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  • : La Page de Reginelle
  • : Ce blog est une invitation à partager mon goût pour l'écriture, à feuilleter les pages de mes romans, à partager mon imaginaire. Des mots pour dire des sentiments, des pages pour rêver un peu.
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Naissance du forum "Chaque être est un univers", ici à cette adresse :
 
 
Créé en collaboration avec Feuilllle (dont je vous invite à visiter le Blog – voir lien dans la liste à gauche). Tout nouveau, il n'y a pas grand-chose encore, tout juste référencé... il ne demande qu'à vivre et à grandir. Chacun y sera le bienvenu.

Et puis, j'ai mis de l'ordre dans les articles, au niveau de la présentation... ça faisait un peu fouillis ! Quoique… je me demande si c'est mieux maintenant ! On verra bien à l'usage.
Alors maintenant, voyons ce que ce Blog vous offre :

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4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 23:32

 

   Ed Musslër était furieux. Pure utopie que d’envisager que son neveu s’assagisse enfin ! À peine trois semaines dans un bureau et voilà qu’il exprimait déjà le besoin de prendre le large. Le digne fils de sa mère !
Encore heureux que le Professeur Robin ait refusé son accord pour que ce casse-cou retournât à ses activités.
Comment Julien pouvait-il baisser ainsi les bras ! Pourtant il était doué, intelligent, capable de s’intéresser et de réussir dans bien des domaines, et il ne lui avait pas été proposé le plus triste !
L’agence et le défi qu’elle lançait à des esprits audacieux, cadraient tout à fait avec le côté original et aventurier que ce casse-cou avait hérité de sa mère.
Lors de leur dernière entrevue, ils s’étaient pourtant entendus sur tout : quelques mois de délai, pour laisser mûrir une idée, et un début de formation, pour aboutir à une association avec Julie. Pour cela, Ed Musslër avait même avancé qu’il était prêt à leur offrir l’immeuble et tout ce qu’il contenait. Non, pas celui-ci, le nouveau !
Quant à sa sœur, en voilà une qui ne faisait rien pour lui faciliter la tâche. Elle, elle allait l’entendre. Rien de plus normal pour une mère que de soutenir un fils dans des moments difficiles, mais l’encourager dans ses aberrations, c’était aller trop loin.
   Julien n’avait plus l’âge d’entreprises périlleuses. D’ailleurs, le destin l’avait durement rappelé à l’ordre. Un coup de semonce à prendre au sérieux. Son métier en lui-même n’était pas vraiment dangereux, sinon sa façon toute personnelle de le concevoir. Après tout, nul ne lui demandait davantage que d’imaginer, fabriquer et veiller à l’installation de quelques systèmes de production efficaces, sûrs et économiques. Nul n’exigeait qu’il les mit en place lui-même ni d’en serrer jusqu’au dernier écrou !
Son neveu devait apprendre à se contenter de résoudre les problèmes assis à un bureau, derrière un ordinateur ou... avec du papier et un crayon...
   Quelle tête de mule ! Et cet ascenseur ? Il arrivait ou pas ?
   Pourquoi cet entêté se refusait-il à suivre ses traces ? Y avait-il de meilleur exemple à lui offrir ! Ed Musslër, parti de rien, - enfin, de presque rien -, pour se tenir, à soixante-six ans, à la tête d’une entreprise tentaculaire, qui s’étendait au travers de l’Europe et dans des secteurs très diversifiés. Une aventure exaltante ! Que pourrait-on désirer de plus ?
   Et c’était pour tenter de convaincre un « gamin » récalcitrant, qu’Ed Musslër s’était décidé à délaisser ses bureaux de Londres pour étouffer sous un soleil arrogant, et bien trop présent !
Marseille ! Une ville, à ses yeux, aussi belle que particulière. Qu’il ne pouvait concevoir transformée un jour en copie de Nice ou de toute autre cité accrochée au littoral méditerranéen.
Par endroits, Marseille envoûtait, ailleurs elle effrayait. Elle aussi, avait ses quartiers durs où il n’était pas indiqué de traîner à n’importe quelle heure.
La nuit elle se métamorphosait, drainant ses forces joyeuses vers le plan d’eau. Un entonnoir ! Voilà ce qu’évoquaient pour lui les rues Breteuil, Paradis, République, et la célèbre Canebière, qui déversaient autour d’un rectangle d’onde calme les noctambules en quête de lumières et de bruit. Il était plus difficile de se faufiler sur le Quai de Rive Neuve et celui des Belges à neuf heures du soir qu’en plein midi.
En milieu de journée, ceux qui y circulaient ne faisaient que cela, mais aux premières ombres, ils s’arrêtaient, n’importe où... Indisciplinés ! Tous les marseillais l’étaient. Un peuple léger, souriant, accueillant, peut-être seulement en apparence, offrant à chacun un sourire destiné aux gens de passage, pour que ces derniers gardent un bon souvenir de leur cité !
Marseille et son Vieux Port ! Il en était amoureux.
Il y avait quelques années de cela, à l’occasion d’une randonnée aquatique organisée pour sa femme et des amis. Avec une escale pour rendre visite à sa sœur et son mari, et surtout rencontrer cet écervelé de Julien. Qui, s’il s’en souvenait bien, lui avait fait faux-bond.
Julien… Pour qui il entretenait une profonde affection… Le fils qu’il n’avait pas eu.
Il l’avait pourtant bien suivi, surveillé même ! Depuis sa petite enfance, espérant guider ses pas, et contrôler ses aspirations. Mais il en avait négligé la vigilance d’une mère attentive à préserver la personnalité de son fils, et omis la possibilité d’un très fort esprit d’indépendance chez ce dernier. Déjà à l’adolescence... enfin…
Finalement, rien n’y avait fait... Julien avait su imposer ses choix, avec réussite, et devenir l’un des meilleurs de sa profession... Pour ce à quoi ça l’avait conduit !
Ed Musslër haussa les épaules, fataliste. Après tout… Nul ne pouvait aller contre le cours de la vie.
Pourtant, si l’idée de retrouver son neveu, à Marseille, l’enchantait, il eut préféré que ce fut dans d’autres conditions.
Les mêmes qu’autrefois.
Il se souvenait si bien de cette première arrivée au large du Vieux Port ! L’eau était couleur de plomb. La ville s’était montrée presque farouche, chaperonnée par des collines emmitouflées de voiles cotonneux. Sous un disque terni, les premières ombres du crépuscule montaient à l’assaut des écharpes soufrées d’un ciel frileux.
Et soudain, devant leurs yeux éblouis, une métamorphose inattendue de l’onde engourdie, tel un cadeau de bienvenue à l’amorce de leur approche. Comme si de par la volonté des dernières forces d’un soleil refusant la déroute, les flots s’étaient embrasés, et les vagues soudainement animées, ne furent plus que ferveur et impatience sous l’ardente caresse d’un rayon obstiné. La mer entière lui avait semblé vibrer dans l’ultime et brûlante étreinte d’un amant solaire.
Ils avaient glissé sur des lames ondoyantes d’argent bleuté, ourlées d’écume safranée, semblant fuir un incendie qui courait de crête en crête, gagnait les rives, effleurait les toits, s’élançait au-dessus d’eux, s’épuisant à atteindre les terres les plus hautes, les colorant de parme, et les illuminant d’or pur.
Ce jour-là, Ed Musslër fit la connaissance de Julie.
Debout, flamme vive, appuyée au mât du yacht auprès duquel ils accostèrent, elle lui était apparue offrande ou défi à l’exubérance céleste.
Et son sourire ! Ah ! son sourire ! Il lui avait ensorcelé le cœur.
Le premier visage qu’il avait rencontré en mettant pied à terre.
    Quelques semaines plus tard, il s’était porté acquéreur de cet immeuble situé en plein cœur de La Canebière, reprenant par la même occasion deux petites affaires qui vivotaient au deuxième et sixième étage, - la condition du vendeur à la signature du contrat - mais fermement décidé à cesser leurs activités dès que possible. Pas assez rentables !
    Quelle fut sa surprise, lorsque, à l’occasion de sa première visite en qualité de propriétaire, il se vit accueilli par cette même jeune femme. Accueilli ! C’était beaucoup dire ! Coincé, assailli, kidnappé dans un bureau, serait plus juste !
Le contraignant ainsi à l’écouter défendre son service, lui démontrant à force d’arguments sensés et réfléchis, comment ils pouvaient en faire une entreprise solide, sous la direction d’un certain... quel nom déjà ? Il avait oublié ! Sans importance.
    Car il avait capitulé, content d’une première défaite, séduit par un si bel enthousiasme, mais sous réserve d’une modification à la proposition de la jeune femme : si Julie voulait sauver « son » étage, eh bien, à elle d’en assumer la responsabilité !
    Il ne l’avait jamais regretté.
    Beaucoup d’humour, souvent tendre, parfois acide dans les encarts qu’il découvrait dans la presse, et une indépendance de ton, hors des sentiers battus. Tout Julie !
    Et voilà ce que son rebelle de neveu osait lui refuser ! Pas un travail de bureau quelconque, triste, monotone. Non ! Mais une fabuleuse association ! Ensemble, ces deux-là ne pouvaient que former une équipe imbattable ! C’était bien de Julien !
Tiens ! c’était amusant, il n’avait pas remarqué ! Julie et Julien !
À quarante ans, il était temps, pour son neveu, de poser ses valises, et de mener une vie calme et sereine...
Quoique… Une vie sereine… c’était oublier, un peu vite, l’épée de Damoclès qui balançait au-dessus de la tête de Julien. Menace à laquelle Ed Musslër se refusait à croire ! Il serait trop injuste d’avoir réchappé à un affreux accident pour... pour… Pas question ! Le mieux à faire, dans l’immédiat, était de prendre contact avec son ami Robin et avoir avec lui un entretien au sujet des risques réels que courrait Julien.
Avec une journée entière devant lui, Ed Musslër se faisait fort de mettre à profit ce délai pour ramener un obstiné à la raison.
Même si ne sachant pas trop déjà comment aborder la question. Une attaque de front ? Peut-être pas la meilleure façon, mais... avec un insoumis pareil ! Pour l’instant, autant arriver en douce, sans tambour ni fanfare. Ed Musslër se savait particulièrement doué pour l’improvisation.
Et puis c’était l’occasion de offrir le plaisir d’un saut dans le passé et voir comment les choses avaient évolué durant les dernières années.
Trois ans depuis sa dernière tournée. Il nota la nouvelle décoration, fraîche, jeune... Tonique ! Pourquoi ne pas s’en inspirer pour ses bureaux londoniens ? Quoique les couleurs heurteraient les esprits d’outre Manche !
Une atmosphère studieuse, laborieuse... de celles qu’il aimait ! Ah, Julie ! Il savait qu’elle ne le décevrait pas.
Pour accéder à son bureau, il devait les longer tous. Il avait appris à cerner ses méthodes. Elle disait que c’était le meilleur moyen, pour elle, de jeter un œil sur les travaux en cours à l’occasion d’une poignée de main, dès le matin. Et, pour les visiteurs, de constater, dès les premiers pas, le sérieux et la discipline de l’équipe.
Discipline ? La jeune personne en minijupe, vernis agressif et cheveux violets, semblait en manquer sérieusement. Mais, elle était mignonne et sans doute avenante, à en juger par le pétillement des prunelles d’un bleu presque transparent !
- Bonjour Monsieur. À quelle heure avez-vous rendez-vous ?
    Et aussi une voix à l’accent de la région !
- Pas besoin de rendez-vous, jeune fille.
- Oh ! Eh bien... Je suis désolée, mais mademoiselle Gaillette est en réunion et je ne..
- Gaillette ? Où est Julie Castel ? Que racontez-vous ? Que se passe-t-il ici ?
- Eh ! Du calme ! En fait, Julie Castel c’est Julie Gaillette... Elle a repris son nom de naissance. Allez savoir pourquoi ! Ça bouleverse tout le monde mais elle en a décidé ainsi, alors... ben, nous, on suit le mouvement. Si vous voulez vous asseoir, je peux vous proposer un café ou une boisson fraîche pour vous aider à patienter.
- Julie est vraiment très occupée ?
- Plus que ça ! Mais, sauf erreur, il n’y en aura pas pour longtemps.
- Vous paraissez très sûre de vous, Mademoiselle... ?
- Appelez-moi Claudine, et...
Des éclats de voix, signes évidents d’affrontement, leur parvinrent de derrière la porte close dont le jeune femme était la prudente gardienne, au point d’amener une légère rougeur sur ses joues rondes et douces.
- Oh là, là ! Ça barde drôlement ! Mais ne vous affolez pas, ce n’est pas méchant !
- En effet, j’ai l’impression qu’il y a de l’énervement dans l’air. Serait-ce coutumier chez Julie ?
- Non, en fait... jamais. Je vais la prévenir que vous l’attendez. Qui dois-je annoncer ?
- Ne vous donnez pas cette peine, je vais lui en faire la surprise.
- Ah non alors ! Vous ne pouvez pas...
- Votre téléphone sonne, Claudine, occupez-vous de lui et ne vous inquiétez pas de moi, je vous assure que Julie sera ravie de me voir.
- Stop ! Pas question de vous laisser...
- Mais… cette autre voix ? C’est Julien !
- Vous le connaissez ?
- Plutôt, oui ! Eh bien, c’est d’accord, voyez, je m’installe là. Je vous obéis… mais à la condition que vous me laissiez intervenir si je juge que la situation devient délicate !
- Entendu ! Alors, café ?
- Serait-ce trop espérer qu’attendre de vous une tasse de thé ?
- Je vais voir ce que je peux faire, et c’est bien parce que vous m’êtes sympathique.
- Merci infiniment ! C’est, en effet, une chance pour moi !

