, les pieds bien au centre de l’amène « Bienvenue » inscrit sur le paillasson, Julien hésitait... Il était temps encore, pour lui, de faire demi-tour, de se contenter de glisser, ombre anonyme, sur le palier.
Il n’était pas au mieux de sa forme, et il serait peut-être plus raisonnable de consacrer les prochaines heures à un repos qui lui était indispensable pour effacer les traces d’une trop courte et mauvaise nuit.
Car il avait peu et mal dormi. Lors de son départ, la veille, il s’était surpris à contrôler les abords de l’immeuble ; plus tard, il avait peiné à trouver le sommeil, guettant, malgré lui, un hypothétique appel.
    Dès lundi, il questionnera Claudine et David pour prendre la dimension du harcèlement que Julie paraissait endurer, et voir dans quelle mesure il pourrait l’en délivrer.
Lui ? De quoi se mêlait-il ? Était-il si désireux de la mettre en fureur ? Mais il ne s’agissait que d’un peu d’aide… rien de plus… elle devrait au moins accepter cela !
    C’était décidé ! Dans l’immédiat, il était là, alors autant y rester. Il jeta un coup d’œil à sa montre : un peu plus de dix heures ? Bien assez convenable pour se présenter chez quelqu’un.
    N’ayant aucun doute de la trouver éveillée seulement d’entendre la musique qui arrivait jusqu’à lui en dépit de l’invincible épaisseur d’une porte blindée, il craignait surtout que Julie ne puisse discerner, dans un tel vacarme, le carillon signalant sa présence !
    Oui… la poignée s’anima, manœuvrée par une imprudente qui semblait ne pas se préoccuper de l’identité de son visiteur !
- Julien ?
- Attendiez-vous quelqu’un d’autre ? Vous êtes inconsciente d’ouvrir au premier venu.
- Seriez-vous n’importe qui ? Alors, vous entrez ou c’était juste pour voir comment je vais ?
- Si je ne vous dérange pas.
- Pas le moins du monde. Vous connaissez le dicton, plus on est de fous, plus on rit ! De plus... vous arrivez à point nommé, j’ai besoin de bras forts et vigoureux !
- Vous pensez que les miens sauront vous satisfaire ? Je promets de faire mon possible pour ne pas vous décevoir... et combler tous vos vœux !
- Idiot ! Suivez-moi, et n’oubliez pas de fermer la porte derrière vous. Sait-on jamais qui peut rôder de ces heures claires et matinales ?
    Elle était différente, les cheveux retenus en une queue de cheval qui caracolait sur les épaules découvertes, en minuscule bustier noir rayé de jaune sur un corsaire noir uni, plus petite dans des chaussures de toile, à semelle plate... et quelque chose d’indéfinissable, qu’il n’arrivait pas à cerner.
    Néanmoins, si elle semblait aussi joyeuse et excitée qu’une guêpe devant un rayon de miel, il plaignit le voisinage tant les haut-parleurs vibraient…
De dos, elle lui devenait gamine, avec ses allures d’abeille travailleuse pressée de retourner à ce qui l’occupait avant d’être interrompue par son arrivée, et... des dizaines de conteneurs en carton ? Que faisait-elle avec autant d’emballages vides ? Elle déménageait ?
- Cela vous a pris cette nuit ? Histoire d’occuper votre fin de semaine ? Seigneur, c’est... une sacrée pagaille !
- Vous trouvez ? Moi, je m’amuse bien.
- Pourrions-nous baisser le son ? J’aime aussi peu crier pour me faire entendre, que tendre l’oreille pour comprendre ce que l’on me dit.
- Oui, aucun problème. Derrière vous. Réglez le volume à votre convenance.
- Merci... Voilà qui est mieux. Ainsi, vous avez décidé de quitter les lieux ?
- Moi ? Jamais de la vie !
- Alors c’est… euh… un nettoyage de printemps mais à la puissance dix ! Si c’est cela, vous battez ma mère à plates coutures... et pourtant, lorsqu’elle s’y met, mon père fuit la maison.
- On peut considérer que c’est une sorte de grand ménage. Un café ?
- Volontiers. Après, je me mets à votre disposition.
- J’y compte bien, d’autant plus que vous y êtes pour beaucoup. Vous savez où trouver la cuisine, débrouillez-vous. Moi, je continue ici. Allez, on se dépêche !
    Après quelques secondes d’hésitation, Julien s’exécuta. Avait-il jamais été reçu quelque part aussi cavalièrement ? Jusqu'à Hélène, sa propre sœur, qui se serait mise en quatre pour lui servir une tasse de café... bien plus, un petit-déjeuner complet ! Se moquait-elle encore de lui ou bien était-il accepté, sans réserve ?
- Julie ? L’appela-t-il de la cuisine. Vous en prendrez bien un... pour me tenir compagnie...
- Ouiiii ! Merciiii !!!!!!! lui répondit-elle de la pièce voisine.
- Noir, serré et sans sucre. C’est cela ?
- Exactement ! On fera quelque chose de vous... et appelez-moi dès que ce sera prêt !
- À vos ordres, mon adjudant ! Compris, chef !
    À genoux devant des livres à trier, Julie sourcilla… Chef ? L’aurait-elle vexé ! Aussi, depuis quand étaient-ils suffisamment liés pour qu’elle se comportât avec lui aussi familièrement ? Ce n’était assurément pas en agissant ainsi qu’elle améliorera leurs rapports !
    Elle soupira et se laissa tomber assise à même le sol. Encore une bévue à mettre à son passif. Pourtant, s’il savait combien sa compagnie lui était douce ! Elle ne pouvait cependant pas se présenter devant lui et lui expliquer, tout de go, qu’elle ne s’était jamais sentie autant décontractée avec quelqu’un !
    Le seul à lui dire quelques bonnes vérités, sans tenter de les déguiser, et qui n’en taisait aucune sous prétexte de la ménager. Le seul à l’avoir aidée, même si sans l’avoir souhaité vraiment.
    Comment rattraper cela ? Et elle ? Comment expliquer le fait qu’elle ne ressentait aucune nécessité de jouer un rôle en sa présence, heureuse de le voir évoluer dans son domaine, en complet habitué, chez lui, sans contrainte... sans interdiction aucune ?
    Quand admettra-t-elle qu’il n’était pas évident ou obligatoire de retrouver en tous, ce qu’elle éprouvait, elle ? Elle devait s’y appliquer et… quant à le faire, autant s’y mettre sur-le-champ, et, se mettant debout avec souplesse, elle courut vers lui !
- Julien, laissez, je m’en occupe !
- Pas question ! C’est bien de vous, d’arriver après la bataille...
- Vous... vous n’êtes pas contrarié ?
- Pourquoi ? Le devrais-je ? Qu’avez-vous à vous reprocher cette fois ? Julie ? Eh ! Regardez-moi ! Julie... la vraie Julie !
    Qui exhibait un visage vierge du moindre fard… Et il ne s’en apercevait qu’à l’instant ? Elle aussi, à en juger par le rose qui gagna ses joues, et par le regard qui s’anima d’une étincelle de colère !
- Et vous, en polo, jeans et baskets, de quoi avez-vous l’air ?
- D’un honnête travailleur au repos. En revanche, vous !
- Je vous amuse ?
- Non, j’aime ! Si vous saviez ! Vous êtes incroyable ! Pourquoi vous cacher ainsi !
- Je ne me cache pas du tout ! C’est un jeu… c’est tout ! Qui me plaît depuis toujours et que je pratiquerai toute ma vie !
- Avec tout le monde ?
- Oui… mais pas dans l’intimité ! Et inutile de sourire aussi béatement… vous, je ne vous attendais pas !
- Je vous avais dit que je passerais.
- J’avais oublié.
- Approchez-vous, Julie Castel… votre café est presque froid.
- Non, Julie Gaillette. C’est Castel qui vide les lieux en ce moment.
- J’en suis heureux. Gaillette ? C’est un nom agréable ! Vous gagnez au change, il m’évoque tendresse et espièglerie !
- Allez dire cela aux mineurs de fond. Pour eux, ce mot désigne un gros morceau de charbon ! Vous trouvez toujours qu’il me va si bien que ça !
- Oui, et à la perfection. Bon, je suis prêt. Que dois-je faire ?
- Dans ma chambre, l’armoire. Vous videz entièrement la partie droite. Pas plus compliqué que ça.
- Sans regret ?
- Julien ! Pas le moindre. J’ai même hâte d’en avoir terminé.
- Vous saurez tenir Gabriel à distance ?
- Maintenant ? Oui.
- Si sûre de vous ? Comme cela, subitement ?
Que pouvait-elle répondre ? Qu’elle avait changé, qu’elle avait pris conscience de qui elle était, qu’elle y avait gagné la certitude que rien ne pourra plus exister entre Gabriel et elle, sans savoir pourquoi, sinon la conviction profonde et absolue d’en être vraiment délivrée.
- Et, pour la suite ?
- J’ai tout prévu. Affirma-t-elle, d’un ton ferme.
- Même sa réaction ?
- Il devra s’y faire.
- Il n’est pas de ceux qui oublient, et, d’après ce que j’ai vu, de ceux qui renoncent. À cause des sentiments qu’il vous porte.