 

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4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 23:31

    - Mais de quel droit vous mêlez-vous des contrats que je traite personnellement ? Vous n’aviez pas à intervenir. Nous aurons de la chance si ce brave Ronaldo ne nous fait pas une crise cardiaque, vous alliez l’étrangler avec vos exigences. Qu’espériez-vous ? Un « bravo Julien ! » ? C’est raté !
    Plus qu’agacée : une écorchée vive ! Debout, appuyée des deux mains au plateau de palissandre sur lequel demeurait ouvert le dossier cause de leur querelle, Julie, colère pure dirigée contre un homme tout aussi furieux qu’elle, sans baisser le regard, sans qu’il détournât le sien.
- De votre part, Julie ? Je n’y compte guère. En revanche, ce client nous doit la bagatelle de six mille euros ! Et vous continuez à œuvrer pour lui ! C’est une aberration, un non-sens ! Par ailleurs, j’ai constaté également que vous confiez à sa rédaction des travaux que n’importe qui, chez nous, pourrait exécuter.
- « Constatez » ce que bon vous semble ? Pour votre gouverne, sachez qu’il y a six mois il nous en devait plus du triple. Je connais cet homme, son entreprise, les gens qui la font fonctionner. Ils traversent une mauvaise passe. Comme beaucoup. Comme nous, à un moment.
- Ce n’est pas une raison suffisante pour aider une potentielle concurrence ! Que souhaitez-vous ? Que sa société devienne florissante, puissante et par cela une menace pour notre avenir !
    Julie serra les poings. Où se croyait-il ? Qu’imaginait-il ? Qu’elle allait le supporter encore longtemps parmi eux ! Capable, sérieux, compétent, soit ! Mais de là à s’immiscer dans un domaine où il n’avait rien à faire... C’était la porte ouverte à tous les abus.
- Nôtre ? Vous ne faites que passer ici, Dieu merci ! Je les connais pour y avoir fait mes premières armes, j’ai démissionné au moment de mon mariage et j’y ai été accueillie à bras ouverts après mon divorce, au même poste, et sans qu’un seul émette une réserve sur mon efficacité. Croisez-vous souvent des individus de cette qualité ?
- Je ne mets pas en cause la valeur de ce geste, mais seulement votre manière de concevoir la gestion de ce service.
    Elle le savait ! Dès le premier jour, un de ceux qui analysent mieux que chacun ! Que connaissait-il de cette affaire ?
- Têtu, aveugle ou stupide ? Que choisissez-vous ?
- Vous dépassez les bornes !
- Vraiment ! Si je ne les avais pas soutenus, nous aurions pris le risque de perdre l’intégralité de notre créance. Parfois, il faut savoir donner du lest ! Les mettre en demeure d’honorer leurs échéances ? Les réduire à la faillite ? Qu’y aurions-nous gagné ? Alors... J’attends votre avis sur la question ! On se tait ?
- À quoi bon s’entretenir avec quelqu’un qui pense avoir raison en tout !
    Et c’était lui qui osait avancer un tel argument !
- Moi ? Cessons là ! En revanche, dispensez-vous, à l’avenir, de mettre votre grain de sel là où il n’est pas souhaité ! C’est clair ?
- Très ! Et vous, apprenez à respecter vos rendez-vous. Ce vieil homme, pour lequel vous semblez tant vous préoccuper, maintenant du moins, attendait votre bon vouloir depuis plus d’une heure !
    Là, ce mufle marquait un point ! Mais comment pouvait-il concevoir qu’entre le vieux Ronaldo et elle, la situation n’était pas ordinaire ?
- Ce n’était pas votre affaire. Se contenta-t-elle de répondre/
- Mais c’est lui qui m’a remis les documents ! En me priant d’y jeter un œil pour savoir si tout était en ordre.
- Assez ! Un regard ne veut pas dire une décision. Sachez rester à votre place, et tout ira bien dans ce foutu monde ! D’ailleurs, sans vous... Vivement que tout ceci s’achève. Neveu ou pas d’Ed Musslër, vous n’avez pas votre place ici ! Si cela ne dépendait que de moi, il y a longtemps que vous auriez vidé les lieux !
- Julie... Vous le pensez vraiment ? Ainsi ces bruits de couloirs sont fondés. Et moi... je refusais d’y croire !
    Une cassure dans la voix de Julien. Julie ne s’y attendait pas. Trop nette pour l’ignorer ou refuser de l’entendre.
Sincère également la stupéfaction triste dans les yeux de Julien ?
- Qu’insinuez-vous ? De quoi parlez-vous ? Tout ceci va trop loin. Je ne voulais...
- Quoi donc ? Mais vous avez raison, c’en est assez pour le moment. Puis-je disposer... Madame « Le Directeur » ?
- N’en rajoutez pas !
- Bien madame. Quoi d’autre ?
- Ne me poussez pas à bout !
- Loin de moi cette idée ! Madame sait où me trouver.
    Et Julie qui était prête à lui présenter des excuses, à tenter d’en revenir à leur entente d’hier, sentit enfler en elle des vagues de colère, aussi violentes, aussi amères et aussi difficiles à refouler que la peine qu’elle éprouvait devant les sarcasmes de Julien. Qui était le vrai responsable de ce conflit ?
- Je crois que je vous hais.
- Je le sais, Julie, c’est d’ailleurs une évidence pour tous ici !
    Il déraillait ! À quel moment avait-elle manifesté une quelconque animosité à son égard devant un tiers ? Comment osait-il la soupçonner d’être à l’origine d’une rumeur méprisable dont elle était la première à souffrir. Et comment pourrait-elle le poursuivre d’une vindicte aveugle et imméritée alors qu’elle l’évitait de son mieux et n’avait recours à lui que par l’intermédiaire de Claudine.
Jusqu'à Justine qui semblait lui en vouloir à cause de lui, et David qui était à manipuler avec des pincettes dès que le prénom de « Julien » était évoqué entre eux !
- Julie, serait-il, pour une fois, possible d’avoir un entretien calme et constructif ? D’ailleurs, je ne vous vois plus, plus moyen de vous parler, à croire que vous n’avez jamais le temps pour... pour nous.
- Nous ? Comme vous y allez ! Un membre de l’équipe, sans plus, qui doit obéir...
- Et se taire ? C’est nouveau ou seulement à mon intention ?
- Non... Julien... Oubliez cela, je suis désolée.
- Pas plus que moi.
- Reconnaissez votre erreur et ne parlons plus du reste.
- Bien volontiers, voilà... je me suis trompé. Satisfaite ? En revanche, je n’ai pas à accepter votre attitude. Rassurez-vous, Julie, je pars, j’ai pris mes dispositions en début de semaine.
- Vous partez ! Comment ? Sans en avoir discuté avec... avec moi... Bravo ! Et vous imaginez que je vais m’incliner devant une décision aussi insensée!
- Vous n’avez aucun pouvoir en ce qui me concerne.
    Hébétée, complètement désorientée, Julie ne savait plus que dire. Et maintenant ? Qu’avait-elle gagné dans cette stupide guerre d’usure qu’elle avait déclenchée entre eux ?
- C’est ce que vous croyez ! Et puis... partir... mais pour aller où ? Que comptez-vous faire ?
- Que vous importe du moment que je vous débarrasse de ma présence, c’est bien ce que vous souhaitiez, non ?
- Non ! C’est faux ! S'écria Julie, tremblante d'indignation. 
    Tendue pour maîtriser une soudaine envie de pleurer elle sursauta à la brutale  ouverture de la porte du bureau. Qui se permettait d’entrer ainsi ? Claudine ne saura donc jamais s’en tenir aux ordres reçus ?
- J’ai dit que je ne voulais pas être dérangée ! Cria-t-elle à l’intention de la silhouette qui avançait vers elle, et se figea un instant, bouche bée.
- Ed ? Murmura-t-elle… Si je m’attendais...
- Ma chère Julie ! Quel plaisir de vous revoir, surtout dans une forme si...détonante ! Et toi, Julien, j’ai entendu dire que tu te pensais au mieux de ta condition physique.
- Les nouvelles vont vite, et il était inutile de te déplacer pour t’en assurer. Mais je doute que ce soit la seule raison à ta présence ici.
- Seulement t’entretenir de l’idée complètement folle de remettre les pieds sur ces satanées plates-formes.
- Julien ! S’exclama Julie, la gorge nouée. Ce n’est pas vrai, vous n’allez pas vous exposer de nouveau... Vous oubliez votre état !
- Ce que je fais de ma vie ne vous regarde pas, Julie, souvenez-vous, c’est le seul point sur lequel nous sommes d’accord. Ed, nous en discuterons plus tard.
    Elle n’entendait plus rien, l’imaginait pris, englouti par l’une de ces affreuses et démentes sautes d’humeur dont les océans étaient coutumiers. C’était trop tôt !
Bien sûr, elle comprenait Julien, elle acceptait son désir de retourner à sa vie, à celle qu’il avait choisie, mais pas déjà... pas si vite ! Il prenait ainsi un trop grand risque... il n’était pas vraiment rétabli, il avait besoin de soins et d’attentions, et elle devait le retenir, le protéger de lui-même, et lui donner le temps et les moyens de revenir à ses passions sans faiblesse, de même qu’autrefois… aussi fort qu’avant !
    Elle ferma les yeux, ne voulant plus voir ses traits tirés par la fatigue, la tension qu’elle lui avait imposée. Une revanche ? Plus que cela ! Pour la première fois de sa vie, elle avait fait preuve de cruauté envers quelqu’un. À cause de...
    Comment pourrait-elle oublier les rires de Justine, la joie de sa nièce en lui contant la gentillesse de Julien, le film qu’ils étaient allés voir, ensemble, le repas qu’ils avaient partagés, les veillées « fantastiques » dans l’un des bistrots de la Plaine. Toutes leurs sorties, dont David était exclu ! Et elle, surtout.
    Et maintenant ?
- Julie ? Si vous consentiez à revenir parmi nous, vous me seriez d’un grand secours !
- Pardon, Ed. Vous disiez ?
- Je suggérais un déjeuner à trois, au cours duquel nous pourrions combiner une espèce de... d’association à... deux.
- Avec lui !
- Avec elle !
    Julie ne put retenir un sourire, se souvenant… les mêmes mots... ceux de Justine et David, lors de leur première rencontre, à leur première querelle… Sourire qui disparut très vite.
Mais elle tenait peut-être la solution à leur problème.
- C’est à étudier, qu’en pensez-vous Julien ?
- Que nous ne pourrons pas nous entendre. Voyez où nous en sommes sans enjeu véritable, que vous faut-il de plus pour vous en persuader ? Et puis, je préfère me tenir loin de... de… enfin… reprendre ma vie en mains, c’est tout. Et à ma façon !
- Eloigné de quoi ? De qui ? De moi ? Alors c’est à cause de moi... Vous partez simplement pour cette raison !
- Pas uniquement, mais reconnaissez que... entre nous, rien n’a jamais été commode et... Julie, vous savez pertinemment pourquoi !
    Julie fixa Julien, bouche ouverte, les yeux ronds. Ainsi donc, elle serait la seule coupable ? Vraiment ? Eh bien, s’il ne savait pas de quoi elle était capable, il était temps pour lui de s’y préparer ! S’aventurer hors de la ville, de sa sécurité et des soins qui lui étaient nécessaires ? Elle pouvait l’empêcher.
- C’est votre dernier mot ?
- Je suis navré… mais non… cela ne marchera jamais !
- Parfait ! Je savais déjà que vous ne m’appréciiez pas, mais j’étais loin d’imaginer une telle aversion à mon égard.
- Vous vous égarez, je ne peux pas croire que vous pensez sincèrement ce que vous dites !
- À votre avis ? Y a-t-il lieu de supposer différemment ? Je ne veux plus rien entendre. Vous êtes le seul responsable de cette situation. Ainsi donc, sans moi, vous accepteriez de rester ? Très bien, vous avez choisi ! Ed, je vous l’abandonne, tachez de le convaincre, la place est libre, je démissionne !
- Julie !
    Ils l'appelèrent, d'une même voix, porteur du même étonnement, totalement incapables de réaction devant elle, ramassant son sac à la volée, ses clés... Deux pas... Et un silence total succédant à la porte claquée avec sécheresse.
- Nous voilà bien ! Julien peux-tu m’expliquer ce qui s’est passé entre vous.
- C’est compliqué... et... je suis seul fautif. Ne tiens pas compte de sa sortie.
- Aucun risque ! Nous allons lui donner le temps de se calmer puis... nous aviserons. Alors, comme ça, c’est à toi que je dois tous ces ennuis.
- J’en suis navré, crois-le bien.
- Sans doute, mais, en attendant, je n’ai plus personne pour diriger tout mon petit monde, alors... tes envies de départ, tu peux les oublier, et débrouille-toi pour que la maison tourne rond.
- Moi… Ici ? Mais… Oh… Finalement, tout bien réfléchi, je crois que c’est elle qui a gagné !
- Penses-tu, une malheureuse impulsion, rien d’autre, que vas-tu chercher !
- Oui, c’est ça ! En plus du reste, prends-moi pour un naïf !
- Je n’oserais jamais. Je te laisse, fils, tu as du pain sur la planche ! Et puis, si tu as besoin d’un renseignement, n’hésite pas à l’appeler !
- Qui ? Julie ?
- Oui, elle se fera un point d’honneur à ne pas nous laisser dans l’ennui ! Je la connais.
- J’en doute ! Pas aussi bien que moi.
- Crois-tu ? Toujours aussi obstiné, à ce que je vois. Rejoins-moi à midi, nous déjeunerons ensemble, et je pense arriver à attraper le vol de seize heures.
- Tu t’en vas sans te préoccuper de ce tu me laisses sur les bras ?
- Tu es un grand garçon ! Bon courage !
    Ed Musslër s’éloigna en sifflotant. S’attarder sous ce soleil ? À voir ce qu’il en était de ces deux-là, il était plus prudent, pour lui, de regagner au plus tôt son brouillard londonien, sa Tamise et le flegme britannique. Quoiqu’il soit prétendu à leur sujet, il n’y avait rien de plus reposant !
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4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 23:30

 

Déjà trois jours d’envolés et une Julie intraitable, qui ne semblait pas du tout encline à revenir sur sa décision.
    Quant à Julien, il subissait, - qu’eut-il pu faire d’autre -, soutenu sans réserve par Claudine, toujours aussi efficace mais qui, hélas, avait perdu de son exubérance, qui ne pouvait retenir quelques soupirs, à peine discrets, ni parfois un regard de reproche.
    Une galère sur laquelle il avait l’impression d’user ce qui lui restait de résistance, sans parler de sa lucidité.
    Et ce parfum ! Il ne s’évanouira donc jamais ? Léger, subtil et tellement présent.
Il n’osait pas ouvrir un certain tiroir depuis ce maudit lundi durant lequel il s’était obstiné à entretenir en lui l’inutile et folle espérance qu’un week-end allait suffire pour qu’elle se calmât, et la voir arriver, mine sévère, reprendre place derrière son bureau.
Les tiroirs de son bureau ! D’où lui était venu la regrettable idée d’en faire l’inventaire ? Sans curiosité malsaine, rien de plus que le souci de visualiser les dossiers en cours.
Dans trois d’entre eux, rien de personnel, sinon des chemises cartonnées, renfermant de la correspondance d’ordre professionnel, des offres et des demandes de services divers. Et son agenda qu’il n’avait pas eu le cœur de compulser, le refermant aussitôt entrouvert sur la première page couverte d’une écriture brouillonne ou appliquée, mutine ou froide, tout à fait différente d’un message à l’autre.. à l’image de Julie.
Mais dans le dernier compartiment ! L’impression d’avoir défloré un jardin vierge d’intrusion seulement pour y avoir posé un instant les yeux. Et depuis, il résistait au désir de s’y promener.
Jusqu'à se découvrir impuissant à retenir sa main, à contrôler ses doigts, sourd aux reproches véhéments d’une conscience consternée de le voir se livrer à un acte interdit que seul un oubli, ou un moment d’égarement, rendait possible, et céder à l’irréparable.
Le trésor caché de Julie !
Là, à demi enfoui dans un lit de fleurs séchées, un minuscule panier de verre filé, subtilement teinté de rose. À son côté, un gros galet bien rond, veiné de bleu, de gris, de blanc, moucheté de parme, lourd au creux de la paume, et qui semblait porter encore en lui la chaleur accumulée tout au long des siècles durant lesquels les eaux l’avaient poli et le soleil adoré.
Comment rester indifférent au contraste qu’offrait la ligne effilée et pure d’un fragile dauphin avec le bloc d’onyx grossièrement taillé dont il jaillissait ? À la blancheur diaphane et nacrée des pétales d’une rose des sables prisonnière d’un écrin de cristal ?
Et aussi, à l’abri sous un globe translucide, Marseille, posée sur une mer mouvante, noyée sous une myriade de flocons au moindre renversement de la demi sphère. Cette ville, comment l’imaginer sous la neige ?
Des cartes postales, un livre... « Le petit Prince » ? Comment le lisait-elle ?
Était-ce une gamine qui ânonnait et s’émerveillait ou bien la femme adulte qui s’y plongeaient ? Pour elle-même, avec gravité ? Pour l’enfant à qui elle voulait transmettre l’histoire, avec tendresse ? Ou encore en se voulant simplement à l’écoute de l’ange doré qui se promenait au fil des pages, attentive aux questions exigeantes qu’il posait de sa voix douce, à sa logique naïve, à son regard curieux, étonné et triste ?
Ou bien, ainsi que pour suivre un voyage au travers d’un rêve délicat et insaisissable, accessible à peu, presque avec recueillement ?
Il se souvenait d’en avoir ressenti, lui, une émotion nouvelle à chaque lecture, suivant son humeur ou sa perception de l’instant.
Et puis, tout au fond, dissimulée au mieux, une boîte rectangulaire, qu’il ne put s’empêcher d’extraire de l’ombre, de poser devant lui, encore indécis à en dévoiler le contenu.
Du bruit dans le couloir, deux coups légers à la porte, et Justine déjà à l’intérieur de la pièce, rieuse, pressée, et enjôleuse.
- Coucou ! Comment va mon directeur préféré ce matin ? Alors, bien dormi ?
    Julien s’agaça, de cette invasion intempestive, non souhaitée. Il s’irrita davantage encore de la fausse image d’intimité que des mots traduisaient.
- Justine ! À l’avenir, attendez que je vous autorise à entrer, j’aurais pu ne pas être seul !
- Oui, je sais ! Pardon. Mille fois ! Mais je voulais vous remercier pour l’excellente soirée que nous avons passée hier !
- Rien de bien particulier pourtant, et j’ignorais qu’un banal repas dans une brasserie pouvait avoir autant de charme !
- Même en ma compagnie ?
- C’est vrai, j’oubliais l’essentiel. Eh bien, ravi de vous voir si heureuse. Maintenant, filez vite à vos occupations, David doit vous chercher.
- David ? Il ne sait que bouder ! Qu’avez-vous trouvé ?
- Rien. C’est à Julie. Des affaires personnelles.
    Trop tard pour la retenir, pour soustraire à sa curiosité le contenu de la boîte oubliée. Des enveloppes, un arc-en-ciel de couleurs, maintenues par un fin cordonnet d’or.
- Elle les gardait ici ? S’exclama la jeune fille. Et tout ça ?
- Laissez cela, Justine !
- Pourquoi ? Je vais tout emballer, et ce soir, je...
- Non ! Où vous croyez-vous ? Ceci lui appartient, ce bureau, ce siège... ils ne font que l’attendre. Que rien ne change d’ici à son retour. Si je vous surprends à fouiner dans cette pièce, vous aurez affaire à moi. C’est bien clair ?
- Julien ! Vous êtes fâché ? Je... ne comprends pas. Il en sera ainsi ! Vous pensez vraiment que Julie va reprendre son poste ! Vous ne la connaissez pas, lorsqu’elle a pris une décision, rien ne peut la faire changer d’avis.
- Je sais pourquoi elle agit ainsi et j’en suis seul responsable. À cause de moi, elle doit s’ennuyer à mourir chez elle !
- Ça m’étonnerait ! Impossible de la joindre jusqu'à très tard dans la nuit. Surtout depuis que Gabriel...
- Lui ? Il la poursuit toujours ?
- Tout dépend de ce que vous entendez par-là ! Moi, j’ai eu l’impression, qu’entre eux, le temps était au beau fixe. Ils sont inséparables.
- Au point de reprendre la vie commune ?
    Pourquoi un sentiment de frustration en lui ? Si fort qu’il ne s’aperçut pas que sa voix le trahissait... suffisamment pour allumer une étrange étincelle dans le regard de Justine.
- Si ce n’est déjà fait, cela ne saurait tarder.
    Pourquoi s’en étonner, et pourquoi tant de lassitude en lui, soudain ?
- Alors... si c’est vraiment avec lui qu’elle doit trouver le bonheur... c’est bien... Justine, je suis désolé, mais... j’ai pas mal de choses à voir ce matin.
- Oui, je comprends. À midi ?
- Comment ?
- Si je vous invite, vous déjeunez avec moi ?
- Ecoutez... je ne sais pas... je verrai... allez-y maintenant !
Qu’elle l’abandonne à la colère qui le gagnait, qu’elle sorte avant d’en faire les frais. Gamine écervelée, envahissante, sans cesse à croiser sa route, à presque lui imposer une présence qu’il n’acceptait que pour le seul fait d’être « sa » nièce.
Parce qu’en rejetant totalement Justine il lui semblait l’éloigner, Elle, davantage ? Pour un soupçon de ressemblance dans certains gestes, dans le sourire ?
Julie ! Tête de mule, toute arrogance, exaspérante, merveilleusement attachante, et, maintenant, à travers quelques objets et ce qu’ils avaient dévoilé, une totale inconnue.
Encore quelques minutes pour ramener la paix en lui, remettre de l’ordre, effacer son incursion dans un domaine interdit et... la boîte, ne pas l’oublier.
À sa place...
De l’aversion ! Julie le croyait-elle vraiment ? Alors que lui... Ne pas l’aimer !
Il devait dissimuler, la maintenir dans l’ignorance des sentiments qui l’habitaient... mais devait-il, pour autant, ne plus la voir, ne plus l’entendre, ne plus la respirer, ne plus rêver d’elle ?
Et puis, il avait besoin d’aide ! Julie ne pouvait lui refuser son assistance, même par téléphone interposé.
Si davantage lui était interdit, qu’il put, au moins, se permettre cela !
Et si elle ne voulait pas l’écouter, ni lui parler ?
Aucun risque, il savait comment l’y amener !
- Claudine ! Venez ici, immédiatement !
    Pas longtemps pour voir un minois ahuri par l’ordre lancé à travers une porte close, et deux yeux déjà inquiets d’une éventuelle erreur dans un courrier à la signature.
- Un problème ? J’ai fait une bêtise ?
- Vous ? Pas du tout, mais appelez-moi madame Castel. J’en ai par-dessus la tête de me battre avec une panique pareille !
- Vous parlez de Julie ? Vous exagérez, il n’y a pas plus organisé qu’elle.
- Je ne vous demande pas votre avis sur la question, débrouillez-vous pour la joindre et expliquez-lui que je ne sais comment aborder son incroyable labyrinthe d’affaires non résolues.
- Comment !
- Le moins qu’elle pourrait faire, serait m’indiquer la meilleure façon de m’y prendre. Quoique, du fait de son attitude et du peu de considération qu’elle semble accorder à une équipe qui s’est dévouée sous ses ordres des années durant, je doute que « Sa Seigneurie » y condescende.
- Hé ! Je ne vous laisserai pas...
- Un conseil, miss pipelette, trouvez-la et répétez-lui, mot pour mot, ce que je viens de vous dire.
- Si vous croyez que...
- Et qu’il n’y manque pas une virgule ! Mais... en fonction de sa réaction... vous pouvez en rajouter un peu, dans le même style, ou alors... arrondir les angles. Vous me comprenez ?
- Comprendre ? Je... Oh ! Oui, bien sûr ! Vous ne pourriez être plus explicite ! Monsieur Gauthier... à l’avenir, puis-je vous appeler Julien ?
- Il vous en a fallu du temps pour vous décider !
- Ces choses-là se méritent. Julien, je suis ravie de travailler avec vous.
- Je savais que nous arriverions à former une bonne équipe. Allez, dépêchez-vous !
- Si pressé que cela d’affronter les foudres d’une Julie hors d’elle ?
- Tout, et bien davantage, Claudine, plutôt que son absence.
- Je vous adore, et je parie que, dans moins de cinq minutes... votre vœu sera exhaussé.
    Et le seul qui saurait lui restituer une part de joie.
S’il pouvait fermer son esprit au nez de ses hésitations, faire comme si demain lui appartenait, et recevoir sans scrupule un dernier et merveilleux cadeau du destin.
    Julie et Gabriel ? Non, l’idée lui était insoutenable.
Il allait... Il allait... quoi donc ? Que pouvait-il faire ?
Il savait, pourtant, d’une totale certitude, que Julie faisait partie de sa vie, qu’elle lui était essentielle, tout autant que, déjà, trouver en elle l’écho parfait aux sentiments qu’il éprouvait...
Ou alors, il s’en fallait de si peu !
Mais laisser l’amour naître, s’épanouir entre eux, en elle, la condamner à la peine, à la douleur, ne lui apporter que cela, et par lui... ternir ses lendemains ?
Avec Gabriel ou un autre... elle avait droit au meilleur.
Pas à la souffrance.

 

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4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 23:29

 

La main sur le téléphone, Julien devait se rendre à l'évidence : il ne pouvait attendre plus longtemps. Un échec sur toute la ligne.
- Claudine, prévenez Paint que nous serons légèrement en retard à la réunion et demandez à David de me rejoindre avec la maquette du projet 128. Quelque chose m’échappe dans cette étude. Et apportez-moi le dossier Ronaldo.
    Une allure très sage, des cheveux d’un banal châtain, ordonnés par une coupe nette, des ongles rose pâle, un petit tailleur classique, et - il rêvait ! - une jupe aux genoux ! Voilà donc la Claudine de la semaine ? Il avait l’impression de changer de secrétaire à chaque lundi matin !
- Seigneur ! J’ai failli ne pas vous reconnaître ! En panne de fantaisie, ce matin ?
- Non, mais à force d’en user, elle devenait monotone ! C’est aujourd’hui que je suis originale puisque vous êtes surpris ! Tenez, Ronaldo et etc. Bien ! Deux appels pour vous. Un certain Professeur Robin qui vous demande de le rappeler le plus rapidement possible et Madame Gauthier, qui m’a priée de vous répéter quelques « gentillesses » à sa façon !
- Aïe ! Je devais dîner avec elle hier soir. Comment était-elle ?
- Furieuse. Poser un lapin à sa mère ! C’est du joli !
- Avec quelques fleurs... Puis-je compter sur vous ?
- Ouais ! On va tâcher d’arranger ça. Toujours au Sofitel ?
- Jusqu'à demain. Prévenez-la que ce soir, son étourdi de fils sera présent.
- Et pour le professeur ?
- Rien d’important, je sais de quoi il veut m’entretenir... Cela peut attendre.
    Un mois déjà ! Toujours la même ambiance, sous une autre tutelle, sans véritable changement, un intérim qui se prolongeait. Quelques difficultés avec certains clients, attachés à l’ancienne direction, qu’il avait su résoudre avec diplomatie, leur garantissant le respect des accords pris avec Julie Castel, précisant qu’il en regrettait lui-même l’absence, tout en leur assurant qu’elle ne saurait durer encore très longtemps !
S’il pouvait s’en persuader avec autant d’aisance, l’attente lui serait moins pénible.
    De nouveaux contrats, mais également un ancien, en suspens depuis des mois, et qui allait être ratifié, dans l’heure, au deuxième étage, chez Paint. Un projet sur lequel Julie avait énormément travaillé et qu’il n’avait eu aucune peine à conclure. En vérité, il avait hâte d’y apposer sa signature et d’en faire porter une copie au 334, avenue du Prado. Un cadeau, pour lui montrer qu’elle demeurait l’élément primordial de la grande famille qu’ils formaient à eux tous.
Et pourtant ! Leur dernière entrevue… Il se souvenait de sa colère, il entendait de nouveau le claquement de la porte soulignant sa sortie.
    Claudine s’était très bien débrouillée, Julie avait accepté de lui parler au téléphone, et elle s’était appliquée à traiter un dossier après l’autre, s’en tenant scrupuleusement à des informations, précisions et conseils en réponse aux questions posées, mais d’une voix nette et impersonnelle.
Pourquoi, en pleine conversation, avait-il cédé à la tentation d’ouvrir un tiroir à malices, d’en retirer tous les objets qui s’y cachaient, l’un après l’autre, les alignant devant lui. Pour la sentir plus proche en s’adressant à elle à travers eux ?
Quelle idée de l’avoir comparée à une rose des sables ; de l’avoir désignée aussi fortement emprisonnée dans son entêtement que ces fragiles pétales dans leur gangue de verre.
Combien le silence à l’autre bout de la ligne lui avait été pénible ! Et ensuite sa voix, à peine perceptible, qui le priait de ne rien toucher, de ne rien lui abîmer, le ton oppressé de détresse alors qu’elle s’accusait de n’avoir pas su mieux protéger ses trésors.
    Et lui avait réalisé que tous ces petits riens étalés représentaient bien davantage que quelques souvenirs, qu’ils dévoilaient l’aspect le plus intime de celle qui les avait ainsi réunis, une autre personnalité, cachée, sensible, et surtout vulnérable.
    Et alors qu’il s’évertuait à la rassurer, il s’était retrouvé écoutant un combiné qui lui serinait un signal de fin de communication. Elle avait dû rouler pied au plancher pour le rejoindre si vite, avant même qu’il se fût défait d’un sentiment de culpabilité.
    Elle ne lui avait pas même accordé un regard, semblant ne pas même l’entendre. Elle ne s’était préoccupée que d’atteindre une cachette trop abordable, le teint pâle et les gestes fébriles, contrôlant tout, enfermée dans un mutisme réprobateur, jusqu'à un cri.
- Où sont-elles ? Qu’en avez-vous fait ? Vous n’aviez pas le droit de les lire !
    Entre les mains de Julie, une boîte ouverte, ne renfermant plus aucun mystère ni la moindre magie. Le paquet de lettres aux couleurs de ciel après l’orage, disparu !
    Il lui avait été impossible de la convaincre de son innocence, ou du moins de la légèreté de sa faute. Elle n’était restée que le temps de réunir ses merveilles dans un carton, et il se revoyait, lui, puérilement adossé à la porte, dans une dernière tentative pour la retenir, et se justifier.
Il s’était effacé, libérant le passage, devant un regard où il n’avait lu aucune colère, sinon une infinie tristesse.
    Incapable de définir à quel moment le contenu de la boite avait pu disparaître, et bien moins encore le comment, il n’avait su que lui promettre de faire son possible pour le retrouver et le lui restituer au plus tôt. Puis il l’avait priée de se calmer, de tout remettre en place... Et de reprendre son poste.
- Ici ? Avec vous ? Jamais ! Lui avait-elle rétorqué.
    Et ensuite, alors qu’il la suppliait presque de lui pardonner sa stupide attitude, qu’il lui avouait combien elle lui manquait, ce fut bien davantage que de l’étonnement qui s’était affiché sur son visage. Lui, il avait pu y lire une expression de mépris mêlé d’ironie hargneuse qui l’avait ulcéré.
- Combien de conquêtes pour satisfaire votre appétit ? Avait-elle persiflé. Calmez vos ardeurs, Casanova, les bruits circulent vite. J’ai été stupide de ne pas y croire, désormais je sais que vous pouvez être capable du pire.
Il avait eu beau la questionner sur l’identité de celui ou celle qui s’était permis de colporter de tels ragots, rien n’y avait fait. Il n’avait reçu rien d’autre que le conseil de se tenir éloigné de sa nièce et elle avait exprimé l’exigence de récupérer son bien dans les meilleurs délais, tout en lui assénant que, pour être passé entre ses mains, ce dernier ne lui serait plus autant précieux qu’auparavant.
Et elle était sortie… de la pièce et de sa vie. Pourquoi se donner la peine de la maintenir à distance alors que d’autres s’en chargeaient bien mieux que lui ? D’autres ? Qui ?
    Julien jouait distraitement avec les rectangles colorés enfin retrouvés, les disposant en éventail sur le plateau de palissandre.
Le trésor perdu de Julie…
A peine s’était-elle éloignée que certains détails lui étaient revenus en mémoire. Trop tard, hélas !
Justine, seule, connaissait l’existence de ces lettres, et elle avait eu toute opportunité de s’en emparer.
Il les lui avait réclamées ce même jour, au cours du déjeuner, et elle les lui avait restituées sans soulever d’objection.
Depuis, il avait eu le temps... de composer un numéro et de raccrocher le récepteur avant la première sonnerie, et aussi celui de mesurer sa curiosité, de lutter contre elle, et enfin de décider de les conserver... en attente de son appel à elle.
    Sur chaque enveloppe, le nom de Justine et l’adresse d’un centre de soins, d’une écriture qu’il connaissait si bien désormais.
Cette écriture reconnue sur un document reçu au courrier du matin et soigneusement rangé dans le dossier ouvert devant lui. Rien de moins que les propositions à un avenant au dernier contrat avec les établissements Ronaldo. Des termes nets, d’une tournure qui lui était familière, des conditions plus qu’acceptables pour les deux parties et dans la continuité des accords précédents. Une présentation plus concrète pour être solidement argumentée par les annexes jointes. Mais qui lui donnait la bizarre impression d’avoir entre les mains un brouillon transmis par erreur en lieu et place de l’imprimé définitif... justement à cause de ces annotations manuscrites.
Il sursauta aux deux coups à la porte, qui s’ouvrit et une tête se glissa dans l’entrebâillement.
- Entre, David.
- Tu n’es pas prêt ?
- Oui, mais jette un coup d’œil à ceci.
    Devant le front plissé par l’attention, la lueur malicieuse qui gagnait les yeux gris, et le sourire de connivence qui distendait les lèvres de David, Julien comprit qu’il ne s’était pas trompé.
- Tu penses la même chose que moi ?
- Sans erreur possible, c’est tout à fait son style. Eh bien, Julien, au moins, nous savons à quoi elle occupe ses journées. Que vas-tu faire ? Le lui renvoyer ?
- Oui, mais auparavant...
    Julie, Julie ! À la fois juge et partie entre deux sociétés ! Si c’était un plaisir de la retrouver égale à elle-même, ce lui fut une joie que de laisser courir sa plume, de dessiner son nom à lui, près de ses arabesques à elle. Une façon de la rejoindre quelque part.
- Voilà une bonne chose de faite.
Restait à appuyer sur l’un des boutons de l’Interphone, et...
- Tu as signé sans rien discuter, sans émettre la moindre objection ? S’étonnait David.
- Me battre avec elle ? Trop risqué ! Ah, Claudine, tenez, à expédier de toute urgence, à l’attention de Mademoiselle Julie Gaillette. Avec une rose, une seule.
- De quelle couleur ? Rouge ?
- Non ! Pas de rose ! Elle pourrait croire que je la nargue et… je n’en sortirai jamais ! Faites-lui porter des... pensées ou... je ne sais pas... des fleurs qui sauraient, au mieux, lui traduire ce que je... nous ressentons tous pour elle.
- J’ai ma petite idée, c’est comme si c’était fait. Bon… Ceci étant réglé, faut que je vous dise que Michel crie au secours, l’équipe de chez Monetier est au complet et ces messieurs s’impatientent, il ne sait plus comment les distraire.
- Un peu d’attente ne leur fera pas de mal. Et toi, David, d’attaque pour la dernière bataille ?
- Fin prêt, mais je te préviens, ils sont roués, et tant qu’ils n’auront pas signé, rien ne sera gagné. Et pourtant, c’est la meilleure maquette que nous ayons pondue à ce jour.
Et c’était justement cela qui intriguait Julien. Il ne saisissait pas le pourquoi de tant d’hésitations alors que le projet initial n’avait jamais été réellement mis en cause, hors quelques légères modifications, des vétilles, presque rien. Des chicaneries sur des éléments sans grande importance, tel le choix d’un mannequin, d’une couleur, d’un lieu de tournage plutôt qu’un autre... Rien d’essentiel, ou d’insoluble.
- Julie pourrait t’en dire davantage, continuait David. Tu sais, elle revenait de ces discussions, folle de rage.
Julien hocha la tête, pensif. Toutes les étapes des transactions montraient clairement que Julie tenait à cette affaire autant que les individus qui les attendaient au second. Et pourtant, elle n’avait cédé sur rien, pas même sur certains points insignifiants, annotés ainsi que possibles concessions.
Elle l’avait d’ailleurs initié à cette stratégie, faire d’un détail une totale obsession pour l’adversaire, et le lui offrir quand il s’y attendait le moins, mais seulement après s’être assuré de l’essentiel.
- Tiens, regarde, David, tout est noté dans ses comptes-rendus.
- Un fichu caractère, mais, il faut avouer qu’elle sait y faire !
- Oui, mais... je pense que c’est plus sérieux que cela. Elle s’est battue sur toute la ligne, mais si j’en déduis qu’elle a adopté cette conduite de façon délibérée, elle seule pourrait expliquer ce qui l’y a poussée.
- Tu veux que j’essaie de la joindre ?
- Non, c’est trop tard, nous verrons sur place. Alors, David, on y va ?
- Je te suis, à toi l’honneur.
- Nous allons remporter cette victoire. La sienne !
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4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 23:28