- En voilà assez ! Ô Julien, il y aurait trop à raconter. Il m’aime ? Et alors ? C’est votre impression, celle que tous partagent. Mais comment le fait-il ?
Que valait un amour qui étouffait, qui détruisait l’être profond pour tenter de le recréer autrement ? Qu’aimait Gabriel ? Elle ou la matière qu’il pouvait modeler à sa convenance ? Aurait-elle dû, au nom de ce qu’il disait ressentir pour elle, renier jusqu’à elle-même ?
Que valait un amour qui asservissait, qui emprisonnait ? Aurait-elle dû permettre à Gabriel, toujours au nom d’un tel amour, de l’utiliser à son gré, d’en user de même qu’il le ferait d’un objet quelconque… un plaisir à s’offrir en passant, sans pour autant se priver par ailleurs. Elle... Non... Terminé, elle n’en voulait plus. Plus jamais ! Elle avait honte de l’avoir accepté si longtemps, se méprisait parfois d’avoir fermé les yeux sur trop de détails déplaisants.
C’était du passé, un hier qu’elle voulait oublier, par lequel elle ne se laissera plus prendre. Gabriel souffrait ? Oui, sans doute, mais comme un enfant qui trépignerait de se voir refuser un jouet, et il n’était plus question de céder à ses caprices. Il ne franchira plus le seuil de cet appartement… plus jamais !
- J’ai failli céder, pas plus tard que cette semaine, et... j’ai reculé.
- C’est ainsi que vous arriverez à vous libérer. Il faut vous calmer, et ressasser les mauvais moments ne mène à rien.
    Mais Julie n’entendait plus rien, plaie ouverte déversant sa douleur. Devant Julien, les gestes nerveux, elle se déplaçait dans la pièce ainsi qu’un papillon cherchant une issue libératrice. Sans même le voir, débitant des mots à elle seule adressés.
Elle l’avait tant aimé... et lui... Il lui avait fallu trois longues années avant de réaliser qu’il entretenait une liaison avec une secrétaire. Qu’il avait mutée dans un autre service, sans hésiter, lorsqu’elle l’avait menacé de demander le divorce, jurant que cette fille n’avait aucune importance… qu’elle n’était qu’une parmi d’autres.
« D’autres ? » Un mot, aveu involontaire, qui l’avait tant assommée qu’elle l’avait refoulé inconsciemment. Ne le retenant que tel un détail soulignant le fait que d’être nombreuses faisaient ces aventures moins sérieuses, la faute moins grave ! Qu’elles n’étaient rien de plus que passe-temps faciles !
Bien sûr… Grand et fort, beau et riche, intelligent et sympathique… qualités et atouts, auxquels, à fortiori réunis en un même individu, il était impossible à toute femme de résister. En revanche, si elle n’avait aucune difficulté à croire que plus d’une s’étaient jetées à sa tête, il en allait autrement quant à se résoudre à accepter faire partie d’un harem moderne dont seule la favorite – elle, en l’occurrence ! - serait recluse.
Ainsi que si bien savent le faire les hommes, il lui avait juré qu’il en avait fini avec tout cela.
Combien de temps pour comprendre qu’il n’avait parlé que de la fille, pas de son goût pour ce genre de relations ?
Désormais, il savait les choisir plus jeunes, plus jolies... fraîches émoulues de l’école. Des fruits verts et tendres à la fois !
- Et moi... Julien... j’ai trente-six ans ! Que veut-il de moi ?
- De vous ? Julie… douce Julie… Vous… vous êtes la plus merveilleuse des jeunes filles.
Elle semblait presque calmée… assez pour qu’il puisse la retenir de la main, la maintenir devant lui, menton relevé, tout en regrettant les larmes qui perlèrent.
- Menteur ! Je suis lucide, vous savez !
- La stricte vérité, sans flatterie aucune ! Je le jure ! Et pas même ces petites lignes insignifiantes qui soulignent le merveilleux de vos yeux ne peuvent me contredire.
Il pouvait rire ! S’il savait à quel point elle s’en moquait !
Elle ne craignait pas les marques du temps, elle les acceptait sans souffrance, mais se refusait à en avoir honte, un jour. Elle ne voulait pas s’en sentir coupable ou redouter un regard sur elle, ni être effrayée par ce qu’elle devrait y lire. Avec Gabriel, elle savait qu’elle ne pourra jamais vieillir paisiblement. Il l’aimait, infiniment… avec autant de passion que de tendresse, nul ne pourrait prouver le contraire… Mais également telle une œuvre d’art d’une totale perfection… qui le rebuterait à l’émergence d’un premier défaut.
- Vous ne pouvez en être totalement certaine.
- Julien !
- Les gens changent, Julie... Ou bien ils ne sont pas vraiment tels qu’on veut bien les voir… Mais... interdiction de développer davantage le sujet. Nous faisons le vide, derrière ce front et dans les placards.
- David et Justine ont promis de passer, avec leur aide, nous achèverons rapidement.
- Ensuite, si vous êtes d’accord, nous irons nous distraire ailleurs.
- N’espérez pas y échapper ! Vous me devez bien cette petite compensation pour tout ce cirque, car vous en êtes le seul responsable !
- Moi ?
- Qui d’autre sinon !

 

Partager cet article
Repost0
4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 23:35

 

    Justine était effarée ! Ils étaient assis, tous les quatre, à même le sol, au milieu d’un labyrinthe de paquets soigneusement fermés et étiquetés.
- Julie, à mon avis... C’est fou ! Il aurait été plus simple d’emballer tes affaires personnelles.
- Tais-toi ! J’ai du mal à ordonner deux pensées. Qui a faim ? Julien ? Vous pouvez demander ce que vous voulez !
- Je vous ai promis une distraction. Je « nous » invite à l’extérieur. De toute façon, il ne reste plus une seule assiette dans les placards de la cuisine. Fallait-il vraiment les emballer jusqu'à la dernière ?
- Je n’en avais choisie aucune ! David, dans le désert aride du bar, regarde s’il n’en reste pas quelques-unes en carton.
- Le problème est de savoir ce que tu pourrais y mettre dedans et au su du vide qui remplit ton frigo, je vote des deux mains pour la proposition de Julien de s’offrir un bon repas au restaurant !
- Pas dans cette tenue ! Tante Julie...
- Justine ! Si tu oses m’appeler encore une fois ainsi je t’expédie au fin fond de nulle part !
- Excuse-moi, mais... je ne peux pas sortir ainsi, je dois passer chez moi, pour me changer.
- Evidemment ! Lui rétorqua Julie, un peu agacée. C’est indispensable pour chacun de nous !
- Nous pourrions nous retrouver vers vingt heures, à la Samaritaine. Qu’en pensez-vous, David ? Le Vieux Port est vaste, nous aviserons sur place.
- Tout juste le temps de récupérer ! C’est parfait, Julien ! On y va ! Ne bouge pas, chef adoré, je trouverai la sortie. Justine, je te raccompagne ?
- Je... Hésita la jeune fille. Et vous, Julien, vous ne rentrez pas ?
- Dans un moment, j’ai le temps, j’habite à deux pas.
- Près de... d’ici ? Je ne le savais pas. C’est bien. Bon… on y va, David ?
- Quand tu veux !
- Maintenant...
    Alors que les deux jeunes gens s’éloignaient, Julie les observa, intriguée… Qu’arrivait-il à Justine ? Une brouille… une querelle avec David ?
Et cette façon d’appuyer sur les mots « Tante Julie » ? Sa nièce savait pertinemment qu’elle détestait cela ! Un fait entendu depuis toujours entre elles : deux amies soudées par une profonde complicité qui ne devait rien à leur lien de parenté.
- Julie ? Un peu de nostalgie ?
- Vous disiez ? Désolée, j’étais distraite. Je trouve qu’ils sont bien assortis, je crois même qu’ils sont amoureux… et cependant… Justine... Je la sens différente, un peu sur… la défensive ?
- Pour lui, je partage votre avis.
- Et pas elle ? Ils sont inséparables et sortent beaucoup.
- Je ne pense pas que se distraire ensemble, avoir les mêmes centres d’intérêt, implique forcément une relation amoureuse. Cependant, je ne connais pas votre nièce aussi bien que vous, et il est vrai qu’ils forment un joli couple
- Oui, ainsi que vous le soulignez avec justesse, cela ne suffit pas toujours. On verra bien, avec le temps !
- En effet ! Bon, jolie madame, en piste ! Sinon, vous n’aurez plus aucun courage. Fatiguée ?
    Julien se dressa devant Julie, main tendue pour l’aider à se relever… Qu’elle accepta tout en se redressant en lui évitant tout effort.
- Pas plus que chacun ! Julien… euh… évitez ces gestes-là, ils ne sont pas vraiment indiqués pour vous, en ce moment. Je vous ai vu faire la grimace tantôt. Votre… votre dos est douloureux ?
- Rien de méchant. Puis-je vous abandonner ?
- C’est l’heure…
- Oui… celle de me rendre présentable… et pour vous, d’endosser vos terribles peintures de guerre !
- Que vous n’appréciez pas du tout, n’est-ce pas !
- Pourquoi cela devrait-il me déplaire ? En revanche, il faudra me donner la clé de ce langage codé ! Du bleu lorsque vous êtes en colère après tous, du mauve si c’est contre vous. Et pour les autres ?
- Ce serait trop facile ! À vous de trouver tout seul, et je suis bien décidée à vous étonner, ce soir.
- C’est moins intéressant depuis ce matin, mais je ferai un effort. Reposez-vous, vous avez le temps. Je passerai vous prendre vers vingt heures. Ça ira ?
- Quand vous voudrez, je serai prête !
    Elle l’accompagna jusqu’à la porte, le suivit des yeux pendant qu’il traversa le palier et sourit lorsqu’il dédaigna l’ascenseur lui préférant les escaliers… où elle n’eut soudain aucune envie de le voir disparaître. Et elle ne put retenir un mot… pour le garder encore un peu ?
- Julien ?
    Rougissant sous le regard interrogateur, elle se força à en prononcer un autre… pour le libérer.
- Merci... souffla-t-elle en fermant doucement la porte.
    Et maintenant, qu’allait-elle faire de la montagne de colis qui encombrait son horizon habituel ? Dès lundi, un convoi spécial en direction de la résidence privée de son ex époux !
    Ceci étant réglé, il était temps de passer à l’essentiel : Quelle « Julie » saurait déconcerter le très sérieux Julien Gauthier ? Une Julie Colombine rêveuse ou Mata-Hari mystérieuse ? Peut-être une écervelée rieuse, une ingénue timide ou... ? Une sirène ! Qui se serait évadée, pour lui, d’un univers d’ondes profondes ! Voilà qui ne lui déplairait pas ! Tout à fait en accord avec le décor suggéré par La Samaritaine... Une pluie d’étoiles, les lueurs de la ville et les bateaux sagement amarrés à quai, bercés par les eaux calmes du Vieux Port !
Non, pas en extérieur ! Oubliait-elle que les nuits étaient encore trop fraîches pour un dîner à ciel ouvert ! Donc... elle devait tenir compte d’un éclairage d’intérieur!
C’était fait, elle tenait le personnage !
Restait à voir comment Julien se comportera face à ce qu’elle lui réservait et si elle était de taille à lui ôter le sommeil toute une nuit ! L’innocent ! Croyait-il vraiment parvenir à tout déchiffrer en elle ? Son art du maquillage, les masques derrière lesquels elle évoluait… ils étaient bien davantage qu’une clé, beaucoup plus subtils qu’un code.
Il ne fera ce soir, qu’entrevoir l’une des multiples facettes de la véritable Julie ! Quant à celle de ce matin, elle n’était que la matière de base de ce qu’elle voulait paraître.
    La partie pouvait commencer ! Sa partie… dont elle était plus que jamais déterminée à en fixer, seule, les règles.
    À dix-neuf heures quinze, elle se tenait debout, face à un miroir d’où une inconnue la détaillait scrupuleusement… Elle adorait s’étonner elle-même ! Un jour, il lui faudra penser à remercier le hasard pour l’avoir créée ainsi.
    Corps de nymphe dans un étroit fourreau de satin broché gris bleu, écaillé d’argent… Nuque gracile sous un chignon de boucles rebelles piquetées de minuscules coquillages… Épaules aux courbes idéales, entièrement découvertes et saupoudrées de poudre nacrée…. Elle se savait tentation !
    Visage à la peau transparente, à peine ombrée pour en restituer l’ovale plus émouvant… Bouche - le plus facile - perfection même sans artifice… aucun mal pour souligner la ligne gourmande des lèvres, sinon en relever à peine la coloration pour ne pas dénaturer l’ensemble… Elle se savait invitation.
    Les yeux... éclats de lune aux reflets d’aigues-marines émergeant de sombres vagues océanes… Deux pierres précieuses, rares, dignes parures d’une divinité de soie et de chair au parfum étrange (juste ce qu’il fallait de sa toute dernière acquisition : l’envoûtant Sublime de Patou)… Elle se savait fascination.
    Mmmm…Ses yeux – Ce soir, elle s’était surpassée – son plus bel et sûr atout, dont elle usait et abusait sans scrupule… qui mieux qu’elle pour les faire insondables, tendres, moqueurs, taquins, perplexes ?
Elle sourit à son double avec un clin d’œil complice, certaine qu’aucune autre femme ne pourra rivaliser avec… Oups ! Justine… qu’elle avait totalement oubliée. Elle allait se présenter en femme fatale alors que cette gamine était capable d’arriver en… en salopette et espadrilles ! Et il était trop tard pour se changer !
Elle se jeta sur le téléphone… Pourvu que...
- Allô ! Justine ? Dis-moi… que portes-tu ?... C’est vrai ? Alors, force un peu la note... parce que… ah ? Oui, c’est cela… Je me suis laissée aller et même… ce soir, je crois que j’ai dépassé la mesure… Comment ? Tu t’y attendais ? Petite peste ! Tu me connais donc si bien ?... Je t’adore. Tu dis ? Julien... Ici ? Non, pas du tout. Il est parti peu après vous… Que je fasse attention ? À quoi ? Avec lui ? Idiote ! Tu imagines n’importe quoi. À tout de suite !
Était-elle aussi sotte au même âge ? Quelle idée de s’inquiéter de l’éventuelle présence de Julien ! Que risquerait-elle avec lui ?
Quelques notes musicales dansèrent dans l’air ! Il était là ! Déjà ?
Elle jeta un dernier coup d’œil à son reflet, s’efforçant de discipliner un cœur stupide de s’emballer subitement… Ce n’était qu’un jeu… excitant, sans doute… mais malgré tout un jeu !
Innocent ?
Elle saisit son sac, s’enveloppa dans un impalpable châle d’un gris diaphane, et se redressa tout en s’appliquant à déguiser son regard, à brider une impatiente curiosité pour ce que trahira celui de cet homme qu’elle espérait tant surprendre…
Elle posa la main sur le bouton de la porte, eut le geste naïf de lisser une fois encore sa robe et…
- Julien, vous êtes en avance ! Accusa-t-elle joyeusement tout en tirant le panneau de bois vers elle. Mais je suis prête !
- Je le vois, mon cœur ! Ah ! Désolé... ce n’est que moi ! Tu comptais sortir ce soir ?
- Gabriel ! Que fais-tu là ?
- Tu le demandes ? Pour commencer, je vais entrer, nous isoler du monde, et puis... Te rendre grâce pour me recevoir de si belle manière. Tu es… Seigneur ! Tu es merveilleuse !
- C’est vrai ? S’exclama-t-elle, rieuse ! Tu trouves ? Merci ! Mais… Ah, non ! Pas question que je te laisse entrer ici !
- Il me serait agréable que tu te souviennes de temps en temps que cet « ici » est aussi ma maison, mon foyer !
- Vraiment ? Alors, à ton aise... Je te cède la place ! Ciao ! Moi, je file, je peux tout aussi bien attendre en bas !
- Dans une telle tenue, en pleine rue, et à cette heure ! Tu perds la tête ! Ce serait pure provocation… Tu tiens vraiment à provoquer une émeute !
    Julie se détourna au déclenchement du mécanisme de l’ascenseur … le suppliant silencieusement de monter au plus vite… de lui amener celui qu’elle attendait ! En espérant très fort que Julien ne fût pas en retard alors que Gabriel s’élançait après elle !
- Julie ! Reviens ici ! Je t’interdis de suivre ce type, et il est temps de mettre un terme à cette stupide situation entre nous !
    Des chiffres lumineux défilaient sur le petit écran de verre encastré dans le mur, s’arrêtèrent sur celui indiquant son étage… La porte… trop longue à s’ouvrir ! Vite… Plus vite ! Et cette brute qui la tirait en arrière !
- Lâche-moi ! Tu n’as aucun droit sur moi...
- Je ne peux te concevoir avec lui, c’est au-dessus de mes forces. Reste-là, nous allons tout reprendre au début et...
    Elle lutta pour tenter de se défaire de l’étau qui broyait son poignet, qui le meurtrissait aux mailles épaisses d’un bracelet… et qui se desserra, devint main innocente devant la silhouette qui sortait de la cabine.
- Julien !
    Un cri ! Et elle oublia la séductrice langoureuse pour n’être que fuite éperdue, toute reconnaissance pour le bras qui arrêta sa course, la ramena contre un corps qui la rassura.
- Julie… doucement. C’est fini.
- Il faut partir, sans tarder... Il...
- Rien ne presse, nous avons le temps. Douloureux ? S’enquit Julien en désignant le poignet qu’elle massait nerveusement.
- Non, ce n’est rien. Julien... ce n’est pas… c’était involontaire...
    Un peu déconcertée par le calme qu’il affichait, elle s’inquiéta du regard qui, après avoir examiné les griffures rouges sur sa peau, n’était que dureté quand il se posa sur Gabriel qui avançait vers eux.
- Mon cœur, montre-moi, je t’ai vraiment fait mal ? Je ne voulais pas...
- Je le sais, Gab...
- Rentre à la maison, chérie… Et vous… Vous ! Siffla-t-il à l’adresse de Julien, je vous conseille de ne plus tourner autour de ma femme !
- À ma connaissance, elle ne l’est plus, et elle seule a décision en tout ce qui la concerne. Julie ? Que faisons-nous ?
- Allons-nous-en, je vous en prie.