- Encore un faux prétexte !
- Non, Julie, tu dois absolument venir. C’est très sérieux, insista patiemment la voix de Nicole, ils t’attendent et Monetier est furieux. Il exige de te rencontrer.
- Moi ? Ce type ! Il ose exiger ! C’est un macho impudent et répugnant.
- Tu as vingt minutes.
- J’y serai ! Capitula Julie, presque joyeuse. Et préviens Julien !
Un coup d’œil dans le miroir... Si peu de temps ? Elle n’y arrivera pas. Mais, après tout, quelle meilleure revanche pour elle que se présenter ainsi pour fêter le contrat de l’année ?
    Et Julien l’appelait ! Il lui manquait tellement ! D’ailleurs, sans cette sotte de Justine, elle aurait pardonné depuis longtemps.
Pardonné quoi ? De lui en préférer d’autres, et une en particulier ? Pourquoi avait-il choisi justement sa nièce ?
Dans l’immédiat, il semblait avoir besoin d’aide pour elle ne savait quel problème dans ce satané projet, et elle ne pouvait refuser de lui apporter la sienne ; mais, si cela se révélait un quelconque piège, elle le lui fera payer cher.
    Dans les locaux de chez Paint, l’ambiance était tendue.
    Et pourtant, au début de la réunion, rien n’avait laissé prévoir une telle évolution. Un échange de banalités, des remarques sur les maquettes exposées, pas d’affrontement réel sur un contrat aux termes arrêtés depuis des semaines. Jusqu'à une petite phrase... et les sourires entendus qui l’avaient accompagnée.
- Où se cache Julie Castel ? Pour la dernière étape, vous auriez pu nous offrir, une fois encore, le plaisir de la rencontrer.
Julien avait avancé l’excuse maintes fois répétée de quelques jours de vacances, présenté ses regrets devant la déception due à l’absence de celle qui avait tant contribué à la réussite du dossier qui les occupait, tout en ressentant un début de malaise aux regards égrillards échangés devant lui.
- Des jambes splendides, avait poursuivi Monetier, et pour le reste... fffffffff ! On ne doit pas s’ennuyer avec elle.
Une insinuation trop nette pour feindre l’ignorer, et Julien n’en avait nullement l’intention. Il avait concentré son attention à contrôler ses gestes et brider le désir de les envoyer au Diable, tous sans exception, et ce fut très lentement, devant les yeux effarés des membres de son équipe, qu’il avait rassemblé les documents exposés devant lui et qu’il les avait rangés dans la serviette de cuir d’où ils n’auraient jamais dû sortir.
- Mais… mon cher Gauthier, vous oubliez le plus important... il manque les signatures !
- Je n’ai plus l’intention de signer quoi que ce soit.
- Plus l’intention de… Là… vous plaisantez !
- Absolument pas... Je crois que vous n’avez rien compris ici ! La seule qui en ait le droit, c’est Julie Castel, qui n’a jamais été un moyen de diversion, et bien moins encore une possible et facile distraction que nous aurions eu la largesse de vous offrir. Vous avez commis une faute, Monetier, une erreur énorme, à la dimension de votre grossièreté.
- Voyons, ce n’est pas sérieux ! Nous savons à quel niveau se concluent les accords importants et une femme n’a rien à y faire !
Julien tenait l’explication qu’il cherchait à l’obstination de Julie à ne céder sur rien. Debout, prêt à se retirer, et sur un signe à David de réunir les éléments dispersés sur la table, ce fut d’un ton sans réplique qu’il avait souligné la compétence de celle qu’ils avaient cru interlocutrice négligeable.
Rien de moins que la véritable directrice de l’agence, la seule à y avoir droit de décision et qui avait traité avec eux d’égale à égal à l’occasion d’un projet auquel elle avait beaucoup apporté. S’ils désiraient réellement qu’il se concrétisât, ce sera uniquement avec elle. Il leur offrit donc de choisir entre faire une croix sur des heures de travail et gâcher ainsi une merveilleuse opportunité, ou bien attendre qu’elle revienne aux commandes du navire.
Et cela, en supposant que Julie acceptât d’oublier, un temps, leur propre différend, pour seulement rencontrer Monetier, vu le comportement arrogant et misogyne de ce dernier.
Il n’avait eu qu’à prier Claudine de la contacter et depuis...
Encore quelques minutes, et il l’aura en face de lui. Comment allait leur apparaître Madame Julie Castel, reine incontestée d’un royaume affreusement vide sans elle ? Sous quel visage ?
Tourné vers l’extérieur pour dissimuler à tous l’émotion qui le gagnait simplement d’anticiper sa venue, Julien s’amusait à dessiner des paupières, persiennes d’azur voilant l’ambre chaud de pupilles dorées. Il souriait à des cheveux soie mouvante qu’il voulait, pour l’occasion, soigneusement disciplinés dans un chignon sévère. Et pendant qu’autour de lui, chacun s’occupait à distraire une attente, il s’aventura à imaginer des lunettes en équilibre sur l’arête fine d’un nez, il s’appliqua à dissimuler un corps sous le croquis strict et austère d’un tailleur. Il s’attarda, à appeler sous ses mains la chaleur d’une peau, jusqu'à se perdre à suivre la ligne parfaite du galbe d’une jambe sous l’étoffe tendue d’une jupe étroite. Et alors que certains s’impatientaient, il ferma les yeux en évoquant la saveur d’une bouche, il rêva de la tendresse d’un sourire et il s’enivra de la douceur d’une voix, indifférent à celles qui s’animaient derrière lui.
- Bonjour, messieurs ! Non, je vous en prie, ne vous dérangez pas, je ne fais que passer. Gauthier, qu’y a-t-il, ici, de si important qui exige ma présence ?
    Julien opéra un demi-tour, incapable d’articuler un son devant la silhouette qui, après avoir salué les uns et les autres, se dirigeait droit sur lui. Madame Castel ? Qui ? Certainement pas la gamine qui le défiait, menton dressé, poings sur les hanches et espadrilles aux pieds. Pas cette arrogante fillette en liquette jaune transparente sur bustier fleuri et corsaire noir, à la queue de cheval embroussaillée ramenée sur une épaule, et, pour couronner le tout, sans fards ! Qu’on le pince !
- Julie... vous me surprendrez toujours !
- Et moi, j’avais demandé à ne pas être dérangée ! N’avez-vous pas pleine autorité pour expédier les affaires courantes ? Alors ? À quoi rime cet appel ?
    Maîtrisant à grand-peine un sourire, Julien se contenta de s’adresser à tous.
- Messieurs, excusez-nous, Madame Castel et moi-même avons à nous entretenir.
    Il saisit Julie par la main, prenant garde de ne pas trop la serrer, et, satisfait de ne rencontrer aucune opposition, il l’entraîna après lui, jusqu'à la pièce voisine. S’il était heureux de la découvrir égale à elle-même, il n’avait aucun désir d’en faire les frais en public.
    Porte refermée sur eux, hors de vue et à l’abri de toute oreille indiscrète, il la libéra et se campa devant elle, bras croisés,  
- Petite peste, je vous offre une revanche sur ces hommes, pas d’essayer vos griffes sur moi.
- Je ne sais ce que je préfère entre les deux. Pouffa-t-elle, espiègle. Allez ! Dites-moi ! Vite ! Tout est signé ?
- Ils sont prêts à le faire, mais pas nous.
- Vous êtes fou ! S’écria-t-elle, perdant tout sourire. Il ne fallait pas hésiter ! Qu’attendez-vous ? Qu’ils reprennent leurs billes ?
- Votre paraphe, Julie, seulement le vôtre, et c’est cela ou rien.
- Mais pourquoi ?
- En ce moment, je m’en mords les doigts. Très réussie, votre entrée en scène.
- Vous l’avez appréciée ? Le taquina-t-elle, de nouveau radieuse.
- Digne de la cabocharde que vous êtes.
- Et qui n’était pas calculée du tout, pure improvisation. Je n’ai pas eu le temps, surtout, de faire autrement... Mais, pour conclure cette affaire, vous ou moi, c’est pareil. Julien... si c’est pour m’obliger à revenir...
- J’aimerais bien mais...non, seulement pour donner une leçon à ce type. Il vous trouve à son goût, mais pas de taille contre lui, une sorte de jolie plante verte, sans cervelle.
- Il n’est pas le seul, persifla-t-elle, vous êtes faits pour vous entendre, tous les deux.
- Julie… J’étais très en colère, ce jour-là.
- Je veux bien le croire, et... c’est fini, n’en parlons plus ! Mais pour ce qui est de Monetier, je l’ai eu, et il n’a rien vu.
- Dans ce cas, dépêchez-vous d’entériner le contrat avant qu’il ne le réalise.
- Sérieusement ?
- À plus forte raison maintenant. Une armée de mâles imbus de leur virile supériorité conduite à la défaite par... un pirate en herbe ! En piste, moussaillon, et que les eaux nous soient clémentes !
    Ils eurent droit à une Julie, souriante, mais qui ne prit pas même la peine de s’asseoir, soulignant ainsi sa hâte d’en finir au plus tôt. Elle visa chaque page présentée d’un mouvement distrait de la main guidant le stylo, sans interrompre un badinage léger. Une fois terminé, elle fit le tour de la table, saluant chacun, s’immobilisa près de Julien, assis, contre lequel elle s’appuya le temps de s’adresser à tous.
- Eh bien, Messieurs... je vous laisse... C’était un plaisir que de traiter avec vous, et j’espère qu’il en ira de même à l’avenir...
    Julien se raidit sous la main qui pesait à peine sur son épaule. Elle partait ? Ainsi ? Sans attendre ?
Et eux ? Où en étaient-ils ?
- Julie, nous n’en avons pas fini. Murmura-t-il à son intention.
- À quel sujet ? Répondit-elle sur le même ton. Dans cette affaire, je ne vois rien en souffrance.
- Accordez-moi deux minutes et je vous rejoins à côté.
- Désolée, Julien, je suis pressée.
 - Vous ne me laissez pas le choix ! Déclara-t-il en se redressant, visiblement prêt à poursuivre leur dialogue plus loin.
- Julien !
- Venez, j’ai deux mots à vous dire, Claudine et David s’occuperont des derniers détails.
- Non, insista-t-elle, votre présence est indispensable. Je vous promets de vous appeler, et...
    Une hésitation en lui, parce que la voix se fit plus amicale, et le regard plus chaleureux.
- Et je tiens toujours mes promesses, Julien.          
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4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 23:27

 