- Bien… Donnez-moi vos clés, il faut fermer votre porte.
- Vous ! Écartez-vous d’elle ! S’emporta Gabriel en se jetant sur Julien qui se raidit sous la poigne dure qui agrippa son épaule, malmenant une plaie récente, en réveillant la douleur au point de ne pouvoir réprimer une grimace de souffrance qui affola le cœur de Julie.
- Gabriel, non ! S’écria-t-elle aussitôt, il est blessé ! Tu vois bien qu’il n’est pas en état de... Laisse-le, je viens....
- Julie ! Restez-là et taisez-vous ! Quant à vous, Castel… Un conseil… ôtez votre patte !
    Une voix d’une douceur glaciale, acérée tel le fil d’une lame, celle d’un individu qui ne tolérait aucune agression, qui ne craignait pas d’y faire face. Une simple mise en garde, sans colère ni provocation, mais assez nette pour amener Gabriel à le libérer, surpris de rencontrer une réelle détermination face à lui.
- Vous devriez admettre, une fois pour toutes, que vous n’avez plus à intervenir dans la vie de votre ex femme…
- Ce qui se passe entre elle et moi ne vous regarde pas.
- Vous croyez ? Si elle refuse de vous suivre, je ne peux que me sentir concerné.
- Si vous imaginez que vos fiançailles...
- Cet engagement entre nous ? Pure invention mais qui ne modifie en rien la situation.
- Julien ! Cessez... Supplia Julie en s’interposant entre les deux hommes. Cela n’en vaut plus la peine.
    Elle ne savait que faire, déchirée entre l’imperturbable assurance de Julien qui la ramenait de nouveau contre lui, et la vague de fureur difficilement contenue qu’elle sentait gronder en son ex époux.
- Au contraire, tout est changé ! Lui affirma ce dernier en la fixant droit dans les yeux.
- Gab, nous deux c’est du passé... Lui répondit-elle fermement sans ciller.
- D’accord, j’entends ce que tu dis… mais nous en parlerons plus tard ! Quant à ton... ami...
- Gabriel ! Tu ne peux pas... tu ne vas pas t’en prendre à lui ? Et vous, Julien...
- Tout ce souci pour moi ? Que craignez-vous ? C’est trop tard Julie. Cette affaire est désormais « personnelle » entre lui et moi.
- Vous croyez-vous de taille à m’interdire quoi que ce soit ? Ironisa Gabriel.
- Ne sous-estimez pas l’adversaire, Castel, je ne suis pas particulièrement tendre quand on m’attaque, et bien moins encore s’il s’agit d’êtres qui m’intéressent.
    Julie trembla devant l’attitude de plus en plus agressive d’un Gabriel aux poings serrés et au visage livide de colère… Si elle le pouvait, elle l’expédierait à des milliers de kilomètres de son univers.
- Maintenant, excusez-nous, mais nous sommes attendus. Déclara doucement Julien. Veuillez reculer, je dois fermer cette porte.
Ils étaient trop proches l’un de l’autre, assez pour juger que Julien n’était pas de taille à résister physiquement à un Gabriel hors de lui.
Et pourtant ? Elle n’avait jamais vu ce dernier hésiter ainsi. Pas un mot, pas un geste pendant que Julien donnait deux tours à la serrure… qu’il la rejoignait.
Ils demeurèrent tous trois, silencieux, quelques secondes, devant l’ascenseur ouvert… puis Gabriel recula… se balança un peu sur les talons et se tourna soudain vers eux.
- Eh bien, qu’attendez-vous ?
- Gab !… Tu es… tu es… hoooo !
- Hou !!! Infect ? Je le sais ! Allez-y… et appelle-moi bientôt, d’accord ? Et vous, Julien, une bonne soirée et… veillez bien sur elle !
    Et c’est devant une « Elle » aux yeux écarquillés de surprise ahurie que deux mains se joignirent pour une étreinte aussi virile qu’amicale !
- Comptez sur moi… Gabriel.
Elle était autant heureuse du changement d’attitude de l’un que de savoir l’autre en sécurité dans la cabine qui les conduisait au rez-de-chaussée de l’immeuble.
- J’ai eu une peur bleue. Vous êtes fou à lier !
- C’est toute la confiance que vous avez en moi ? Vous heurtez ma fierté de mâle !
- Il a reculé ! Vous rendez-vous compte qu’il a reculé ?
- Une chance pour moi, c’est un coriace….
- Votre jumeau, oui ! Mais après… que s’est-il passé ? Vous et… lui ! Je n’y comprends plus rien !
- C’est une sorte de… d’affinité ou de… reconnaissance toute masculine ! Je le trouve très sympathique ! À ce propos… si par hasard, d’autres rivaux devaient se manifester, promettez-moi qu’ils seront à ma portée !
Il n’y aura pas de prochaine fois, elle ne voulait plus jamais revivre cela ! C’était pour lui, et uniquement pour lui qu’elle avait eu peur. Sa blessure ! Elle était tellement récente, encore si fragile... Gabriel avait dû en aviver la douleur...
- Votre épaule... je m’en veux.
- Ne vous en souciez pas, Julie, et tournez-vous un peu vers moi. Si je devais en vouloir à votre ex mari, ce serait uniquement pour m’avoir distrait de l’essentiel ! Vous me gâtez... trop !
- Oh, j’ai oublié ! Il a tout gâché ! J’en pleurerais, je voulais tellement...
- Sortons d’ici, la voiture est à deux pas, j’ai hâte de vous enfermer dans un endroit d’où vous ne pourrez pas m’échapper et vous montrer l’effet que vous me faites. Je crois que nous allons arriver en retard à notre rendez-vous.
- Julien ! Vous perdez la tête ! Que croyez-vous ? Il n’est pas question de… Vous vous trompez complètement !
- Vous le mériteriez. Encore un mot et je risque de me prendre au sérieux !... Dommage pour vous, mais ça ne marche pas avec moi, fillette... En revanche, je suis flatté d’avoir au bras, ce soir, la plus jolie femme de la ville ! Je vais faire des envieux !
    Julie plissa le nez de déception… Il avait dit… « jolie » ! Seulement jolie ?
- Prétentieux ! Je n’en ai pas fini avec vous ! Attendez de voir la suite, vous ne savez pas de quoi je suis capable.
- Méfiez-vous, petite allumeuse, un jour, il vous faudra éteindre l’un de ces incendies que vous savez si bien déclencher. Entre nous, vous êtes fantastique ce soir, mademoiselle Julie Gaillette ! Contente ?
- À peine !
- Montez, et soyez sage ! Je promets de ralentir devant chaque vitrine pour vous permettre de vous en assurer.
- Gentil mais pas suffisant. La nuit, je n’y vois pas à dix pas. Je suis myope comme une taupe.
- Quoi ? Hier soir, vous conduisiez... Rassurez-moi, vous aviez des verres de contact ?
- Non, je ne les supporte pas.
- Et les lunettes ! C’est très utile dans votre cas, vous savez ! Trop coquette pour accepter d’abîmer votre profil avec des verres sur le nez ?
S’il pensait la fâcher pour si peu ! En fait, elle les portait très bien, et elles lui donnaient un style particulier… Tout bien réfléchi, elle était même certaine de lui plaire ainsi.
En fait, elle aimait bien voir la vie sans trop de netteté… Au fil du temps, elle s’était rendu compte que c’était surtout très reposant, que la laideur était moins évidente, presque estompée… Que des contours peu définis ouvraient la porte à l’imaginaire.
Pour le reste… elle y voyait suffisamment à son goût !
- Une folle dangereuse ! Quand je pense que je suis monté dans votre véhicule... J’ai envie de vous…
- Tsss Tsss Tsss ! Je connais la route par cœur ! En revanche, ce soir, je compte sur vous pour ne pas me laisser partir au bras d’un inconnu.
- J’aime trop l’humanité pour souhaiter autant de mal à un autre que moi. Julie, Julie ! Que vais-je faire de vous ?
- Dans l’immédiat ? Je vais y réfléchir... Julien, je me demande parfois...
- Je m’attends au pire !
- ... pourquoi je me sens si bien avec vous !
- Parce que je suis doué pour entretenir les rapports amicaux !
- L’amitié conjuguée au masculin-féminin ? Je n’y crois pas...
- Non ? Et que faites-vous du gentil David ? Il ne vous quitte jamais !
- David ? Mais ce n’est qu’un enfant, un bébé ! C’est mon petit frère, voilà ! Croyez-vous que je pourrais dire cela en pensant à vous ? Vous c’est... autre chose... et d’ailleurs... de l’amitié entre nous ? Beaucoup n’y verraient que pure utopie.
- Et de ce fait, pour eux, nous ne pourrions être qu’ennemis... ou amants ?
- Ennemis, Julien... « Ennemis » suffira !
- Et avec vous, tout autant passionnant... Prouvons-leur qu’ils ont tort.
    Julien était amusé par l’étrange lueur qui avivait le fascinant regard tourné vers lui, par le défi qu’elle annonçait. Il n’avait aucune peine à suivre le cheminement des pensées derrière le front lisse. C’était autrement qu’elle le déroutait.