Rusée comme un renard !
Julie avait promis de l’appeler mais s’était bien gardée de préciser quand.
    Julien aurait dû s’en douter, tant pis pour lui.
    Combien, après la joie d’en revenir à des rapports cordiaux, cette fameuse journée n’en avait pas fini de s’étirer ! Jusqu’au dîner avec sa mère d’abord, auquel il s’était rendu très tard. Durant lequel il s’était appliqué à éluder les questions brûlantes d’une mère inquiète, se montrant au mieux de sa forme pour la tranquilliser, lui promettant tout ce qu’elle exigeait. Même de rencontrer le Professeur Robin.
- Tu reportes cette entrevue depuis un mois, ce n’est pas sérieux. À te regarder, j’arrive à admettre que tu ailles beaucoup mieux, mais en avoir la confirmation me rassurerait totalement.
    Autant se résigner et s’exécuter de bonne-grâce.
- Suzanne t’embrasse très fort également.
Il y avait longtemps que son ex-femme n’avait pas fait une incursion dans son quotidien.
- Elle a manifesté l’intention de te rendre une visite, mais j’ai réussi à la convaincre qu’il valait mieux vous entendre avant.
    Ce dont il l’avait remerciée in petto, se promettant de ne surtout pas arriver en retard à l’aéroport. Il pouvait concevoir l’impossible, excepté que l’avion qui devait ramener sa mère à Paris décollât sans qu’elle fût à son bord, ou bien qu’un autre n’en amenât une partie de son passé et pas la plus agréable.
- Elle a beaucoup changé, tu sais, nous déjeunons souvent ensemble et Nicolas te ressemble de plus en plus.
Ce à quoi Julien avait répondu par une moue dubitative. Son fils… il ne l’avait eu près de lui qu’à peine trois ou quatre semaines, au cours des deux dernières années, et il ne l’avait plus revu depuis l’accident. Que devenait-il ? Se souvenait-il seulement qu’il avait encore un père ? Il ne répondait pas à ses lettres et il était plus difficile de le joindre par téléphone que contacter l’Elysée ou la Maison Blanche. Suivant les heures auxquelles Julien tentait de parler à son fils, ce dernier était, soit déjà endormi, soit absent, à croire qu’il avait engendré une marmotte ou un éternel errant. Assurément l’attitude délibérée d’un fils voulant punir un père qu’il considérait coupable du pire, sous les encouragements d’une mère certaine ainsi de conserver l’exclusivité de son enfant.
Il pourrait, bien évidemment, le contraindre à passer quelques jours près de lui, mais à quoi bon envenimer une situation déjà difficile ? Et puis, à Paris, veillé par l’affection de ses grands-parents, Nicolas connaissait un semblant de vie de famille, chose que, à Marseille, et surtout dans les conditions actuelles, Julien savait ne pas être en mesure de lui apporter.
Mais aux prochaines vacances, si son fils acceptait de traverser la France, si Suzanne ne changeait pas d’avis d’ici là, et si... tout se passait bien pour lui-même... Beaucoup de conditions à de simples retrouvailles entre un fils et son père.
Julien avait quitté le restaurant avec la certitude de fuir sa mère, et presque décidé à faire appel à un taxi pour la conduire à Marignane...
N’importe quoi plutôt qu’envisager une heure entière à écouter ses recommandations.
Il ne la comprenait plus. Alors qu’à l’adolescence, période dénoncée difficile par nombre parents, elle ne s’était jamais immiscée dans les décisions qu’il prenait, l’affirmant libre de ses choix et de ses actes, depuis son divorce elle s’entêtait à le considérer tel un orphelin sur lequel elle devait veiller.
Et une réelle inquisition à dater de son accident. Pour ne pas avoir donné de ses nouvelles durant seulement trois jours, il avait pu apprécier le résultat de sa négligence. Son père devait être furieux.
Et maintenant... que faisait-il là ?
Au troisième étage, tout était éteint. Il était près de minuit, pas l’heure idéale pour se présenter chez Julie. La réveiller ? Sous quel prétexte ?
Dans quelques heures il devra se rendre dans le service du Professeur Robin. L’hôpital... il en avait la chair de poule rien qu’à l’évoquer. Parfois, il lui semblait porter encore, sur lui, cette odeur aussi particulière que déprimante.
Deux mois entiers à Paris, isolé dans une chambre stérile et austère, aux murs verdâtres, coincé dans un lit par une faiblesse d’enfant nouveau-né, trop loin d’une fenêtre aux carreaux gris d’un début d’hiver, abruti par les calmants et les vapeurs d’éther, écœuré jusqu'à la nausée par un relent permanent d’antiseptique imprégnant l’atmosphère, les draps, les vêtements et jusqu'à la nourriture.
Deux encore pour achever de reconstituer son épaule et une partie de son dos, un véritable travail d’orfèvre qui avait presque restitué à son bras une mobilité initiale. Sans les élancements qui le rappelaient à l’ordre à l’occasion d’un mouvement spontané, douloureux pour être trop rapide, ou lorsqu’il négligeait de se ménager, il eut pu se jouer la comédie d’un mauvais rêve. Seule consolation, il était, avant la chute, dans une excellente condition physique, ce qui, d’après la dizaine de chirurgiens et de professeurs mandés à son chevet par Ed Musslër, l’avait sauvé. Une manière optimiste, ou ironique, d’envisager la situation.
Il lui restait à affronter une mauvaise blague du destin : cette maladie sournoise, moins spectaculaire que d’autres, mais qui devrait, au bout du compte, et s’il s’en tenait aux résultats des derniers tests subis, le mettre à genoux. Une atteinte du sang, une affection rare d’où un traitement davantage expérimental que justifié par l’usage, essentiellement basé sur la résistance du « sujet », - cobaye serait plus indiqué -, et le temps... Surtout du temps. D’après Robin, seul ce dernier jouait en sa faveur. Et pour la première fois de toute son existence, Julien s’était surpris à douter... et à redouter...
Et c’était peut-être de cela qu’était née l’urgence de rencontrer Julie, de lui parler, de se confier à elle...
Ridicule ! Elle avait déjà bien assez de ses problèmes personnels et puis, elle semblait si peu se soucier de lui...
Non, cela, il n’avait pas le droit de le penser.
Sa « démission » n’avait d’autre but que celui de le contraindre à assumer son poste, et de, ainsi, le coincer dans Marseille. Une manière de le protéger et elle y avait réussi.
Quant au reste, la tension entre eux et la situation idiote dans laquelle ils se trouvaient, il en était seul responsable.
Un véhicule approchait... Qu’il reconnut.
    Minuit un quart, elle n’était pas seule mais elle qui conduisait. Julien céda presque à la tentation inutile de se baisser pour mieux se dissimuler. Elle passa, devant lui, sans prêter la moindre attention aux véhicules stationnés aux abords de l’entrée du parking souterrain.
À quelques mètres, mais assez près pour que Julien put entrevoir deux visages souriants.
    Une main sur la poignée de la portière, décidé à les rejoindre, à la prier de lui accorder un instant... il hésita, regard fixé sur des carreaux d’encre noire, et devint attentif lorsqu’ils se firent flaques de lumière, redoutant ce qui pourrait en émerger. Et il tressaillit aux silhouettes jointes, s’en détourna, poursuivi par la dérive des deux ombres enlacées… et il soupira de soulagement lorsqu’elles se désunirent avant même de se dessiner sur la chaussée devant lui. Une étreinte trop brève pour ne pas être qu’amicale. Encore quelques minutes, et il se sentit tout à fait libéré au bruit d’un moteur, à une carrosserie qui pointa ses chromes sur la chaussée... Un vrombissement, des feux qui s’éloignèrent...
    Et ce fut lui qui renonça ! Un tour de clé, deux tours de roues, trois rues plus loin.
    Pourquoi Julien ? Une fuite rien moins que stupide !
    Là-haut, Julie se métamorphosa, se défit de ses ornements de fête, et revêtit des effets dont elle avait dévié l’usage depuis quelques jours.
    Lasse de s’échiner à trouver le sommeil, nuit après nuit, elle avait pris la ferme décision d’épuiser son corps avant de le glisser entre les draps.
Pas imprudente au point de recommencer une certaine expérience dont elle avait gardé longtemps des ampoules cuisantes, elle s’offrait désormais cinq ou six galopades autour du pâté de maisons. Jusqu'à ce que résonnât en elle un signal qu’elle avait appris à deviner.
Plus d’ascenseur complice. Désolée l’ami... L’exercice commençait dès le pas de la porte... Une, deux. en souplesse, sans forcer l’allure, avec retenue.
Quel dommage, Julie ! Julien était bien loin déjà !  

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4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 23:26


- Voilà, mes amis, je pense que nous avons fait le tour.
Tout était en ordre. Devant Julien, les dossiers en cours, avec les notes et les précisions qu’il avait jugé utile de donner.
- Et tu nous quittes, comme ça, sur-le-champ !
- Je suis navré, David, mais je ne peux pas faire autrement.
- Sans plus d’explication ? Tu as bien une raison pour agir ainsi.
- Evidemment, mais je n’ai pas à la donner. Et puis Julie ne tardera pas à reprendre les choses en main. Elle n’est pas encore avertie, mais je crois que tout se passera bien.
- Nous devons l’informer immédiatement de ta décision.
 - Elle n’a rien à y voir, et elle ne me fera pas changer d’avis. Ecoutez, je ne veux qu’éviter un nouvel affrontement entre nous, et je vous demande, comme un service, d’attendre mon départ. En revanche, demain, son humeur sera bleu indigo.
- Merci du cadeau !
- Raymond, je ne tolérerai pas...
- Hé ! Je faisais allusion à ce qu’elle va nous faire subir, pas à son retour, elle me manque autant qu’à tous.
- Excusez-moi, j’avoue que je suis un peu nerveux moi-même.
- Et pour te joindre ? Claudine a tes coordonnées ?
- Non, David, et... ce ne sera pas nécessaire, je vous appellerai dans quelques jours. Tout est dit... Le temps d’un dernier coup d’œil de contrôle et je vous laisse. Portez-vous bien, tous. Et... À bientôt.
    Dans un brouhaha de chaises repoussées, d’échanges d’avis, de grognements, ils quittèrent la pièce.
 
Enfin seul, Julien inspira et expira profondément, ramenant ses pensées à son rendez-vous matinal à la Timone.
L’entrevue avec le Professeur Robin ne lui avait rien apporté de nouveau sinon une satisfaction, le moyen de mettre fin à une gêne persistante au niveau de l’articulation de l’épaule. Une petite intervention sur un tendon récalcitrant, deux, trois jours d’hospitalisation. Rien de bien méchant.
Ils en profiteront pour d’autres examens, d’autres recherches. Encore ! Il se sentait devenir rat de laboratoire. Quelle allure aurait-il avec des moustaches ?
Bien ! Autant s’en faire une raison : c’était également la fin d’une aventure car il ne comptait pas revenir entre ces murs. S’il n’était pas question de reprendre son métier dans les conditions passées, il pouvait en revanche envisager, sans trop de difficulté, d’y revenir d’une manière plus traditionnelle.
    La secrétaire de Robin avait appelé en début d’après-midi, lui confirmant qu’une chambre lui était réservée à l’hôpital, et qu’il devait y être à dix-huit heures au plus tard. Il était prêt !
Il laissa courir un dernier regard autour de lui et… les lettres de Julie ! Il les disposa bien en évidence, pour qu'elle ne voit qu'elles, en reprenant possession de son bureau. Toutes... sauf une. Que Julien retira du paquet.
Pour lui tenir compagnie dans un endroit lugubre, il emportait un feuillet oublié dans une enveloppe.
À cause d’une teinte d’or à peine altérée par les années, aussi fine qu’une autre poudre, celle-ci irisant des paupières. Parce que, pour lui, Julie n’était que lumière. Pour un parfum qui le hantait et qui persistait jusque dans la trame du papier,
Et aussi pour des mots que, sans même les avoir déjà déchiffrés, il voudrait, à lui seul, adressés.
Il la lui rendra, après.
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4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 23:25