Comment pouvait-elle s’afficher si aisément sous l’apparence d’une femme émancipée, sûre d’elle, avertie et consciente des plaisirs du corps, reconnaissant ses faiblesses sans fausse pudeur... et en être, à son avis du moins, tout à fait l’opposé ?
    Mais, pour l’instant, il devinait qu’il allait devoir affronter une Julie résolue à le séduire, dans l’unique but de lui prouver que le désir, l’attirance physique et le goût du flirt entreront toujours en compte dans les relations entre un homme et une femme. Il savait également que, pour gagner ce pari, elle était prête à mettre en jeu les atouts dont la nature l’avait si généreusement dotée, à user du moindre stratagème qu’elle saura trouver, et il soupçonnait combien son imagination pouvait être fertile dans ce domaine.
    La suite promettait d’être intéressante... seulement de l’observer porter une cigarette à ses lèvres et l’allumer, absente. Déjà absorbée par la stratégie qu’elle mettait en place, calculs trahis par la position que son corps adoptait, ses gestes lents, distraits. Tel celui de sa main qui jouait sur un genou, s’aventurait, rêveuse, à suivre une ligne abstraite, s’égarait jusqu'à la cheville nue, l’encerclait de caresses hésitantes, avant de revenir à sa place initiale, sans hâte... presque à regret.
    À croire qu’il lui était devenu invisible.
Il était temps, surtout, de la ramener à leur réalité. Il la savait inconsciente de ce qu’elle provoquait en lui, et tout autant ignorante d’être plus redoutable, là, telle qu’il la voyait en cet instant précis, qu’agitant ses artifices séducteurs devant lui.
    Les premiers mâts qui oscillaient, les lueurs de la ville, arcs-en-ciel dilués, éclairant les quilles obscures dansant sur les eaux, miroir de leurs coques jumelles... Le cadre rêvé pour une sirène qui, à son côté, sembla émerger d’un songe éveillé.
- Julien… nous y sommes !
    Un message voilé dans ces quelques mots, uniquement traduit par les modulations sensuelles de sa voix. Pas une simple remarque, rien de moins que lui annoncer qu’elle était prête et que la bataille pouvait commencer.
Pourquoi pas ?
- D’accord, Julie ! Reste le plus ardu... Dénicher une place.
- Tenez ! Ici ! Devant La Chope d’Or! Vous devriez y arriver ! Je vous avais prévenu, avec ou sans verres correcteurs, je sais voir les choses importantes.

 

Partager cet article
Repost0
4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 23:34

 

Pourquoi étaient-ils venus jusque-là ? Encore un caprice de la sorcière qui sommeillait contre son épaule. Il devrait la réveiller, la ramener.
Julie avait souhaité voir les flots scintiller sous la lune ! Ils y étaient et elle dormait !
    Julien mit le moteur en marche, enclencha la marche arrière, manœuvra en direction de la route.
- Mmmmm.... Nous rentrons ? Ffffff ! Je suis si bien, com’ça !
- Oui… Et vous avez bien bu, beaucoup ri, et distribué une infinité de regards ravageurs !
- Pas vrai... à peine un peu...
- Un peu ! La prochaine fois, je vous abandonne au bras d’un autre !
- Aucun risque, je sais... que vous ne le ferez pas. Julien ?
- Oui... Quoi encore ?
- Je... vous adore.
- Parce que vous dormez à moitié... J’en jugerai plus tard, lorsque vous aurez recouvré vos esprits. Je suis certain que, dès lundi, vous me ferez payer vos égarements de cette nuit.
- Merci... de me le... rappeler, et réveillez-moi... à la... maison. Et j’aime... aussi votre... votre façon de...
    « Qu’aimes-tu, ma douce ? Tu dors déjà ? Tant mieux ! »
    S’il pouvait enfin avoir les idées claires ! Et cette douleur qui lui taraudait le dos... Elle ne finira donc jamais ?
Encore quinze jours avant de recevoir les résultats des dernières analyses. Et se libérer de la tension qu’une attente qui s’éternisait lui infligeait ? Pour qu’il puisse respirer enfin ? Ou alors...
Quelle importance... dans un sens ou dans l’autre, il devra faire le point sur sa vie... prendre des décisions.
    Dans le meilleur des cas, un avenir à reconstruire différemment... Au pire… combien de temps ? Quelques mois ? Un an peut-être… deux, au mieux ! Et dans quelles conditions ?
    Un destin en sursis.
    Il s’était pratiquement résigné à entendre la pire des sentences. Pourquoi tout remettre en question, ce soir ?
À cause des boucles odorantes qui chatouillaient son menton ?
Petite peste ! Elle l’avait rendu fou dans l’arrière-salle du piano-bar, passant de bras en bras, échevelée et rieuse telle une enfant découvrant le monde. Comment lui résister ? Malgré les élancements de plus en plus forts, malgré la suée sur le front, symptôme de fièvre... Il l’avait accompagnée, une fois, une autre. Au bord de l’écroulement.
Jusqu'à ce qu’il ait lu dans son regard une profonde inquiétude, qu’elle demeurât, sage, eau dormante, assise à leur table, refusant toutes les invitations, se déclarant soudain pressée de partir, de s’évader vers ailleurs, loin du bruit, de la fumée, des rires.
Trop tôt pour rentrer, même pour lui, ils avaient roulé au hasard... Jusqu'à ce qu’elle lui demandât de s’arrêter en bord de mer, dans un endroit calme, oublié des turbulences de la ville. Sur l’aire d’une plage déserte et Julie l’avait abandonné dans la voiture, avec, en elle, une évidente nécessité de solitude totale.
Il avait suivi, de son siège, la promenade solitaire d’une silhouette plus fine, plus fragile, d’en être ciselée sur l’horizon. Puis elle s’était assise à la lisière de l’onde et il s’était décidé à la rejoindre, à la ramener à l’abri, appuyée contre lui. Il étaient restés ainsi, à écouter le murmure de vagues désaltérant le sable assoiffé.
Demain, il lui faudra récupérer des forces, et accorder à son corps tout le repos nécessaire avant d’entamer une autre semaine de labeur.
Cette colère qu’il sentait monter en lui ? Uniquement dirigée contre le sort qui le réduisait parfois à une extrême faiblesse.
Ô Julie… Kaléidoscope pour le plaisir des yeux, et épuisement assuré pour un individu dans son état. Mais aussi... un bonheur infini à la tenir, ainsi, seulement enlacée...
Il la savait compliquée, autoritaire, fantasque, mais également rafraîchissante, spontanée. Et d’une douceur émouvante parfois ! Ainsi, là, lovée près de lui, entourée de son bras et s’y appuyant, confiante... assoupie.
Pourquoi ne pas accepter ce dernier cadeau que la vie lui offrait ?
En avait-il le droit ?
Il se dégagea d’elle, la repoussa, juste assez pour s’éloigner de sa bouche, de son parfum... Et il appuya sur l’accélérateur, soudain pressé de rentrer au plus vite.
- Où sommes-nous ?
- Aux portes de la ville.
- Julien…
- Oui ?
- Vous ne voulez pas en parler ?
- De quoi ? De Marseille ? J’avais oublié combien elle est belle. Depuis mon retour, je la redécouvre.
- Comment est-ce arrivé ?
- Est-ce important ?
- Non… oui… Je m’en veux… chez moi, je n’aurais pas dû vous demander tous ces efforts, et ce soir, me rendre compte plus tôt que… que ça n’allait pas... En ce moment, vous devriez dormir. Laissez-moi conduire !
- Ah non alors ! La route est trop étroite pour y naviguer à l’aveuglette et je ne suis pas fatigué au point de m’y risquer!
- J’ai des lunettes dans mon sac ! Je ne suis pas totalement stupide ni inconsciente.
- Fâchée ?
- Pas du tout. Agacée... sans plus. Alors ?
- Une plate-forme pétrolière, au large, dans la mer du Nord, j’attendais l’hélicoptère qui devait me ramener à terre mais une tempête en a décidé autrement. J’étais sur le pont supérieur, sur le point de regagner mes quartiers, la sécurité et puis... un câble qui a cédé et qui m’a emporté. Je me suis retrouvé deux étages plus bas, pendu par le dos à une ferraille oubliée. Cela aurait pu être pire. Dans l’eau, je ne m’en serais peut-être pas sorti.
- Mon Dieu ! Vous auriez pu...
- Chutttt ! Je suis là, c’est ce qui compte.
- Quand est-ce arrivé ?
- Il y a six mois. La cicatrisation s’est révélée plutôt délicate. Et quelques dégâts... dont je me serais bien passé. Disons, que pour certains, je suis un miraculé... Pour d’autres... Voilà, rien de bien extraordinaire. Souriez, la vie est là, et avec vous c’est un plaisir des Dieux !
- Ne plaisantez pas ! Il fallait me prévenir.
- Aucun ménagement. Qu’aurait-on dit, dans votre bagne, d’un traitement de faveur ! C’est... du passé, il faut attendre que la... guérison se fasse, à son rythme. C’est pourquoi je suis là, obligé de renoncer à un travail qui me passionne, et enfermé dans un réduit... pardon. Je ne vous en veux pas, rien contre vous, rien de plus que le regret de mes activités.
- Je me suis occupée de cela, ce matin ! Dès lundi, une équipe sera à pied d’œuvre pour mieux vous installer. Ce devait être une surprise. J’ai été infecte avec vous !