Julien dormait profondément et Julie se rassurait au rythme régulier de sa respiration, à son visage détendu et pour une température normale.
Depuis que les infirmiers l’avaient ramené du bloc opératoire, elle ne s’était pas éloignée une seconde.
Elle avait attendu patiemment qu’ils l’installent et qu’ils referment la porte derrière eux.
Pour que rien ne le blessât, elle avait lissé au mieux les draps autour de lui.
Pour lui faire la position plus douce, elle avait disposé sous sa nuque les oreillers amenés tout exprès pour lui, les plus légers qu’elle avait trouvés.
Et pour préserver son sommeil, elle avait réduit l’éclairage au minimum.
Ce ne fut qu’avec la triste et absolue certitude de ne pouvoir faire davantage qu’elle avait rapproché un fauteuil au plus près du lit, qu’elle s’y était assise et qu’elle avait enfin mêlé ses doigts à ceux d’une main inerte et insensible, reliant leurs vies, unissant leurs forces, et là, elle s’était autorisée quelques larmes... qui devinrent ruisseaux.
Des pleurs de soulagement après des heures d’angoisse renforcée par l’attitude d’un idiot de Professeur, obstiné, en dépit de ses suppliques, à ne livrer aucune information sur Julien, sous le prétexte dérisoire qu’elle ne faisait pas partie de la famille.
Suivant quels critères étaient désignés les individus qui gravitent à l’intérieur de cette cellule sociale ? Qui était-il pour décider que les liens qui l’unissaient à Julien étaient moins forts pour n’être pas reconnus officiellement ? Que savait-il de ce qui brûlait en elle ? Qu’il lui demandât sa vie, elle la donnerait sur-le-champ !
Sans Julien...
Elle ne voulait plus y penser... c’était fini, il était là, avec elle, elle tenait sa chaleur entre les doigts, et il vivait. Elle sentait son pouls battre, et demain... demain leur était accessible.
Combien elle regrettait les dernières heures et toute la colère accumulée contre lui !
Une matinée entière à faire le point, à se remettre dans le bain, puis les premières tentatives pour le joindre, mettre la main sur lui, ou plutôt trouver son oreille et y déverser un trop-plein de rancune.
Sans résultat !
Elle l’avait poursuivi, sans plus de succès, jusque chez Ed Musslër. En revanche, ce dernier, après s’être déclaré très étonné, s’était montré inquiet au point de faire germer en elle un début d’angoisse.
Avec l’aide de Claudine, elle s’était lancée dans un véritable travail de détective, une quête épuisante d’informations pour expliquer une décision, et d’indices pour l’orienter vers une piste.
Nouveau contact avec Ed pour lui confier la mission de faire des recherches du côté d’Aups, et elle avait touché le fond du désespoir en apprenant qu’aucun membre de la famille de Julien ne savait comment le contacter, pas même sa sœur, Hélène. Détail d’autant plus alarmant que, tous deux, étaient très proches.
Et ainsi, jusqu'au trait de génie d’une secrétaire hors du commun : les bandes sur lesquelles s’enregistraient toutes les communications téléphoniques qui passaient par son poste.
Elles y avaient entendu le dernier message de la secrétaire du Professeur Robin, confirmant l’heure d’admission de Julien dans un des services de l’hôpital de la Timone.
Elle n’oubliera jamais le sentiment de panique éprouvé à la voix indifférente de l’infirmière qui lui expliquait que « l’intervention chirurgicale » n’était pas terminée.
Quelle opération ? Quand en avait-il été question ?
Elle s’était heurtée au refus de lui livrer davantage de précision... trop tôt... pas par téléphone... déjà ce détestable « Faites-vous partie de la famille ? », et, en elle, l’envie d’envoyer au Diable une femme inconnue.
Que répondre ? Où se situer ? Qu’était-elle pour lui ?
Comment ne pas penser à Justine, à ses confidences sur leurs sorties, leur entente, à sa tristesse également devant de méchantes rumeurs concernant Julien et d’autres filles.
Et elle ? Pourquoi y avoir adhéré si aisément ? Pour justifier et alimenter sa colère contre lui ? À cause d’un certain soir ? Parce qu’il l’avait repoussée ?
Une si profonde douleur était-elle nécessaire pour prendre la mesure de l’amour qui l’habitait tout entière. Et cet amour, pourra-t-elle se leurrer encore, le refuser, l’étouffer ?
Julien s’agita, un peu. Une grimace, fugitive. Il ne devait pas bouger, rester calme. Elle fit glisser ses doigts en une caresse légère sur le bras découvert... Pour lui montrer qu’il n’était pas seul. Elle s’appliqua à éponger son front, à le rafraîchir.
Comment réduire la chaleur moite de la pièce, et diluer l’odeur tenace de désinfectant ? Elle brûlait de l’emmener chez elle, et le mettre à l’abri, lui adoucir chaque seconde. Et l’aimer... à chaque instant... l’aimer... à n’en plus finir...
Une pression sur sa main... Elle ne l’avait pas rêvée... Et là, encore... Il sentait une présence. Pas forcément la sienne mais quelqu’un, tout simplement, qui lui montrait qu’il n’était pas abandonné de tous.
Elle se contraignit à raisonner son cœur, à museler son angoisse, à refouler son chagrin. Pour que pas un gémissement, pas un sanglot ne troublât sa quiétude, que rien lui fut source d’agitation.
Rien ? Pas même... Il était inconscient, il ne saura jamais...
Elle n’eut qu’à se pencher à peine. Pour frôler ses lèvres, et lui murmurer qu’elle veillait, qu’elle faisait de son mieux pour le préserver. Elle résista au désir de s’allonger près de lui, alors qu’elle ne désirait que le prendre contre elle, le bercer, absorber sa souffrance, la faire sienne… lui donner sa force, sa vigueur, et s’endormir dans sa tendresse et rêver qu’il la consolait enfin entre ses bras.
Elle sursauta. Du bruit ? Qui se dirigeait vers eux. Qu’allait-on lui faire ? Ne pouvaient-ils lui concéder la paix. Une nuit, une seule ?
Dans le silence feutré de cet univers de souffrances, elle les devinait. Une voix de femme… et celle du Professeur Robin.
Qui approchaient, qui se firent chuchotements, habiles à dessiner un canevas de mots, chacun éclairant le précédent.
 « Virus... urgence... repos indispensable... doit absolument apprendre le farniente... du soleil... du grand air et une nourriture équilibrée... »
Julie frissonna, d’un froid qui naquit au plus profond d’elle, paralysa son cœur, la figea, oreilles tendues.
« Combien de temps ?... dans les conditions actuelles... pas de prévision possible... je suis navré, Corinne... phase critique... »
Elle ne voulait plus entendre. Ils se trompaient, ils ne comprenaient rien. Ne savaient-ils pas se taire, et les oublier, un temps... Le temps ? Combien en restait-il encore, pour lui, pour elle... pour eux ?
«... évolution dans un sens ou dans l’autre... si son état demeure stationnaire, au mieux... trois, quatre ans... sinon... un an... ou guère plus...»
Elle retint le cri qui monta en elle. Elle n’était plus que révolte, haine, désespoir. Pourquoi ne pouvait-elle lui enlever cela, ramener le mal en elle, souffrir à sa place... mourir à sa place... sans lui... Et Julien... Que savait-il ? Connaissait-il la gravité de son état ?
«... peut-être un léger mieux... mais pas significatif... déraisonnable... trop de fatigue... entêté... il ne nous aide pas... trop d’imprudences... »
Dehors... Elle les repoussa, les chassa de son esprit, se fermant aux sons qui lui parvenaient, les effaça de leur réalité, priant désespérément que cette chambre se métamorphosât en une bulle transparente, invisible pour tous, un havre de sécurité dans lequel tous deux demeureraient à l’abri… en suspension dans l’éternité... Elle se tassa davantage contre Julien. Allaient-ils parler toute la nuit ?
« Non, Corinne... en cas de guérison... aucune séquelle... »
Aucune séquelle… aucune ? Une vague chaude la parcourut. Une espérance folle. Julien pouvait guérir ? Il le pouvait encore ?
Rien n’était vraiment perdu alors ! Et en Julie, toute vie revint. À laquelle elle allait s’accrocher, et l’obliger lui, à s’y maintenir, avec elle, pour elle !
« Son » Julien ? Il saura leur montrer ! À ceux-là, à deux pas, et au ciel, et à quiconque ! Se laisser abattre par un minuscule, un misérable microbe insolent ? Pas lui ! Elle ne le lui permettra pas.
Ils étaient trop près, ils allaient le réveiller... d’ailleurs, il s’agitait ! Il rêvait... d’elle ? Etait-ce bien son prénom qu’il venait de murmurer ? Une... Une peste ? Même las, épuisé, l’esprit embrumé il osait la qualifier de... et une sirène têtue... et insensible ? C’était donc ainsi qu’il la voyait ! Et encore… encore quoi ? Oh… sa... sa douce... son âme... Qui ? Elle ? Vraiment elle ?
Si elle pouvait y croire tout à fait, s’il pouvait seulement l’aimer un tout petit peu.
Deux mois de querelles... Voilà tout ce qu’ils avaient fait de ces heures, de ce temps précieux.
Vibrante d’un espoir naissant, elle lui murmura quelques mots apaisants à l’oreille, et déposa sur ses lèvres un baiser aussi léger que possible, et elle ne put contenir un sanglot d’en recevoir une ébauche de réponse, à peine un frémissement.
La porte ? Qui se permettait de l’ouvrir ? Qu’on les laissât à leur isolement ! Elle était de taille à tenir tête, sans aide aucune, à ce qui le menaçait... elle savait qu’elle pouvait le protéger de tout, qu’aussi longtemps elle restera près de lui, nul mal ne pourra lui advenir.
Non, pas encore... pas déjà... Pourquoi le lui prenaient-il déjà !
Et voilà que pénétrait dans la chambre silencieuse le Robin des Hôpitaux ! Tout de vert vêtu, à l’instar de son homonyme, mais, à défaut de flèche, celui-ci maniait le bistouri. Julie lui fit face, droite et déterminée. Si ce monstre incisait encore « son » Julien sans la prévenir à l’avance, il n’aura pas assez de toute une vie pour le regretter !
- Vous êtes encore là ?
Elle serra les dents et redressa le front, le toisant sans la moindre aménité. Que croyait-il ? Qu’elle allait l’abandonner, sans défense, entre ses mains ?
Qui était cette femme qui l’accompagnait ? Elle n’avait rien d’une infirmière...
- Je suis désolé, reprit le professeur Robin avec douceur, mais nous n’acceptons qu’une seule personne à la fois auprès de nos malades, et, madame Gauthier, la maman de Julien, vient d’arriver. Je pense que...
Sa mère, c’était donc sa mère qui le lui enlevait ! Qui avait tous les droits sur cet homme endormi alors que… elle !
Elle ? Si Julien la savait là, il la chasserait sûrement.
Elle s’efforça de dissimuler le désespoir qui enflait en elle sous une grimace de sourire triste. Où trouver la force de désunir leurs doigts ? Et celle de le quitter ? Comment leur dire qu’en agissant ainsi, elle avait la certitude de le trahir ?
Julie voudrait se tapir dans un coin, n’être plus qu’ombre impalpable, devenir invisible aux yeux de cette femme, à son regard scrutateur et intrigué qui ne la lâchait pas, et ainsi demeurer au côté de Julien.
- Attends Robin, intervint madame Gauthier, accorde-nous quelques minutes, le temps que cette jeune personne et moi fassions connaissance.
- C’est comme tu veux, Corinne... mais pas longtemps. Et dans ce cas, il serait préférable que vous vous entreteniez à l’extérieur.
- Tu as raison,
Julie ouvrit la bouche, indignée par une telle suggestion. Comment proposaient-ils de laisser Julien seul ! Personne pour le soutenir ? Pour lui tenir la main ? Et s’il appelait, s’il souffrait trop, qui l’entendrait, qui le verrait ? Non... Ils ne pouvaient lui demander cela. Julie recula, affichant une expression d’animal blessé, traqué, résista aussi à la main qui se posa sur son bras, même si amicale, même si se voulant rassurante.
- Il ne risque rien, lui affirmait gentiment la maman de Julien. Venez... voyez, nous sommes à deux pas.
Résignée, Julie avançait lentement.
- Je suis heureuse de voir que mon fils vous a près de lui. Je ne sais comment vous en remercier… Mademoiselle... ?
- Julie… Julie Gaillette… je suis une amie de votre fils. Enfin… plutôt… j’étais… nous avons travaillé ensemble.
- Julie ! Ah ! Enfin, je vous rencontre ! Ed m’a tellement parlé de vous. Et c’est grâce à vous si nous avons été prévenus.
    Julie jeta un regard noir vers l’objet de ses inquiétudes. Entêté ! Se condamner à la solitude, même dans des circonstances pareilles ! Avait-il donc tant besoin de dissimuler ses faiblesses à tous, même à ses proches ? Et elle ? Elle frissonna. Dès qu’il saura qu’elle était à l’origine de la présence de sa mère dans sa chambre...
- Oh, non ! Lorsque Julien découvrira mon rôle dans tout ceci, il me détestera tout à fait.
- Il n’y a aucune raison à cela.
- Je crains qu’il ne partage pas votre avis à mon sujet.
- D’après Ed, vous formez une bonne... équipe.
- Vraiment ? Oui… mais… plus depuis quelque temps, à cause de chamailleries ridicules, de divergences d’idées. Il est très en colère après moi ! Mais quand j’ai su... que... que... Oh ! C’est trop dur...
- Julie, c’est terminé, il va très bien...
- J’ai eu si mal de le voir ainsi... Ils l’ont soulevé, ils l’ont couché là... sans réaction aucune, et il était pâle... pâle comme... Et il n’a rien dit ! C’est de ma faute... j’aurais dû l’appeler, je lui avais promis de le faire, et... j’ai eu si peur !
- Pour mon fils ? Allons ! Il ne faut pas ! Dans quelques jours, il sera sur pieds. Ce n’était qu’un petit travail de finition sur son épaule... dont il n’a parlé à personne pour s’y être décidé très vite et pour trouver la chose sans importance... ce qui ne m’étonne pas de lui !
    Julie sourit malgré elle. Mais assez de phrases inutiles, qu’importaient leur état d’âme, leur peine, leur souffrance ? Sinon ce cri de révolte qui nouait sa gorge, contre la cruauté aveugle d’un sort indifférent. Julien... Seulement supposer le perdre et mourir un peu. En faire une réalité inéluctable, et mourir tout à fait. Non. Pas question, pas eux.
Il s’agitait encore ! Julien... C’était de lui dont il fallait se soucier, uniquement de lui. Elle refoula ses sanglots.
- C’est vrai ? Alors... tant mieux. Je…Je m’en vais… Et… il doit se reposer, au calme. Je vous retiens ici alors que votre place est à son côté.
- Si c’est tellement important pour vous, je vous la cède bien volontiers.
    Julie ouvrit la bouche, sur le point d’accepter, se ravisa aussitôt, le cœur douloureux. Affichait-elle une mine désemparée au point de justifier la main qui se posait gentiment sur son bras, pour expliquer le sourire entendu et le regard complice que cette femme lui adressait ?
Était-elle devenue transparente ? Portait-elle son amour inscrit sur le bout du nez ?
- Vous y avez davantage droit que moi, finit-elle par articuler péniblement. Et... c’est mieux ainsi. À son réveil... dites-lui que... je compte le voir, au bureau, dès que possible, que je suis furieuse après lui et qu’il me... qu’il nous manque à tous. Lui et... son mauvais caractère.
- Rien que ça ! Eh bien, voilà de quoi l’inciter à se rétablir au plus vite, je n’y manquerai pas. Julie, ma chère, chère Julie, je suis vraiment ravie de vous enfin rencontrée. Je crois que nous allons fort bien nous entendre.
- Nous ? Oh.... Oui, sans doute. Bonne nuit, Madame Gauthier, et… prenez bien soin de lui !
    Elle n’avait plus que le désir de s’éloigner, de courir... et fuir des yeux trop perspicaces, et trouver enfin un lieu où se dissimuler... une porte… là !
Une halte dans les toilettes.
Où elle se terra, recroquevillée sur sa douleur, libérant enfin ses larmes, déversant avec elles tout son désespoir. Longtemps, une fois pour toutes, pour libérer son âme.
Lorsque Julie se rasséréna enfin, son regard ne trahissait aucune détresse. Elle se redressa, ordonnant déjà ses forces en prévision d’une guerre féroce contre une maladie qu’elle voulait apprendre à bien connaître pour mieux la briser.
Elle se préparait, geste après geste, à une lutte sans merci. Contre elle-même, pour dominer ses faiblesses, contre Julien et son obstination à refuser ce que la vie pouvait encore leur donner.
Il était temps de se reprendre, de rafraîchir ses yeux brûlants de trop de pleurs amers... et elle sursauta devant l’image que lui renvoyait un miroir sans indulgence.
Transparente ? Non. Surtout lisible.
Les larmes n’avaient jamais arrangé un maquillage, aussi savant, autant parfait qu’il fut. Son amour ? Il était là, tout entier transcrit dans les rigoles de Rimmel dissout qui lézardaient ses joues.
Et pendant ce temps, confortablement installée, Corinne Gauthier résistait sans trop de difficulté au désir de secouer son cachottier de fils. Finalement le réveiller n’aurait d’autre conséquence que lui restituer toute sa lucidité et mettre un terme aux confidences qu’il livrait, bien malgré lui, sous les effets farceurs d’un reste d’anesthésie...
Pourquoi Julie s’était-elle enfuie si vite ! Elle ratait le meilleur...
Apparemment il y avait assez d’« amitié » en elle pour s’inquiéter à ce point pour Julien... et tout autant en lui pour l’appeler et la chercher jusque dans son sommeil...
Et quelques querelles également ?
Voilà qui devenait intéressant... amis et ennemis... le meilleur et le pire…
Restait le plus exaltant.
Tiens donc ! Ces deux-là, à conjuguer le tout au même temps, ne devraient pas s’ennuyer !
Quant à Julien... Dès son réveil, elle saura bien lui soutirer les précisions nécessaires à satisfaire une curiosité somme toute naturelle chez une mère attentive au bonheur de son enfant !
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4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 23:24

Julien avait réintégré le cadre brouillon et chaleureux qu’il était fermement décidé à abandonner trois jours plus tôt.
Sa mère devait être sur le point de rejoindre Paris, le cœur plus léger, avec le sentiment d’avoir regagné un fils. Toute tension entre eux effacée, ils avaient restauré leurs rapports d’autrefois, empreints d’une complicité un peu ironique, taquine et affectueuse.
À son réveil, dans cette chambre d’hôpital, il avait eu la fâcheuse surprise de la trouver à son chevet. Contrariété qu’il n’avait pu dissimuler, encore pris dans les brumes de l’anesthésie.
Bien moins après avoir appris à qui il devait de se retrouver dans une telle situation, jurant à qui voulait l’entendre qu’il saurait bien, à l’avenir, contraindre une certaine personne à se mêler exclusivement de ses affaires.
Ce qui lui avait amené, en réponse, le sermon le plus virulent qu’il ait eu à endurer depuis des décennies.
- T’en prendre à elle ? Je voudrais bien voir ça ! Avec tout le mal qu’elle s’est donnée pour toi ? Tu lui as occasionné assez de souci, crois-moi. Comment oses-tu montrer autant d’ingratitude alors qu’elle a remué ciel et terre pour retrouver ta trace, et surtout après qu’elle t’eut veillé une bonne partie de la nuit ! Bien la peine de gaspiller tant de pleurs pour un individu sans cœur de ton espèce ! Tu sais, elle ne t’a laissé que la mort dans l’âme.
L’étrange impression de revivre un rêve, et plus tellement certain qu’il ne s’agissait que de cela. Une réalité que les doigts unis aux siens, et les murmures à son oreille ? Et le goût de larmes sur sa bouche ? Julie, près de lui, il pouvait l’admettre, mais l’imaginer, elle, si rebelle, si fière, pleurer pour lui ! Non... pas une seconde !
- Et furieuse après toi et ton fichu caractère. Ça, elle m’a priée de te le répéter. Julie ne semble pas du tout apprécier cet aspect de ta personnalité et moi, vois-tu, je partage entièrement son avis.
    Voilà qui lui ressemblait davantage !
En revanche il aimerait en savoir un peu plus sur ce qui s’était passé, à l’hôpital, entre ces deux femmes si différentes. Julie, Julie ! Comment s’y était-elle prise pour séduire sa mère ?
- Dis, entre nous, elle est ravissante. Elle me plaît bien, tu sais. Alors... si tu me racontais ?
Qui pourrait résister à la curiosité insatiable de sa mère !
Il s’était toujours débrouillé pour la maintenir à distance de sa vie personnelle. Alors pourquoi le besoin, en lui, cette fois-ci, de se laisser aller et la satisfaction, ensuite, de l’avoir autorisée à le suivre sur le chemin des confidences.
Pour l’heure, Julien était assis sur la balancelle, maudissant un bras gauche complètement immobilisé, recherchant un peu de la fraîcheur que devrait offrir une fin de crépuscule.
Sur ses genoux, un papier froissé, tache d’or terni.
La nuit était toute proche, et pourtant la chaleur persistait. Bien plus, elle semblait suinter du moindre objet et émaner du sol, occupant l’espace, alourdissant l’air jusqu'à ce qu’il en devint oppressant.
La fin du mois de juin, aux portes de l’été, sous un ciel menaçant, un ciel d’orage. Fichu Midi ! Quand ce n’était pas le Mistral qui affolait les esprits, c’était la pluie qui menaçait faire déborder le Vieux Port !
Dans le jardin, autour de lui... un bruissement particulier. Les arbres s’animaient et frémissaient pour exprimer une attente, une espérance joyeuse et vivante. À croire qu’ils devinaient l’ondée apaisante... Devant lui, ils en appelaient les premières gouttes, les invitaient à s’abattre sur eux, à s’offrir à leurs feuilles assoiffées et Julien, fermant les yeux, flaira, à pleins poumons, l’odeur de la terre avant l’averse.
Il la voudrait violence, à la mesure du désir de vivre qui renaissait en lui.
Il avait perdu beaucoup de temps. Bien trop ! Entre ses doigts, l’enveloppe gisait... Un jour ou l’autre, il devra bien se résoudre à contacter Julie, pourquoi ne pas s’y mettre sur-le-champ ? Un numéro à composer sur un cadran, rien de bien compliqué, seulement un premier pas... Le plus difficile.
Une voix l’interpella, l’arrachant de ses pensées. Une silhouette familière à la grille... Justine ? Que lui voulait-elle si tard ?
Ne pouvait-elle le laisser en paix poursuivre un rêve ? Pourquoi l’agaçait-elle autant ? Pour être trop présente, et s’imposer à lui, à tout instant ? N’avait-elle rien de mieux à faire, ni personne près d’elle pour la divertir ?
Mais surtout, qui l’autorisait à venir, ainsi, le distraire d’une autre ?
- Julien... vous êtes enfin de retour !
Elle était si jeune, semblait si fragile qu’il dissimula tout agacement, se contentant de freiner son exubérance.
- Doucement, petite, pitié, pas de bousculade.
- Votre bras ! Pardon. Cela a dû être pénible pour vous.
- Je n’ai pas trop à me plaindre, ça passera.
- Vous m’avez manqué... Si vous saviez !
- Au point de vous déplacer à cette heure ? Je suis désolé, Justine, mais il est tard, je suis fatigué et je n’aspire qu’à un peu de repos.
- J’ai eu très peur...
- Il n’y avait vraiment pas de quoi.
- Je sais, puisque vous êtes là. Mais je vous ai imaginé... perdu pour toujours... J’ai cru que vous étiez parti sans moi, sans me le dire et j’ai tellement besoin de vous. Ne me quittez plus, plus jamais !
Julien, stupéfait, fixait le visage levé vers lui, les yeux mi-clos, la bouche offerte !
Il n’avait rien compris, rien deviné.
Trop pris par ses problèmes, obsédé par l’image de Julie, la recherchant partout, même à travers sa nièce, il n’avait pas vu ce qui se passait dans l’esprit d’une gamine
Pourquoi lui ? Il avait sa dose de quiproquos et de situations absurdes. D’abord, il devait la détacher de lui, et ensuite... ensuite … Comment ne pas la blesser ?
Autant agir rapidement, de même que pour une intervention chirurgicale... Il en avait l’habitude, il en sortait justement. Une méthode radicale...
- En voilà assez !
- Vous êtes fâché ? Après moi ?
- Pas seulement... Justine, je crois que feriez mieux de rentrer chez vous.
- Je n’en peux plus de me taire...
- Et pourtant, je vous conseille de ne plus ajouter un mot !
- Julien ! Vous ne pouvez nier ce qui existe entre nous.
- Quoi donc ? Rien qui ne soit né de votre imagination.
- Ce que nous avons partagé, toutes ces heures...
- Je n’ai fait qu’accepter, pour vous faire plaisir, quelques escapades innocentes. Quand vous ai-je laissé espérer davantage ?
 PREMIERE correction en cours /correction temps
- Je ne veux pas, je sais que vous mentez. Pourquoi ? À cause de notre différence d’âge ? Qui vous incite à agir ainsi ? Qui se cache derrière tout ça ?
Allons bon ! Voilà autre chose, il n’en sortira pas !
- Justine, vous êtes une jeune fille ravissante, pétrie de qualités, mais... je ne vous aime pas. Pas ainsi que vous le mériteriez.
- J’attendrai ! Vous apprendrez... je sais que...
- Non ! Ne comprenez-vous pas ? Mon cœur, mes pensées sont pleins d’une autre, tout en moi, sans rien en distraire, est uniquement occupé par elle.
- Qui ? Julie ?
- À quoi vous servirait-il d’en savoir plus ?
- C’est elle, j’en suis certaine... Qui d’autre, sinon... ? J’aurais dû m’en douter. Et puis l’intérêt que vous montrez pour tout ce qui la concerne, tout ce qui... même en ce moment... Vous l’avez gardée ?
- Quoi donc ?
- Cette lettre.
- Un oubli.
- Non, c’est volontaire, un moyen pour vous de... de la retrouver quelque part. Je le sais, ne me mentez pas, ce serait pire que tout. Vous l’avez lue ?
- Pas sans son autorisation. Mais pour ce qui est du reste, vous ne vous trompez pas.
- Je suis... désolée. J’ai été stupide, non, pire que cela, si vous saviez ! Qu’ai-je fait ! Julie, vous ! Il faut me pardonner.
Julien, navré de son évident chagrin, s’efforça d’adopter un ton léger..
- Nous partageons les responsabilités, j’aurais dû être plus attentif. C’est oublié, nous n’en parlerons plus.
- Julie n’a pas mérité cela.
- Mais quoi donc ? Voyons ! Justine, c’est fini, vous n’allez pas pleurer. Tenez, le ciel vous devance, n’ajoutez pas vos larmes aux siennes.
- En voyant cette enveloppe, je me suis souvenue de... Je n’avais pas le droit.
- Venez vous mettre à l’abri.
Le voilà avec une gosse en pleurs sur les bras, et sans autre alternative que de l’entraîner à l’intérieur !
- Asseyez-vous, le temps de vous calmer.
- J’ai honte, je me suis comportée comme...
- Il n’y a rien de réellement grave dans tout ceci et ça restera un secret entre nous deux. Alors ? Et cette lettre ? Si vous m’en parliez un peu. Que raconte-t-elle ?
- Disons qu’on y retrouve l’amour de Julie pour une enfant, pour la fillette que j’étais. Mais pas uniquement dans celle-là, dans chacune, dans toutes les autres.
- C’est pour cela que vous les aviez prises sur le bureau ?
- Oui, elles sont si belles ! J’ai eu soudain envie de les relire, de m’y replonger.
- Pourquoi les lui avoir confiées ?
    La jeune femme se leva, alla jeter un coup d’œil au-delà de la fenêtre. Combien elle ressemblait à Julie ainsi ! Le même regard qui se perdait, se faisait absent, la voix jumelle qui racontait... la même démarche hésitante, comme si par ces déplacements les mots s’ordonnaient mieux pour fuser plus librement.
- J’étais persuadée qu’elles n’existaient plus. La place de ma tante dans ma vie...
Lorsqu’elle avait décidé de devenir indépendante, Julie l’y avait encouragée ! Et secondée : pour trouver le studio idéal, dans un quartier qui répondait à de sérieux critères de sécurité et de tranquillité, pour s’organiser dans de bonnes conditions. Le meilleur avocat du monde auprès de ses parents, et la promesse de toujours être disponible pour l’épauler, à laquelle elle n’avait jamais failli.
Julie encore, qui l’avait aidée à emballer ce qu’elle avait voulu voir l’accompagner dans son nouvel univers.
- Ces lettres, nous les avons retrouvées ensemble. Si j’avais été seule, je crois que j’aurais fini par les jeter, alors j’ai préféré les lui remettre.
- Elles font partie de son trésor caché. Quelques lignes...
- Mais pas une banale correspondance. Quand j’en recevais une...
Ses parents, ses frères, s’animaient devant elle. Un réel talent, pour les lui rendre présents. Et ses jouets préférés ! Un vieil ours déformé et martyrisé, une poupée, des marionnettes, ils sont devenus, à la fois, acteurs et narrateurs d’une vie de famille à laquelle elle n’appartenait plus.
- Elles portent l’adresse d’un centre de soins, en altitude.
- Rien de très grave, une alerte, une inquiétude au sujet d’un possible ennui pulmonaire et l’envoi immédiat, à quelques jours de Noël, dans un Préventorium. À mon désespoir et celui de ma famille.
- Alors Julie vous écrivait pour vous distraire de votre solitude.
- Oui, mais, en fait, ce n’était pas elle qui tenait la plume. Plutôt l’un de mes compagnons de jeux, à tour de rôle et pour chacun un style différent.
Il la surprend à sourire, d’évoquer son ours, borgne parce qu’elle le préférait ainsi, aux poils englués de chewing-gum, aux coutures presque éclatées par ses soins, lui raconter sur un ton bourru, les anecdotes survenues depuis son départ, soulignant qu’il y était contraint et forcé par l’amour à demi aveugle qu’il portait à sa tortionnaire.
Rire presque aux écrits de Bécassine, espiègle et sotte à souhait et se moquer de ceux de la petite snobinarde à la robe d’organdi qui trônait sur la commode de sa chambre.
- Tout cela de Julie ?
- Il reste le plus merveilleux. Cette enveloppe dorée, oui, celle-là même.
- Eh bien?
- Si vous la secouez, il devrait encore s’en échapper quelques poussières d’or et d’argent mêlées.
     Le geste machinal d’obéir, de s’exécuter pour constater qu’effectivement... Une trace irisée d’éclats de lumière sur les doigts, une feuille d’un bleu d’aube naissante où dansent des lignes d’or pur et une étoile de tulle d’argent...
- Je le savais ! Je vous ai dit que c’est arrivé avant Noël, et c’était une situation très dure pour moi... j’avais tout juste dix ans... Maman est restée près de moi, quelques jours, mais...
Il lui a bien fallu rentrer pour s’occuper du reste de la maisonnée... et Justine a pleuré, beaucoup... longtemps... Et puis, une lettre... de Julie. Bien elle, ses mots, sa manière à elle. Qui se plaignait d’être ennuyée, chaque nuit, par un minuscule lutin aux ailes étincelantes, à cause d’elle, sa nièce. Et qu’il fallait que cela cesse.
- Elle vous a grondée ?
- Pas vraiment, mais...
Elle a appris, à cette occasion, que certaines étoiles sont chargées de veiller et de consoler les enfants tristes ou malades, et que tous ces points lumineux qui émerveillent chacun ne sont que poussière impalpable et magique.
- Ne me demandez pas de vous prouver quoi que ce soit, croyez-le, juste pour le plaisir.
- Et que voulait cet elfe envahissant.
- Que mes pleurs tarissent. Une larme, une seule...
Il n’est rien de plus dangereux pour celles qui glissent silencieuses autour de l’univers, car une seule goutte d’eau pouvait en dissoudre des centaines.
- Ne souriez pas, Julien.
Et suggérer, pour le convaincre, de regarder le ciel, une nuit de pluie. Là, à l’instant... qu’il lève les yeux... voit-il des étoiles ? Non ? Evidemment ! Elles ne sont pas sottes, elles se cachent.
Une seule condition à satisfaire pour que la fée intergalactique s’approche, se pose sur son lit et lui murmure des contes enchantés... source de tous les rêves d’enfant. S’endormir, sans crainte et sans chagrin.
- Vous y avez cru ?
Jusqu’au bout et au point qu’il n’y a pas eu de petite fille plus sage qu’elle tout au long des six mois nécessaires à son rétablissement. Et certainement, la seule à avoir sangloté au moment de quitter les lieux ! Mais pour l’enveloppe que Julien tient encore entre les doigts, elle n’oubliera jamais le bonheur intense ressenti lorsqu’elle l’a trouvée sur son lit, et sa chambre... les murs éclaboussés de poudre scintillante ! Sans oublier de mesurer la difficulté à trouver une complicité sur place.
- Difficile ? Pas pour la Julie que nous connaissons, elle porte, en elle, autant d’astuce que d’imagination.
- Je lui ai fait du mal, et à vous aussi.
- Qu’avez-vous à voir entre nous ?
- Plus que je ne le voudrais. Je vous laisse.
- Non. Avant, expliquez-vous.
- Plus tard. Prenez soin de vous, et... la lettre... vous pouvez la lire.
- Vraiment ?
- Elle a été écrite pour adoucir la peine d’un enfant malade et solitaire, elle fera l’affaire dans votre cas. C’est peu de chose... rien d’autre qu’un conte... de ceux qui donnent le goût du rêve et l’envie de merveilleux...
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4 novembre 2007 7 04 /11 /novembre /2007 23:23

Vingt-trois heures, déjà ! Bien trop tard pour appeler Julie. Allons ! Du courage ! Au moins pour la remercier... et puis la tentation est forte, alors...
            Décrocher... ça, c’est facile... et composer son numéro... très vite... et attendre... et c’est cela qui est le plus ardu...
Après tout, que risque-t-il ? Une rebuffade ? Depuis qu’ils se connaissent, Julien a fini par en faire une habitude...
            Evidemment, il aurait dû s’en douter... personne... sinon la possibilité de laisser un message. Il fera un autre essai... plus tard.
            Il regrette leurs premiers jours, et se reconnaît coupable de la lamentable évolution de leur relation. L’orage fait rage dehors, il doit prendre patience... avec un temps pareil, elle ne va certainement pas tarder à rentrer chez elle.
  
Julie ? En cet instant précis, elle ne souhaiterait rien de plus. Elle est sortie courir, sans daigner écouter les avertissements d’un ciel de plus en plus mitigé.
Aux premières gouttes, elle a redoublé d’ardeur, profitant de leur fraîcheur, y puisant même un second souffle. Quand elles sont devenues averse, elle a consenti à ralentir l’allure. S’abriter ? De quoi ? D’un peu d’eau ?
    Mais lorsque l’orage s’est déchaîné, apportant avec lui ses éclairs, ses roulements assourdissants, excité par le vent, elle a dû admettre son inconscience. Elle a piètre mine, cheveux dégoulinants et justaucorps trempé, assise à l’intérieur d’un abri de bus... Une consolation, pas un chat sur les trottoirs.
Joli mois de Juin ! Dans trois jours l’été sera officiellement déclaré, et elle, en vacances... C’est bien le moment et le lieu d’y penser !
Un léger mieux... Peut-être la meilleure occasion de s’aventurer à l’extérieur et de regagner au plus vite le confort de son appartement. Au pire des cas, elle ne peut pas être plus mouillée que ça... et il ne s’en faut que de quelques minutes.
 
 Julien feuillette, sans en retenir un mot ni en entrevoir une image, la première revue qui lui est tombée sous la main...
Que fait-elle ? Où pourrait-il tenter de la retrouver ?
 Jusqu'à l’endroit qui le met mal à l’aise, un salon encombré d’une infinité de bibelots ridicules... pour la certitude qu’elle n’y trouverait rien à son goût... rien qui pourrait faire qu’elle s’y sente bien... chez elle... pas même avec lui ?
 
Pour Julie, en revanche, la situation se complique.
Ses clés ? Où sont-elles passées ?
Le cauchemar qui continue, et elle va s’éveiller... il suffit de fermer les yeux, très fort, de visualiser chacun de ses derniers gestes, et se convaincre que c’est impossible...
    À d’autres !
Ses poches sont vides, aucun trousseau et bien moins de sésame magique, pas un centime sur elle et un temps à ne plus mettre le nez dehors, un cœur en déconfiture, des jambes qui ne la portent plus, les pieds au cœur d’une mare qui s’élargit sur le palier... et un fou rire nerveux qui gagne du terrain, qui l’envahit... qu’elle laisse jaillir hors d’elle, vaincue, désarmée par le ridicule de sa situation.
Bravo Julie Gaillette, ex Castel !
 
Julien écrase sa cigarette. Combien de temps depuis sa dernière tentative ? Un quart d’heure ? Trois messages et pas plus avancé pour autant.
 Une fois encore, et puis... il verra bien.
           
Respirer, reprendre son calme, envisager le possible et l’invraisemblable. Et opter pour la solution la plus logique.
Ça, Julie sait le faire.
Elle pourrait... sonner chez l’un de ses voisins ! Oui, mais... les réveiller si tard, pour une stupide histoire qui risque de durer des heures, alors qu’ils lui sont aussi étrangers que les êtres qu’elle croise chez l’épicier du quartier... Hors de question !
Elle pourrait... appeler sa nièce ! Oui, mais... avec quoi ? Où trouver une carte téléphonique ? Pas sur elle en tout cas.
Elle pourrait... se rendre dans un hôtel ! Oui, mais... Le seul où elle serait acceptée sans argent, ni papier, se trouve à des kilomètres de marche... à supposer qu’il lui reste assez d’énergie pour y arriver.
La sonnerie d’un téléphone. Chez elle ? De quoi réveiller l’immeuble et... elle n’aurait pas cette chance. À quoi peut bien servir d’insister à celui qui s’entête à l’autre extrémité de la ligne ; ne comprend-il donc pas qu’il n’y a personne !
 