- À peine, et je me suis distrait aussi à vous observer ! On ne s’ennuie pas un instant en votre compagnie, ce qui mérite bien quelques concessions ! Voilà, fillette, nous y sommes. Je vous rends à... Attendez, je vous accompagne.
- Non, pas question.
- Attention ! La menaça-t-il, vous oubliez ce qu’il en coûte de me contrarier !
- Pas trop épuisé pour me rafraîchir la mémoire ? Répliqua-t-elle spontanément.
    Elle fut la première surprise d’avoir prononcé ces mots et se figea sous le regard soudain attentif de Julien.
- Pas à ce point ! Mais, Julie… je pense que ce n’est pas le meilleur...
- Vous avez raison ! Le coupa-t-elle, très vite, tout en s’éloignant rapidement de lui. Bonne nuit, Julien ! Si vous avez besoin de quoi que ce soit, demain, appelez-moi.
- Julie ! Ne m’obligez pas à vous rattraper. Ce soir... Je n’ai pas une forme olympique !
    Elle sentait le rouge lui brûler les joues et elle n’osait plus le regarder. Alors l’ascenseur… et ensuite, le couloir... en sa compagnie ? C’était bien au-dessus de ce qu’elle pouvait endurer. Elle courait presque, pour mettre un maximum de distance entre elle et Julien qui ne montrait aucune intention de la laisser franchir seule les quelques mètres qui la séparaient de l’entrée de l’immeuble. Un obstiné qui la suivait à trois pas, puis quatre, et qui, soudain, sembla peiner à progresser plus avant...
- Julie, attendez... haleta soudain Julien, je crois que j’ai surestimé ma résistance.
- Ça ne va pas ?
    Déjà près de lui, prête à le soutenir, et... si elle avait assez de force, elle le porterait !
- Que puis-je faire ? Je vais vous reconduire !
- Non ! Votre bras autour de moi, et le mien sur vos épaules, devrait suffire. Et m’autoriser à récupérer un peu de souffle, chez vous... pas longtemps, cinq minutes.
- Tout le temps que nécessaire ! Tout le temps que vous voudrez.
    Et Julien sourit... il était si pratique parfois d’affoler un cœur trop tendre. Surtout bien plus reposant que de courir, et il s’amusa de la voir empressée, à chaque pas, à bien le soutenir, attentive à guetter le moindre signe de douleur, le gardant contre elle, jusqu'à son étage, et ne l’en écartant, à peine, que le geste d’ouvrir une porte.
    Ne se résignant que sur sa demande à l’abandonner au relatif confort d’un fauteuil, pour l’obliger, deux minutes plus tard, à s’allonger sur le canapé.
- Vous voyez bien que c’est mieux !
    Un coussin, pour la nuque. Un autre...
- Julie, cessez de vous agiter, venez ici. Nous avons un compte en suspens.
- J’ignore de quoi vous parlez ! Détendez-vous, moi, je vais déposer les armes !
    Elle quitta la pièce, le temps de redevenir elle-même, d’ôter son enveloppe de sirène, d’en effacer l’image sur sa peau, de calmer sous des jets à peine tièdes, la fièvre qui enflait en elle. Elle s’attarda quelques minutes encore, pour revêtir les atours sages des nuits solitaires. Elle revint près de lui, espérant le trouver endormi, se promettant de veiller à ce que rien ne lui manquât et elle choisit, pour lui, la couverture la plus douce, la plus légère possible.
    Heureuse de voir les paupières baissées, et aussitôt inquiète du front un peu moite, elle se pencha au-dessus du corps assoupi, redoutant l’éveiller pendant qu’elle le recouvrait soigneusement du fin tissage de laine mousseuse... Trop proche pour éviter les bras qui la saisirent, qui l’attirent au plus près.
- Julien ! Tenez-vous tranquille.
- On ne joue plus ?
- Vous êtes un affreux tricheur... J’abandonne pour ce soir.
- Non, ma douce, la partie n’est pas terminée. Où en étions-nous ?
- Nous ? À… euh… « pas le meilleur... »
- Merci pour cette précision. Je disais donc, pas le meilleur endroit pour une si agréable invitation.
- Et ici ?
- Presque le lieu idéal...
- Nous pourrions trouver mieux ?
- Sans doute, mais pas ce soir.
- Vous souhaitez vraiment partir ?
- Dans un moment.
- Et rentrer chez vous, enfin… chez votre sœur ! Quand je pense qu’elle et moi, nous étions presque voisines ! Mais vous, Julien ? Vous avez bien un endroit à vous.
- Je fuis les villes, Julie. Chez moi c’est un coin perdu dans l’arrière-pays, après Aups, où je ne vais, hélas, que trop rarement. Une vieille bâtisse que j’ai retapée, l’ameublement s’y résume au strict nécessaire, ce qui donne un style assez dépouillé pour l’heure, mais quand j’aurai le temps de... le temps... En fait, c’est de temps dont j’ai besoin.
    Elle avait du mal à le comprendre parfois. Ainsi, en ce moment... En apparence décontracté, presque gai et subitement bien plus qu’agacé, sans qu’elle put deviner ce qui le dérangeait. Mais elle oubliait sa condition physique ! Bien suffisante pour expliquer les traits soudain tirés et le regard moins souriant.
- Aux prochaines vacances ! Suggéra-t-elle, encourageante. Vous pouvez en prendre, les beaux jours sont là, et vous pourriez y passer vos fins de semaine
- Oui… J’y penserai.
- Je vais vous préparer une chambre. J’en serais heureuse ! Ne me refusez pas cela !
- Je ne peux pas. Refusa fermement Julien.
    Combien rejeter son invitation lui était pénible ! La douleur s’éveillait. Le sang martelait ses tempes. « Avoir le temps... Du temps devant lui. » Où trouver la force de renoncer à sa bouche ? Et comment oublier cette envie brutale d’y mordre, dès le premier jour, dès l’instant où elle s’était tournée vers lui, assise à son bureau.
Une envie presque satisfaite le soir même. Presque…
- Pour en revenir à votre mémoire défaillante... Insistait Julie, à quel moment devons-nous reprendre ?
Reprendre ? Quoi donc ? Il la dévisagea quelques secondes, se remémorant leurs derniers échanges, et il ne put retenir un sourire taquin en se souvenant de son trouble.
- Eh bien… Au tout début ! Je suis un cas désespéré, vous savez... c’est une amnésie totale...
    Il l’attira contre lui, heureux de sa docilité. Se refusant d’obéir à une raison trop exigeante qui le voudrait résigné devant les demain à venir. Il ferma les yeux lorsqu’elle posa ses mains sur lui, pour ne plus ressentir qu’elle, douce et hésitante. Ne pas la bousculer, ne pas la presser, seulement savourer chaque seconde, la moindre caresse, son exigence naissante et… Non ! Pas déjà ! Pas ainsi… Il se devait de brider son impatience, de retenir ses doigts.
Il ne voulait pas la blesser. Ni l’inviter à chercher auprès de lui les mêmes joies que lui savait, déjà, ne pouvoir obtenir que par elle. Bien moins encore construire un bonheur qu’elle pourrait croire invincible et qu’il redoutait, lui, ne devoir être qu’éphémère.
    Il ne devait pas lui mentir, ne pas tricher. Ne rien taire.
    Alors qu’il ne désirait que s’abandonner à la chaleur qu’elle lui communiquait, et dormir enfin en paix, quelques heures. Qu’il ne demandait pas davantage que s’accorder une pause. Trouver la force d’anéantir un cauchemar, s’éveiller enfin… se permettre l’espoir... et revenir à la vie... Pour Julie.
    La vie… Le peu qu’il lui en restait… Si peu !
    Non... Il ne devait pas s’égarer dans une attitude qui n’aurait pour d’autre conséquence que compliquer davantage leurs situations respectives.
    Ni se leurrer à cause d’une attirance réciproque.
    Il était temps de se ressaisir, de séparer leurs routes, de la laisser libre pour un autre bonheur. Il soupira et se redressa.
- Il est l’heure, fillette. Je dois rentrer.
- Julien… Cessez ce jeu, il ne m’amuse plus... Embrassez-moi, encore !
- Je suis sérieux, ma douce.
- C’est... absurde ! Vous n’allez pas me laisser... pas... maintenant ?
- Il est très tard. Je suis navré. S’excusa-t-il, en la repoussant doucement.
    Comment pouvait-il, ainsi, s’en détacher, alors qu’il ne désirait rien davantage que le contraire ?
Aussitôt debout, il s’éloigna de deux pas, s’efforçant d’ignorer le regard hébété qu’elle fixait sur lui. Il lui tourna le dos, pour ne pas voir le lent affaissement de ses épaules, et sa nuque ployer sous la pâleur qui gagnait ses joues.  
    Il se dirigea vers la porte. Combien de pas avant de l’atteindre alors que sa voix s’élevait derrière lui ?  
- Navré ? Oui, vous pouvez l’être ! Vous ne valez pas mieux que Gabriel ! Et encore ! Dans ce genre de situation... avec lui, je savais où je mettais les pieds.
    Des mots jetés avec une telle amertume qu’il ne put s’empêcher de s’immobiliser, soudain soucieux de la calmer et de la rassurer.
- Julie ! Vous vous méprenez. Nous en parlerons demain, voulez-vous ?
- Pensez-vous vraiment que je vais m’exposer à une nouvelle humiliation ?
- Vous n’êtes pas en cause !
- Non ? Alors expliquez-vous ! Je peux tout entendre. Tout comprendre. Me croyez-vous indifférente à un moment de... faiblesse ? Que je ne puisse l’accepter ? Que je sois de celles qui ironisent ?
- Il ne s’agit pas de cela.
- Alors… quoi ? Je n’espérais rien ! Sinon vous offrir un peu de paix, simplement une nuit calme, sereine. Ou dormir près de vous... si vous l’aviez souhaité… Je ne comprends pas.
- N’essayez pas. C’est ainsi, je n’y peux rien.
- Ne me mentez pas, Julien, vous m’avez désirée.
- Oui… et autant maintenant. Mais cela ne me suffit pas pour aller plus avant.
    Ne lui suffisait pas ? Des mots que Julie recevait aussi brutalement que des coups, aussi cruellement que la pire des insultes.
Pour qui la prenait-il, qu’imaginait-t-il qu’elle attendait de lui ! Elle n’avait aucune aspiration à se lier à qui que ce soit !
Elle n’avait appartenu qu’à un seul homme et nul ne connaissait les blessures qu’elle dissimulait.
Différentes de celle qui le meurtrissait, lui, bien sûr, mais… ces blessures… ils auraient pu les oublier, l’un et l’autre. Et se réconforter mutuellement… Elle, seulement s’endormir entre ses bras, et lui, trouver peut-être un peu de paix contre son corps… Elle n’en espérait pas davantage.
- Julie, si vous saviez combien il m’en coûte de vous laisser !
    Il esquissa un geste vers elle, qu’il interrompit en la voyant se relever d’un bond et reculer à l’autre bout de la pièce.
- Surtout ne me touchez plus ! Articula-t-elle froidement. Sortez d’ici ! Je voudrais... je voudrais ne vous avoir jamais rencontré ! Une idiote ! Rien de moins ! À en mourir de rire ! Allez-vous-en !
- Dans le fond, c’est mieux, pour tous les deux !
- Disparaissez ! Vous entendez ? Dehors !
    Elle était trop en colère pour en écouter davantage. Et lui se trouva soulagé de la voir ainsi ! Sourde à tout ce qu’il eut pu lui dire. Et lui refusant toute attention, elle lui faisait ainsi impossible un éventuel retour en arrière.
    Julien soupira. Elle était déçue sans doute, blessée sûrement, mais il avait éveillé en elle une telle fureur que cette dernière ne pourra que l’aider à oublier qui aurait pu être
Et elle semblait s’être suffisamment reprise pour qu’il se décidât enfin à la laisser.
    Quelques jours, se dit-il… Quelques jours et sa vie reprendra un cours normal ! Elle n’était pas de celles qui faiblissent. Il voulait y croire…
    Julien referma lentement la porte derrière lui.
    Oui… Demain, elle n’y pensera plus, murmura-t-il.
Une certitude qui ne lui amena pourtant aucun réconfort.

 

Partager cet article
Repost0
4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 23:33

 

Une heure du matin !
Que faisait-elle, haletante et sans force, cramponnée au liseré de béton qui domine la Méditerranée. Pliée en deux, les poumons oppressés, et maudissant les dizaines de cigarettes qui faisaient son quotidien.
Au bord de la syncope !
À quelle folie s’était-elle livrée ? Courir à bout de souffle, projetant hors d’elle, à chaque foulée, la rage qui l’habitait, dans un survêtement humide de transpiration, et finalement se retrouver au bord de l’asphyxie, les mains tremblantes et pas certaine de dénicher en elle l’énergie nécessaire à un retour inévitable.
Elle se laissa aller sur le banc de pierre, se recroquevilla au maximum pour mieux se dissimuler aux véhicules qui rugissaient, à quelques mètres à peine, faisant siffler l’asphalte mouillée. Pas longtemps… Quelques minutes !
Et gommer le samedi, la nuit solitaire, cachée au creux du lit, abrutie de somnifère, refoulant au plus profond d’elle le désir qu’elle avait pour un homme.
Et le dimanche… un dimanche au téléphone muet. Rejetée par l’un après s’être trouvée malmenée par l’autre, elle se découvrait également oubliée de tous. Abandonnée à sa solitude.
Seule… terriblement seule… à dériver au milieu des vestiges d’hier emballés, et répertoriés. Des colonnes de cartons !
Julie en rirait si son cœur n’était si lourd.
Combien de fois avait-elle ouvert le réfrigérateur ? Combien de temps était-elle restée, immobile, devant les rayonnages vides, sans souvenance de ce qui l’y avait amenée. Rien de comestible ? Quelle importance ? Elle n’avait pas d’appétit, nul besoin vraiment pressant, sinon celui de répondre à l’exigence de gestes nés de l’habitude.
Combien de douches, chaudes, glacées, pour occuper les heures, reculer celle d’un coucher qu’elle craignait de retrouver plus froid que celui de la veille ?
Cette faiblesse en elle, cette dépendance pour laquelle parfois elle se méprisait... comment les étouffer à jamais ? Gabriel ! Avec lui... Combien de querelles, combien de chagrins, effacés sous ses mains ?
Combien elle l’avait désiré, yeux fermés, l’appelant, le dessinant, le regardant venir à elle… Et combien elle avait lutté pour le retenir, empêcher une illusion de visage de reculer et de se dissoudre devant le regard grave et presque triste d’un autre. De Julien. Pourquoi ? Qu’avait-elle fait ? De quoi était-elle coupable ?
 Julie se haïssait.
Cette beauté que chacune lui enviait, sans l’aimer, elle, pour autant, à quoi lui servait-elle ? Que lui apportait-elle ? Son existence ne se trouvait pas plus aisée ou plus heureuse de ce cadeau du hasard !
Au point de souhaiter, parfois, s’unir à l’une des silhouettes anonymes qu’elle croisait au hasard des rues, d’apparence agréable ou quelconque, s’y fondre et ressentir, et connaître et vivre, à travers elle, tout ce que le sort s’obstinait à lui refuser.
Sa chambre et le silence qui y régnait, son lit et la place désertée près d’elle... la maison entière s’était faite ennemie hostile.
Son existence entre des murs indifférents et aveugles, chaque image, chaque scène, chaque désespérance, tapies, tenues à distance par l’ordonnance pratique des jours... tout cela, marée d’ombres malfaisantes, avait surgi de partout et de nulle part, avançant vers elle, cernant le lit, pesant sur les draps, l’étouffant de leur poids, forçant la peau fragile des paupières closes.
Une bataille dans laquelle elle s’était plongée sans arme, vulnérable d’une souffrance inconnue.
Trop de regrets qui l’affaiblissaient, rien de tendre, de vivant, de rieur près d’elle. Elle donnerait beaucoup, son âme, pour entendre résonner un rire clair.
Et se pencher sur une tête plus petite, toute douce, si fragile d’inspirer trop d’amour… et s’émerveiller d’un babil, sursauter à des galopades et gronder pour la forme, et sourire, une fois, une seule ! à des frasques d’enfant.
Et guetter et attendre… et reprendre vie au bruit d’une clé dans une serrure, à celui d’un pas. Pas n’importe lequel !
Julie avait fui.
Pas seulement à cause des dernières heures.
La pluie ! Qui revenait, qui avançait sur elle.
Mais trop tard… plus de fureur à éteindre. Julie était vide de tout sentiment.
Elle regardait, sans le voir, un rideau de perles luisantes s’épanouir autour d’elle, l’envelopper, étoiler ses vêtements, éclater sur sa peau, y naître sources et devenir ruisseaux.
Elle se souhaita glaise sous leur force délicate, et être façonnée… à leur gré. Devenir autre, inconnue de tous.
Un nouveau visage, pas de ceux derrière lesquels elle se dissimulait. Un qu’elle eut plaisir à montrer, en permanence.
Combien elle était lasse de ce rôle de femme que rien n’effraie, maîtresse de son avenir et certaine de ses choix. Elle avait beau chercher autour d’elle, elle n’y trouvait rien qu’elle ait vraiment souhaité acquérir. En fait, hors quelques éléments de sa garde-robe, elle n’avait en rien modifié le décor dans lequel elle évoluait, séjournant dans son propre appartement ainsi qu’elle occuperait une chambre d’hôtel anonyme : prête à le quitter à tout moment.
Justine avait raison, ils auraient eu moins de peine à y effacer ses traces que celles de Gabriel.
    Elle sursauta au claquement d’une portière. Des pas… et…
- Bonsoir ! Toute seule ?
    Il était jeune, presque un gamin.
- Si vous voyez quelqu’un d’autre, prévenez-moi, rétorqua-t-elle.
- Je peux vous conduire quelque part ?
- Je suis très bien ici.
- Même sous la pluie ? Nous pourrions aller boire un verre...
- L’alcool est interdit pendant les cures de désintoxication.
- Avez-vous un problème ?
    Elle l’observa du coin de l’œil. Un peu agacée d’une insistance pesante. Elle laissa fuir un profond soupir.