Julien ne peut retenir un geste agacé en raccrochant le combiné. Julie en prend à son aise alors qu’il est là, à se morfondre sans plus savoir à quel saint se vouer ! Autant s’en faire une raison, il ne réussira pas à la joindre.
D’après sa mère, elle a du souci pour lui. Vraiment ! Il peut en juger, elle a dû être avisée de son retour à la maison, tout autant que Justine, et, à l’évidence elle ne montre aucun empressement à prendre de ses nouvelles.
Et puis... il est plus que l’heure de se coucher, et avec un bras en écharpe, il n’est pas tiré d’affaire.
 
Enfin ! Le silence... Julie va pouvoir réfléchir en paix.
Elle pourrait... se rendre tout bonnement au commissariat de police, à deux pâtés de maisons, pas le bout du monde ! Oui, mais... pour y raconter quoi ? Qu’elle s’est enfermée à l’extérieur ? Elle les entend déjà, surtout celui qui l’a sermonnée, pas plus tard que la veille pour sa mauvaise habitude de laisser son véhicule n’importe où. S’il venait à apprendre qu’elle dispose d’un garage privé, elle ne coupera plus aux contraventions.
Elle pourrait... peut-être sonner à la porte de... de… de Julien ! Non ! C’est bien la solution la plus sensée, la plus pratique et certainement la seule à ne pas envisager... pas même un peu ? Un tout petit… petit peu ?
Elle s’efforce de ranimer sa colère, plus aussi vive qu’auparavant, elle l’imagine, moqueur et sceptique. Lui ? Croire à une telle mésaventure après ce qui s’est passé entre eux ? Comment va-t-il ? Il lui manque tant.
 Elle n’a pas osé l’affronter dans une chambre d’hôpital mais elle sait qu’il est rentré chez lui, en début d’après-midi.
Il faut se décider, c’est cela ou passer la nuit, du moins ce qu’il en reste, sur un paillasson ridicule. « Bienvenue », judicieuse idée d’avoir choisi celui-là.
Son amour-propre ? Aux oubliettes.
Redescendre... jusque-là, rien de trop pénible... mais sortir ? Oui, elle peut... Merci au ciel pour ce moment de clémence... Pourvu qu’il dure assez longtemps.
 
Cette fois, c’en est trop. Que fait-elle ? Plus question pour Julien de trouver la paix et le sommeil avant d’avoir de ses nouvelles.
Même Justine qui s’en est mêlée, troublée, elle aussi, parce qu’un message sur son répondeur lui demandait de rappeler sa tante et que depuis... Elle ne compte plus ses appels.
Elle s’est renseignée auprès de Gab, de David... Personne ne sait où trouver Julie... Attendre encore ? Pas question. Ils sont décidés à faire le tour des hôpitaux et de leurs urgences, les Marins Pompier... et qui d’autre ? Ah, oui, la police !
Ils sont tous devenus fous !
           
   Quarante-sept entrées d’immeuble plus loin, sur le côté impair. Une bagatelle... Seule, trempée, échevelée. Une honte ! Il ne pleut plus du tout. Passer inaperçue ? Comment ?
Accélérer un peu, pour se donner une contenance ou dérouter un possible adversaire. Qui rôde de ces heures ? Quelle faune rencontre-t-on dans les rues ? Idiote. Avec ce temps, qui d’autre qu’elle pour mettre un pied dehors ?
On ne sait jamais !
À peine plus vite, hors d’atteinte des cercles lumineux qui veillent autour des réverbères immobiles, se glissant, ombre furtive, parmi celles des platanes sédentaires. Julie court sur un miroir d’eau, tentant d’y devancer son reflet, l’oubliant derrière elle, le retrouvant, plus loin, tapi au cœur d’une flaque luisante.
 
C’est idiot de s’en souvenir si tard ! Julie a coutume de débrancher la sonnerie du téléphone ! Julien est à deux pas... rien de plus facile que de faire un saut chez elle... et puis, la pluie a cessé. Le prétexte idéal pour satisfaire au réel besoin de la voir ? Mais non ! Seulement pour rassurer tout le monde.
 
Julie y est presque, plus vite... Plus encore pour l’homme qui s’immobilise devant elle, et baisser les yeux, l’ignorer et le dépasser.
 Il peut toujours appeler ! Il délire s’il pense la retenir par un prénom, et même avec son prénom à elle... Le sien ? Non, elle a rêvé. Et puis, il est déjà derrière elle. Encore ? Il a bien dit... "Julie !" ?... et...
 
 
Arrêter sa course... oser regarder par-dessus son épaule... et plisser les paupières sur son regard de myope pour être certaine de ne pas commettre d’erreur... et... Julien ! C’est bien lui... et elle l’embrasserait... une fraction de seconde... le temps de maîtriser l’élan qui la jetait vers lui.
Qu’espère-t-elle ? Qu’il ait renoncé à la froide résolution de la maintenir hors de sa vie ? Elle ne doit pas céder à l’impatience, mais apaiser toute la frustration qu’elle porte en elle et attendre qu’il capitule devant un désir de vie, et lui faire oublier qu’il peut ne durer que le temps d’un songe, et se contenter de le voir là.
Là ? Dans la rue... En pleine nuit et par ce temps, avec son bras, dans son état.... Il est fou, inconscient, incorrigible. Pire qu’un enfant !
- Julien... Ça ne m’étonne pas de vous ! Qu’espérez-vous ? Un retour rapide dans le service du Professeur Robin ? Vous n’en finirez donc jamais avec toutes vos imprudences !
- Que dire de votre conduite ! Voilà des heures que j’essaie de vous joindre, tout autant que Justine, et son anxiété a fini par me gagner. Où alliez-vous comme ça ?
- Chez vous. Mais... si vous saviez !
- C’est vrai ? Alors, vous aussi... comme moi.
- Comme vous ? Euh... Combien pour éclairer ma lanterne ?
    Contrariée de s’abandonner trop aisément, de lui permettre de l’enlacer, et bien plus qu’il ne puisse le faire qu’à demi, et heureuse de se sentir si bien mais décidée à ne pas aller trop loin. À peine...
- Je m’attendais si peu à trouver, en vous, en toi, le même cheminement. Tout ce temps perdu... Chérie, j’ai été fou.
    Il en est donc là. Un déclic chez Julie, une mécanique qui se met en marche dans sa tête, à toute allure et un début d’évidence pour étayer l’ébauche d’une stratégie.
- Je suis hors service, incapable de raisonner. Julien, je n’aspire à rien d’autre...
- Je sais, c’est pareil pour moi, je ne peux plus lutter. J’ai soif de toi, envie de t’enlever, de te garder.
    Pour reculer ensuite ? Englué dans des scrupules stupides.
- Moi, j’ai surtout celle de rentrer.
- Chez toi ? Nous irons où tu veux. Et ces heures à te chercher, à t’espérer. J’étais fou d’angoisse. Où as-tu disparu si longtemps ?
    Un réel plaisir de le laisser se dévoiler de la sorte, quoique, elle aime bien, aussi, sa manière de lui exprimer le souci qu’il a eu pour elle. S’il pouvait la bercer ainsi, contre lui, durant l’éternité. La tentation est forte de prendre sa revanche... une petite... juste pour lui montrer que rien n’est gagné.
- Julien... Pouce ! Temps mort... C’est la mi-temps et je reprends à zéro. Je suis sortie courir...
- Je le vois bien, tu es trempée. Avec un temps pareil... ce n’est pas raisonnable.
- Il ne pleuvait pas... au début... Jusque-là c’est clair ?
- Evident... Chérie, il ne faut pas trop en faire la première fois.
    S’il l’appelle encore ainsi... Elle n’y arrivera pas.
- Oh, je suis devenue experte en la matière. Mais, ce soir, on peut dire que je me suis appliquée. Plus fort que ça, c’est impensable. Je continue. À mon retour, au moment de rentrer chez moi, je me suis rendue compte...
- Que ce n’était pas ton but véritable...
    Pas ses lèvres... elle n’y résisterait pas... trouver la force de se dérober, de leur échapper... Lequel des deux punit-elle ainsi ? En arriver au fait, vite... D’une traite, sinon...
- Oh ! Oui ! L’unique. Mon seul désir c’est de me glisser dans un bain chaud, puis entre des draps accueillants et dormir... d’un sommeil sans rêve. Je veux rentrer chez moi, ailleurs, qu’importe, dans un endroit où je pourrai pénétrer. Julien... C’est affreux... j’ai perdu mes clés.
    C’est dit. Alors ?
- Tes clés ? Tu es... Vous êtes là... à cause d’une porte fermée ? Seulement pour cela ?
- Je suis désolée.
    Menteuse ! Ravie de le voir nettement déçu. Le premier jalon ?
- Pas autant que moi. Julie... Cette situation est ridicule.
- Merci bien !
- Ça s’adressait à moi, et j’ai envie de me battre.
- Je peux vous y aider, ça me soulagerait un peu.
- Je vous crois sur parole ! Accepteriez-vous un lit en gage d’amitié ?
    Amitié ? Compte là-dessus ! Elle attend bien plus et il serait judicieux de l’aiguillonner un peu, juste pour qu’il ne perde pas tout à fait espoir.
- Bien volontiers, j’en profiterai pour repenser à ce que vous disiez il y a un instant.
- Oubliez tout.
- Surtout pas ! C’est sans doute ce que j’ai entendu de plus intéressant aujourd’hui. Mais pour démêler l’écheveau, il faut que je dorme avant. C’est encore loin, Julien ?
- Plus tellement.
- J’ai confié les doubles à Justine.
- C’est une chance... Nous nous en occuperons demain, pour cette nuit, il n’est plus l’heure de la déranger. Nous y sommes.
    Un frisson à imaginer... Non. Elle ne veut plus s’exposer à un recul en lui, plus de situation compliquée et moins encore d’attente insatisfaite. Cette fois, c’est elle qui mène le jeu, et il n’est pas question qu’elle perde la partie.
Ne pas glisser sur les pierres plates qui la guident vers l’entrée. Inquiet pour elle ? Au point d’avoir déserté les lieux en oubliant d’en refermer l’accès.
Et l’intérieur ? C’est... joli et... bizarre ! Un décor agréable, mais encombré, bien plus que cela... un fouillis indescriptible !
- Vous vivez là-dedans ?
- J’essaie. Je me suis réservé deux pièces, les autres, je préfère fermer les yeux en les traversant. Ma sœur est assez originale en matière de décoration, elle voulait s’occuper de ma maison mais j’ai refusé.
- Votre maison d’Aups ?
- Oui, et quand je m’aventure à un coup d’œil sur ce qu’elle a fait ici... je suis plus que décidé à tenir bon. Pour l’instant, hâtez-vous de vous changer. La salle de bains est là. Je vous apporte le nécessaire.
    Qu’il se charge du superflu, elle, elle sait déjà comment obtenir le principal.
    Julie s’est offerte longuement aux jets brûlants, leur laissant tout loisir d’effacer la moindre trace de sa mésaventure et d’en chasser jusqu’au souvenir, se résignant à s’en soustraire seulement à entendre un léger tapotement à la porte.
- Ohé ! Ne vous endormez pas, sinon vous y passerez la nuit.
    La nuit ? Toute à son bonheur de partager le même toit, elle s’est montrée négligente et oublieuse de l’essentiel. Il est tard et Julien, sans doute, à bout de forces.
    À l’extérieur, l’orage a repris ses droits, avec la vigoureuse détermination de durer des heures, déployant derrière les carreaux en verre martelé, tout autour des murs de la maison, un rideau dense d’eau furieuse, les isolant du reste du monde.
    Deux minutes pour se sécher, s’envelopper dans un peignoir confortable et sortir d’un nuage de vapeur. À temps pour le voir se débattre avec une attache inaccessible.
- Attendez, je vais vous aider.
- Non. Je peux m’en sortir seul.
- Tête de mule ! Baissez-vous un peu, voilà ! c’est fait... Alors ? Déshonoré pour avoir accepté une main secourable ?
- Il faut que je m’entraîne, vous ne serez pas toujours là.
- J’ai bien failli ne pas y être du tout d’ailleurs, à cause d’un insensé qui roulait à une allure incroyable. Avec cette pluie, il ne m’a vue qu’à la dernière limite et ne m’a évitée que d’un cheveu. La peur de ma vie. Encore un coup de main pour la chemise ?
    Le teint plus pâle, sans acquiescer ni refuser, le regard un peu hagard. L’espace d’une seconde, la vision de Julie inanimée, blessée, pire peut-être. Qu’elle ne lui appartienne jamais, il peut s’en faire une raison, mais pas concevoir qu’elle disparaisse, ne plus entendre son rire, supposer que...
Julie sourit. Lui ferait-elle autant d’effet ? Sans se presser, un bouton après l’autre, en prenant bien garde de ne pas effleurer sa peau, évitant toute provocation inutile.
- Soulevez un peu le bras, que je puisse dégager la manche. Doucement, sans forcer. Ça ne va pas ?
- Oui, je... Laissez, pour le reste, je m’en sortirai très bien. D’ailleurs, je vais prendre une douche et...
    Il doit se reprendre, ordonner ses pensées.
- Votre pansement, vous risquez de le souiller, il ne faut pas.
- Je ferai attention. Allez vous reposer, tout est prêt dans cette chambre, là...
- Et si vous aviez un problème ?
- Je vous appellerai, c’est promis.
    Fuir la déception qu’il lit dans ses yeux, oublier l’inquiétude qu’ils affichent et s’éloigner d’elle...
    Il a retrouvé la pièce vide, la maison silencieuse, il a hésité un instant devant une porte close, pour finalement reculer. Qu’elle dorme, la savoir si proche suffit à adoucir sa solitude. Et puis... c’est compter sans un bras inutile pour l’instant. Dans quelques jours, une affaire oubliée, le temps de faire taire un dernier doute quant à un possible avenir avec elle.
    Il a regagné sa chambre, le cœur plus léger. Demain... Aujourd’hui ! Encore quelques heures et il trouvera bien le moyen d’éclaircir la situation entre eux.
    Il avait bien besoin de ça ! Il ne se supporte plus dans un tel état, à demi impotent et aussi maladroit. Eteindre la lumière, s’accorder un répit, et dormir, pour que le temps s’enfuit plus vite, pour que...
Un bruit furtif, un mouvement, un corps qui se pose près de lui, se glisse entre les draps... et une peau qui vient taquiner la sienne...
- Julie ?
- Je le savais, c’est bien plus confortable ici. Tu disais ?
- Moi ? Ai-je vraiment droit à émettre un avis ?
- Seulement si tu dis ce que j’ai envie d’entendre.
- Je m’en doutais... Tu t’es décidée comme ça ?
- Si je t’avais attendu, nous n’en serions pas là, non ?
- Evidemment... et, je suppose que tu comptes diriger les opérations un bon bout de temps encore.
- Au moins jusqu'à ce que tu prennes conscience de tout ce dont tu nous as privé.
- Je vois...
- Tu es bien comme ça ? Ton épaule ?
- Ça ira... Chérie... tu ne sais pas tout...
- Bien plus que tu ne le crois, mais nous en parlerons demain. Pour l’instant, il est tard et il faut que tu dormes...
- Bien sûr...
- Tu dois te reposer, pour reprendre des forces...
- C’est vrai...
- Du repos... c’est ce qui est le plus indiqué pour toi.
- Tu as raison...
- Et puis nous... et puis... Julien ! Que fais-tu ?
- Tu... disais ?
- Moi ?... Rien... non, plus rien...
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