- Un problème ? Bien pire que cela ! Se lamenta-t-elle. Mais à vous, je crois que je peux le dire... En fait... ajouta-t-elle en chuchotant, j’ai assommé mon ami...
- Comment ? S’inquiéta l’inconnu en reculant d’un pas.
- Oui… Je sais, c’est horrible, mais… Maintenant… Que dois-je faire ? Le noyer ou bien m’enfuir ?
- Vous plaisantez !
- Mais non ! Tenez, regardez ! Là ! Tout en bas… Lui indiqua-t-elle, en se redressant. Oui… entre les rochers... Je l’ai poussé et il est tombé.. Juste là ! Chuchota-t-elle en lui prenant le bras et le tirant après elle... Penchez-vous... Le voyez-vous ?
- Vous êtes... vous êtes folle ! S’écria l’homme en se libérant.
- Oui... et vous un témoin gênant. Souligna Julie froidement.
    Elle eut du mal à retenir son rire devant l’expression affolée qu’afficha l’inconnu, devant son geste de recul qui se fit aussitôt fuite.
En revanche, elle avait tout intérêt à prendre le large. Au cas où ! D’ici à ce qu’un aussi crédule que ce gosse lançât un avis de recherche avec son portrait-robot... Amusant ! En route... Demain était déjà bien entamé.
Elle pouffa… Quel idiot ! Et ces yeux ! Il y avait cru !
Voilà qui parvenait, en partie, à lui restituer un optimisme naturel !
Plus calmement qu’à l’aller, avec sagesse, elle s’appliqua à contrôler sa respiration et l’amplitude de ses foulées. Y prendre goût ? Pas question ! Un seul objectif pour elle, pratique, chaud, confortable... elle se voyait déjà, naïade exilée, s’immerger dans une eau parfumée.
Encore un peu de courage... Cent mètres... Sans forcer ni ralentir... Surtout sans s’arrêter, certaine de ne pouvoir s’élancer de nouveau. Vingt... Enfin ! La porte... Deux pas... Et dire qu’il en est qui faisaient cela tous les jours. Pitié ! Qu’on la soutienne, qu’on la transporte... Merci à un appareil magique, qui obéissait au doigt qui appelait, qui ordonnait. Un... trois ! Ah ! Elle y était !
Chez elle ! Et ne pas céder à l’invitation des fauteuils qui lui ouvraient leurs bras, ignorer la voix qui l’accueillait, qui lui disait qu’on l’attendait... Une voix ? Cette voix... celle-là !
- Gab ! Par pitié, pas maintenant.
- Mais... Julie, d’où viens-tu ? Tu t’es regardée ! Trempée, échevelée, à croire que...
- J’ai couru. C’est tout ce que tu as à me dire ? Alors, bonne nuit, je vais me coucher. Tu connais la sortie.
- D’accord, mais avant, nous devons mettre un terme à cette stupide situation. Peux-tu m’expliquer le pourquoi de tout ce chambardement ? C’est une plaisanterie ?
- Ces containers ? Ben… euh… ils renferment tes affaires, Gabriel…
- Mes… quoi ?
- Tout ce qui t’appartient. C’est simple, non ? Et si tu pouvais en emporter quelques-uns dès ce soir, ce ne serait pas plus mal.
- Julie, tu ne peux pas me demander cela ! Laisse-moi revenir m’installer près de toi.
- Dans quel but ? Reprendre aux douleurs passées, renoncer à ce qui fait ma réalité, aujourd’hui ? Tu te leurres. Sors de ma vie.
- Attends... Je crois que je suis allé trop loin, cette fois.
- Celle-ci, seulement ? Ça n’a aucune importance, je te connais bien, je sais que tu n’es pas méchant et je ne t’en veux pas. Mais nous deux... C’est fini, Gabriel.
- Vraiment ? Pourtant, il n’y a pas si longtemps, il m’a semblé... Julie, une nuit encore... comme autrefois, pour te prouver que j’ai changé.
- Et demain ?
- Tu seras libre de vivre, près de moi, selon tes désirs.
- Oui… Sinon que… Gab… c’est trop tard.
- Laisse-moi te montrer que tout peut renaître, laisse-moi seulement t’aimer, Julie...
- Ça ne changera rien entre nous. Et pourtant je voudrais tellement que cela soit possible… mais...
- À cause de cet homme ? Il ne peut pas déjà être si important, je me suis renseigné, il vient d’arriver dans ta vie.
- Julien ? Ohhhhh… Si tu savais... J’ai tant de peine...
- Il t’a fait du mal ? Dis-moi… Dis-moi tout… et je m’occuperai de lui.
- Mais arrête ! Arrête de réagir aussi… aussi… Ohhhh ! Gab, je suis si fatiguée... Je n’y comprends plus rien. Serre-moi, fort, très fort.
Ce torse puissant contre lequel elle laissait aller son désarroi, ces mains qui caressaient son dos, sa nuque, ces bras qui la berçaient… Ils savaient encore la rassurer, ils avaient toujours le pouvoir de l’apaiser. Mais Julie ne sentait plus monter en elle la vague brûlante, ni la pulsion de désir qu’ils éveillaient autrefois en elle.
- Je suis désolée...
- Mon cœur, ne dis plus rien, je t’aime, et, à cela, tu peux y croire ! Tous ces jours à penser à nous, et les heures à t’attendre, ici, dans un silence vide...
- Ici ! Au fait, comment t’es-tu introduit chez moi ? Mes clés ! Tu en as conservé un double... Tu n’es qu’un hypocrite, menteur !
- Je ne m’en étais jamais servi avant ce soir. Parole d’honneur ! J’étais inquiet, tu ne rentrais pas alors que ta voiture est au garage. Et ton téléphone n’a pas arrêté de sonner. D’ailleurs, tu devrais appeler ta mère...
- Ma mère... tu as parlé à maman !
- Oui, et j’ai l’impression qu’elle se fait du souci pour toi. De me trouver ici n’a pas eu l’air de la surprendre du tout, tu sais... bien au contraire !
- Gab... Combien de temps encore vas-tu me poursuivre ainsi ! Je ne ressens plus rien pour toi, du moins pas ce que tu souhaites... Ecoute… j’ai sommeil, il est tard, tu ferais mieux de partir.
- Tu ne peux pas avoir changé si vite, ni tout oublié.
- Bon ! Tu as raison ! Alors, autant s’en assurer. Vas-y, embrasse-moi !
- Mais... pas comme ça ! J’ai l’impression d’avoir une ennemie en face de moi.
- Depuis quand fuis-tu les batailles ? As-tu peur de la défaite ? Je ne t’aime plus, mais, qui sait, tu parviendras peut-être à obtenir de moi ce que tu es venu chercher.
- Julie !
- Quoi ? Tu es choqué, déçu ? Tu veux faire l’amour, t’offrir un moment de distraction ? Passe devant, je te suis, et après... eh bien, je pourrai enfin dormir !
- Tais-toi, ce n’est pas toi qui parles en ce moment. Où s’est perdue « ma » Julie ? Pour réagir ainsi, tu dois souffrir. C’est à cause de cet homme ! Mais qu’attends-tu de lui ?
- Rien ! Tout ! Seulement sa compagnie. J’ai besoin de lui mais... pas lui, je crois. Oh, tu n’as pas à t’inquiéter, tu sais ! Il a été très clair à ce sujet ! Gab… je suis si malheureuse ! Sanglota-t-elle soudain. Il ne veut pas… pas de moi... pour lui… pour lui… je ne suis rien d’autre... qu’une… qu’une coquille vide ! Il a dit « une… une jolie façade »… rien… rien de plus...
- Ne pleure pas ! Et puis, c’est idiot, tu es merveilleuse, n’importe qui serait fier de te posséder.
- Je… je pense Amour et toi… Toi… tu réponds Possession ! Pour toi, je n’étais que cela, un bel objet, mais le reste, tu t’en moques !
- Julie ! Tu es injuste, ce n’est pas totalement la vérité et tu sais que je t’aime.
- À ta façon ! Pardon, Gab. Renifla-t-elle… Il me désire aussi mais... cela ne lui suffit pas. J’espérais tellement de lui, et... et il m’a repoussée.
- Je suis certain que tu te trompes, surtout d’après son attitude de l’autre soir. Il est le premier à m’avoir tenu tête, et je crois que nous pourrions nous entendre !
- Tu le penses vraiment ? Murmura-t-elle, en le regardant entre ses larmes. Et en plus, il est blessé, tu sais. C’est affreux ! Un terrible accident, mais vraiment terrible, dont il n’est pas complètement remis.
- Seigneur, Julie ! Si tu voyais tes yeux lorsque tu parles de lui ! Allez, va prendre ta douche. Ensuite, tu files au lit, je te borde et je m’en vais. Demain, tu m’expliqueras ce qui se passe, calmement et nous tâcherons de démêler la situation.
- C’est vrai ? Tu ferais ça ?
- Vrai de vrai ! Tu sais que, pour toi, je serai toujours là.
- Gab chéri, si tu continues dans cette voie, je pense que je pourrais bien te garder comme ami.
- J’apprendrai à m’en contenter... Vois-tu, mon cœur, je ne supporterais pas que tu me haïsses.

 

Partager cet article
Repost0